Chapitre Vingt-sept, Ou l'art de se crêper le chignon

***

Lançant son bras, la vampire réussit à agripper la chatte par la queue avant qu'elle ne puisse lui fausser compagnie. Elle n'avait pas attendu de longs et éprouvants mois pour que cette sale petite emmerdeuse blonde s'en tire à si bon compte. Le chat se tortilla entre ses mains, tentant d'en glisser comme un poisson tout juste sorti de l'eau, mais la poigne de Diya ne fit que se resserrer sur son corps fragile. Un sourire se dessina peu à peu sur les beaux traits de marbre de la chasseresse tandis qu'elle goûtait sur sa langue aux sucs de sa si proche victoire. Le félin se débattit de plus belle, mais ses crocs et ses griffes glissaient sur sa peau comme si elle était faite de verre. Annabelle savait ses efforts inutiles, et elle assistait avec une terreur grandissante à sa propre exécution. Si elle ne se retransformait pas d'une seconde à l'autre, Diya lui briserait la colonne à l'instar de la brindille que l'on casse avant de la déposer sur un feu naissant. Mais pour cela, il fallait à tout prix qu'elle se calme, qu'elle taise sa peur et qu'elle ralentisse son rythme cardiaque. Lorsque ses émotions devenaient trop fortes, son félin bondissait hors de son corps sans qu'elle l'eût appelé ; une part de son don qu'elle n'avait pas assez eu le loisir de dompter.

Quelque part à côté de son petit corps luttant avec désespoir, son frère poussa un hurlement déchirant. Face aux trois cadavres à ses pieds et aux deux vampires encore vivants l'acculant dans un coin de la pièce, le loup replia l'une de ses pattes avant contre lui. Gelt écumait d'une épaisse pellicule de sueur mâtinée de sang. Un sang qui, pour une grande majorité, n'était pas le sien. Sauf que, cette fois, l'un des vampires avait réussi à percer ses défenses et venait de lui sectionner les tendons à l'aide d'une longue lame en forme de faux. Fou de rage et de douleur, le loup bondit sur son assaillant et d'un coup de sa puissante mâchoire lui arracha le bras à partir de l'épaule. Annabelle ne put assister à la suite ; quelque chose dans son corps craqua. Sans doute une côte. La douleur fut si fulgurante que son don se rétracta presque immédiatement au creux de son ventre, s'enroulant dans sa boule de fourrure afin de panser ses blessures et laisser à l'humaine l'opportunité de les garder toutes deux en vie.

Entre les mains crispées de Diya, le corps du félidé se distendit et Annabelle le remplaça. L'apprentie balança immédiatement son talon dans le menton de la vampire, propulsant sa tête et l'avant de son corps en arrière. Elle recula ensuite en battant des jambes. Sur ses paumes et sa peau nue, un sang épais s'accumulait, la faisant déraper, rendant sa fuite maladroite.

Le sourire qui déformait désormais les traits de Diya tandis qu'elle se redressait et rampait jusqu'à Annabelle n'avait plus rien d'humain. Il était déformé par une folie meurtrière, une envie de tuer au-delà de toute raison. Et pour l'Algaël, sans autre défense que ses mains, cette lueur dans les yeux ensanglantés de la vampire annonçait un funeste présage.

Le bras de Diya fusa vers sa jambe.

Et un énorme bloc de fourrure bondit sur la vampire, trop concentrée sur Annabelle pour voir le loup se ramasser sur lui-même et lui sauter dessus de toute sa lourde masse. Elle fut projetée avec une extrême violence contre la banquette du salon privé qui se brisa et se renversa sous la puissance du choc. Toujours en appuis sur trois pattes, le loup offrit à sa sœur son corps en guise de bouclier et gronda, sinistre. Diya se redressa péniblement, s'aidant du mobilier brisé sur lequel elle avait atterri pour se mettre debout. Sa paume compressait de larges entailles sur sa nuque : une morsure de loup-garou. Elle vacilla sur ses longues jambes, sa peau se couvrant déjà d'un voile poisseux. Le venin ne tarderait pas à l'immobiliser. Ses yeux cherchèrent un quelconque soutien parmi ses hommes, mais tout ce qui lui répondit fut les yeux vitreux de leurs cadavres. Comprenant qu'elle avait trouvé un adversaire bien plus puissant qu'elle, elle usa des quelques gouttes d'énergie qui lui restait pour s'enfuir par l'exact chemin que celui qu'avait pris son maître de longues minutes plus tôt.

Le loup se retourna vers sa compagne en claudiquant et s'affaissa contre elle. Plongeant ses doigts dans la fourrure rêche et visqueuse, Annabelle trouva le réconfort dont elle avait besoin.

— On va prendre deux minutes, d'accord ? Le monde va essayer de ne pas s'autodétruire dans ce court laps de temps...

Il couina doucement, puis entreprit de lécher sa patte sur laquelle une profonde estafilade laissait entrevoir les tendons et l'os.

Annabelle tenta de s'allonger sur le côté, mais des larmes de douleur lui montèrent aux coins des yeux. Elle siffla entre ses dents serrées. Lorsqu'elle baissa les yeux sur son flanc, elle constata qu'un bleu s'élargissait presque a vu d'œil sous sa poitrine. Les trois côtes qu'elle s'était cassées quelques mois plus tôt lors de sa lutte contre les Blëtts, n'avaient visiblement que très moyennement apprécié le régime que Diya venait de leur faire subir. Étourdie par la douleur, Annabelle s'étendit sur le sol imbibé. Ses paupières lourdes papillonnèrent dans l'espoir de rester ouvertes.

— Ils vont avoir besoin de notre aide, Gelt. Il faut... qu'on...les... trouve.

Le loup couina.

Et elle perdit connaissance.

***

Lorsque l'énorme loup-garou avait déboulé dans la salle de bal semant le chaos comme l'on sème les champs, Marga se trouvait en présence de son cavalier de bal. Elle ne l'avait pas choisi au hasard. D'une branche voisine à la famille royale ombrienne, il était l'un des cousins germains de Silla Mhùron, mais aussi le trésorier du Royaume. Un bon parti qui pourrait sans aucun doute éveiller la jalousie de son amant distant.

Marga était une fille de cour, elle en connaissait parfaitement les rouages. Ce qu'elle n'avait pas prévu, en revanche, c'est qu'il serait d'un ennui mortel. Son principal sujet de conversation pendant tout le début de la soirée avait tourné autour de l'embargo des navires marchands centraliens. Il estimait les pertes à des centaines de milliers de Moncules d'or, mais se rassurait sur le fait que cette situation financière serrait contrebalancée lorsque les nouveaux gisements de cuivre qu'ils avaient trouvés en prospectant plus loin dans le ventre de la montagne, pourraient être exploités. Marga avait étouffé quelques bâillements, concentrant son attention sur l'échange entre son roi et Euridice. De là où elle se trouvait, elle n'avait pu entendre leur conversation, mais avait eu tout le loisir d'admirer le regard éteint et ennuyé que Silla Mhùron avait posé sur elle. Elle avait ravalé ses larmes et sa haine, et s'était entièrement plongée dans la nouvelle et passionnante conversation du maître du trésor public. Il se lançait sur une nouvelle envolée financière, à propos du coût astronomique de cet anniversaire disproportionné, lorsque le loup avait défoncé l'une des portes-miroirs de la salle de bal et s'était planté devant eux, les babines maculées du sang de quelques gardes encombrants. Passant devant Marga, son compagnon avait sorti son épée au clair, la faisant chanter d'une note cristalline. Faite pour l'apparat plutôt que pour le combat, l'objet croulait sous les feuilles d'or et les enluminures.

— Ne craignez rien, ma douce. Je serai votre rempart, lança-t-il, fier comme un paon en brandissant son arme.

Un coup de patte, et l'œuvre d'art s'envolait puis glissait sous une table.

Le trésorier déglutit, les jambes tremblantes, mais décocha néanmoins à sa jeune protégée d'une voix assurée :

— Regardez-le dans les yeux. Montrez-lui que vous n'avez pas peur, que vous êtes un adversaire trop sérieux et il se détournera de vous.

Marga agrippa le pourpoint de son compagnon si fort que s'il n'avait pas été de qualité, elle l'aurait déchiré en y plantant ses ongles.

— Êtes-vous certain de ce que vous avancez, Sir Däl'Bar ?

— Bien sûr, ma douce. L'art de la chasse n'a aucun secret pour m...

Marga recula précipitamment en hurlant, laissant le trésorier faire barrage de son corps. Le loup venait de bondir sur son compagnon, lui arrachant la gorge d'un coup de crocs.

Le dos plaqué contre une colonne, Marga regarda mi-fascinée mi-pétrifiée, Sir Däl'Bar se vider de son sang à gros bouillons. Lorsqu'il cessa de respirer dans un borborygme ensanglanté, des bulles vermeilles éclatant sur sa bouche, elle essaya de se souvenir de son prénom. Sans succès.

Lorsque le loup s'était ensuite tourné vers une autre victime hurlante parmi la foule compacte, ignorant la trop frêle courtisane, elle ne s'était pas fait prier pour s'éclipser sans demander son reste. Courant à toutes jambes, elle sortit de la salle afin de rejoindre ses appartements. Évitant une colonnade de soldats en arme, elle bifurqua sur sa droite et prit un large escalier. Une fois dans sa chambre, elle tourna en rond quelques minutes, réfléchissant à la situation.

Le loup-garou n'était pas venu de nulle part. Il devait forcément y avoir un rapport avec la petite troupe que Silla gardait comme trophée en attendant d'acquérir les pleins pouvoirs de la pierre. Faisant les cent pas, elle se mordit l'ongle du pouce.

Dieux ! qu'elle détestait être dans l'ignorance ! Tout ceci, elle aurait dû le prévoir. Elle aurait dû le prévenir. Elle avait été bête et trop occupée à chercher l'attention de son roi pour voir venir ce qui était évident. Les prisonniers de Silla avaient été trop calmes ces derniers temps, trop sereins alors que leur ennemi effleurait son but du bout des doigts.

S'ils réussissaient à récupérer Misia Lo Gaï, elle aurait échoué. Non, elle ne leur permettrait pas de l'humilier à nouveau !

Elle s'arrêta brusquement. Se mettant à genoux aux pieds de son lit, elle souleva un coin de la peau de hetys qui recouvrait le parquet massif et plaça son index dans un mince trou circulaire perçant l'une des planches. Titrant dessus, elle la souleva découvrant une cache. Au fond du trou, un sac en toile de jute grossier reposait entre divers autres objets. Ignorant les bijoux, les pierres précieuses et les pièces d'or, elle attrapa le sac.

— Quel sale coup, trames-tu encore ?

Marga fit volte-face. Son cœur cognait si fort contre sa cage thoracique que l'on voyait sa poitrine se soulever frénétiquement. Posant une main sur son décolleté, elle se força à reprendre contenance. Devant elle, les bras croisés et l'air soupçonneux, Euridice posa ses yeux sur le paquet que Marga tenait serré contre le devant de sa robe. Elle l'avait suivie depuis la salle de bal - trop heureuse d'échapper à la surveillance permanente des hommes de Mhùron – suspectant la jeune intrigante d'une nouvelle entreprise. Et apparemment, elle avait eu raison.

— Pourquoi devrais-je toujours tramer quelque chose ? s'enquit Marga.

— Parce que je n'oublie pas que nous serions déjà sur Thea None depuis un bon moment si tes petits désirs puérils et égoïstes n'avaient pas placé Mhùron sur notre chemin. Et... (Elle désigna le sac de l'index.) ...j'appelle ça un objet pour tramer un sale coup.

Euridice s'avança d'un pas et Marga le prit comme une menace. Elle trébucha presque en reculant contre son lit et plaça son paquet dans son dos, à l'abri du regard inquisiteur de l'Algaël.

— Tu... tu ne peux rien me faire tant que le dispositif est encore actif !

Le savant mélange d'un sourire innocent et d'un sourire mauvais s'afficha sur le visage calme d'Euridice.

— Si c'est le cas, pourquoi trembles-tu comme un flan ?

Même si elle n'avait pas assisté à la scène, Marga était la reine des bruits de couloirs et les murmures des serviteurs et des courtisans avaient fait leur chemin jusqu'à ses oreilles attentives. Elle avait eu vent des pouvoirs in vitro de l'enfant qui avaient réussi à passer outre le hörr que portait sa mère. La jeune femme n'était pas couarde, mais elle n'avait nulle envie de savoir si les rumeurs étaient fondées et d'en être l'infortuné cobaye.

Euridice, consciente de l'effet qu'elle faisait à Marga, s'avança encore d'un pas.

— N'approche pas !

— Je ne peux te blesser, Marga. Tu l'as dit toi-même.

Un nouveau pas.

C'était peut-être puéril, mais Euridice savourait chaque pic de peur qui s'échappait d'elle, les faisant rouler dans sa bouche. Marga méritait une leçon. Elle était jeune et stupide, certes, mais cela n'excusait pas tout. Sa vendetta avait mis le monde en danger, elle les avait gardés captifs de long mois, fait endurer plus de malheurs et de châtiments pendant ces semaines, que peu d'âmes peuvent en supporter. Sur leur souffrance, elle avait tenté d'être reine. Une folie qui avait laissé le long de sa route, de larges cicatrices et de trop nombreux cadavres.

— Silla Mhùron ne fera jamais de toi sa reine, Marga, lança-t-elle, sachant exactement ce que la courtisane désirait plus que tout. Tu en es consciente, n'est-ce pas ? Quoi que tu fasses, quoi que tu dises, tu resteras l'une de ses maîtresses. Une parmi tant d'autres. Tu lui as peut-être apporté les rênes du monde sur un plateau, mais il ne fera pas de toi la sienne. Il se moque de tes attentes. Pourquoi continues-tu sur cette voie ?

— Il changera d'avis. Lorsqu'il verra que tout le monde le trahit et que je reste sa seule alliée, il m'offrira ce que je veux.

— Et une couronne vaut tous les sacrifices ? Le sang qu'il a sur les mains tache aussi les tiennes. Tu le sais, n'est-ce pas ?

Marga secoua la tête et ses boucles brunes chatouillèrent son visage en forme de cœur.

— Tu arrives encore à te regarder dans un miroir ?

— Tais-toi !

Mais elle n'en avait pas fini. Euridice avait d'autres cartes dans sa manche. Marga préférait se voiler la face sur sa participation dans les nombreuses morts de Mhùron ? Bien, elle pouvait changer d'angle d'attaque.

D'une main, elle pointa la clavicule de la jeune femme où un bleu qui avait jusqu'alors réussi à disparaître sous une couche de poudre refaisait partiellement surface.

— Est-ce que la couronne vaut des nuits entières avec un amant qui te bat ? reprit-elle d'une voix douce.

Les yeux de Marga se voilèrent de larmes, son menton trembla. Elle se laissa un instant gagner par une tristesse et une solitude qu'Euridice avait rarement vu dans les prunelles d'une personne si jeune. Puis elle se ressaisit et une étincelle mauvaise éclata bientôt au fond de ses grands yeux bleu marine. Elle se pencha, retroussa le bas de sa jupe et fit apparaître un fourreau autour de son mollet.

— J'aurais dû te tuer lorsque j'en avais l'occasion. J'aurais dû me débarrasser de toi en même temps que ton bâtard !

Euridice leva ses mains entre elles, tentant de l'apaiser. Les rôles venaient de s'inverser en un battement de cœur.

— Réfléchis à ce que tu veux faire, Marga. Il n'y aura pas de retour possible.

— J'y compte bien. Sans toi et sans ton enfant, Silla n'aura plus que moi pour lui faire un héritier, lorsque sa fille sera morte à son tour.

L'Algaël fronça les sourcils, une idée morbide pointant dans son esprit.

— Tu es celle qui a réussi à convaincre Mhùron de se débarrasser d'Eleon, annonça-t-elle sans y mettre le ton de l'interrogation.

— Il a besoin de larmes sincères, n'est-ce pas ? Quel autre moyen vois-tu pour arracher ne serait qu'un seul sanglot à un être tel que lui ? De toute manière, à l'heure qu'il est, la princesse ne doit plus être de ce monde.

— C'était bien joué. Et tu n'as pas dû trop insister, je me trompe ?

— Il y avait pensé, bien sûr. Il lui fallait juste un coup de pouce soufflé sur l'oreiller.

— Marga... Rien ne vaut...

— SI ! hurla-t-elle ! Bien sûr que si ! Je serai reine ! Quel qu'en soit le prix ! Qu'importe vos plans ! Ton loup-garou a sans doute rejoint Eleon sur son tapis de sang. Plus rien n'arrêtera Silla. Plus rien ne m'arrêtera ! Même pas toi !

Au bout de sa diatribe, essoufflée et rouge, Marga se jeta – lame en avant – sur Euridice. Cette dernière effectua un roulé-boulé sur le côté et se releva d'un même mouvement, main sur son ventre.

Marga ricana.

— Alors, Gardienne, siffla-t-elle ? Ton enfant n'a pas un seul petit éclair en réserve ?

Elle s'élança de nouveau sur l'Algaël qui roula par-dessus le lit. Les deux femmes, de chaque côté de la couche, se regardèrent.

— Tu ne peux rien me faire, n'est-ce pas ? Tes menaces ne sont que de la poudre aux yeux.

La petite brune grippa sur le matelas, tandis qu'Euridice continuait à l'éviter. Le chemin vers la porte d'entrée libre, elle s'y dirigea à toutes jambes avant qu'une douleur aiguë ne lui morde le côté de la hanche. Elle cria de douleur, trébucha et se rattrapa de justesse sur un bahut en bois clair avant qu'un angle saillant ne lui rentre dans le ventre. Se retourna face à Marga, elle s'appuya sur le meuble afin de garder l'équilibre. Sur sa hanche, une entaille se mettait à saigner, teintant le tissu fluide de sa robe claire. Elle appuya dessus afin d'enrayer l'hémorragie. Déjà, la courtisane sortait une seconde lame de sa jarretière au mollet et se redressait, menaçante. Euridice tentant un coup d'œil à la porte.

— On essaye de voir si tu cours assez vite ?

— Marga... Ne fais pas ça. Tu peux encore faire marche arrière. Tuer quelqu'un de sang-froid change une âme. Tu ne veux pas...

— Pas de marche arrière. Je suis désolée que tu te sois trouvée sur mon chemin.

Alors que Marga s'avançait la mine déterminée, la porte s'ouvrit en claquant violemment contre le pan de mur. Une silhouette floue s'élança dans un roulé-boulé, se redressa au niveau de la courtisane et dans un même mouvement fluide lui envoya un coup de pied magistral dans la mâchoire. La jeune fille lâcha son couteau et s'écroula en arrière, évanouie.

L'intru se redressa en se frottant négligemment les mains et se retourna vers Euridice, un sourire lumineux sur le visage.

Le cœur de l'Algaël rata un battement.

— Alors, ma petite fleur ? Je t'ai manqué ?

— Va... VANIA ?!

Euridice se jeta au cou du grand échalas qui la surplombait d'une tête et l'étreignit au point de lui briser les cervicales. Lorsqu'elle recula afin de pouvoir le regarder dans les yeux, une lueur espiègle brillait dans les prunelles grises de l'Algaël.

— Alors comme ça, on ne peut pas se débrouiller toute seule pour sauver le monde ?

— Que veux-tu ? Je ne peux pas me passer de toi. Et puis, je te connais, tu m'en aurais voulu si tu n'avais pas pu botter des culs dans cette histoire.

Vania lui sourit chaleureusement puis son regard assombri se posa sur la jeune femme qu'il venait d'assommer.

— D'ordinaire, ils ne t'auraient pas posé de problème. Pourquoi ne l'as-tu pas sortie de ton chemin quand tu en avais l'occasion ?

Euridice répondit à sa question en désignant du doigt l'objet circulaire qui dépassait légèrement du décolleté de sa robe.

— Tu vois cette petite merveille ? Elle bride mon don et m'empêche, par la même occasion, de blesser quiconque dans l'enceinte de cette foutue forteresse de m...

Il leva un doigt impérieux entre eux.

— Surveille ton langage, ma fleur.

— Foutre non ! Si tu avais cette saloperie greffée sur ta poitrine depuis trois mois, je te promets que tu jurerais plus fort que le fils d'un charretier et d'une poissonnière.

— Et je veux bien te croire.

Il recula d'un pas et plissa les yeux, le regard rivé sur le hörr d'Euridice.

— Bon, comment procédons-nous pour l'extraction ? Nous ne pouvons décemment pas me laisser donner une leçon à tous les gardes de ce château, je dois t'en laisser un ou deux.

Euridice secoua la tête et soupira.

— Tu ne peux pas m'en débarrasser, Vania.

— Ça, tu vas me laisser en juger.

Sans plus attendre, il baissa légèrement l'encolure du bustier d'Euridice d'une main et posa l'autre sur son hörr. N'importe qui d'autre aurait osé la toucher ainsi se serait vu refaire le portrait au burin, mais Euridice plaçait une confiance absolue en Vania. Il avait été sa famille, puis son premier amour. Cette étape passée et depuis longtemps révolue, ils avaient développé des liens que seules deux âmes élevées à l'identique peuvent forger.

— Ne bouge pas, d'accord ? Un mouvement brusque et c'est ton cœur que j'extirpe de ta poitrine. Je crois que nous serons deux à ne pas apprécier le spectacle.

Euridice hocha le menton en silence et prit une longue inspiration.

Vania ferma les yeux.

Puis ses doigts pénétrèrent lentement au travers du métal brillant, tâtant prudemment à la recherche de ce qui l'activait.

Euridice retint son souffle pendant ce qui lui parût une éternité.

Un clic retentit soudain à leurs oreilles. Un son qui éveilla immédiatement une bouffée d'extase en elle et qui trouva son apogée lorsque le dispositif tomba entre eux dans un bruit métallique.

— Rappelle-moi de t'offrir le cadeau le plus cher et le plus démesuré pour ton anniversaire.

— Je n'y manquerai pas.

Arrachant la partie sectionnée de sa robe, Euridice l'enroula autour de sa cuisse gauche afin de panser sa blessure.

— Bien, allons-y. Ça devrait suffire pour le moment. Il n'y a plus une minute à perdre si nous voulons user de la panique générale pour prendre le dessus sur Mhùron. À l'heure qu'il est, Gelt l'a déjà peut-être égorgé comme le sale porc qu'il est, mais, si ce n'est pas le cas, j'aimerais participer.

— Dans ce cas, fit une voix féminine dans l'embrasure de la porte, j'aimerais vous précéder si cela ne vous gêne guère. Silla me doit un Royaume et... deux fils.

Lorsqu'Euridice tourna la tête, une superbe femme brune aux yeux noirs comme l'ébène s'avança dans la chambre.

— Ma fleur, je te présence Louve Elanora Roy'Quin, reine du Royaume central.

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