Chapitre Cinq (bis), ne jamais promettre ce que l'on ne peut garantir

— Peux-tu me rappeler ce que nous faisons ici ?

Annabelle et Gelt s'arrêtèrent devant une allée de maisons mitoyennes. Elles se situaient en plein centre de la capitale, à l'endroit exact où le prix des habitations s'enflammait subitement. L'une d'elles, grande bâtisse tout en hauteur, était soutenue par des murs d'un blanc immaculé et flamboyant sous le soleil pâle du début de matinée. Toutes les demeures de la Haute Arcandie semblaient avoir été taillées d'un unique bloc dans le plus pur des marbres.

On ne pouvait pénétrer la capitale qu'au moyen de Transporteurs. Ces cercles magiques disposés aux abords du lac et de la ville charriaient personnes et marchandises en provenance d'autres cités, au centre de la métropole. Et il était préférable de ne pas se tromper entre l'énonciation des cercles, si vous ne vouliez pas vous retrouver dépouillé dans une ruelle malfamée, plutôt que bien vivant dans les Jardins Suspendus ou les thermes de la cité. Par cet unique moyen d'accès, plus sûr qu'une garnison de dragons, mais insolite pour les non-initiés, la cité d'Arcandie était restée imprenable depuis des millénaires.

Après avoir fendu la foule pendant près d'une heure, jouant des coudes malgré l'heure matinale, les deux jeunes gens semblaient exténués. Zigzaguer entre les badauds, tous plus corpulents les uns que les autres, n'était pas une mince affaire. Ils portaient tous des accoutrements saugrenus, prenant beaucoup trop d'espace et de volume pour bien peu d'allure.

Alors qu'il faisait un écart pour éviter une imposante bourgeoise – un diplodocus à plume d'autruche ignominieusement poudré promenant son chihuahua nain – Gelt entama la discussion :

— J'ai croisé Dahn, il y a trois jours, à La chevêchette cabouré, hasarda-t-il d'un ton détaché. Il était si ivre que j'ai redouté un instant qu'il sût encore comment utiliser ses pieds. Il m'a dit que tu l'avais quit...

Elle ne lui laissa pas le temps de finir. Dahn était l'un des amis de Gelt et elle connaissait assez son frère pour savoir qu'il pouvait plaider sa cause pendant des heures, alors autant abréger le calvaire et mettre tout de suite les choses au point.

— Nous ne sommes pas faits l'un pour l'autre, c'est tout.

— Je pensais pourtant que vous filiez le parfait amour.

Annabelle donna un coup d'épaule à un passant qui l'interpella avec véhémence. Sans un regard en arrière, elle continua sa progression. Gelt s'excusa pour sa sœur d'un mouvement d'épaule désolé et la rattrapa en trois foulées.

— Mon Orientation aura lieu dans huit semaines. Si je dois quitter la ville, autant ne pas m'encombrer plus que nécessaire.

— Tu as raison. Je suis sûr qu'il appréciera d'être comparé à un meuble.

Annabelle grogna.

— Tu m'as comprise.

— Justement, non. Je te l'ai déjà dit. Ce n'est pas parce que je vais être Orienté que je vais t'oublier, Anna.

— Je croyais qu'on parlait de Dahn et moi ?

Gelt connaissait sa sœur par cœur. Ce qu'elle avait fait avec le pauvre Dahn, c'était de la pure projection. Elle redoutait tant qu'il quitte le cocon familial sans un regard en arrière, qu'elle s'était elle-même barricadée derrière une épaisse forteresse, reproduisant ce schéma qu'elle redoutait tant.

— Tu sais bien que non, murmura Gelt en plongeant les mains dans les poches de son manteau long.

Annabelle l'ignora et replongea d'emblée dans son mutisme. Elle savait que son frère allait la quitter et le sens du mot « seule » ne lui revenait guère.

Après quelques minutes de marche supplémentaires, ils arrivèrent à destination. Une pancarte défraîchie était placardée au-dessus du linteau de la porte. À demi effacée, elle avait été placée ici, semblait-il, bien avant leur naissance. Des inscriptions runiques courraient sur le panneau :

Alban All Baun, Grand Maître d'Orientation.

— Prions pour qu'il ne trouve pas chez moi un don manifeste pour le ménage, plaisanta le jeune homme, concentré sur les symboles.

— Si c'est le cas, répondit sa sœur, je serais la première à clamer son imposture. (Elle se tourna vers lui, la bouche courbée par un sourire moqueur.) Vu l'état de ta chambre...

Il voulut répliquer, mais Annabelle avait déjà disparu derrière l'imposante porte d'airain.

Avec ses parois en pierre sombre et son plafond voûté, la pièce dans laquelle ils pénétrèrent avait des airs de caverne. L'obscurité y était presque totale, et seules quelques lucioles dans de petits bocaux accrochés aux murs éclairaient ce curieux endroit. Une auguste porte de métal anthracite, dans le fond de la grande salle, rendait le décor puissant et intimidant.

Des bancs en acajou et des sièges en osier remplissaient la vaste pièce, certains déjà occupés par de jeunes gens tous plus pétrifiés les uns que les autres par ce qui les attendait.

— Tu penses que nous devons nous asseoir ? chuchota un Gelt mal à l'aise, à l'oreille de sa sœur.

— Si tu veux mon avis, le mieux serait que l'on se carapate pendant qu'il en est encore temps.

Gelt leva un sourcil.

— D'accord, d'accord, capitula-t-elle, mais quand il t'aura arraché les yeux avec une pince à crabe pour nourrir son dragon apprivoisé, tu ne viendras pas te plaindre. Pourquoi crois-tu qu'il exerce dans une espèce de caverne lugubre s'il n'a pas de dragon domestique nommé Titi ou PetitLézardToutDoux ?

— Je crois qu'on va s'asseoir, décréta-t-il sans relever la grimace que lui faisait sa sœur.

Annabelle s'installa à son tour, déçue.

— Ce n'était qu'une proposition comme une autre. Tu sais... je ne veux pas que tu partes.

— Quand pourras-tu te passer de moi ? la taquina-t-il.

— Jamais, tu le sais bien.

Il rit et l'embrassa sur la tempe. Annabelle posa sa joue sur l'épaule de son frère, glissant ses mains sous son bras.

Une heure passa, puis la moitié d'une autre. La salle se vida progressivement, et bientôt ils furent seuls. Gelt s'était avachi dans un inconfortable fauteuil d'osier et il contemplait le plafond d'un air songeur. La fresque enchantée représentait un ciel par une nuit d'été. Il suivit des yeux la constellation du dragon qui se mouvait doucement, suivant la courbe de la voûte. Une étoile filante passa timidement dans le ciel. Le jeune homme poussa une exclamation admirative et ferma les paupières, un vœu sur le bout de la langue.

Annabelle, quant à elle, s'était levée et observait avec intérêt l'un des murs d'or de la caverne. De prime abord, dans l'obscurité ambiante, elle ne l'avait pas remarqué. Dessus, organisés par colonnes, des milliers et des milliers de noms étaient gravés. En titre, on pouvait lire :

« À ceux qui ont trouvé leur voie. »

Elle fit glisser la pulpe de ses doigts sur le précieux métal, parcourant chaque lettre avec délicatesse comme si un geste trop brusque pouvait éveiller la magie contenue dans chaque patronyme. Enfin, elle s'immobilisa devant l'un des noms, comme attirée par celui-ci.

Lucius Ill'Doch : Guilde des...

— Gelt ! appela-t-elle d'un mouvement surexcité de la main.

Le jeune homme revint sur terre, les yeux vitreux d'avoir trop contemplé la voûte. Il se frotta les paupières, se leva d'un bond leste puis vint se placer près de sa sœur, se penchant pour mieux voir ce qu'elle lui désignait.

— Regarde ! J'ai trouvé papa ! Je n'arrive pas à lire la suite, ce n'est qu'un fouillis illisible.

— Lucius Ill'Doch : Guilde des Lames Rouges, déchiffra-t-il.

Annabelle se pencha un peu plus sur le nom de leur père, mais ne réussit pas à décrypter les symboles qui le suivaient.

— Tu as pris un cours de langues mortes pendant que j'avais le dos tourné, ou quoi ? Parce que c'est de l'elfique pour moi.

Gelt haussa les épaules.

— Papa est forgeron, ce doit être pour ça. « Lame » doit faire référence aux armes qu'il forge.

— Votre père est un homme redoutable, mon garçon.

La voix fit sursauter les deux jeunes gens. Ils se retournèrent vivement ; un vieux bonhomme se tenait derrière eux. Avec un sourire entendu, il poursuivit :

— Un loup-garou n'irait pas lui chatouiller la barbe. Enfin... comme tout bon forgeron qui se respecte.

Ses yeux pétillèrent de malice en réponse à un trait d'esprit que ni Annabelle ni Gelt n'étaient en mesure de saisir.

— Ce mur a des propriétés magiques, leur expliqua-t-il, il vous guide vers les personnes auxquelles vous êtes liés. Cherchez votre mère maintenant.

Ils s'exécutèrent en silence. Et, comme poussés par une force invisible, leurs yeux se posèrent en même temps sur le bon nom.

Julia Agona Ill'Doch : Guilde des Orfèvres.

Puis le vieil homme reprit :

— En revanche, certaines guildes sont si secrètes qu'elles n'y figurent pas.

Gelt n'avait pas détaché son regard de la fresque dorée. Il sentait qu'il devait trouver quelqu'un d'autre. Son examen le mena jusqu'aux courbes aériennes de nouvelles lettres.

Louve.

C'est tout ce que la magie du mur lui permit de déchiffrer.

Qui était cette femme ? Il ne la connaissait pas et pourtant... Une tante ?

Le maître se racla la gorge, interrompant ses pensées. Il leur sourit ; il lui manquait une incisive.

— Maintenant, veuillez me suivre.

Il disparaissait déjà derrière le battant.

Ils se considérèrent un instant, contemplèrent une dernière fois le grand mur et le suivirent d'un pas traînant pour Annabelle et décidé pour son frère. La porte se referma ensuite derrière Annabelle dans un bruit sourd.

— Gelt Ill'Doch, avisa le petit homme bedonnant en griffonnant quelque chose dans son manuscrit.

Après quelques instants, il sortit enfin de ses réflexions. Ses yeux, semblablent à deux pierres de jais, étincelants derrière un rideau vaporeux, fixèrent la jeune femme. Un regard étrange et perçant qui la figea sur place

— Vous êtes donc sa sœur ?

Gelt lui donna un petit coup de coude discret dans les côtes.

— Aïeuh ! Je... oui, sa sœur, Annabelle Ill'Doch.

Se frottant énergiquement le côté droit, elle fusilla son frère du regard.

— Tu me le revaudras, espèce de...

Gelt lui déposa un baiser sur la joue à la vitesse d'un faucon fondant sur sa proie.

— Ah, non ! Ne crois pas que tu m'auras comme ça !

Et sur ces mots, elle envoya son poing dans l'épaule de son frère qui étouffa un cri de surprise.

Le maître toussota doucement, faisant taire leurs chamailleries.

— Vous restez, mon enfant ?

— Oui.

Le vieil homme opina du chef et lui désigna un tabouret, puis il se tourna vers Gelt.

— Si vous voulez bien retirer votre chemise et prendre place, jeune homme.

Gelt s'exécuta, un sourire au bout des lèvres, visiblement amusé par la situation. Le maître l'allongea sur une table rembourrée de cuir défoncé.

Combien de pauvres bougres s'étaient étendus là et avaient, en quelques secondes, abandonné leur enfance et leurs familles pour entrer dans la vie adulte ? Des centaines, peut-être des milliers, si l'ottomane était aussi ancienne que le maître d'Orientation semblait l'être.

Les muscles de Gelt, forgés par les entraînements de Lucius, ressortaient à la lueur des candélabres. Ses cheveux bruns contrastaient avec sa peau claire. Par transparence, ses veines formaient une multitude de chemins sinueux le long de ses bras robustes. Du haut de son mètre quatre-vingt-cinq, Gelt dépassait de cinq bons centimètres de la table, ses pieds pendant dans le vide.

Alban All Baun sortit une cassette de taille modeste et la posa auprès de Gelt avant de l'ouvrir. Il en extrait différentes pièces de métal plates gravées de symboles, dont la taille et la forme différaient d'un objet à l'autre.

— Votre Orientation commence, jeune homme. Je vais déposer chacune de ses empreintes sur une partie de votre corps. Une fois la dernière placée, j'opérerai trois petites incisions sur votre corps. Ne bougez pas, cela ne fera pas mal.

Le vieux bonhomme disposa les pièces de métal une à une selon un schéma bien précis sur le torse, les mains, les bras et les jambes du jeune homme. Annabelle, assise dans l'ombre, regardait le maître opérer d'un œil critique. Elle s'était installée comme elle avait pu sur un petit tabouret juste assez large pour soutenir son postérieur. La dernière empreinte positionnée, le vieux spécialiste dégaina une courte dague incurvée et entailla le front, la poitrine et le ventre de Gelt. Il tressauta et se mordit les lèvres, mais resta immobile. Annabelle serra les poings, touchée par la douleur de son frère.

Tout en incisant, le maître d'Orientation expliqua son geste :

— Vous voyez, dit-il en rangeant son couteau, notre âme est divisée en trois et chacune de ces trois parts est dissimulée dans une partie bien précise du corps. Il y a le cerveau dans lequel se trouvent la pensée, la volonté et l'intelligence. Le cœur, d'où proviennent la magie et les sentiments, et enfin, il y a les entrailles qui contiennent les émotions. Et l'on ne doit pas confondre sentiments et émotions ! Les émotions sont l'expression d'une perception cognitive momentanée. Les sentiments, eux, sont plus profonds, plus complexes, ils influent sur notre environnement, sur notre corps et sur notre esprit. La magie influence ces trois domaines, c'est pour ça qu'elle se situe dans la région du cœur, celle des sentiments.

« Tout le monde connaît la légende de Xenon Ka'Lon, Haut-Magicien qui, le jour de ses noces, a littéralement explosé de chagrin lorsqu'il surprit sa promise dans les bras de son meilleur ami. Il n'y eut aucun survivant.

Pas peu fier, le vieil homme rit de son histoire sous l'œil blasé d'Annabelle et celui, amusé, de Gelt. La jeune femme se foutait de savoir que son âme était divisée en trois ou que, deux mille ans plus tôt, un magicien trop sensible s'était rendu coupable d'un génocide involontaire. Tout ce qu'elle voulait apprendre, c'est si l'Orientation de son frère leur permettrait de se voir assez souvent. S'il devenait marchand, il devrait faire de longs voyages afin d'acheter aux autres Royaumes ce que le Royaume Central ne produisait pas. S'il devenait forgeron, orfèvre comme leur mère ou... pâtissier (pourquoi pas ?), il resterait à Arcandie.

« Allez, faites qu'il devienne pâtissier royal ! C'est bien ça, pâtissier royal. »

— Les empreintes servent de catalyseurs. Et selon l'Orientation du sujet, l'une d'elles réagira. Vous verrez, c'est passionnant.

Pour finir, le maître d'Orientation appliqua une mixture à l'odeur camphrée sur les plaies fraîches. Il attendit quelques secondes, mais rien ne sembla se passer. Sourcils froncés, il se gratta le menton.

— Le choix des empreintes semble difficile.

— Ce sont elles qui choisissent ? s'étrangla Annabelle. Notre avenir entier est guidé par des... des bouts de ferrailles ?

— Taisez-vous ! Quelque chose ne...

Les empreintes se mirent soudain à vibrer et Geltamoz entra aussitôt en transe ; son corps grelottant, ses bras et ses jambes pendus hors du divan. Un crissement strident et ininterrompu résonna dans la caverne. Une lumière rouge nimba son corps d'un halo presque palpable qui semblait pulser au rythme de son cœur accéléré. Gelt s'éleva de quelques centimètres de la table. Tremblant avec frénésie et transpirant à grosses gouttes, il avait les yeux et la bouche grands ouverts. Ses pupilles voilées d'une nappe de brume le faisaient ressembler à un dément. Il ne semblait plus être conscient de ce qui l'entourait. Annabelle, dressée de toute sa taille, contemplait la scène, affolée, ne sachant comment réagir.

C'est alors que, dans un parfait ensemble, toutes les empreintes tombèrent au sol, ricochant contre la pierre dans un vacarme métallique. Il n'en resta qu'une – sur le dos de sa main droite - irradiant avec la force d'un brasier. Aussi rouge que le halo qui pulsait autour de Gelt. Elle vibra et son chant suraigu vrilla les tympans d'Annabelle. Puis le métal s'enfonça soudain dans la chair tendre du jeune homme, le brûlant comme s'il avait été porté au rouge. La peau fuma et crépita. Le hurlement de douleur de Gelt mit fin à sa transe et il retomba violemment sur l'antique matelas usé, immobile et inconscient tandis que l'empreinte s'éteignait et rejoignait les autres aux pieds de la table.

Annabelle se précipita sur son frère, mais, plus vive qu'elle, une main vint lui enserrer le poignet. Le maître d'Orientation la retenait fermement en lui intimant le silence et l'immobilité. Qui aurait pu croire que ce vieux débris avait une telle force ?

— Vous ne devez pas interférer dans l'Orientation.

Il avait parlé d'une voix dure, mais calme.

— Mais !

— Je ne le répéterai pas, Mademoiselle ! Si vous vous en mêlez, vous risquez de perdre la vie et de tuer votre frère, ou pire ! D'interférer dans son Orientation ! Certaines Orientations se passent ainsi, elles sont rares, mais cela arrive ! N'intervenez pas, ou vous le tuerez.

Le silence et l'obscurité revinrent aussitôt. Les chandelles s'éteignirent et la fumée montant des mèches noires de suie mêlée à celle des chairs brûlées de Gelt, donna la nausée à la jeune femme.

Alban All Baun relâcha son étreinte et elle courut auprès de son frère toujours inconscient. Annabelle lui caressa nerveusement les cheveux puis le visage. Aucune réaction. En se tournant vers le maître, elle s'écria avec colère :

— Que lui avez-vous fait ?!

— Cet état est tout à fait naturel. Je vous prierai donc de ne pas crier, vous pourriez effrayer mes prochains patients.

Il sourit, mais la jeune femme n'en avait pas fini avec lui. Ayant déjà récupéré les empreintes, Alban All Baun referma la cassette. Annabelle reprit :

— Aucun des testés précédents n'est reparti sur un brancard ! le défia-t-elle.

— Aucun d'eux n'avait le don de votre frère.

Il prit soudain un air songeur, interpellé par un détail, puis ses doigts se posèrent sur le bracelet de cuir qui ceignait le poignet de Gelt. Il l'effleura avant de poursuivre :

— Du beau travail, ce sort. Très coûteux, sans aucun doute. Mais n'ayez crainte, mon enfant. Je ne suis pas homme à révéler les secrets.

— De quoi parlez-vous ?

— Vous l'ignorez ? Je sens la magie en lui. Pourtant, je suis incapable de dire de quelle couleur sont ses yeux. Un sort m'en empêche. Et je suis certain qu'au moment où il disparaîtra de ma vue, je serais tout autant incapable de me rappeler les traits de son visage. On a englué l'identité de ce garçon dans une toile puissante. Savez-vous pourquoi ?

Annabelle secoua la tête et le maître haussa les épaules en réponse.

— Après tout, ce ne sont pas mes affaires.

Il se détourna et alla ranger le petit coffre dans un secrétaire. Annabelle passa une main dans les cheveux de Gelt, les lissant en arrière.

— Cependant, reprit-il en appliquant avec délicatesse le cataplasme à l'odeur camphrée sur la brûlure du jeune homme inconscient, faites attention à vous, mon enfant. Les murs murmurent aux rues qui écoutent sans perdre une miette. Pour votre sécurité et la sienne, je pense que vous devriez avoir une petite discussion avec vos parents.

Elle redressa le menton et acquiesça.

Le vieux bonhomme sourit et il ressembla à un magicien d'antan dans sa robe gris rat.

— Sage décision, Damoiselle Ill'Doch.

Annabelle ne répondit pas, une seule question la taraudait désormais :

— Quelle est son Orientation ? Vous ne me l'avez pas révélé.

— Je ne peux pas.

— Pourquoi ?!

Alban All Baun parut embarrassé. Il se passa une main sur son crâne dégarni.

— Retournez chez vous, Damoiselle Ill'Doch. Quelqu'un viendra chercher votre frère.

— S'il vous plaît ! Quelle est son Orientation ? Je dois savoir.

Il hésita. Puis, résigné, essuya de sa manche la sueur sur son front avant de répondre :

— Lame Rouge.

Un nom familier. Lu un peu plus tôt, sur le mur en or.

— Comme mon père. Mais il n'est pas forgeron, n'est-ce pas ? L'Orientation ne se passe pas ainsi pour un simple forgeron. J'ai tort ?

— Comme je l'ai dit, vous devriez avoir une discussion avec vos parents. Sur bien des sujets.

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