Chapitre 6
Le lendemain matin, après avoir fait tous les lits le plus vite possible, je me suis installée sur le rebord de la fenêtre. Ça fait plus d'une demi-heure que j'observe les bois en face, espérant voir surgir Émile de derrière un arbre. Mon cœur palpite de joie, impatient de le retrouver. J'ai tellement de questions à lui poser sur le monde extérieur, sur sa vie, sa famille... Et surtout sur Mathilde. Il doit sûrement la connaître, peut-être même qu'ils vont à l'école ensemble, peut-être sont-ils amis. Il saura certainement où elle habite. Je pourrais lui transmettre un message pour elle, et elle pourrait même venir me rendre visite ici. Si je dis à sa famille que je suis amie avec un garçon de l'extérieur, ils voudront aussi m'adopter, et alors Mathilde et moi serions ensemble pour toujours !
Perdue dans ce rêve idéal avec ma grande sœur, j'oublie complètement le temps qui passe. Ce n'est que lorsque l'horloge sonne dix heures et demie que je sors de ma bulle et réalise qu'Émile n'est toujours pas là. Mes yeux parcourent les arbres, mais rien. Il m'a oublié... Je soupire, triste et déçue, en m'asseyant sur mon lit.
Pourquoi il n'est pas venu ? Hier, il m'a pourtant dit « à demain Élia », alors pourquoi il n'est pas là ?
Des larmes coulent sur mes joues alors que je me recroqueville en boule sur mon matelas.
Il m'a abandonné lui aussi... Pourquoi tout le monde m'abandonne toujours ? Ce n'est pas juste...
— Eh ! Salut !
La voix soudaine d'Émile s'écriant joyeusement à côté de moi me fait sursauter. Je me redresse en frottant mes yeux pour voir plus clair. Devant moi, Émile me sourit de toutes ses dents. Il porte la même tenue qu'hier, mais bleu ciel, comme ses yeux.
— Bah alors, tu ne voulais pas me voir ?
— S-si, bredouillé-je en me relevant, mais il est tard, je pensais que tu n'allais pas venir...
— Oui, excuse-moi, j'ai été regardé.
— Pas grave, au moins tu es là maintenant, c'est tout ce qui compte.
Ses joues rougissent légèrement. S'en rendant compte il détourne le regard et demande pour changer de sujet :
— Alors on fait quoi aujourd'hui ?
Je hausse les épaules.
— On pourrait... Oh ! Je sais, on pourrait découvrir le reste de l'orphelinat ! Tu me fais visiter ?
— Non ! m'écrié-je rapidement. Surtout pas, on ne peut pas, on ne doit pas sort-
— D'accord, d'accord, c'était juste une proposition, ce sera pour une prochaine fois.
J'acquiesce, tout en espérant qu'il ne le redemande jamais, c'est beaucoup trop dangereux.
— Alors qu'est-ce qu'on fait à la place ? Tu joues à quoi toi d'habitude ?
— Euh... Bah... Je..., bégayé-je ne sachant pas quoi répondre. On fait des tours de cailloux, parfois...
— Des tours de cailloux ? répète-t-il en haussant un sourcil.
Mes joues s'empourprent de honte. Il doit sûrement trouver ça ennuyeux, mais en vrai, c'est assez drôle. Avec mes copines, on en fait parfois quand on a fini nos corvées. On se cache derrière les arbres dans la cour arrière pour ne pas être vue des surveillantes et on joue jusqu'au dîner. C'est un jeu très drôle.
— Bon, soupire-t-il en se laissant tomber sur un des lits, de toute façon, on ne pas jouer aux cailloux ici, alors on fait quoi ?
Je hausse les épaules en m'asseyant à mon tour. Les rayons du soleil sur son visage font ressortir les quelques petites taches de rousseur sur son nez et ses yeux bleus. Il ébouriffe ses cheveux en passant la main dedans et se tourne vers la fenêtre pour réfléchir. Malgré ses cheveux décoiffés, il reste toujours aussi élégant, on dirait un prince. Peut-être que c'en est un et c'est pour ça qu'il n'a pas peur de se faire punir ?
Au bout de quelques secondes, il se relève en sursaut et s'écrie :
— Je sais !
Il fait volte-face. Le regard déterminé, il tend la main vers moi et déclare :
— Venez, Princesse, nous devons partir ou les monstres nous trouverons !
Je cligne plusieurs fois des yeux, ne comprenant pas ce qu'il raconte. Toujours en me fixant, il hoche une fois la tête en désignant sa main. Timidement, je l'attrape. Il esquisse un sourire en coin avant de reprendre son sérieux.
— Dépêchons-nous, Princesse, cet endroit n'est pas sûr !
Lorsque je me lève, nous sommes transportés dans une immense forêt, nous ne voyons rien à des kilomètres à la ronde à part des arbres et des buissons. Nous sommes cernés. Les ennemies peuvent apparaître de derrière chaque tronc. Du bout des doigts, je caresse le tissu délicat de mes vêtements. Je ne porte plus mon vieux tablier gris, mais une magnifique rose pâle douce et confortable. Mes cheveux sont coiffés d'une couronne ornée de diamants. Je suis une vraie princesse maintenant !
— Il ne faut pas rester ici, Princesse. La forêt n'est pas sûre. Trouvons un endroit où nous cacher.
— Vous avez raison, Prince, acquiescé-je en hochant la tête. Je crois qu'il y a une grotte pas loin, près de la rivière.
— Bonne idée, venez !
Je le suis à travers les arbres centenaires, marchant sur la pointe des pieds pour ne pas nous faire repérer par les monstres qui sommeil dans la forêt. Une fois arriver à la grotte, nous soufflons et allons boire à la rivière. D'un geste de la main, Émile me lance un jet d'eau froide en plein visage en pouffant de rire. Pour me venger, je me jette sur lui et le fait tomber à la renverse. Il se relève en dégoulinant, ses beaux vêtements sont trempés et ses cheveux lui tombent dans les yeux. J'éclate de rire en le voyant si pittoresque.
— On dirait un chien mouillé comme ça, blagué-je en me tenant les côtes. C'est ta faute, c'est toi qui as commencé !
— Tu ne perds rien pour attendre, murmure-t-il avec un regard de défi.
À peine sorti de l'eau, il se jette sur moi et commence à me chatouiller. Je gesticule sous lui pour échapper à ses doigts, mais il est plus fort. Soudain, un grondement retentit. Je l'arrête en mettant mes mains sur ses épaules et en le poussant vers le haut. Il me dévisage en levant un sourcil interrogateur.
— Tu n'as pas entendu ce bruit ?
— Oh, c'est le dragon ! s'écrie-t-il en se redressant. Vite, cachons-nous.
Il me prend le bras pour me relever et nous allons nous cacher sous un buisson. Nous restons tapis sur le sol boueux en silence un bon moment avant qu'Émile soupire :
— Je crois qu'il est parti.
Mais alors qu'on s'apprête à sortir, un entend un reniflement juste derrière nous. Mon cœur bat la chamade. Lentement, on se retourne, nous retrouvons face à un monstre aux yeux rouge sang. Un dragon géant recouvert d'écaille noire cendre et orné de trois cornes biscornues nous fixe à quelques centimètres de nous. Je peux sentir son haleine de chair griller sur ma peau. Je frissonne d'effrois. Il est prêt à nous dévorer toute cru. Je pousse un cri de terreur avant de sortir en courant de notre cachette.
Après une course-poursuite effrénée à travers les arbres, nous nous réfugions derrière un arbre pour reprendre notre souffle.
— Princesse, je vais aller combattre ce dragon, restez ici.
— Non, vous allez vous faire tuer !
— Je sais, mais c'est mon devoir.
Le cœur lourd, je l'embrasse sur la joue pour lui souhaiter bonne chance. Il prend une grande inspiration, hoche la tête fermement et cours vers le monstre en brandissant son épée.
Qu'il est courageux, songé-je en le regardant frapper ce monstre avec son arme.
En le voyant se battre vaillamment, une idée me vient. Je sors de derrière l'arbre et m'approche.
— Princesse ? Que faites-vous là, c'est dangereux le dragon pourrait vous attraper !
— Non.
— Quoi ? s'exclame-t-il surpris.
— Je suis la princesse des dragons, déclaré-je d'une voix forte. Cette forêt est la mienne et tu es tombé dans mon piège, Prince !
Il paraît d'abord choqué, avant d'esquisser un sourire machiavélique.
— Rah. J'en étais sûre, je vous ai toujours trouvé étrange.
— Eh oui ! Et maintenant rendez-vous ou je laisse mon dragon vous dévorer !
— Jamais ! crie-t-il férocement avant de s'enfuir.
— Rattrape-le ! ordonné-je à mon dragon.
— Vous ne m'aurez pas, espèce de sorcière !
Sorcière.
Le mot résonne dans ma tête.
Sorcière.
La sorcière. Je l'avais oublié.
Mon cœur s'emballe. Ma respiration s'accélère. J'écarquille les yeux, terrifiée, en me tournant vers la porte.
Non, non, non. Qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Comment j'ai pu oublier la sorcière ? J'ai joué, fait du bruit, rie comme si j'étais seule au monde, comme si rien ne pouvait m'arriver. J'ai été si stupide. Je ne suis qu'une idiote !
— Il faut que tu partes, Émile. Pars. Pars.
La voix de brise un peu plus à chaque mot. Je ne peux que le supplier de partir en priant pour qu'il m'écoute. Il faut qu'il s'en aille. Si la directrice le voit... Non. Je ne veux pas y penser. Non. Non. Il faut qu'il parte. Qu'il se cache. Qu'il disparaisse. Il le faut avant qu'elle n'arrive...
Un frisson d'effroi me traverse le dos, tandis que je fixe la poignée, redoutant le moment où elle s'abaissera. Je n'arrive plus à contrôler mes membres qui tremblent comme des feuilles mortes. Ma respiration devient de plus en plus rapide. J'ai l'impression de manquer d'air, d'étouffer.
Mais pourquoi j'ai fait ça ? Pourquoi ? Pourquoi ?
— Pars. Pars. Pars. Pars. Pars.
Je ne sais pas s'il me parle. Je n'entends que mon souffle et le tic-tac de l'horloge incessant qui va bientôt sonner ma sentence.
Soudain, ma respiration se coupe, figée dans ma gorge. Des pas. Des pas lourds, empreints de menace, résonnent dans le couloir obscur, faisant gémir le bois sous leur poids.
Pourquoi j'ai fait ça ? Je savais que c'était interdit. Alors pourquoi j'ai fait ça ? Mes pensées sont prises dans un tourbillon de terreur.
Lentement, la poignée s'abaisse. Dans un grincement lugubre, la porte commence à s'ouvrir, comme la mâchoire d'une bête affamée.
Au secours...
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