Chapitre 4
À mon réveil, une sensation désagréable me saisit lorsque je réalise que je suis encore prisonnière de ce cachot sombre et oppressant. Je frotte mes paupières pour les décoller et tenter de mieux voir malgré l'obscurité, même si à travers l'imposante porte en métal, aucune lumière ne peut traverser. Je tente de me redresser en m'aidant de mes mains, mais les posant elle frotte contre la pierre rêche. Je grimace de douleur en me laissant glisser le long du mur froid, puis n'ayant plus aucune force, je laisse ma tête retomber en arrière et ferme les yeux pour m'évader.
Quand je rêve, j'oublie où je me trouve. Le froid, la faim et la peur se dissipent et laissent place à un monde coloré et chaud, avec Mathilde. Nous vivons ensemble, loin de la sorcière et de cet orphelinat horrible. Nous sommes heureuses...
Je soupire tristement en passant ma main sur mes joues pour enlever les dernières traces de larmes. Chaque parcelle de mon corps me fait mal, même respirer devient une épreuve. Un soupir tremblant s'échappe de moi alors que je déplie avec peine mes jambes endolories. Du bout des doigts, je caresse la pierre granuleuse et fais claquer ma langue sur mon palais pour la rendre moins pâteuse. Ma gorge est sèche, je n'arrive même plus à avaler ma salive. Je ferais n'importe pour un peu d'eau et un bout de pain sec.
Je crois que la cuisinière est déjà venue m'apporter un verre d'eau, mais c'était quand ? Depuis combien de temps je n'ai pas bu ? Et manger ? Depuis combien de temps suis-je ici ? Des heures ? Des jours ? Des semaines ? Et Mathilde ? Ou elle est ? Est-ce qu'elle va bien ? Qui était l'homme ? Pourquoi il l'a prise ? Elle est partie maintenant... Elle est partie. Elle est partie ! Mais pourquoi elle est partie ? Elle m'a abandonné ! Non. Non, ce n'est pas possible et elle n'est pas vraiment partie ! Tout se mélange dans ma tête, tout tourbillonne comme sur un bateau en pleine tempête. J'ai l'impression que quelqu'un frappe contre mon front, se riant de ma souffrance. Je sens mon sang pulser dans mes tempes. Les questions s'entrechoquent et s'emmêlent avec des voix qui hurlent toutes en même temps des choses que je ne comprends pas. Ça tape de plus en plus fort dans ma tête, elle va finir par exploser ! Pourquoi tout tourne ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Je veux que ça s'arrête !
— Stop ! Stop ! Ça fait mal ! Ça fait trop mal ! Pitié, arrêtez !
Je sanglote sans arriver à pleurer. Je prends ma tête dans les mains et prends des grandes inspirations pour essayer de calmer mon cœur qui s'emballe. Je sens une chaleur oppressante grandir en moi et m'étouffer. Elle m'envahit, me submerge, je n'arrive plus à respirer. J'ai envie de pleurer, mais aucune larme ne sort. J'ai envie de crier, mais aucun son ne sort. Je veux sortir, mais je ne peux pas. Je replie mes jambes contre ma poitrine et les encercle avec mes bras et pose ma tête sur mes genoux pour essayer de me construire une bulle où rien ne peut m'atteindre.
Seigneur, aidez-moi, par pitié ! Sortez-moi de là ! Je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas mourir toute seule...
— Mais t'es pas seule ! s'écrie joyeusement une voix que je reconnaîtrais entre mille. Bah alors, tu viens ?
Lorsque j'ouvre les yeux, le placard sordide et minuscule s'est envolé. Désormais, je me trouve adossé contre un cerisier en fleur au milieu d'une vaste prairie baignée de soleil. Devant moi, Mathilde se tient debout, une main tendue et un sourire jusqu'aux oreilles. Je l'attrape, les yeux écarquillés de bonheur. Elle m'entraîne jusqu'à une nappe posée à même le sol et couverte de plat garni de fruits, de légumes, de viande et des centaines des pâtisseries que j'ai souvent entendu parler sans jamais avoir pu y goûter. Mon cœur s'emballe d'excitation devant ce spectacle grandiose.
Les larmes aux yeux, je sers ma sœur dans mes bras en la remerciant mille fois.
Je m'assois ensuite sur l'herbe réchauffée par le soleil, juste à côté de Mathilde. J'attrape une tartelette à la fraise dont Hortense m'avait vanté la saveur. Un sourire béat sur le visage, je croque dans ses fruits bien rouges et juteux. C'est tellement bon !
Alors que je me délecte, Mathilde se relève et se met à danser autour de moi en riant aux éclats. Elle me fait un clin d'œil en attrapant mes mains et m'entraîne dans sa danse folle autour de ce merveilleux festin.
À bout de souffle, nous nous écroulons au milieu des centaines de fleurs de toutes les couleurs en riant sans pouvoir nous arrêter. Après plusieurs minutes, je me révèle en prenant plusieurs inspirations pour calmer les crampes dans mon ventre à force de rire. Je me tourne vers Mathilde qui me dévisage de ses grands yeux bleu ciel qui semblent briller. Elle me sourit et me tire vers elle. Je pose ma tête sur sa poitrine et ferme les yeux, réchauffer par le soleil de midi et l'herbe me chatouillant la peau.
Le grincement strident de la porte en métal du cachot fait exploser ma bulle. En me rendant compte que tous ceux-ci n'étaient encore une fois qu'un rêve, mon cœur se serre.
La lumière braquée sur moi me brûle les yeux.
— Debout, ordonne la voix autoritaire de Monsieur Jacques, le jardinier et concierge de l'orphelinat.
Ne voyant rien du tout, je m'aide du mur en pierre à ma droite pour m'aider à me relever. Mais mes jambes sont incapables de me porter. Je pousse un gémissement de douleur avant de me laisser tomber contre le mur froid du cachot.
Dans un grognement sourd, l'homme bourru me soulève durement, me faisant couiner de douleur, avant de me porter sous son bras. Alors qu'il serpente dans le couloir étroit du sous-sol, je tombe à nouveau dans un trou noir.
Enfin arrivée devant le bureau de la directrice, Monsieur Jacques frappe trois fois le bois avant de rentrer sous l'ordre de la directrice. L'odeur âcre de la sorcière m'envahit et me donne envie de vomir. Alors que l'homme s'avance la directrice s'écrie d'une voix dégoûter :
— Oh, bonté divine, d'où vient cette puanteur ?
— Bah, c'est s'te gamine, c'est comme les autres, bougonne le jardinier en s'arrêtant.
— Seigneur, ces enfants ne savent vraiment pas se tenir, pire que des animaux !
— Vous voulez que j'la pose devant vo'te bureau, m'dame la Directrice.
— Certainement pas ! Elle va salir mon tapis ! Non, gardez la plutôt.
En s'approchant de moi, elle mime un air dégoûté en mettant sa main sous son nez. Voyant ses yeux de vipère, je laisse tomber ma tête en avant et me mords la lèvre pour me retenir de pleurer de terreur.
— Bien, Élia, regarde-moi.
Sa voix autoritaire et grinçante me fait frissonner. À contrecœur, je relève difficilement la tête.
— J'espère que tu as aimé ce petit séjour à l'isolement ? Dis-toi que ce n'était que le début. Je ne tolère pas cet affront de la semaine dernière. Essayez de t'échapper de la sorte et de me frapper ! Tu regretteras ton geste, sois en sûr. Et tous ces cris, ces pleurs, quel cirque ! Il faut que tu comprennes que Mathilde n'est plus là et ne reviendra pas alors...
Je hoche la tête, mais mon esprit est déjà loin, je ne l'entends plus, tout se brouille et plus qu'un nom résonne dans ma tête. Mathilde... Mathilde... Grande sœur... Reviens me chercher, je t'en supplie... Reviens... J'ai besoin de toi...
Des larmes silencieuses s'échappent de mes yeux et s'écrasent sur le plancher.
En s'en apercevant, la sorcière pousse un soupir exaspéré avant d'ordonner d'une voix dénuée de sentiment :
— Allez, emmener la. Ces larmes de crocodile m'insupportent.
— D'accord, acquiesce le jardinier. Et j'voulais vous d'mander c'qu'on fait pour la cabane ?
La cabane ? Ce mot me fait frissonner d'effroi. Pourquoi ils parlent de cabane ? Elle a pourtant été détruite lors de la dernière tempête. Est-ce qu'ils vont m'enfermer dedans ? Non, pitié, pas ça ! Terrifiés, tous mes membres se mettent à trembler. J'essaie de réunir mes dernières forces pour écouter de quoi ils parlent.
— Ah oui, dit la sorcière d'une voix plate, eh bien laissez la comme ça ou réparer là, mais mettez de pic sur le toit, ça évitera qu'un autre enfant passe par-dessus pour s'échapper !
Comprenant que ce ne me concerne pas, je lâche prise et me laisse doucement glisser dans les ténèbres avec qu'un seul mot résonnant en moi "Mathilde".
***
Je suis réveillée de manière brutale lorsque mon corps heurte le carrelage dur et froid de la salle d'eau. Lorsque j'entends le jardinier se déplacer autour de moi, je papillonne des paupières et me hisse sur mon avant-bras pour mieux le voir. Il est à quelques mètres de moi en train de prendre un seau d'eau laissé à l'abandon. Quand j'essaie de me relever, je m'écroule, trop faible pour bouger. J'attrape ma tête entre mes mains pour calmer les douleurs qui pulsent dans mon cerveau.
— Lave-toi, grogne-t-il en laissant tomber de seau à quelques centimètres de moi.
En heurtant le sol, l'eau froide éclaboussa ma peau nue, me faisant sursauter. Par réflexe, je me recroqueville gelée et terrifié.
L'homme quitte la pièce, me laissant seule sur le sol glacial de la salle d'eau. J'ai l'impression que mon corps pèse beaucoup plus que d'habitude. Il me semble impossible à bouger. Même lever la main est difficile. Je n'ai plus aucune force. J'ai juste envie de dormir et de ne plus jamais me réveiller. Je veux rester dans ce merveilleux rêve avec Mathilde à danser autour d'un repas fabuleux pour toujours. Je veux retrouver ma grande sœur.
Soudain, je sens des mains délicates me mettre assise. N'arrivant pas à discerner si c'est un rêve ou la réalité, je me laisse faire. Pendant qu'une personne m'empêche de tomber, une autre me retire la robe. Lorsque je me retrouve en sous-vêtement, je frissonne.
— Chut, murmure une voix lointaine que je n'arrive pas à identifier, ça va aller, ma puce. Je vais te laver.
Avec des gestes doux, elle passe un gant sur mon corps. Telle une poupée de chiffon, je me laisse manipuler pendant qu'elle me lave avec précaution. Lorsqu'elle passe sur mes bras, je ressens une vive douleur me traverser le dos jusqu'au pied. Malgré ma vision troublée, je baisse les yeux vers mes mains. En les voyant striés de rouge et recouvert de croûte, j'éclate en sanglots. Aussitôt, la fille derrière moi me colle contre sa poitrine et me berce. Je crois même qu'elle me parle, tout semble flou comme si j'étais au fond de l'eau.
Est-ce que tout ça est réel ? Est-ce que je rêve ?
Tout d'un coup, je suis réveillée en sursaut lorsque je sens une personne me prendre dans ses bras et m'emmener à travers les couloirs sombres de l'orphelinat. Je suis alors déposée sur un doux nuage moelleux et douillet. Je soupire de bonheur.
— Tu es dans ton lit, ma puce, ça va aller. Tiens, ouvre la bouche, dit cette voix féminine en me soulevant la tête.
Elle met une chose froide contre mes lèvres et je sens un liquide couler dans ma bouche. De l'eau ! Assoiffé, j'avale tout le contenu rapidement, manquant de m'étouffer.
Elle repose ma tête sur le nuage et m'embrasse sur les fronts. Mathilde vient ensuite m'envelopper de ses chauds et réconfortants, me protégeant du froid cinglant. En sécurité auprès de ma sœur, je m'endors pour la rejoindre dans mes rêves.
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