Chapitre 29

Nos corvées finies, avec Adeline et Hortense, nous sommes allées nous asseoir à l'ombre d'un grand arbre qui se trouve au fond de la cour arrière. Malgré une légère pluie et le vent frais, les deux plus âgés avaient tenu à faire une partie de cailloux. Le but étant de faire la plus grande tour de petite pierre, sans la faire tomber.

— Gagner ! s'écrie Hortense joyeusement en levant son poing en l'air.

— Non, t'as triché ! grogne Adeline en la pointant d'un doigt accusateur.

— Mais n'importe quoi, tu es juste jalouse parce que je t'ai battu.

— Même pas vrai ! Et puis d'abord tes cailloux à toi sont mieux que les miens, c'est pas juste !

Et c'est reparti, songé-je en roulant des yeux.

C'est toujours comme ça, Adeline à horreurs de perdre et quand c'est le cas elle se fâche. À force de se chamailler ainsi, on ne fera jamais de deuxième partie !

— Tu es une tricheuse, s'écrie soudain Adeline en donnant un coup dans la tour d'Hortense qui tenait encore debout.

— Eh ! T'es qu'une espèce de mauvaise joueuse !

— Euh... intervené-je pour essayer de clamer les choses, parlez moins fort, s'il vous plaît, sinon on va vous entendre !

Les deux filles se calment aussitôt et reprirent leurs positions initiales. Avant qu'Adeline ne lance sur un ton de défi en attrapant une poignée de cailloux :

— Je veux ma revanche. Et cette fois, je suis sûre de gagner ! T'es partante ?

Hortense acquiesce.

— D'accord, une dernière partie. Et cette fois, tu ne fais pas ta mauvaise joueuse si tu perds ?

— Promis !

Ne voulant pas rester, surtout sachant qu'elles vont forcément encore se disputer, je me lève.

— Moi, je rentre, il y a du vent, j'ai froid.

Les filles me font un signe de tête avant de commencer une autre partie.

Lorsque je contourne le bâtiment, je remarque la petite Alice assise par terre contre le mur en face du portail, immobile, le regard vide. Depuis qu'elle est arrivée, elle est toujours toute seule, elle ne veut parler à personne et personne ne l'approche non plus. Il n'y a plus que Louise, Denise et Annie qui continue à lui parler de temps en temps, mais il y a tellement d'autres enfants à s'occuper, qu'elle reste seule la plupart du temps. On dirait Thérèse. Un frisson d'horreur traverse ma colonne vertébrale en repensant à son visage livide coucher sur les graviers dans une flaque de sang. Le visage d'Alice se transpose sur celui de Thérèse. Je ferme les yeux en secouant la tête pour chasser cette image. Si on la laisse seule, elle finira comme ça. Je ne veux plus jamais que ça arrive. Alors, je la rejoins et m'accroupis devant elle en lui souriant :

— Est-ce que ça va ?

Elle ne répond pas. Ses grands yeux humides et cernés me dévisagent quelques secondes avant de se détourner.

— Eh, est-ce que ç-

— Laisse-moi, grogne-t-elle en me fixant avec colère. Je veux pas te parler. Je veux être toute seule. Et je te connais même pas toi d'abord !

— Je m'appelle Élia, et toi, c'est Alice non ? C'est un beau prénom, c'est comme une histoire qu'Annie nous a racontée, c'est Alice aux pays des merveilles, tu conn-

— Mais laisse-moi, crie-t-elle en me tapant sur la tête avec sa main. Je veux être toute seule, sans toi !

Vexée, je me relève et m'apprête à partir, avant de m'arrêter net.

Non, c'est déjà ce qu'il s'est passé avec Thérèse, elle m'a demandé de partir et je suis partie et au final elle est morte. Je ne dois pas laisser Alice toute seule, même si elle me dit le contraire.

Je prends une grande inspiration et m'assois à côté d'elle.

— Je veux pas te parler.

— Je ne te parle pas, je veux juste m'asseoir là.

Elle pousse un soupir agacé et détourne la tête. Assise côte à côte sans un mot, je suis du regard deux hirondelles qui virevoltent dans le ciel. L'hiver a enfin laissé place au printemps, bientôt, il fera de nouveau chaud, les oiseaux recommenceront à chanter et la nature a bourgeonné. Nous n'aurons plus froid la nuit dans notre lit, ni lorsque nous ferons nos corvées dehors. J'ai hâte... Les deux hirondelles font une danse magnifique, elles ont l'air seules au monde, heureuses d'être ensemble tout simplement... Je nous imagine à leurs places avec Mathilde, dansant toute les deux, dans un ciel azure, sans personne, juste nous deux, pour toujours réunis...

— Je veux voir maman... sanglote Alice.

Je sursaute. Pendant un instant, j'avais oublié qu'elle était là. Je détourne mon regard des deux hirondelles pour me tourner vers Alice.

— Mais... on t'a déjà expliqué ta maman, elle est...

— Non, s'écrie-t-elle en pleurant avant de mettre sa tête entre ses genoux. Tu dis des mensonges, comme les autres filles, vous êtes des vilaines menteuses ! Ma maman va venir, elle fait juste un gros dodo !

Décontenancer, je bégaie, ne sachant pas quoi dire. Depuis une semaine, beaucoup on essayer de lui expliquer que sa mère est morte et que son père l'a abandonné, que personne ne viendra la chercher, elle persiste à croire le contraire.

— N-non, c'est vrai, elle est plus là...

— Menteuse !

— Je suis désolée, Alice... murmuré-je en mettant un bras autour d'elle.

Alice me fixe avec ses grands yeux marron débordant de larme et emplis de tristesse, avant de se jeter dans mes bras en pleurant plus fort.

— J-j-je v-veux m-a ma-maman... Et pa-papa... Je-je veux pas être là-à... J-je veux retour-tourner dans ma maison-on...

— Je sais, chuchoté-je en caressant ses longs cheveux blonds. Moi aussi, je veux être avec ma maman et mon papa et dans ma maison avec eux...

Alice se redresse en reniflant, les sourcils froncer. Elle essuie la morve qui lui coule du nez en même temps que ses larmes et demande d'une voix entrecoupée de soubresaut :

— Ils-Ils sont où ton papa et ta maman ?

— Là-haut, dans le ciel, parmi les étoiles, avec ta maman...

— Pourquoi ?

— Parce que c'est là qu'on va quand on meurt.

— Pourquoi ils vont là-haut, ils nous aiment plus ?

— Si, de tous leurs cœurs, mais ils n'avaient pas le choix...

— Pourquoi ?

Je hausse les épaules.

— Mais ma maman elle va redescendre quand du ciel ?

— Jamais... Quand on monte, on ne redescend pas.

— Pourquoi elle est montée alors ? demande-t-elle en se remettant à pleurer. Elle est méchante, moi, je voulais pas...

— Mais elle te regarde du ciel, tu sais, comme mes parents...

Je lève la tête vers les nuages. J'espère de tous mon cœur que ce soit vrai, que mes parents sont là-haut à veiller sur moi, je préfère que ce soit la mort qui nous a séparés plutôt qu'eux qui ne voulaient pas de moi...

— La grande dame gentille et les deux filles gentilles, elles ont dit que c'était ma maison maintenant, mais moi je veux pas c'est nul ici... Dans ma maison, y avait pleins à manger et des grosses couvertures et une cheminée avec du feu... Je veux rentrer dans ma maison avec papa et maman...

Des larmes silencieuses roulent le long de ses joues et sa lèvre inférieure tremble, elle essuie ses yeux en reniflant, mais elle semble être sur le point de craquer. Elle paraît si malheureuse, je n'ai pas envie de la faire souffrir davantage, alors je murmure en essayant de sourire :

— Ils viendront peut-être te chercher un jour...

Son visage s'illumine.

— Vraiment ?

Je hoche la tête.

— Mais tu dois accepter de vivre ici en attendant et écouter ce qu'on te dit.

— Oui ! dit-elle joyeusement en se redressant. Je vais rester ici jusqu'à ce que maman descende du ciel et qu'elle vienne me chercher avec papa et jojo !

Je lui souris mal à l'aise de lui avoir menti, mais la voir si heureuse me fait déculpabiliser, au moins elle a arrêté de pleurer grâce à moi !

Elle se relève en essuyant toute l'eau sur son visage et calme ses derniers spasmes. Lorsqu'elle passe le revers de sa main gauche sous son nez, je remarque qu'elle tient quelque chose.

— Qu'est-ce que c'est ?

— C'est un morceau de ma poupée, dit-elle en me montrant le morceau de porcelaine avec un nez et une partie d'une joue rose dessus dans sa main. Je l'ai trouvé par terre après que je sois sortie de la prison tout noir qui fait peur et qui pue. Y avait que ça... Je veux ma poupée, murmure-t-elle en baissant la tête, c'était maman qui me l'avait donnée.

Peinée, je propose sans réfléchir :

— Tu veux que je te montre un secret.

Elle me regarde perplexe avant de hocher vivement la tête.

— Mais c'est un vrai secret, tu dois le dire à personne, d'accord ?

— Promis ! Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer, récite-t-elle en levant la main droite.

— Alors suis moi.

Je me lève et lui prends la main.

Au moment où nous nous apprêtons à passer la porte principale, Charles nous passe devant, nous bousculant au passage. Je m'arrête en soupirant. Il fait toujours ça, il se croit au-dessus de tout le monde parce qu'il est l'aîné des garçons et que les surveillantes l'aiment bien. En colère, Alice lui tire la langue dans son dos avant de grogner "méchant" tout bas. Je souris amuser et rentre dans l'entrée. Là, la voix furieuse de Gaétan nous interpelle :

— Eh ! Essuyez vos chaussures avant de rentrer !

Gaétan, agenouillé par terre, une brosse à la main, nous regarde en fronçant les sourcils. À quelques pas de lui, Julien, dans la même position, s'écrie en lançant se brosse dans un seau d'eau poser entre eux deux :

— Ça fait trois fois qu'on nettoie, on en a marre !

Je baisse la tête et remarqué qu'effectivement, nous avons laissée des traces sur le plancher carreler. À cause du sol encore mouillé dehors, nos chaussures sont couvertes de petits graviers et de terre. Je sens mes joues me brûler en me rendant compte de ça et me dépêche d'aller les gratter sur les marches à l'entrée, imiter par Alice qui ne comprend pas ce qu'il se passe.

— Toi aussi, Charles ! gronde Gaétan.

Mais au lieu de s'exécuter, le concerné décide tous simplement de hausser les épaules en continuant son chemin.

— T'es vraiment pas sympa ! On va être obligé de tout nettoyer à cause de toi !

— Et alors ? dit Charles de manière nonchalante. Ce n'est pas mon problème.

Furieux, Gaétan s'apprête à lui lancer la brosse qu'il a dans les mains, mais Julien le rattrape à temps.

— Fais pas ça, tu vas être encore plus punie...

Gaétan soupire en baissant son bras, résigner.

Une fois nos chaussures nettoyées, je me dirige vers les garçons pour leur demander :

— Pourquoi vous faites ça ? Ce n'est pas votre tour de nettoyer l'entrée...

— Non, mais c'est cette vieille morue qui nous a punis, grommelle Gaétan. Quand on est rentré tout à l'heure, on a sali un peu le carrelage... Du coup on doit le renettoyer entièrement, et s'il n'est pas étincelant quand elle revient, on devrait laver chaque pièce de l'orphelinat ! Mais avec tous les autres enfants qui rentrent sans s'essuyer les pieds, c'est mission impossible !

Gaétan souffle d'exaspération en trempant sa brosse dans le seau. Cette punition m'étonne pas du tout de Madame Morvan, la surveillante chargée de s'occuper des garçons, elle a toujours été obsédée par le ménage. Cette vielle morue, peut se montrer extrêmement sévère quand il s'agit de salir quelque chose, que ce soit volontairement ou involontairement.

— Vous avez combien de temps pour le faire ?

Julien hausse les épaules.

— Jusqu'à ce qu'elle revienne, mais on ne sait pas quand elle va revenir. Elle est partie voir les plus petits en haut, ça fait peut-être quarante minutes... Elle ne va sûrement pas tarder...

— Et comme on passe notre temps à tout renettoyer à cause des autres qui rentrent sans essuyer leurs pieds, bah au final, on n'avance pas ! C'est sûr qu'elle va nous punir cette viell-

— Cette quoi, Gaétan ?

Nous nous retournons tous horrifiés vers la voix de la surveillante. Je serre les doigts d'Alice autant pour la rassurer que pour me rassurer. Cette dernière se cache derrière moi. De sa main ridée, la vieille femme remonte ses petites lunettes rondes sur son nez et plisse ses yeux noirs en deux lignes fines, comme si elle cherche à mieux voir ou mieux comprendre ce que va dire le jeune garçon.

— C-c-c-cette... begaye Gaétan en tremblant de tous ses membres. C-cette...

— Ah, parle plus fort ! grogne la femme s'approchant.

— Gaétan, chuchote Julien en baissant la tête pour pas qu'elle le voie parler, je pense qu'elle ne t'a vraiment pas entendu, sinon elle ne t'aurait pas posé la question comme ça...

Gaétan acquiesce. Alors que la surveillante s'approche, il déglutit nerveusement avant de dire hausser la voix, essayant de paraître assuré :

— Cette charmante Madame Morvan, Madame...

— Tu te moques de moi ?

— Oh, non, je n'oserais pas, Madame...

La surveillante le dévisage de ses petits yeux mauvais, essayant de déceler la vérité sur le visage de Gaétan, mais ce dernier arbore un visage aussi innocent qu'un nouveau-né et un sourire angélique.

— Petit voyou, peste la surveillante au bout de quelques secondes.

Elle se retourne alors pour observer la pièce. Les traces de terres et de gravier attirent son attention, elle s'en approche et déclare :

— Je vois que vous n'avez rien fait ! C'est sale ! Je vous ai pourtant laissé du temps. Vous n'êtes que deux fainéants, des bons à rien !

— C'est pas de notre faute ! s'insurge Gaétan en se relevant. C'est pas nous qui avons sali !

— Ah non ? Alors qui est-ce ? Élia, peut-être ? demande-t-elle en se tournant vers moi.

J'écarquille les yeux de surprise, je ne m'attendais pas à ce qu'elle m'accuse. Décontenancée, je passe d'un pied à l'autre ne sachant pas quoi faire ni répondre.

— Arrête de te tortiller ainsi ! Est-ce toi ? Tu vas répondre oui ? Ou bien est-ce la p'tite nouvelle caché derrière toi ?

Je m'arrête net, telle une statue de marbre, incapable de bouger. Je sens Alice se coller contre mon dos et trembler. Je regarde les garçons, priant silencieusement leurs aides. Mais en même temps, elle a raison, c'est moi qui suis en partie responsable, c'est de ma faute et celle d'Alice, mais il faut que je la protège, je dois me dénoncer toute seule ! Pourtant, mes lèvres restent scellées, je suis incapable de dire un mot. Heureusement, Gaétan intervient, me sauvant :

— Non, c'est pas elle. Regardez vous-même ses chaussures, elles sont propres !

— Alors, qui est-ce ?

— Charles, intervient Julien en se relevant à son tour. C'est lui qui a tout sali, pas Élia et ni nous.

Je soupire de soulagement. J'ai l'impression que mon cœur recommence à battre et que mes poumons arrivent enfin à se remplir complètement d'air. C'est comme s'ils viennent de m'enlever un poids énorme de mes épaules.

— Sornette ! Charles est un bon garçon, bien élevé. Vous êtes que de sales petits voyous ! Vous serez tous les deux punis !

— Non, s'il-vous-plaît, Madame ! supplie en même temps Gaétan et Julien.

Au moment où la surveillante s'apprête à dire quelque chose, on entend un gros bruit, comme si quelqu'un vient de tomber sur le plancher, puis un cri strident. Madame Morvan soupire d'agacement et dit aux deux garçons :

— Je vous laisse une dernière chance, je monte voir ce qu'il se passe, lorsque je reviens le sol à intérêt à être étincelant, sinon, c'est tout le bâtiment que vous aurez à nettoyer, compris ?

Gaétan et Julien baissent la tête en acquiesçant. Avant de monter à l'étage, la surveillante lance énervée :

— Sale mioche, ils finiront par avoir ma peau.

Une fois qu'elle est disparue, les garçons se regardèrent avant de pouffer de rire en même temps. Ils se remettent aussi par terre et attrapèrent une brosse chacun.

— Qu'elle vielle morue ! claque Gaétan. J'espère qu'on va l'enterrer bientôt !

— C'est clair, approuve Julien.

Pendant que les deux garçons se mettent à frotter le sol vigoureusement, je balaye la pièce du regard. Elle est vaste, c'est sûr qu'ils n'auront pas fini avant qu'elle ne redescende... C'est en partie à cause de moi qu'ils en sont là, si j'avais essuyé mes pieds, ils auraient déjà fini...

Je lâche la main d'Alice et attrape une autre brosse qui flottait dans le seau et me mets à genoux pour frotter le sol salle. En me voyant faire, les garçons s'arrêtent et me dévisagent.

— T'as pas à faire ça, Élia, murmure Gaétan.

— Oui, c'est pas ta punition, t'es pas obligé... continue Julien.

— Mais vous ne m'obligez pas, c'est moi qui veux vous aider. À trois, ça ira plus vite et vous aurez terminé avant qu'elle n'arrive, dis-je en continuant à frottant la trace de terre.

Les garçons se regardent mutuellement avant de se remettre au travail en acceptant mon aide.

— Non, intervient Alice toujours au même endroit, t'as dit que tu allais me monter ton s-

— Oui, après, la coupé-je avant qu'elle n'en dise trop devant les garçons. Mais on doit aider Gaétan et Julien, c'est nous qui avons sali.

— Non, j'veux pas.

— Bah, va m'attendre sur les escaliers si tu veux, tu n'es pas obligé de les aider.

Alice soupire agacée et va s'installer sur la première marche en boudant.

— Tu ne devrais pas être avec elle, murmure Gaétan, tu vas avoir des problèmes à cause elle...

— C'est clair, valide Julien, elle est insupportable cette fille.

— Elle vient d'arriver et elle est petite, elle a juste besoin que quelqu'un s'occupe d'elle...

— Si tu l'dis, soupire Gaétan, mais ne viens pas dire qu'on ne t'aura pas prévenue.

Je leur souris avant de m'accroupir. Du coin de l'œil, je vois Alice assise sur l'escalier qui s'amuse à mettre ses cheveux sous son nez comme une moustache. À croire que toute sa peine d'il y a quelques minutes à disparue. Je me sens fier, j'ai l'impression d'avoir réussi ma mission. Tu vois Mathilde, moi aussi, je peux être une bonne grande sœur comme toi !

Ensemble, nous frottons, lavons et rinçons le carrelage. Gaétan cri sur tous les enfants qui ose rentrer sans s'essuyer les pieds. En à peine dix minutes, le sol de l'entrée est de nouveau propre. Nous nous relevons, avant de souffler un bon coup en observant notre œuvre.

— C'est bon, vous avez fini ? demande Alice en courant vers nous.

Je hoche la tête.

— On peut monter maintenant.

— Oui, enfin !

Au même moment, Charles arrive dans l'entrée suivie de Renée et de Sidonie.

— À ce que c'est sale ici, lance-t-il d'un air moqueur, c'est quoi ce travail ? Madame Morvan ne sera pas contente.

— Qu'est-ce que tu racontes ? s'agace Gaétan. On a tout nettoyé, et plusieurs fois en plus à cause de toi !

— Moi ? Mais je n'ai rien fait !

— Si, intervient Julien, t'as tout sali tout à l'heure et tu ne t'es même pas excusé.

Charles hausse un sourcil avant de les froncer et de dire d'une voix claquante :

— Toi, le lâche on t'a pas sonné.

Renée pouffe de rire en murmurant un " sale menteur".

— D'ailleurs, dit-il en se baissant vers Alice, je te conseille de ne pas t'approcher de lui, c'est qu'un menteur, il ne faut pas croire un mot de sa bouche, n'est-ce pas Monsieur « mon père est le plus grands héros que la terre n'est jamais porter » ? Ou devrais-je dire : « mon est le plus gros lâche que la terre n'est jamais porter. »

Charles et Renée éclatent d'un rire malveillant. Julien, honteux, baisse la tête et serre les poings autour de son balai. Au moment où Gaëtan s'approche des deux provocateurs pour leur répondre, Julien attrape son bras. Il secoue la tête d'un air suppliant. Gaëtan recule, mais ses insultes fusent à travers son regard meurtrier. J'ai de la peine pour Julien, depuis Noël, les autres enfants ne veulent plus lui parler et ce moque de lui pour ce que son père a fait, même si ce n'est pas de ça faute si son père a fui et si on lui a raconté des mensonges... Soudain, nous nous tournons tous vers le craquement des escaliers sous le pas lourd de Madame Morvan. Aussitôt, Charles, Renée et Sidonie sortent précipitamment, et Julien se tourne vers moi.

— Tu ne devrais pas rester là, tu risques d'être punie si elle voit que tu nous as aidés.

Ses yeux rouges et larmoyants me font de la peine, mais je hoche la tête. Je leur souris une dernière fois avant d'attraper la main d'Alice et de l'entraîner derrière moi près du placard sous l'escalier pour nous cacher de la surveillante. Une fois cette dernière passée, je me précipite pour monter au premier étage avec Alice.

À pas de loup, nous tournons dans le couloir qui mène à l'ancien dortoir des filles. Au moment de passer devant la chambre des bébés, je fais signe à Alice de s'arrêter et mets mon index contre ma bouche.

— C'est la porte du fond, mais tu ne dois pas de bruit d'accord ? Ici, murmuré-je en pointant du doigt la porte à notre droite, c'est la chambre des bébés, il ne faut pas qu'on nous entende ou on sera punis, compris ?

Alice hoche la tête en mettant son index sur sa bouche. Ensemble nous longeons le mur, avançant le long du couloir pas éclairé. Une fois à l'intérieur, je referme vite la porte et me tourne vers Alice qui s'écrie d'un air dégoûté en se pinçant le nez :

— Pouah, ça sent pas bon ici ! Ça sent le vieux rat pourri ! On dirait comme chez ma mémé, ça pue fort !

Je pouffe de rire. C'est vrai que plus que dans n'importe quelle pièce, ici il y a une odeur de renfermé mélanger à la poussière et la moisissure. Mais je ne trouve pas que ça sent mauvais, ça me rappelle quand j'étais petite et que je venais me cacher ici avec Mathilde, à tout ce dont on a rêvé à cette fenêtre... Je n'ai que des bons souvenirs ici.

Une fois habituer à l'odeur, Alice s'avance au milieu de la pièce en regardant partout autour d'elle.

— C'est quoi ici ? demande-t-elle en s'accroupissant par terre et passant son doigt sur le plancher poussiéreux.

— C'est l'ancien dortoir des filles, mais maintenant plus personne n'y va jamais du coup, du coup, c'est assez sale, c'est vrai.

— C'était ça le secret ? Une pièce pleine de poussière et de chose pourries.

— Mais non, rié-je en prenant la boîte sous l'armoire, c'est ça vient voir.

Je passe ma main sur le couvercle pour enlever la poussière qui s'y est déposée. Une boule se forme dans mon ventre, ça va faire un an que je ne suis pas venue la voir, depuis le jour où elle a tué Thérèse... Je ne devrais pas la montrer à Alice !

Avant que je n'aie eu le temps de remettre la boîte sous l'armoire, Alice me la prend des mains et l'ouvre. Elle en sort ange. À bout de bras, elle dévisage la poupée en toile de jute rembourré en penchant la tête sur le côté, les sourcils froncer.

— C'est quoi ?

— Rien, dis-je en la reprenant, je n'aurais pas dû te la montrer.

— Mais si moi, je veux savoir ! C'est une poupée ?

J'ouvre de grands les yeux, surprise.

— Oui, c'est ça. Comment t'as su ?

— Bah, ça se voit, là la tête et ça le corps... Elle s'appelle comment ?

— Mésia. Mais Alice, tu dois me promettre que tu ne feras pas de robe pour elle d'accord ? Rien du tout ! Et tu ne parleras jamais d'elle à personne, compris ?

— Oui, oui, répond-elle d'un air distrait en caressant du bout des doigts la toile de jute.

— Je suis sérieuse, dis-je en mettant mes mains sur ses épaules pour la forcer à me regarder. Il ne faut jamais que tu en parles, jamais, jamais, jamais. Et tu ne feras jamais rien pour elle non plus, pas de robe, de chemise, de manteau, de pantalon, rien, c'est d'accord ?

— Bah, elle n'a même pas de bras ni de jambes donc elle ne peut pas mettre de pantalon de toute façon.

— Alice.

— D'accord, promis. Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer, c'est bon ?

Je hoche la tête en priant que tout se passe bien cette fois et que je n'ai pas fait de bêtise.

— Regarde, on peut mettre ça là, comme ça, elle est plus belle encore, sourit-elle en coinçant le bout de porcelaine dans la corde pour le mettre contre le visage de Mésia. Comme ça, elle a un nez et un bout de joue, c'est beau, non ?

Je hoche la tête.

— Tu l'aimes bien alors ?

— Oui ! Je l'adore, elle ressemble à celle que tonton Jojo avait faite pour moi un jour, avant que papa et maman m'en achèteront une vraie... Je la montrerais à papa et maman quand ils viendront me chercher, d'accord ?

— D'accord, murmuré-je à la fois gêné et peiner.

J'espère qu'elle se rendra vite compte que ce n'est pas vrai et qu'elle ne sera pas trop triste.

Alice se tourne vers moi avec un grand sourire. Elle se jette dans mes bras en me remerciant de tout son cœur. Une sensation de chaleur agréable semble émaner de mon cœur et parcourt mon corps, je me sens plus légère, plus forte. Je ne peux m'empêcher de sourire à m'en faire mal aux joues. C'est la première fois que je ressens ces sensations. Pour la première fois de ma vie, je me sens réellement utile à quelqu'un. Alice a retrouvé le sourire et c'est grâce à moi. Tous les doutes et les regrets de lui avoir montré ange s'envolent, car maintenant, je sais que j'ai fait le bon choix.

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