Chapitre 26
Comme tous les matins, je suis réveillée par la voix aiguë de la surveillante qui nous ordonne de nous préparer en vitesse. De manière mécanique, je m'assieds, les yeux encore collés par la nuit. Tout en me les frottants, je retire la fine couverture et me lève. Un frisson me parcourt quand le froid caresse ma peau. Je déteste l'hiver.
— Wouha ! s'écrie joyeusement une petite fille. Vous avez vu dehors ! Il a neigé !
— On sait, râle une autre enfant, il neigeait déjà hier.
— Mais là c'est tout blanc, tout blanc ! On voit même plus le sol !
Intrigué, je me lève et contourne mon lit pour me rapprocher de la fenêtre. J'essuie la buée sur un des carreaux et colle mon front pour mieux voir. Dehors, un épais tapis blanc recouvre le sol. La lueur de la lune se reflète sur cette neige immaculée, elle semble briller.
— On dirait qu'on est sur un nuage, murmure une enfant à côté de moi.
Je hoche la tête.
— Que faites-vous ? hurle la surveillante. Allez vous préparer, exécution ! On vous serez toutes punis !
À contrecœur, je me détache de ce paysage féerique et suis les autres vers la salle d'eau.
L'air y est glacial. Un courant d'air me fait frissonner et claquer mes dents. Pour tenter de me réchauffer, je rentre mon cou dans mes épaules et souffle sur mes mains frigorifié. Je m'approche d'un des robinets, qu'Adeline essaie déjà d'ouvrir. Mais rien ne sort.
— Madame, y a plus d'eau, s'exclame une fillette.
La surveillante bougonne et se dirige vers un des robinets, essaie de le tourner dans tous les sens, en vain, elle se relève et marmonne un juron.
— C'est encore l'eau qui a dû geler dans les canalisations, Madame, intervient Louise.
— Je sais, coupe la surveillante d'une voix claquante. Tu me prends pour une idiote peut-être ?
Louise secoue la tête avant de détourner le regard. La surveillante lui lance un regard d'avertissements avant de se retourner et déclarer :
— Bien, tant pis, habillez-vous et ensuite descendez, vous ne vous laverez pas aujourd'hui.
Je soupire, soulager. Toutes les filles autour de moi commencent à se déshabiller. Je m'apprête à les imiter quand je vois les marques sur le dos de la fille à côté de moi. Je frissonne. Ces traces me rappellent les miennes. Je me tourne vers le miroir pour observer mon dos. Je me mords la lèvre en voyant les deux grosses cicatrices boursouflées qui me traversent des épaules aux reins et les deux plus petites dans l'autre sens. Toutes les autres ont disparu, mais celles-là ne partent pas...
Je relève la tête et balaie la salle des yeux, éclairés par la lumière bleuter de la lune encore haute dans le ciel, le corps de mes camarades maigre et blanc ressemble à des fantômes hantant l'orphelinat à la recherche de corps à posséder pour un jour avoir la chance de vivre une vie heureuse. Est-ce que je fais moi aussi partie de ses fantômes ? Parfois j'en ai l'impression... Je ne suis qu'une ombre vivant ici sans but, obéissant aux ordres sans avoir une chance de m'échapper...
Lorsqu'une fille me bouscule, je sors de ma rêverie, me dépêche de m'habiller et sort avec les autres en file indienne jusqu'au réfectoire.
Après le déjeuner, alors qu'on se lève pour débarrasser notre assiette, la directrice nous interpelle :
— Attendez. Exceptionnellement il n'y aura pas classe aujourd'hui. Votre instituteur n'a pas pu se présenter à son poste à cause des intempéries.
Un murmure de soulagement se propage parmi les enfants.
— Silence, ordonne la directrice, a la place vous déblaierez la neige autour de du bâtiment.
La nouvelle sabbat sur nos épaules comme un coup massue. Nous la regardons choqué.
Elle... Elle ne peut pas être sérieuse... Il fait trop froid dehors, on va mourir gelé... Non, c'est impossible...
Je sursaute lorsqu'un violent coup de canne frappe le bois de la porte.
— Allez, dépêchez-vous ! hurle une surveillante en nous faisant de grand geste vers la sortie. Ceux qui sont de corvées cuisine restent ici, les autres dehors ! Les garçons prenez les pelles, les filles, les seaux. Et en silence ! Le premier qui parle aura à faire à moi.
Sans un mot, j'attrape un vieux manteau dans le placard sous l'escalier et prends un seau rempli de sel avant de sortir avec les autres.
À peine ai-je franchi la porte qu'un vent glacial s'engouffre dans mes vêtements. J'essaie de me couvrir autant que possible en attendant que les autres sortent pour pouvoir commencer à mettre du sel sur les marches tandis que les garçons déblaient la cour.
Alors que je tente d'attraper une poignée de sel pour la dispersé sur le sol enneigé, ma main refuse de se fermer. Je la sors du seau tétaniser. Elle est rouge et douloureuse, et je suis incapable la bouger. Je ne sens même plus le sel sous mes doigts. Je pose le lourd seau par terre et tente de les réchauffer. Le souffle chaud sur mes mains me brûle autant que le sels me pique et me ronge en s'immisçant dans chaque minuscule plaie dans ma peau.
Soudain, je sursaute en entendant le bruit d'un seau s'écrasant par terre. Je me retourne et vois Hortense en panique avec le sel qui se repend à ses pieds.
— Pardon, pardon, pardon, pleure-t-elle en se protégeant la tête. Je suis désolée j'ai pas fait exprès.
Adeline s'approche d'elle et ramasse le seau.
— Les adultes sont toutes à l'intérieur, t'inquiète pas, elles ne sont pas là.
Elle essuie une larme sur la joue de Hortense qui se met à sangloter :
— J'ai trop mal au doigt, j'ai l'impression qu'ils vont tomber. J'ai froid.
— On a tous froid, murmure-t-elle en la prenant dans ses bras, calant ses mains entre elle et en frottant son dos. Ça va mieux ?
Elle secoue la tête en la posant sur l'épaule de son amie.
Mathilde faisait aussi ça pour moi... Mon regard s'égare sur le chemin derrière l'immense portail... Mathilde...
Perdu dans mes pensées, je remarque à peine la luxueuse voiture foncée qui arrive au milieu des arbres enneigés. Mais lorsqu'une petite fille aux longs cheveux noire descend de la voiture et me fait un signe de la main, mon visage s'illumine. Mathilde ! Mathilde est venue me chercher ! Elle est venue me sauver !
Alors que son père ouvre le portail, je cours vers elle en criant son nom. Tous les enfants s'arrêtent de travailler et nous dévisagent en souriant. Des larmes de joie dévalent les joues lorsque je la serre dans mes bras. Plus rien ne me fais mal maintenant, plus rien ne me fait peur, elle est là et plis rien ne compte.
— Mathilde, Mathilde, tu m'as tellement manqué ! J'étais sûr que tu viendrais, je l'ai toujours su, tu sais ?
— Bien sûr, murmure Mathide en me caressant la joue de sa main chaude, je n'allais pas abandonner ma sœur ici... Viens Élia, partons maintenant.
— Mais, et la directrice ?
— Ne t'inquiète pas, Élia, réponds son père en m'ouvrant la portière, tout est arrangé, tu pars avec nous tout de suite.
Les yeux écarquillés de bonheur, je le laisse guider par la sœur qui m'entraîne à l'intérieur de la voiture. C'est incroyablement grand, il y a plein de place, des sièges en cuir, une petite table qui déborde de nourriture fumante et un petit poêle chauffant. Mathilde prend place à côté de moi et me met une couverture en laine sur les épaules. Je me blottis contre elle alors que la voiture commence à s'éloigner de cette prison et de l'horrible sorcière qui y habite.
Soudain, le froid glacial de la neige glissant le long de ma colonne vertébrale me fait sursauter et fait exploser la bulle de bonheur où j'étais.
— Oh pardon Élia, rit Gaétan, c'est Hortense que je visais !
— Mais ça va pas toi, s'écrie Adeline, pourquoi t'as fais ça ?
— Roh ça va, c'était pour rire !
— C'est pas drôle. Elle a froid et toi tu voulais lui lancer de la neige dessus ?
— Oui, justement ça réchauffe !
— Ah oui ? Tu vas voir si ça réchauffe...
Adeline se baisse et fait une grosse boule de neige avant de la lancer vers Gaétan. Mais ce dernier l'esquiva au dernier moment et c'est Julien qui se la prend en pleine figure. Julien et Gaetan se regardèrent avant d'éclater de rire en même temps.
— On dirait un idiot avec ta neige sur ta tête, s'esclaffe Gaétan.
Julien attrape de la neige et l'explose sur la tête de son ami.
— Ah bon ? C'est qui l'idiot maintenant ?
— C'est toi, rit Adeline en lui laissant une boule de neige dessus.
Choqué et surpris, Julien reste une seconde pétrifié avant de se reprendre et murmuré d'une voix provocatrice :
— D'accord, tu veux la guerre ? Alors c'est la guerre ! À l'attaque !
— Bien mon général, s'écrie Gaétan en préparant de nouvelle boule.
— Hortense, dit Adeline en faisant de même, vite prépare des munitions, on nous attaque ! Élia ! Viens dépêche toi !
En entendant mon nom, je mets du temps avant de réagir. Je vois bien la scène qui se joue devant moi, mais tout me semble irréel. L'instant d'avant j'étais au chaud avec ma sœur et maintenant sur un champ de bataille. Comment c'est possible ? Je me tourne vers le portail. Personne. Tout ça n'était qu'un rêve... Mathilde n'est pas venue me chercher... Mon cœur commence à se serrer et les larmes piquent mes yeux, mais un projectile de neige dans mon dos me ramène à la réalité.
— Touché ! s'écrie un des garçons.
— Élia, vite, m'interpelle Hortense en m'attrapant le bras pour me rapprocher du groupe de fille.
Désormais ce n'ai plus seulement Gaétan et Julien face à Hortense et Adeline, mais presque tous les enfants présents qui se prêtent aux jeux et se lancent des boules de neige. C'est une vraie guerre !
Hortense me met une boule dans la main et avec un signe de tête je la lance sur un des garçons qui atterrit sur le torse. Aussitôt j'en prends une autre, puis une autre et encore une autre. J'ai mal au côté à force de rire. Je m'étouffe et tente de reprendre ma respiration, ça fait tellement longtemps que je n'ai pas ri que j'ai l'impression de plus savoir comment faire sans suffoquer. Dommage que Mathilde ne soit pas là, elle aurait adoré ça, elle aussi.
Soudain, du coin de l'œil je vois Julien qui s'apprête à lancer une boule de neige, la laisser tomber et regarder avec horreur la porte d'entrée. À côté de lui, un autre garçon s'arrête et commence à pleurer. Peu à peu un silence de mort s'installe, tous regardent au même endroit : la porte d'entrée. Je me retourne lentement, terrifiée.
Elle est là.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top