Chapitre 23

— Enfin finis ! soupire Adeline en posant son seau et son balai dans le placard. J'ai trop mal aux genoux à force de laver par terre ! Les salles des classes, c'est le pire avec les bureaux.

— Non, le réfectoire est pire, contré-je, on doit ramper sous les tables, ça fait mal aux genoux et à la tête quand on cogne.

— Non, le pire du pire, c'est la salle d'eau avec les toilettes, grimace Hortense en posant son balai, c'est dégoûtant.

— Oui, rétorque Adeline, mais quand il fait chaud comme aujourd'hui, la salle d'eau ça rafraîchit, mais oui les toilettes ou les ordures, c'est plus pire que pire, beurk.

Après avoir posé nos affaires, nous allons nous asseoir sous une des fenêtres à côté de la porte d'entrée en attendant l'heure du dîner.

Le carrelage froid sous mes cuisses nues me fait frissonner, mais ça fait du bien un peu de fraîcheur avec la chaleur de l'été qui arrive et qui rend les corvées encore plus fatigantes. À côté de moi, Adeline s'installe en tailleur en veillant bien à ce que sa robe cache ses jambes, imitées par Hortense.

Alors qu'Adeline commence à ouvrir la bouche pour parler, elle est interrompue par le bruit d'une gifle provenant du couloir menant aux salles de classe. Intriguées, nous nous relevons en vitesse et nous dirigeons, avec quelques autres curieux, vers les pleurs d'une petite fille.

— Espèce de sale petite voleuse, dis-moi où tu l'as mis ?

Debout, les sourcils froncés et la main prête à en donner une autre, une des plus jeunes surveillantes fait face à la pauvre Sidonie recroquevillée au sol les mains sur sa joue rougit. Sous le torrent de larmes qui dévalent ses joues et les sanglots qui l'étrangle elle tente de dire qu'elle n'a rien fait, mais ne l'a croyant pas la surveillante s'énerve un peu plus et la frappe derechef.

— Je ne comprends rien à ce que tu dis, articule ! Où as-tu caché la pelote de laine ?

Prenant une grande inspiration et essayant de ravaler ses pleurs, Sidonie murmure :

— C-c-c'est pa-as mo-oi...

— Tu n'es qu'une petite menteuse !

Avant que la surveillante ne puisse lui donner un autre coup, Renée arrive en courant et se jette sur sa petite sœur pour la serrer contre elle. Elle lève un bras pour les protéger et regarde le surveillant droit dans les yeux, pendant que Sidonie enfouie son visage dans le creux du cou de son aînée.

— Arrêtez ! Elle n'a rien fait !

Surprise, l'adulte reste stupéfaite quelque seconde avant de froncer un peu plus les sourcils en demandant :

— Et c'est qui alors ? Hein, dis-moi ? C'est la dernière à être sortie de la salle, c'est donc elle qui a volé la pelote de laine.

— Non ! Ma sœur n'est pas une voleuse !

Sidonie s'accroche à Renée en pleurant plus fort.

— Elle n'a rien f...

Renée se tait un instant alors que Sidonie lui chuchote quelque chose à l'oreille. Aussitôt, l'aîné se redresse et dit d'une voix forte :

— C'est Thérèse la voleuse ! C'est elle, pas ma sœur !

Tous les regards se tournent vers la petite rouquine. La jeune surveillante s'approche alors d'elle l'air menaçant.

— Alors c'est toi la voleuse ?

— N-non, marmonne la petite fille en baissant la tête.

— Menteuse, crie Renée, c'est elle, je l'ai vue !

Le visage de Thérèse vire au rouge, le regard rivé sur le carrelage, elle triture sa robe au niveau d'une de ses poches. En remarquant ça, la surveillante s'approche d'elle d'un pas menaçant et s'écrie :

— Que caches-tu dans cette poche ?

Thérèse a un léger sursaut, mais n'ouvre pas la bouche pour autant. Voyant qu'elle reste silencieuse, la jeune femme la gifle. La tête de la petite fille valse sur le côté et des larmes de douleur se mettent à dévaler ses joues.

— Réponds-moi ! Ne m'oblige pas à répéter !

Malgré le ton ampli de colère et menaçant de la surveillante, Thérèse ne prononce pas un mot. Retenant difficilement sa rage face à cette enfant qui ose lui tenir tête, la jeune surveillante lève une nouvelle fois sa main pour la frapper.

— Qu'est-ce qu'il se passe ici ?

Son geste est arrêté par l'arriver de Madame Morvan qui descend les escaliers pour venir vers la jeune femme. Cette dernière abaisse sa main en expliquant toute l'histoire à sa collègue.

Retroussant ses lunettes sur son nez, Madame Morvan examine d'abord de loin les deux sœurs toujours par terre dans les bars l'une de l'autre, puis Thérèse qui n'a pas bougé d'un pouce.

— Qu'as-tu dans la poche ? demande la plus âgée des adultes en forçant les sourcils. Tu vas répondre ?

Thérèse demeure silencieuse.

— Bien, tu ne veux pas parler ? Moi, je vais te faire parler ma petite ! peste Madame Morvan en se dirigeant vers la salle de classe.

Elle revient quelques secondes plus tard avec une longue canne en bois dans les mains. Plusieurs fois, elle l'agite dans les airs avant de la frapper contre la paume de sa main.

Thérèse, murmuré-je à moi-même, s'il te plaît, montre tes poches, tu n'es pas une voleuse, je le sais, prouve-leur qu'elles ont tort, par pitié !

Un grand claquement retentit lorsque la canne s'abat sur l'épaule de Thérèse. Cette dernière s'écroule sous le choc en mettant ses bras devant sa tête par réflexe pour se protéger du deuxième coup qui arrive juste après.

Thérèse endure la punition sans dire un mot, même ses larmes ont cessé de couler. C'est comme si elle frappait une poupée de chiffon. Voyant aucune réaction de sa part, la surveillante est encore plus énervée, les veines de son cou sont prêtes à exploser.

Mes poings se serrent tout comme mon cœur, à côté de moi Hortense est allé se réfugier dans les bras d'Adeline. Je ferme fortement les yeux ne voulant pas voir ce spectacle.

Soudain, le bruit s'arrête et un grand silence se fait. En ouvrant les yeux, je vois Albin debout entre Thérèse et la surveillante, tenant fermement la canne dans ses mains.

— Lâche-la sale vaurien !

— Non !

La surveillante écarquille les yeux, choqués et énervé, elle gifle Albin en essayant de le repousser, mais le jeune garçon ne bouge pas.

— Vous êtes pitoyables, frapper une petite fille qui n'a rien fait, c'est lam-

Il fut coupé par une nouvelle gifle. Sonné, ce dernier vacille avant de tomber juste devant Thérèse, le nez en sang.

— Misérable chien, je vais t'apprendre moi qui est pitoyable ici !

Sans attendre, elle attrape le bras du garçon avant de le trainer dans un des couloirs menant aux cachots.

Le silence revenu dans la pièce, sans dire un mot la plus jeune surveillante attrape Thérèse par le bras et la force à se relever avant de fouiller dans ses poches. Encore sonner par la raclée qu'elle s'est prise, la petite fille se laisse faire sans protester.

Tous les enfants présents sont suspendus aux gestes de la surveillante, attendant de découvrir si Thérèse a bel et bien volé cette pelote de laine.

— J'en étais sûre ! s'écrie la surveillante. Tu n'es qu'une voleuse et une menteuse en plus ! En plus, je suis sûre que c'est toi aussi qui as volé l'autre pelote de laine qui a disparu il y a quelques jours ! crie-t-elle en la secouant violemment. Je pensais l'avoir mal rangé, mais c'était toi ! continue-t-elle avant de pousser Thérèse vers les escaliers pour y monter.

La petite fille manque de trébucher, mais est fermement retenue par le bras par la surveillante qui la porte pour monter vers le bureau de la directrice.

En voyant Thérèse s'éloigner, je sens les larmes monter et mon cœur se serrer en sachant ce qui l'attend. Pourquoi a-t-elle fait ça ? Ça n'a aucun sens. Surtout qu'on sait tous le sort des voleurs... Et Albin lui aussi n'a rien fait et va être punis, c'est injuste...

***

Assise à mon pupitre, je n'arrive pas à écouter la leçon que nous enseigne notre maître, toute mon attention est concentrée sur le sort des deux punis : Albin et Thérèse. Depuis qu'ils ont été emmenés, il y a presque trois jours, nous ne les avons pas vus. Sans même à avoir besoin de poser la question, nous savons où ils sont, mais personne ne sait combien de temps ils vont y rester.

J'espère qu'ils vont bien et qu'on pense à leur donner à manger et à boire...

Soudain, le cours est interrompu par des tapes contre la porte en bois et l'entrée d'une des surveillantes qui chuchote quelques mots aux professeurs, avant de pousser rudement Thérèse à l'intérieur de la classe.

Mon cœur rate un battement en découvrant l'état de la fillette. Son teint cadavérique fait ressortir les traces violet foncé qui masquent ses taches de rousseur, ses yeux, à moitié clos, surplombe de larges cernes noirs et ses longs cheveux roux sont ternes et emmêlés. Sa robe est sale et tâché de ce qui ressemble à de l'urine et du sang séché. Ils ne l'ont même pas fait changer de vêtements avant de nous rejoindre, réalisé-je avec horreur.

— À ta place, ordonne le maître en refermant la porte après que la surveillante soit partie.

Sans dire un mot, Thérèse s'exécute. Tenant son ventre elle avance en boitant vers son pupitre, sous les rires méchants de nos camarades. Son regard est vide, elle semble morte à l'intérieur, comme à l'extérieur. Désormais, elle ressemble vraiment à un fantôme. Elle n'est plus qu'une coquille vide avançant péniblement vers sa place.

Lorsqu'elle se retourne pour s'asseoir, mon souffle se coupe et mon cœur se soulève en découvrant son dos couvert de trace de sang séché qui descende jusqu'à ses pieds.

Ma petite Thérèse, qu'est-ce que ces sorcières t'ont fait ? Je sens mes yeux me piquer et un sanglot se bloque dans ma gorge, rapidement, je tourne mon regard vers la fenêtre ne supportant pas de la voir ainsi. Pour m'empêcher de craquer, je serre ma robe dans mes mains de toutes mes forces à m'en faire mal.

Une fois la classe terminée, les enfants qui sont chargés d'aider à mettre les assiettes et les couverts sur les tables se dépêchent de sortir, pendant que nous rangeons nos affaires et attendons dans l'entrée que les portes du réfectoire s'ouvrent.

Attendant devant la porte que Thérèse sorte, je souffle plusieurs fois pour contrôler ma respiration et garder les larmes enfouies en moi. Je dois me montrer forte pour soutenir et réconforter Thérèse, comme le faisait Mathilde avec moi !

Thérèse est la dernière à sortir de la salle, boitant et se tenant le ventre, elle a du mal à marcher.

— Thérèse ? murmuré-je lorsqu'elle passe à côté de moi.

Elle s'arrête et son regard vide me transperce, me faisant perdre mes moyens.

— Est-ce... Est-ce que ça va ?

Avant même de finir ma phrase, je me gifle mentalement pour lui avoir posé une question aussi bête ! Il y a des milliers de choses que je pourrais dire, mais c'est la seule qui a réussi à sortir.

— Oui, réponds Thérèse d'une voix plate.

Je reste stupéfaite une seconde avant de froncer les sourcils, surprise par cette réponse si froide et calme en même temps.

— Est-ce que tu veux de-

— Al-Albin ? me coupe Thérèse d'une voix rauque et faible.

Renée qui se trouvais juste à côté, s'exclame d'une voix moqueuse avant que je n'aie le temps de parler :

— J'y crois pas, elle demande où est Albin la voleuse ?

Aussitôt, un silence se forme dans la pièce et tous les regards se rivent vers nous.

— Albin est toujours au cachot à cause de toi ! intervient un garçon. Et en plus, Madame Morvan est restée longtemps avec lui, elle lui a sûrement fait des choses horribles, à cause de toi !

— Comment ça ce fait que toi t'es sortie d'ailleurs ? C'est toi la voleuse pourtant ! enchaîne une fille.

— T'aurais dû être plus punis, c'est pas juste !

— Tu ne mérites pas qu'Albin te défende !

— Ouais, s'énerve Renée, tu l'as fait punir comme t'as voulu faire punir ma sœur !

Malgré ces provocations, Thérèse se contente de les fixer sans dire un mot.

— T'es qu'une voleuse ! Et une menteuse !

— Allez, dit quelque chose, voleuse, cris Renée en poussant violemment Thérèse contre le mur.

Une grimace de douleur déforme le visage de cette dernière, faisant rire les enfants autour.

— Tiens, alors le fantôme peut avoir mal ? se moque un garçon derrière elle en lui donnant un coup de poing dans le dos, la faisant s'écrouler au sol sous les moqueries de nos camarades.

En voyant le tissu sur son dos de teinte de rouge vif, mon sang se glace. Je serre les poings de colère et les voyants tous rire alors qu'il n'y a rien d'amusant à voir souffrir quelqu'un comme ça. Ma respiration s'accélère et avant que je réfléchisse, je m'écris :

— Arrêtez !

Aussitôt, le silence se fait et tous me dévisagent, surpris.

— La ferme, cris un des garçons. On t'a pas sonnée toi !

— Depuis quand tu sais parler toi d'abord, se moque Renée.

— Je savais même pas qu'elle avait une langue, pouffe sa copine.

Je sens mes yeux me brûler et devenir aussi rouge que les joues. Je ne sais pas quoi répondre, je reste à les regarder se moquer de moi, démunis, suppliant pour que Mathilde vienne à mon secours. Du coin de l'œil, je peux voir Thérèse toujours au sol tourner sa tête dans la direction. Voyant ses yeux écarquillés de surprise, ne s'attendant pas à ce que je prenne sa défense, mon cœur se gonfle. Il faut que je sois forte, que je sois comme Mathilde.

— V-vous êtes méchant, dis-je d'une voix tremblotante qui se veut assurée.

— Méchant ? s'écrie un garçon derrière moi. C'est elle qui a fait punir tout le monde alors qu'elle sert à rien, dit-il en lui donnant un coup de talon dans le dos pour la faire se mette à plat ventre, lui arrachant un petit cri de douleurs.

— Tu la défends alors qu'elle fait punir Albin ? s'étonne René. C'est pas ton ami Albin ?

— M-mais j-j'aime bien aussi Thérèse...

— Vraiment ? T'es encore plus bizarre que je pensais !

Ses amis se mettent tous à rire de moi. Je baisse la tête, honteuse et triste.

— Dis, tu attends quoi pour crever au juste ? ricane une des filles en écrasant la main de Thérèse. Oh mince, je ne t'avais pas vue, dit-elle d'une voix faussement désolée. En même temps c'est là qu'est ta place, tu ne vaux pas mieux qu'un vulgaire paillasson.

— Oui, va mourir, tu manqueras à personne ! rit René. Ça nous rendrait même service si tu mourais maintenant !

Les larmes dévalent mes joues face à tant de méchanceté, je n'arrive plus à parler, j'ai peur que si je dis quelque chose ils s'en prennent à moi ! Je suis désolée, Thérèse, mais je ne peux rien faire...

— Tu sers à rien du tout-

Le garçon est coupé par la grande porte du réfectoire qui s'ouvre et par deux surveillantes qui en sort pour faire rentrer les enfants à l'intérieur. Renée et son groupe laissent alors Thérèse sanguinolente à terre et partent vers la porte.

Je tends alors la main à Thérèse pour l'aider à se relever, le plus doucement possible pour ne pas lui faire mal.

— Thérèse... Je... Je... Désolée...

La fillette ne lève même pas la tête vers moi et ne répond rien comme si elle se fichait de ce que je disais.

Elle m'en veut...

Avant que je ne réussisse à trouver les mots juste pour m'excuser auprès de Thérèse, je sens quelqu'un m'agripper le bras.

— Dépêche-toi qu'est-ce que tu fais, s'écrie Hortense en me tirant vers le réfectoire. Tu vas être en retard si tu restes là.

— Mais, et Thérèse ? demandé-je en regardant la petite fille se retourner vers les escaliers qui mènent aux dortoirs avant de me retourner vers Hortense pour lui dire de me lâcher.

— Ils ont raison je... dit une voix lointaine, presque un murmure que je ne suis pas sûre d'avoir entendu.

— Quoi ? demandé-je quand même en me tournant vers Thérèse.

Mais cette dernière est déjà en train de gravir les escaliers.

— Hortense, Thérèse elle-

— On s'en fiche, si ça l'amuse d'être punie, c'est son problème !

— Mais elle a dit un truc non ?

— Quoi ? Elle n'a rien dit, j'ai rien entendu, moi, ça doit être quelqu'un d'autre.

Elle a sûrement raison... Emporté par mon amie qui me tire et les autres enfants qui rentrent, je suis le mouvement et vais m'installer à ma place, espérant que Thérèse viendra s'installer à table avant que la sorcière n'arrive.

***

Cela fait cinq minutes que nous attendons à notre place, dans le silence, que la directrice arrive et nous donne l'autorisation de manger.

Soudain, la porte du réfectoire s'ouvre dans un grincement, dévoilant la sorcière dans sa robe noir corbeau. Un frisson traverse ma colonne vertébrale. Ne voulant pas croiser son regard, je fixe ma pomme de terre, mon morceau de carotte et mon morceau de pain sec dans mon assiette. Mon sang se glace lorsque je sens un léger courant d'air me frôler quand elle passe à côté de moi.

Mes muscles se détendent légèrement quand elle s'éloigne, mais le soulagement s'estompe très vite lorsque le claquement de ses chaussures sur le carrelage cesse et le silence se fait.

Du coin de l'œil, je vois la sorcière immobile aux milieux de la rangée centrale en regardant vers une place vide.

— Où est Thérèse ? demande-t-elle d'une voix forte à l'attention des surveillantes.

— J-je ne sais pas, Madame, je l'ai pourtant fait sortir ce matin... réponds celle qui est chargée des filles en arrivant rapidement vers la directrice. Elle a dû se cacher dans la chambre... Vous voulez que j'aille la chercher ?

La mâchoire de cette dernière se contracte de colère, faisant ressortir les veines de son cou. Elle prend une grande inspiration avant d'expirer lentement.

— Inutile. Je vais m'occuper moi-même de cette petite effrontée, dit-elle en se dirigeant vers la sortie.

Je regarde inquiète la directrice passer le pas de la porte, angoissé par ce qu'il va arriver à Thérèse. Je suis sûre qu'elle sera privée de nourriture, tout comme je l'ai été, il y a quelque temps lorsque moi aussi, je n'étais pas arrivée à temps pour le dîner.

— Madame Morvan ! Vous pouvez venir, s'il vous plaît ? ordonne la sorcière de l'étage au bout de quelques minutes.

L'incompréhension mélangée à l'inquiétude se lit sur le visage de la surveillante des garçons, sans attendre elle sort en courant de la pièce pour la rejoindre, suivis de peu par la plus jeune chargée des bébés.

Alors que mes camarades, dans l'incompréhension, se font des messes basses sur la situation inhabituelle, mon cœur à comme accéléré. Je suis sûre que cela concerne Thérèse, il a dû se passer quelque chose, j'en suis persuadé ! Je serre la mâchoire en fixant la porte d'entrée, espérant la voir arriver sans plus de blessures. J'empoigne ma robe de toutes mes forces priant pour que tout aille bien et que si la directrice a appelé les surveillantes, c'est pour une toute autre raison que Thérèse.

Un cri strident d'horreurs venant de dehors interrompt mes pensées. Celui de la jeune surveillante en charge des bébés. Un silence de mort s'abat alors sur la pièce. Mes yeux deviennent aussi ronds que des billes, ma respiration s'accélère de manière frénétique, mes doigts se referment davantage sur ma robe, fixant toujours la porte d'entrée priant de toutes mes forces qu'il n'est rien arrivé à Thérèse.

Aussitôt, tous les adultes présents sortent en même temps du réfectoire, en nous ordonnant de ne pas bouger.

Peu après, un second cri retentit. Ne contrôlant plus mon corps, je me lève d'un bond, sachant au plus profonds de moi que quelque chose de grave est arrivé à Thérèse.

— Élia, qu'est-ce que tu fais ? chuchote Hortense à côté de moi en me tirant le bras pour me forcer à m'asseoir.

— Thérèse, murmuré-je, ne pouvant prononcer un autre mot.

— Je suis sûre que ça va, t'inquiète pas, mais assoie toi, tout le monde te regarde.

Je la regarde horrifiée. Non, elle ne comprend pas, je suis sûre que quelque chose de terrible est arrivé !

En entendant quelques enfants se lever et courir vers la porte poussée par leurs curiosités, je donne un coup sec avec mon bras pour faire lâcher Hortense et les suis dehors.

Nous sommes une vingtaine à avoir osé désobéir. Alors que notre petit groupe contourne le bâtiment, nous sommes arrêtés par la cuisinière, une surveillante et Annie qui nous barre le passage en nous ordonnant de rentrer.

— N'y allez pas les enfants, s'il vous plaît, supplie Annie en voyant notre refus d'obéir.

En croisant son regard, je vois qu'il est rouge et débordant de larme.

Thérèse...

Me faufilant le long du mur en pierre, j'arrive à passer la barrière des adultes et à contourner le bâtiment sans être vue. Je m'arrête net en découvrant derrière le jardinier, Thérèse, allonger sur le ventre, le visage pâle, les yeux grand ouvert et ses longs cheveux roux baignant dans une flaque de sang.

Devant cette scène d'horreur, mon cœur s'arrête, mon sang se glace et mes muscles se figent. Je n'arrive plus à bouger, à parler ou même à respirer. J'ai envie de fermer les yeux pour effacer cette image de ma tête, mais ils refusent de m'obéir.

Ce n'est pas possible. Elle va bien, j'en suis sûre. Elle a dû tomber et Annie va la soigner, comme toujours. Elle va la guérir, comme elle nous guérit tout le temps. Elle va bien. Elle va bien.

Soudain, je sens quelqu'un m'attraper le bras et me tirer vers le bâtiment. En passant à côté de moi, une personne me bouscule, me faisant sortir de ma torpeur. Je secoue la tête et cligne plusieurs fois des yeux pour reprendre les esprits. En face de moi, plusieurs enfants entourent Annie qui essaye tant bien que mal de les rassurer tout en contenant ses propres larmes.

Lorsque plusieurs claquements de mains retentir, tous les mondes s'arrête de parler. En me retournant, je découvre la directrice accompagnée par Madame Morvan, tous deux montrent un visage impassible.

— Retournez à vos places, maintenant ! ordonne la directrice d'un ton glacial.

Nous nous exécutons sans protester. À notre entrée, tous ceux qui étaient restés à leurs places nous dévisagent avec l'envie de savoir ce qu'il se passe. Mais personne ne parle.

Après que nous ayons regagné nos places, la directrice se place sur l'estrade à l'extrémité de la pièce, face à la table des adultes. Elle nous informe brièvement que Thérèse est tombée de la fenêtre du dortoir des filles et a perdu la vie dans un terrible accident. Elle nous demande ensuite d'oublier cette tragédie et de nous hâter pour le repas, car cela a retardé les tâches de l'après-midi. Après avoir exigé le silence sous peine de punition, elle s'en va avec quelques adultes, laissant les autres nous surveiller.

C'est dans un silence de plombs, que nous nous tournons vers notre assiette qui ne nous donne plus du tout envie.

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