Chapitre 22

Je m'étire tout en réprimant un bâillement du dos de ma main, fatiguée par toutes ces corvées qui n'en finissent pas. Je pousse un long soupir en attrapant les hanses de la lourde panière en osier débordante de linge sale devant moi, et me dirige vers le fond de la cour arrière pour le donner aux groupes de filles qui le laveront.

J'avance péniblement jusqu'à mon but en rêvant d'un monde où les corvées n'existent pas. Ce serait tellement merveilleux si on avait plus besoin de travailler, si nous pouvions juste nous reposer et jouer toute la journée... Mais avec la taille de l'orphelinat et le nombre de personnes qui y vivent, c'est impossible, chaque jour qui passe il y a une montagne de linges à laver, de la poussière à nettoyer et des choses à ranger.

Je m'arrête à bout de forces et pose la panière par terre pour secouer mes bras douloureux et reprendre mon souffle. J'essuie mes mains rouge vif et moites de sueur sur ma robe avant de souffler dessus pour apaiser la brûlure procurée par la corde des poignées qui me lacère les paumes. Le panier est plus lourd que moi, je pensais que je pourrais la prendre seule, mais je ne suis pas assez forte. Ce n'est que la cinquième que je transporte et je n'en peux déjà plus. J'ai l'impression qu'on est en train de me frapper dans la tête, j'ai tellement sommeil...

Mais je n'ai pas le droit d'arrêter, si je ne le fais pas, je serais punie et tout mon groupe sera privé de nourriture. J'essuie péniblement la sueur sur mon front en gonflant mes poumons d'air pour me donner du courage. En me penchant vers la bassine, j'ai l'impression de tanguer, ma vision se trouble et mon ventre me fait mal à cause de la faim. Sentant que mes jambes me lâchent, je m'agenouille et ferme fortement les yeux pour reprendre mes esprits.

— Aller du nerf, Élia ! rit une voix moqueuse que je reconnais que trop bien.

Je relève la tête et voix Gaétan marcher vers moi, suivie de près par Julien tenant deux râteaux dans ses mains. Lorsqu'il voit mon visage son sourire s'efface.

— Ça va pas, Élia ? demande-t-il en fronçant le sourcil l'air inquiet.

Je hoche la tête lentement.

— Si si, je suis juste fatiguée, c'est un peu lourd...

Sans dire un mot, il attrape le panier de linge et le soulève en se reculant.

— Eh ! m'écrié-je surprise. Mais qu'est-ce que tu fais ?

— Bah, je t'aide, dit-il en haussant les épaules comme si ma question était idiote. On dirait que tu vas tomber dans les pommes !

— C'est vrai que tu as l'air fatiguée, enchaîne Julien en m'attrapant sous l'aisselle pour m'aider à me mettre debout avant de frapper ma robe pour enlever la poussière, on peut t'aider un peu si tu veux.

Leurs gentillesses me surprends, et me touchent beaucoup en même temps. Ils peuvent être tellement pénibles parfois, qu'on en oublie presque qu'ils sont aussi capables de bienveillance. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire du bout des lèvres avant de secouer la tête. Je ne peux pas accepter leurs aides, les autres me traiteraient de faible, comme c'était le cas lorsque Mathilde le faisait.

— C'est gentil, mais je peux le faire seule, dis-je en reprenant le panier des mains de Gaétan. J'ai l'habitude.

Surpris, Gaétan hausse les sourcils d'incompréhension et met quelques secondes à réagir.

En lui arrachant les poignées des mains, je peux voir qu'elles sont encore plus abîmées que les miennes. Malgré les lavages, il a toujours de la terre incrustée dans la peau et dessous les ongles, et elles sont couvertes d'égratignures et de coupures à plusieurs endroits, surtout sous les paumes et les doigts. Mon regard passe sur celles de Julien qui sont dans le même état. Mon cœur se serre en imaginant la douleur qu'ils doivent avoir. Quand ils voient mon regard peiné, il les cache rapidement dans ses poches et dit en souriant :

— Aller ne fait pas ta tête de mule, laisse-nous t'aider.

— Non, réponds-je d'un ton ferme avant d'enchaîner précipitamment pour ne pas lui laisser le temps de répliquer : et puis d'abord, vous n'avez pas du travail vous aussi ?

Gaétan hausse les épaules de manière nonchalante.

— Si, mais on devait juste ratisser la cour pour la rendre propre, mais c'était vite fait, on a déjà fini, comparé aux champs de Monsieur Robert, c'est du pipi de chat !

— Ah bon ? Donc vous avez terminé là ?

Les garçons haussent les épaules.

— Certains de notre groupe sont partis voir Monsieur Jacques pour savoir ce qu'on doit faire d'autre, intervient Julien en montrant d'un signe de tête les quatre garçons entourant le jardinier. Mais j'espère qu'il nous dira qu'on a fini...

— Oh oui, soupir Gaétan d'un air désespéré.

Je ne peux réprimer un petit rire à son air déconfit.

— Oh non, qu'est-ce que j'ai encore fait moi ? se plaint-il soudain en regardant vers l'avant du bâtiment.

Je me retourne et vois que le jardinier est en train de lui faire des signes pour lui dire d'approcher.

— T'inquiète, ce n'est sûrement rien, le rassure son ami.

— Il trouve toujours un truc de toute façon, souffle Gaétan en levant les yeux au ciel, avant de prendre une grande inspiration. Bah, à tout à l'heure, alors, et Élia, c'est moi qui vais porter ton panier, t'as pas le choix ! lance-t-il avec un petit signe de main avant de courir vers le jardinier qui le presse d'aller plus vite.

Alors que Gaétan s'éloigne, Julien se tourne pour reprendre les deux râteaux qu'il avait posés pour m'aider pour me relever.

— Au fait, pourquoi, c'est toi qui portes son râteau ? Vous avez fait un pari et tu as perdu ?

— Pas du tout, réponds Julien en fronçant les sourcils.

— Alors pourquoi ?

Il soupire en regardant son ami parler avec le jardinier.

— Parce qu'il s'est fait mal hier. Il est tombé d'une, il a atterri de tout son poids sur son épaule. On a bien cru qu'il se l'était cassé, il arrivait plus à la bouger et avait très très mal ! Le pire, c'est qu'après ils l'ont obligé à quand même travailler en disant que c'était qu'une fillette, et en plus, ils l'ont battu parce qu'il n'allait pas assez vite.

Les poings de Julien se resserrent fortement sur les manches en bois des râteaux de colère.

— C'est pour ça qu'aujourd'hui, je porte son râteau. Même si ce n'est pas grand-chose, au moins ça le soulage un peu. Je n'en ai rien à faire qu'on pense que je suis son larbin ou son esclave, c'est mon ami et je veux tout faire pour qu'il ait moins mal.

C'est la première fois que je vois Julien aussi sérieux, il me donne des frissons dans le dos. Gaétan et lui sont devenus amis presque dès son arrivée à l'orphelinat et depuis, ils ne se séparent jamais.

— Je n'avais pas du tout remarqué que Gaétan avait mal... murmuré-je en baissant la tête honteuse. Il a porté mon panier comme si de rien était... Pourquoi il a fait ça alors ?

— Parce que tu es notre amie, dit Julien en haussant les épaules, et tu avais l'air vraiment pas bien du tout, c'est normal qu'on t'aide.

— Il aurait dû le dire qu'il avait mal... Je n'aurais pas repris le panier aussi fortement.

— Non. Nous sommes des garçons. On n'a pas le droit de se montrer faible, ni de se plaindre. On doit être comme les hommes au front, ils sont allés se battre fièrement sans jamais avoir peur ni faiblir. Un homme ne pleure pas et ne montre pas qu'il a mal, sinon, c'est un faible.

Il répète presque mot pour mot ce que les adultes leur rabâchent sans cesse. Mais je me retiens bien de lui dire que je trouve ça complètement stupide, en plus ce n'est pas un homme, mais un enfant...

Soudain, Gaétan revient vers nous en courant.

— Eh, vous devez venir, dit-il en arrivant près de nous.

— Quoi ? demande son ami. Et le jardinier, il te voulait quoi ?

— On s'en fiche, rien d'important. Mais là c'est la morue qui a dit que tout le monde devait aller se préparer !

— Pourquoi ?

— Bah y a les messieurs dames, tu sais, ceux qui viennent pour donner de l'argent à la directrice, dit-il haussant les épaules.

— Ah mais oui, soupire Julien, c'est aujourd'hui que les bienfaiteurs viennent. Ils vont encore nous regardez comme des animaux de cirque et nous, on va devoir faire comme si on était content de les voir, génial.

Il lève les yeux aux ciels avant de me faire un signe de tête pour suivre Gaétan jusqu'à la porte principale.

J'avais oublié qu'ils devaient venir aujourd'hui, d'habitude ils viennent en début d'après-midi ou le matin. Je soupire fatigué et ennuyé et leur emboîte le pas avec mon panier à linge. À cause de ça on va prendre du retard dans nos corvées, on n'aura pas fini avant le coucher.

Une fois le linge caché dans un placard, pour éviter que les bienfaiteurs tombent dessus - ça ferait négliger -, je monte avec les autres filles nous habiller.

***

Une fois laver et nos plus belles robes enfiler, nous descendons à l'extérieur, où la directrice et les surveillantes nous attendent près d'une grande table ornée d'une nappe fleurie. Une fois rassemblée, la directrice nous met en garde d'une voix ferme et autoritaire : elle nous rappelle l'importance de nous comporter correctement, nous prévenant que toute désobéissance sera sévèrement sanctionnée et que nous ne devons parler qu'avec sa permission.

Une délicieuse odeur de gâteau flotte dans l'air. Annie arrive les bras chargés d'un grand plateau remplis de petits biscuits qu'elle dépose sur la table. Elle secoue sa robe pour enlever les traces de farine et replace une mèche de cheveux derrière son oreille. C'est la première fois que je la vois aussi belle, ses cheveux ondulés sont détachés et tombent sur ses bras dénudés. À la place de ses vêtements marron de tous les jours et de son vieux tablier, elle porte une robe verte pomme avec des motifs floraux plus foncés et cintré à la taille qui s'arrête en dessous du genou. Elle est magnifique. Elle nous lance un grand sourire en s'approchant des surveillantes pour s'installer à leurs côtés en trépignant d'impatience.

- Annie, que fais-tu ? demande la directrice d'une voix dure.

Surprise, Annie perd son sourire et s'avance mal à l'aise.

- Eh bien, je me disais que je pouvais...

- Non. Ta place est aux cuisines. Tu as du travail.

- Oui, je sais, mais je pensais que pour une fois, je...

- Tu penses mal. Retourne aux cuisines. Maintenant.

Le ton de la directrice est sans appel. Personne ne peut discuter ses ordres. Abattue, Annie acquiesce sans un mot.

- Et retire cette robe.

- Mais c'est...

- J'ai dit : retire la. Elle est trop belle pour toi.

- Mais...

Face au regard sévère de la sorcière, Annie se tait, baisse la tête et rentre précipitamment à l'intérieur, les larmes aux yeux.

Le vrombissement d'un moteur déchire le silence, annonçant l'arrivée imminente des bienfaiteurs. À l'entrée des voitures dans la cour, l'excitation gagne notre groupe. D'un simple regard de la directrice nous ramène au calme.

Pour cette occasion exceptionnelle, même les bébés ont quitté leurs dortoirs pour nous rejoindre dans la cour. Pour la plupart, c'est la première fois depuis leur arrivée qu'ils voient la lumière du jour, pourtant ils n'ont aucune réaction, à part cacher leurs yeux de la lumière. Chaque surveillante tient un bébé dans ses bras, et les autres sont installés dans des poussettes ou assis par terre. Discrètement, une surveillante écrase la main d'un petit garçon qui tentait de mettre des cailloux dans sa bouche. Son regard vide, il lâche les cailloux et se balance d'avant en arrière, à l'instar des autres enfants.

Les hommes descendent en premier des voitures, habillés de costumes sombres élégants, parfaitement ajusté et repassés, assortis à une chemise clair et une cravate nouée. Ils se coiffent d'un chapeau distingué en allant ouvrir la portière aux femmes. Je retiens une exclamation émerveillée en découvrant leurs longues robes ornées de broderie et de fines dentelles, cintrée à la taille et bouffante à partir des hanches. Elles portent de beaux chapeaux fleuris qui leur donnent un air distingué. Elles ressemblent à des princesses. Quand je serais grande j'aimerais m'habiller de la même manière, pas comme les vieilles robes usées des surveillantes ou la robe noir corbeau de la directrice.

La directrice les accueille chaleureusement, les remerciant de leur venue. nous les saluons également, offrant nos plus beaux sourires dans l'espoir d'attirer leur attention. Comme chaque année, les hommes se dirigent vers les garçons tandis que les femmes se tournent vers les plus petits, les prenant dans leurs bras pour les embrasser.

Un bébé est assis dans une poussette ancienne, probablement datant d'avant la guerre, se balance d'avant en arrière, ne semblant même pas remarquer qu'une dame l'embrasse sur la joue, son regard étant vide. Pour beaucoup, c'est la première fois qu'on leur fait un câlin ; ils ne savent pas comment réagir et observent les dames d'un air étrange, tandis que d'autres les serrent de toutes leurs forces.

Je ressens une pointe de jalousie en les voyant ainsi. J'aimerais être de nouveau petite pour qu'elles s'intéressent à moi, juste un instant. La boule au ventre, je me détourne pour aller rejoindre Adeline et Hortance parties s'installer sous un arbre. À ma droite, j'aperçois Thérèse qui ouvre la porte pour rentrer. Un frisson dévale mon dos en revoyant Thérèse sur le rebord de la fenêtre. Je décide de la suivre pour ne pas la laisser seule comme je lui ai promis.

— Thérèse, l'interpellé-je en arrivant à sa hauteur, Où est-ce que tu vas ? Pourquoi tu ne vas pas voir les adultes ? Tu es encore petite toi.

— Je ne peux pas, murmure-t-elle en se triturant une mèche de cheveux roux. Je dois me cacher.

— Pourquoi ? C'est encore Charles qui t'a fait des remarques ? Ou Rénée et ses stupides copines ? Il ne faut pas que tu les écoutes, Thérèse. Ils disent que des mensonges. Je suis sûr qu'ils sont juste jaloux de toi, parce que c'est toi la plus belle et que tous les adultes vont vouloir venir vers toi, et pas eux ! Crois-moi, c'est la vérité, tu es la plus jolie petite fille que je connaisse ! Tu me crois hein ?

Le regard dans le vide et son doigt jouant avec sa mèche bouclée, Thérèse reste silencieuse. Au bout de plusieurs secondes, elle hoche une fois la tête.

À l'écart du groupe, trois femmes discutent et rient en chœur. Les deux plus âgées portent des robes simples en laine marron et gris souris qui leur donne un air froid et sévère. Leurs chapeaux, coiffant leurs cheveux grisonnants, sont tout aussi fades. Cependant, la troisième femme, plus jeune, contraste vivement avec cette morosité. Sa robe en soie vert émeraude, ornée de broderies et de perles scintillantes, flottait au vent comme une princesse. Un petit chapeau cloche assorti, orné de plumes et de rubans, trônait fièrement sur ses cheveux noirs coiffés en chignon.

J'attrape la main de Théerese et l'emmène vers les trois femmes. Si elles rigolent c'est qu'elles sont forcément gentilles, c'est parfait pour Thérèse !

Mon cœur se gonfle de fierté. Grâce à moi Thérèse va recevoir plein de câlins et de bisous. Elle sera heureuse et n'aura plus jamais envie de rejoindre sa maman dans le ciel. Je suis une bonne grande sœur pour elle, Mathilde serait fière de moi !

Lorsqu'on arrive à leurs hauteurs, je fais un signe de tête à Thérèse pour qu'elle sourie et prends une grande inspiration pour me présenter. Mais avant que je n'ai eu le temps de dire un mot, la plus jeune de femme s'exclame :

— Regardez-moi ça ! Une petite rouquine ! On dirait qu'un feu de cheminée a pris vie et s'est niché sur sa tête !

Elle posa une main gantée sur ses lèvres, étouffant un rire méprisant. Sa voix aussi douce que le velours, mais tranchante comme un rasoir. Thérèse se fige. Son sourire disparaît et ses yeux s'humidifient. Les autres femmes, se laissant entraîner par cette moquerie, dissimulèrent également leurs rires derrière des éventails et des mains gantées.

— On dirait une carotte ambulante, ricane la vieille femme.

— Peut-être que cela explique pourquoi elle est ici, ajoute la femme plus jeune, sa voix suintant de condescendance. Avec de tels cheveux, qui voudraient d'elle ?

Thérèse me serre plus fort la main à m'en faire mal. Elle me jette un regard désemparé. Je sais que je dois agir. Si quelqu'un avait osé m'insulter devant Mathilde, elle l'aurait attaqué, même si elle risquait une punition. C'est mon rôle maintenant de défendre Thérèse. Pourtant ma bouche reste sellée. Être punie me terrifie. Soudain, Thérèse s'enfuit en courant sous les rires moqueurs des trois femmes derrière moi. Je m'apprête à la rattraper, mais une main m'attire en arrière par l'épaule et me colle contre sa poitrine.

- Oh tu as de beaux cheveux toi par contre. J'aime beaucoup ces boucles, c'est naturel ?

Sa voix semble étouffer à mes oreilles, tout ce que je vois c'est mon amie en pleurs disparaître à l'intérieur du bâtiment à cause de ces femmes. Je serre les poings alors qu'une chaleur brûlante monte en moi, comme un feu dévorant qui prenait naissance dans ma poitrine pour se répandre dans tout mon corps. Elles ont blessé Thérèse, alors que je lui avais promis le contraire. Ces femmes sont des sorcières !

Soudain, une douleur vive à la joue me tire de mes pensées. La femme, avec un sourire cruel, me pince pour attirer mon attention.

— Réponds-moi, petite impertinente ! Que fais-tu pour avoir ces cheveux ?

Les larmes me montent aux yeux, mais je refuse de lui donner la satisfaction de pleurer. La brûlure sur ma joue intensifie ma colère. Je plante mes yeux dans les siens.

- Rien. Ils ont toujours été comme ça.

Elle me dévisage plusieurs secondes sans dire un mot. Pendant un instant, j'ai cru qu'elle allait me frapper, mais son regard passe de la colère à la consternation et elle s'exclame :

- Ah, quelle ironie du sort ! Cela fait des années que je tente en vain d'obtenir de belles boucles pour mes filles, et voilà qu'une simple orpheline en possède naturellement. Ce sont toujours les filles de bonne famille qui doivent endurer de telles contrariétés !

- Oh, je ne vous le fais pas dire !

Elle commence à me caresser les cheveux en discutant avec ses amies de ces pauvres qui ont tout et de ces pauvres riches qui n'ont rien. Mais bon, vu que ce sont de grandes dames, elles endurent sans se plaindre alors que ces autres mécréants passent leurs temps à geindre et à demander plus !

Elle tire sur mes mèches et emmêle mes boucles autour de ses doigts. J'ai l'impression d'être un chien. Je rêve de m'enfuir loin de ses vipères, mais à la moindre contrariété elles pourraient me dénoncer à la directrice et je finirais la semaine aux cachots. Humilier, je baisse la tête et compte les secondes jusqu'au moment ou je pourrais retrouver Thérèse.

— Très chère, intervient une des vieilles femmes, je vous conseille de la lâcher, regardez.

Elle désigne d'un mouvement de tête dégoûté Gaëtan, qui se gratte la tête un peu plus loin. Avec une exclamation de dégoût, elle me repousse. Une fois libérée, je cours retrouver Thérèse.

Dans l'ancien dortoir des filles, Thérèse serre Mésia contre elle. Ses épaules tremblent encore de ses sanglots silencieux. Je m'agenouille doucement à côté d'elle et la prends délicatement dans mes bras.

- Ça va aller, Thérèse, murmuré-je en caressant ses cheveux. Ne les laisse pas te blesser. Tu es belle, et tes cheveux sont magnifiques.

Thérèse renifle et se blottit contre moi, cherchant du réconfort.

— Je suis désolée, je n'aurais pas dû t'emmener les voir et j'aurais dû prendre ta défense tout à l'heure... J'ai tout fait de travers... Je suis vraiment désolée...

De sa petite main, Thérèse essuie une larme qui coule le long de mon visage et caresse ma joue en murmurant d'une voix à peine audible :

— C'est pas ta faute, j'ai l'habitude, c'est rien...

— Mais tu me crois hein ? Quand je te dis qu'elles mentent ? Parce que c'est la vérité, tu es la plus jolie ici. Il faut que tu me croies Thérèse, d'accord ?

Thérèse baisse la tête caresse les cheveux de Mésia pendant un long moment sans rien dire. Je me mords la joue en redoutant sa réponse. J'espère que j'ai réussi à la convaincre.

— En fait, chuchote-t-elle, je suis comme cette poupée. Si elle avait des vêtements elle serait belle, et moi si j'avais des cheveux noirs je serais belle aussi. Il nous manque toutes les deux quelque chose pour être jolie...

— Oui, mais tu me crois Thérèse quand je te dis que tu es jolie, hein ? Parce que je le pense vraiment. Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer, récité-je en faisant un signe de croix sur ma poitrine avant de lever ma main droite. Tu vois je ne mens pas, alors tu me crois ?

Le regard vide et rougit par les larmes, Thérèse me fixe en silence avant d'hocher lentement la tête.

— Oui, Élia, je te crois. Je suis belle.

Un grand sourire illumine mon visage. Je la serre fort dans mes bras avant de l'embrasser sur la joue.

— Je savais que tu comprendrais ! Tu n'es plus triste maintenant pas vrai ?

Elle hoche la tête et esquisse un petit sourire au coin des lèvres.

— On va rejoindre les autres maintenant ? Tu peux venir avec nous, Adeline et Hortense seront contentes que tu sois là !

— Non, je veux rester avec Mésia un peu...

— D'accord, alors tu viendras nous rejoindre plus tard, d'accord ?

Elle hoche la tête en serrant ange contre elle.

Je l'embrasse sur le front avant de me relever. En sortant du bâtiment, je rejoins Adeline et Hortense qui discutent sous un arbre, évitant soigneusement les trois femmes qui bavardent toujours dans la cour.

En marchant vers mes amies, une fierté douce et chaleureuse m'envahit. Je me sens légère, chaque pas me donne l'impression de flotter. J'ai envie de crier et de courir, submergée par une vague de bonheur. J'ai réconforté Thérèse malgré la cruauté de ces femmes. Elle n'a pas perdu confiance en elle, grâce à moi ! C'est moi qui l'ai réconfortée toute seule ! Mathilde peut être fière de moi, j'ai été une véritable grande sœur pour Thérèse !

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