Chapitre 2
Sans un bruit, nous glissons hors du dortoir. Une fois dans le couloir, Mathilde me prend la main et nous longeons les murs sur la pointe des pieds. Mon cœur tape fort dans ma poitrine, à la fois terrifiée et excitée. Sentant ma nervosité, Mathilde se retourne pour me regarder avec un regard doux qui veut dire "ça va ? Ne t'inquiète pas, je suis là." Envoûtée par ses yeux bleus brillant avec la lumière de la lune, mon cœur arrête sa course folle et mon angoisse s'envole. Je sais qu'avec elle, je ne risque rien. Voulant lui prouver, ainsi qu'à moi-même, que je peux me montrer courageuse et forte, je prends une grande inspiration avant d'expirer lentement en prenant les devants.
Lorsque nous arrivons au haut des escaliers, la peur me submerge, j'ai l'impression d'être cerné par le danger. En haut se trouvent les chambres de surveillantes, à gauche celles des garçons, à droite celles des filles et en bas, dans les ténèbres, l'antre de la sorcière. Mon cœur se met à battre la chamade, mes jambes vacillent, je serre de toutes mes forces ma chemise de nuit, incapable de bouger. Soudain, je sens les mains de Mathilde se poser sur mes joues et me forcer à tourner la tête afin que je la regarde dans les yeux.
— N'aie pas peur, murmure-t-elle d'une voix rassurante, je suis là. Tout le monde dort, personne ne saura, je te le promets.
Les yeux écarquillés de terreur, je la fixe tout en essayant de calmer ma respiration saccadée.
— Je suis là, p'tite sœur, t'en fais pas, d'accord ? Mais si vraiment, tu as trop peur, je te raccompagne jusqu'au dortoir et j'irais seule, ça me pose pas de problème, je te jure.
Je secoue la tête en avalant difficilement ma salive et essaye d'articuler :
— N-non, ç-ça va... Je-je peux le faire.
Je prends une grande inspiration avant de la suivre dans les escaliers. À tâtons nous les descendons, nous figeant à chaque grincement du bois. Une fois en bas, Mathilde m'attrape la main en fixant le couloir sombre menant aux appartements de la directrice, prête à faire demi-tour si la sorcière apparaissait. Au bout de quelques secondes, ou il seul le tic-tac de l'horloge vient briser le silence pesant, Mathilde m'entraîne jusqu'au réfectoire que nous traversons en courant sur la pointe des pieds, ainsi que la petite pièce adjacente menant au sous-sol. Au moment où Mathilde ouvre lentement la porte pour descendre jusqu'à la cuisine, mon cœur bat aussi vite que les battements d'ailes d'un colibri, mes mains sont moites et mes jambes tremblent comme des feuilles au milieu d'une violente tempête. J'ai envie de pleurer et de rire en même temps, c'est assez étrange.
Main dans la main, nous longeons le mur dans le noir complet, j'essaie de me concentrer uniquement sur mes pieds pour ne pas louper une marche et laisse Mathilde me guider dans les ténèbres. Nous trouvons très vite la cuisine qui est la première pièce à droite en bas des escaliers.
Lentement, Mathilde ouvre la porte et s'y engouffre. Je la suis d'un pas hésitant. En me voyant, elle me prend par la main, m'emmène jusqu'au milieu de la pièce et me soulève pour m'asseoir sur la table en bois. Elle me sourit avant de se retourner et de courir vers la petite pièce du fond.
Lorsqu'elle sort de la réserve, elle a les bras chargés de nourriture. Mes yeux s'écarquillent de gourmandise quand elle pose sur la table, les tomates, concombre et carottes qu'elle portait. Elle prend aussi deux gros pains sur un meuble près du four et m'en donne un. Regardant avec envie sa croûte brune/oranger, je le sers entre les doigts. Au doux son du crépitement du pain, mon cœur se remplit d'une joie intense. Je ne sais plus la dernière fois où j'en ai mangé du frais... Sans plus attendre, je croque dedans me laissant envahir par son odeur délicieuse.
Soudain, Mathilde éclate de rire à côté de moi. Me rendant compte que je venais de gémir de bonheur, je rougis.
— Tu vois, Élia, c'est ça, le vrai goût de la nourriture ! C'est tellement meilleur que cette bouillie qu'on nous sert !
— C'est vrai, pouffé-je avant de prendre un autre morceau. Il faudrait en ramener aux filles.
Mathilde s'arrête de manger et hausse un sourcil.
— Ça va se voir si on prend de la nourriture pour cinquante personnes.
— Non, mais je veux dire Adeline et Hortense.
Mathilde roule des yeux en prenant une tomate pour la manger.
— Et pourquoi ?
— Bah, ce sont nos amies et elles doivent avoir faim, elles aussi.
Ma sœur soupire exaspérée avant de prendre une carotte.
— Ce sont tes amis, pas les miennes d'abord. Et si elles veulent manger elles ont qu'à se débrouiller toutes seules, je suis pas la marchande de fruits, moi.
— Mais c'est égoïste...
— Non, c'est toi qui es trop gentille. Hors de question que je me fasse punir à cause d'elles si on se fait prendre.
— Tu le fais bien pour moi d'habitude.
— Parce que tu es ma sœur, pas elles. Et elles le feraient pas pour nous !
— Et bien moi, je vais le faire.
Mathilde me dévisage en haussant un sourcil avant de soupirer.
— Bon d'accord, je leur en prendrai aussi, mais juste parce que c'est toi qui l'as demandé.
Je rigole et l'embrasse sur la joue en la remerciant. Je savais qu'elle le ferait, elle cède toujours quand c'est moi qui lui demande.
Alors que je commence à manger un concombre. Mathilde saute devant moi en tenant une longue carotte tordue contre son nez. Droite comme un piquet, elle fronce le nez et les sourcils en me dévisageant les yeux mis clos, le menton légèrement relevé.
— Que vois-je ? s'exclame-t-elle d'une voix grinçante et nasillarde. Qui t'as autorisé à prendre ce concombre, petite effrontée ?
D'abord surprise, j'éclate de rire en comprenant qui elle imite.
— Silence, crie mon amie en tapant sur la table. Silence, silence, silence ! Je veux du si-len-ce, j'ai dit. Si j'entends le moindre bruit, vous irez dans mon chaudron. Je vais faire un ragoût d'enfant !
Je gémis en grimaçant de dégoût.
— C'est pourtant délicieux des petits enfants ! Avec un peu d'ail, c'est un régal !
Je manque de m'étouffer à force de rire. Prise d'une quinte de toux, je laisse tomber, sans faire exprès, la tomate que je venais de prendre et qui s'explose au sol. Nous fixons toutes les deux le cadavre de ce légume éparpillé par terre, avant de se regarder béat. Après quelques secondes d'hésitation, nous explosons dans un fou rire incontrôlé. J'ai l'impression d'être libérée d'un poids, comme si je vivais pour la première fois depuis des mois !
Au bout d'un moment, Mathilde reprend son sérieux en s'éclaircissant la voix.
— Et tu oses, commence-t-elle avant de pouffer de nouveau de rire en se tenant le ventre. Et tu oses, reprend-elle en toussant pour prendre une voix dure. Et tu oses gaspiller de la nourriture en plus de ça ? Mais qui a donc élevé une maladroite comme toi ?
— Bah vous !
Mathilde fait de gros yeux ronds et réprime un sourire, avant de s'écrouler au sol dramatiquement en mettant sa main sur son front.
— C'est vrai ! Je suis une horrible sorcière mauvaise, c'est moi l'idiote, la misérable, la crevure ! Ah, je suis si nul ! Pardonne-moi, ma douce enfant, supplie-t-elle en m'attrapant les jambes. Tu es tellement meilleur que moi ! Je suis si-
— Je peux vous aider ?
Un frisson d'effroi parcourt mon corps en reconnaissant cette voix grinçante. Avec une extrême lenteur, la bouche sèche et la nuque raide, je tourne la tête vers elle, priant pour avoir rêvé.
Mon sang se glace en même temps que ma respiration se coupe lorsque je découvre la sorcière, plus terrifiante que jamais, sur le pas de la porte, vêtue de sa chemise de nuit et ses longs cheveux en désordre. Droite comme un piquet, elle nous scrute de ses petits yeux cernés par la fatigue dans un silence pesant. Son expression froide et stricte me fait frémir. Mon cœur tambourine dans ma poitrine à m'en faire mal, mes jambes sont sur le point de lâcher et mes yeux écarquiller commencent à me brûler. Dans un mouvement involontaire, je recule jusqu'à me retrouver près de Mathilde. De manière protectrice, ma sœur se positionne instinctivement devant moi, les sourcils froncés et les poings serrés.
— Mathilde, commence la sorcière d'une voix effrayante, évidemment et... Élia ? Eh bien, ta punition de ce soir ne t'a pas suffi à ce que je vois... Il va donc falloir en trouver une plus appropriée.
Des larmes de terreur coulent le long de mes joues. Je me presse contre ma sœur qui s'empresse d'attraper ma main pour me rassurer. Tout en caressant mes doigts de son pouce, elle regarde la directrice dans les yeux, la tête haute, montrant qu'elle n'a pas peur.
La sorcière focalise son attention sur mon amie, la fixant de son regard de vipère, elle cherche à la faire céder. Mathilde, quant à elle, est bien décidée à ne pas lui faire ce plaisir. C'est un vrai combat de regards qui se déroule, l'atmosphère devient pesante et irrespirable. Aucune ne semble renoncer. Je retiens mon souffle espérant que tout ceci se termine vite.
Après une minute de lutte, je sens que la directrice perd patience, toujours en fixant mon amie, elle se rapproche d'elle la mâchoire carrée, les jointures de ses mains deviennent blanches et son expression plus dure et menaçant encore. Ayant peur des conséquences pour ma sœur, je lui serre la main pour la faire renoncer. Cette dernière pousse un râle exaspéré, mais baisse les yeux, résignés.
Satisfaite, la directrice s'arrête avec un sourire victorieux sur les lèvres.
— Bien, retournez dans vos chambres, maintenant. Et je vous attends demain, à la première heure, dans mon bureau, claque-t-elle avant de partir de la pièce.
Une fois Madame Métivier loin, nous restons là, seules. Après quelques minutes sans bouger, je m'éloigne de Mathilde, mais mes jambes, ne pouvant plus me soutenir, lâchent sous moi et je m'écroule au sol en larmes et terrifiée. Mathilde s'agenouille à côté de moi et me prend dans ses bras.
— Je... Je suis désolée, Élia. Je n'aurais pas dû t'emmener... C'est de ma faute...
— Non... Non ce-ce n'est pas de ta-ta faute... begayé-je entre deux sanglots. Je... C'est moi qui ai voulu...
— Je suis ta grande sœur, je suis censée te protéger, dit-elle en prenant ma tête entre ses mains, mais au lieu de ça, je t'ai mise en danger... elle me serre encore plus fort en frottant mon dos doucement pour me calmer. Viens, il vaut mieux aller dormir maintenant...
Je hoche la tête et me relève avec son aide. Serrées l'une contre l'autre, remontons jusqu'au dortoir dans un silence de mort. Avant de rentrer dans la chambre, je me force à arrêter les quelques sanglots qui se bloquent dans ma gorge pour ne pas réveiller les autres. Mathilde essuie avec son pouce une larme qui coule le long de ma joue et me sourit avant de m'emmener vers mon lit dur et froid comme de la pierre. En m'allongeant, mon regard se pose sur la lune, belle et majestueuse, elle ne s'arrête jamais de nous éclairer de sa lumière bleuter. Peu importe ce qui arrive, elle est continue de briller dans le ciel noir. Ça doit être merveilleux de vivre dessus, pas d'orphelinat, pas de sorcière, pas de punition... pas de guerre... Sur une chose aussi belle, on doit forcément être heureux. Mathilde, des parents et une maison c'est tout ce qu'il faut...
Mon cœur se serre lorsque la voix de la sorcière résonne dans ma tête, répétant le mot "punition". Je ferme les yeux et colle mes mains sur les oreilles, mais la voix continue inlassablement. Des larmes coulent le long de mes joues pour s'écraser contre mon oreiller. Je regrette d'y être allée. Je regrette tellement... En m'entendant renifler, Mathilde vient se glisser dans mon lit. De ses doigts chauds elle vient essuyer l'eau sur mon visage, avant de me serrer dans ses bras pour me consoler.
— N'aie pas peur, petite sœur, chuchote-t-elle, je ne laisserais pas la sorcière te faire du mal, je te protégerai, je te le promets.
D'une main douce et rassurante, elle me caresse le visage, enlevant au passage les quelques larmes restantes sur mes joues.
— Ne pleure plus, personne ne te fera jamais de mal, fais-moi confiance.
Blottie contre elle, nos têtes collées l'une contre l'autre, ma respiration ralentit et mon corps se détend. Ma paillasse froide et dure semble s'être transformée en un lit moelleux et doux. Au milieu de la chaleur de ses bras, je me sens en sécurité, comme si rien de mal ne peut m'arriver. Lentement, rassurée et confiante, je me laisse glisser dans le sommeil.
***
Le lendemain matin, dès que nous avons fini de nous habiller, nous sommes allées attendre devant le bureau de la directrice, pendant que les autres sont descendus prendre leurs petits-déjeuners. Cela fait bientôt quatre heures que nous sommes là, à patienter, alors que nos camarades sont en classe. Quelques enfants travaillant aux cuisines sont passés devant nous sans oser nous adresser un regard. Je frotte nerveusement les joints du carrelage avec les doigts, redoutant le moment où cette porte s'ouvrira enfin. J'essaye tant bien que mal de bloquer toutes les pensées horribles qui m'envahissent, en vain. En imaginant toutes les punitions que cette sorcière peut inventer, je sens la boule dans mon ventre grossir et me faire de plus en plus mal. J'ai beau fermer les yeux pour m'évader autre part, tout me ramène toujours devant cette pièce et à ses démons.
Pour tenter de calmer ma respiration frénétique, je jette un œil vers Mathilde qui s'est assoupie sur mon épaule. La voir ainsi dormir paisiblement alors que moi je me liquéfie sur place, me fait sourire. Je ne comprends pas comment elle arrive à rêver dans une telle situation, on dirait que rien ne lui fait peur... Soudain, je sens Mathilde remuer et se relever en bâillant bruyamment. Elle se tourne vers moi en souriant avant de froncer les sourcils en voyant ma mine déconfite.
— N'aie pas peur comme ça, p'tite sœur, je la laisserais pas te toucher, je te le promets.
— Mais là, on n’a pas juste parler trop fort ou oublié de dire bonjour, m'écrié-je d'une voix tremblante. On est sorties du dortoir la nuit pour aller voler de la nourriture, c'est grave !
— Mais ça ne change rien ! Même si je dois avoir cent coups de fouet ou passer dix ans aux cachots, je le ferai !
— Mais je ne veux pas que tu souffres...
— Eh... murmure-t-elle en pinçant mon menton pour le relever, t'as pas t'inquiéter pour moi. Je suis ta grande sœur, je dois te protéger. En plus, tout est de ma faute... J'aurais dû t'obliger à rester...
— N-
— Comme c'est touchant.
Cette voix grinçante et dénuée de sentiment que je ne connais que trop bien me fait sursauter. Mon sang se glace d'effroi, mon cœur s'emballe et mon corps tremble de façon incontrôlable. Au pas de la porte, la sorcière nous toise du regard, l'air sévère.
— Debout.
Nous exécutons son ordre dans la seconde qui suit, et la suivons à l'intérieur de la pièce. Je serre la main de Mathilde, essayant d'oublier la peur qui me lacère les entrailles et mes jambes prêtes à céder à chaque pas.
Assise derrière son bureau, la sorcière nous dévisage pendant de longues secondes sans bouger, avant d'enfin s'éclaircir la gorge et de commencer d'une voix grinçante et dénuée de sentiment :
— Bien. Qu'avez-vous à dire par rapport à cette nuit ?
Avant qu'on ne puisse répondre, elle enchaîne d'une voix grave.
— Ah, qu'est-ce que je vais faire de vous ? Je me saigne aux quatre veines pour vous nourrir tous les jours que Dieu fait... Je vous habille, vous soigne et vous donne un toit sur la tête. Et c'est comme ça que vous remerciez ? En volant ! Pensez-vous que vous auriez survécu à la guerre si je n'avais pas été là pour vous protéger ? Sans moi vous seriez morte à l'heure qu'il est, je vous ai sauvé la vie alors que vous ne le méritiez pas ! Personne ne se serait soucié de misérable vermine comme vous, pourtant, je l'ai fait, alors que j'avais déjà tant d'enfants à m'occuper !
Je sens mes yeux me brûler et mes jambes flancher, je baisse davantage la tête, honteuse de ce que j'ai fait. Elle a raison, elle nous a sauvé la vie... Et moi... Je l'ai volé...
— Rends-toi compte, Mathilde, continue-t-elle en se relevant pour contourner son bureau, je t'ai trouvée dans les décombres de ta maison. Elle avait été entièrement détruite avec ta famille à l'intérieur et je ne sais pas quel miracle, toi, tu as survécu. Et alors que tout le monde voulait te laisser à ton sort, moi, j'ai bravé les dangers pour te sortir de là et te recueillir ! Penses-tu que tu aurais survécu longtemps sans moi ?
Étudiant la réaction de Mathilde, un léger sourire narquois dessiné sur le coin des lèvres, la sorcière s'approche pour la toiser du regard attendant une réaction. Mais ma sœur reste muette, la tête haute et les poings serrer de colère. Voyant ça, la directrice fronce les sourcils, lève sa main et la gifle avant de vociférer :
— Eh bien ! J'attends ! Penses-tu que tu aurais survécu longtemps sans moi ?
La main sur sa joue rougit et la respiration sourde et saccadée, Mathilde finit par secouer la tête. Satisfaite, la directrice se recule avec un sourire victorieux sur le visage avant de se tourner vers moi. Lorsque mon regard croise ses petits yeux de vipère, je suis comme tétanisée par la peur, ma respiration se coupe, mon cœur bat à tout rompre et mes membres tremblent comme des feuilles dans une tempête.
— Et quant à toi, Élia, continue-t-elle durement, je t'ai trouvée au pied de la grille de l'orphelinat, au début de la guerre ! Enveloppée d'une malheureuse couverture en laine, tu étais encore couverte de sang et de sécrétion séchée. Penses-tu que tu serais vivante aujourd'hui si je ne t'avais pas recueillie ?
Alors qu'une goutte d'eau salée dévale le long de ma joue, je secoue la tête avant de regarder mes pieds pour cacher mes larmes. J'ai l'impression d'être poignardée en plein cœur. Je n'ai aucun souvenir de cette Grande Guerre qui a emporté mes parents. Je sais qu'elle a duré quatre longues années de 1914 à 1918, et que pendant ces années de ténèbres, entre les feux ennemis, la famine et la maladie, beaucoup ont succombé, dont mes parents, j'imagine. Mais je suis fière de mon papa et ma maman, qui malgré tout l'amour qu'ils avaient pour moi, ont dû se résigner à me laisser là en pensant sûrement que je serais plus heureuse...
— Bien, conclut-elle d'une voix forte me coupant dans mes songes, maintenant que toutes claires, j'exige de la reconnaissance pour tous les sacrifices que j'ai enduré pour vous.
Après nous avoir dévisagées quelques secondes, elle nous fait dos pour se diriger vers l'imposante armoire au fond de la pièce.
— Mais ce qui m'énerve le plus, c'est que je vais devoir vous punir... Je n'avais pas prévu de perdre mon temps avec ça, aujourd'hui, marmonne la sorcière d'une voix sèche.
Alors qu'elle s'apprête à contourner son bureau, Mathilde se met devant moi en grondant la mâchoire serrée :
— Je vous interdis de punir Élia !
Choquée, la directrice se retourne les yeux ronds, la mâchoire carrée et le visage tiré par la colère. D'un pas lent et terrifiant, elle se rapproche de nous, droit comme un pic, les veines de ses mains ressortant en peu plus quand elle les sert entre elles.
— Excuse-moi ? murmure-t-elle d'une voix glaciale.
— Je vous interdis de-
La main de la directrice s'abat brutalement sur la joue déjà douloureuse de Mathilde. Je sursaute en me rapprochant d'elle, à la fois terrifiée et inquiète pour ma sœur. Cette dernière chancelle mais reprends très vite pied et continue de défier la sorcière d'un regard noir et les poings serrés.
— Baisse les yeux, ordonne la sorcière. De quel droit oses-tu me parler sur ce ton ? Je... un sourire se dessine au coin de ses lèvres lorsque son regard tombe sur moi, elle continue d'une voix terrifiante : Je ne sais pas ce que tu as tenté de faire avec ta petite rébellion, mais tu viens d'empirer votre cas à toute les deux.
En entendant ça, le visage de Mathilde change, se rendant soudain compte que la défier me mettait plus en danger quelque chose. Jetant un coup d'œil vers moi, elle me fait un léger sourire pour me rassurer avant de se retourner. Elle prend une grande inspiration pour prendre sur elle et supplier :
— Pitié, Madame, punissez-moi, mais pas Élia ! Elle n’a rien fait, c'est moi qui l'ai forcé ! Elle ne voulait pas, je vous le jure, ne la punissez pas !
Voyant aucune réaction de la part de la sorcière, Mathilde continue :
— Où punissez-moi pour nous deux ! Donnez-moi aussi sa punition ! Ou même trois, quatre, cinq ! Autant que vous voulez ! Enfermez-moi au cachot un an si vous voulez, mais faite pas de mal à Élia, elle n'a rien fait de mal ! Pitié !
La directrice me dévisage de longues secondes sans un mot, j'aimerais crier et dire de ne pas l'écouter, mais je n'y arrive pas, aucun son ne sort de ma bouche.
— Si tu te tiens tranquille, c'est d'accord, dit soudain la sorcière en se dirigeant vers l'armoire.
Mathilde me prend aussitôt dans ses bras et me caresse doucement le dos pour me rassurer. Elle me murmure à l'oreille, mais je ne l'entends pas, je suis fixée sur la sorcière qui ouvre l'armoire en bois et en sort quelque chose. Nerveusement, je lève la tête pour mieux l'observer. Mes yeux s'écarquillent telles des billes bien rondes, ma respiration s'accélère, quand je la découvre avec une longue canne en bois souple.
Oh non...
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