Voyage, voyage...


PdV Angell

Le froid mordant gerçait les lèvres rouges et asséchait la peau bronzée de la jeune fille.

"Gabriel ! Tu es sûr que c'est par là ?" Cria-t-elle à travers le vent qui hurlait.

La voix de l'Archange retentit alors dans sa tête, amusée.

"Tu peux me parler par pensées, tu sais. Ce n'est pas réservé uniquement aux Divinités..."

Angell roula des yeux et soupira d'un air fatigué. Gabriel aurait pû être un peu plus réconfortant.

Cela faisait une heure maintenant qu'ils survolaient le Monde, à une altitude de plus de deux kilomètres, et bien que ce ne sois que son âme qui voyage, Angell commençait sérieusement à avoir froid.

Ses bras, plus résistant que la norme grâce à Celle dont elle était la Gardienne tenaient encore le coup, pourtant elle pouvait prévoir que d'ici deux à trois heures, ils seraient tellement engourdis qu'elle aurait du mal à pouvoir ne serait-ce que contracter un muscle des membres...

Car bien que ce soit son âme qui voyage, elle ressentait la douleur et les sensations en général comme s'ils étaient réels, en fonction de l'endroit où elle se trouvait - elle avait chaud aux Antilles et froid au Népal, par exemple. Ce qui était bien pratique, dans la mesure où l'on pouvait s'attaquer à son âme pour la détruire en particulier lorsqu'elle était détachée de son enveloppe corporelle...

Alors mieux valait-il que l'on s'aperçoive de quelque chose lorsque quelqu'un (ou quelque chose...) menaçait notre âme !

Mais Angell ressentait aussi des sentiments.
Et quels sentiments elle éprouvait à cet instant ! Un mélange indescriptible d'excitation, de stress, d'angoisse, de bonheur mais surtout d'extrême fierté.

La jeune fille flottait dans le ciel. Elle volait, merde ! Le désir de toute l'Humanité, le rêve de Léonard de Vinci et de tant d'autres ! À regarder les oiseaux planer au-dessus du monde brouillon et violent des humains tels des anges impassibles, à contempler les nuages, ces êtres de brumes immortels, faisant la pluie et le beau temps (c'est le cas de le dire...), supérieurs à toute chose à part peut-être le vent et le Soleil, à observer les mystères des astres, si lointaines, si froides et distantes dans leur petitesse cachant une étonnante grandeur, à guetter les comètes, ces êtres de feu éternels mais semblant éphémères pour l'Homme, si furtives dans la grandeur noire et mystérieuse de la nuit...

Oui, les cieux étaient toute une poésie. Un art, un mystère, une histoire à jamais enfouie dans les trous noirs, les galaxies et les nuages.
Et Angell y avait accès, sans autres artifices qu'une simple paire d'ailes.

C'était jouissif.

Heureusement, il ne fallait guère d'efforts physiques pour voler : ses ailes étaient attachées au milieu du dos de l'adolescente par un harnais en aluminium (inoxydable et légère la matière était parfaite pour rester sur le dos d'une personne durant un long voyage) et en cuir pour adoucir le contact sur la peau délicate de la jeune fille. De celui-ci partait deux longs fils translucides qui couraient à la surface du cou de la jeune fille pour se multiplier à la surface de son crâne, formant ainsi un véritable casque transparent.

Cette presque infinité de fils émettait des substances chimiques de synthèse, qui imitaient certaines substances émises dans la zone permettant de se mouvoir...

Ces substances rentraient alors en contact avec les neuro-transmetteurs des neurones dans les différents zones de son cerveau. Et ainsi, il lui suffisait juste d'un peu de concentration et Angell pouvait diriger ces merveilles n'importe où...

En plus d'être extrêmement solides, les ailes possédaient un système de défense très efficace : il suffisait à Angell de se recroqueviller sur elle-même pour qu'elles se placent devant elle, entourant l'adolescente comme un cocon protecteur. Les plumes très résistantes qui constituaient les ailes pouvaient alors arrêter n'importe quel projectile, sans dépasser un certain poids (elles n'étaient pas fortes au point de résister à l'attaque d'un missile, bien-sûr).

Mais tout cela avait un prix : un entretien stricte au quotidien et une utilisation extrêmement soigneuse, dont Angell se serait volontiers passé...

Une douleur soudaine à l'oreille ramena Angell à la réalité.
Elle se passa la main sur celle-ci en grimaçant.
Qu'est-ce qui avait pû lui faire mal comme ça ?

Une autre douleur la fit sursauter. Elle se situait au bras gauche cette fois. Angell ramena celui-ci contre elle en faisant une moue de souffrance et regarda autour d'elle, sans cesser d'intimer à ses ailes de fonctionner.

Le vent hurlait dans l'oreille qui n'avait pas été atteinte par la douleur, et ses longs cheveux bouclés se tortillaient sur son visage rougit par le froid, s'emmêlaient et semblaient vouloir s'éloigner de l'adolescente à tout prix.
Elle tenta de les écarter de sa figure, en vain.

Autour d'elle, le brouillard se dissipait peu à peu, laissant apparaître un spectacle angoissant.

Angell se trouvait bien au-dessus de grandes montagnes, dont certains sommets étaient accérés, pareils à des crocs de pierre sombre.

Et autour d'elle, rien.
Aucun Archange chargé de la mener à bon port, par exemple...

La jeune fille crû sentir un filet de transpiration lui couler le long de la tempe. Un sentiment d'angoisse s'empara d'elle et elle sentit la peur lui serrer le cœur.

En respirant calmement, elle essaya de se raisonner :

"Angell, réfléchit ma fille ! Où est-ce que Gabriel pourrait être ? Il y avait du brouillard. Il doit être encore dedans. Il faut l'attendre."

Elle s'arrêta.

Mais un doute la prit...

"Oui mais s'il était devant ?"

S'en suivit une bataille de pensées contre elle-même :

"Il n'est pas devant, sinon je l'aurait vu !"

"Mais qui sait ? Peut-être qu'à force d'être dans la Lune comme ça je me suis faite distancée ?"

"Mais non, impossible, si j'avais trop ralentit je me trouverai actuellement plus bas."

"Mais alors où est-il ?"

Ça c'était la question.
Et ce qui la frustrait, c'est qu'elle ne pouvait pas y répondre...

Soudain, une idée lui traversa l'esprit tel un éclair.
Télépathie ! Mais bien-sûr, elle allait le retrouver par la pensée ! Comment l'adolescente avait pû oublier cet outil si précieux ?
Pendant un moment, elle s'était cru perdue, seule dans l'immensité grise au-dessus de je-ne-sait quel pays...

"Gabriel ? Où est-ce que tu es ?"

Silence. Elle n'entendit personne lui répondre.

"Gabriel ?" Retenta-t-elle.

"Angell ! Baisse-toi !"

"Ah, enfin, j'ai failli attendre !" Rétorqua l'adolescente.

Elle sentit le soulagement se répandre dans son corps comme un liquide agréablement chaud. C'est bon, tout allait bien.

"Alors, tu es où, finale..."

"Baisse-toi, MAINTENANT !!" Lui cria Gabriel en pensée.

Le son de sa voix, ferme mais légèrement inquiète fit faire un bond au cœur d'Angell.

Elle rassembla ses ailes pour amorcer une descente mais il était trop tard : un projectile plus gros que les deux autres vint la frapper en plein dans l'estomac, la faisant reculer de dix bons mètres malgré le vent persistant qui lui griffait le dos.

Sonnée, le souffle coupé, elle eu juste le temps de baisser les yeux pour regarder ce qui l'avait frappé avec tant de violence, avant de chuter inévitablement, se précipitant dans les pics acérés qui l'avaient fait frissonner quelques temps auparavant.

Le projectile était un pied humain.

Après cette constatation sordide, Angell sombra dans l'inconscience, n'entendant plus Gabriel lui hurler son nom.

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Angell sentait qu'elle chutait, toujours et encore, mais elle ne pouvait rien faire.

Cela lui faisait penser à un de ses cours de sciences naturelles.

Son professeur, un homme tout à fait imbu de lui-même et expert en autosuffisance, était en train de leur parler d'un rêve qu'il avait fait récemment...

Deux ans auparavant...

"Et là, l'alligator que je combattais s'est soudain transformé en chemin, et moi je ne pouvais plus avancer ! J'étais... paralysé."

Après avoir terminé sa tirade d'un ton dramatique, le quadragénaire s'arrêta, l'air plutôt fier de lui.

Angell regarda Elisa qui mordillait sa gomme d'un air anxieux -mais elle était toujours un peu anxieuse- à côté d'elle, promena un regard sur l'ensemble de la classe prête à s'endormir et décida d'intervenir :

"Monsieur, vous dîtes être paralysé. Mais comment un homme tel que vous pourriez être paralysé de peur ?"

Les élèves présents se redressèrent d'un air intéressé, ayant flairé la lutte qui allait sûrement s'engager entre la brune et le professeur.

Mais il n'en fût rien, celui-ci ayant mal interprété la question :

"Eh bien, il existe plusieurs façons d'être paralysé. On peut distinguer la paralysie de peur (la plus honteuse selon Moi...), la paralysie à cause du froid (l'hypothermie)...."

Angell observa Elisa dont l'intérêt s'était un peu éveillé. Tant mieux. Entre elles deux, le grand jeu qui occupaient leurs moments d'ennui en cours était d'amuser l'autre en posant les questions les plus farfelues au professeur en question, afin d'avoir un cours un peu plus vivant...

"... et je pense que la plus dangereuse de toute est la paralysie du sommeil. On ne sent rien, on ne se rend compte de rien. Et cela s'avère parfois mortel."

Paralysie. C'était bien le mot. Mais laquelle ? L'hypothermie était la plus probable. Seulement, comment se réchauffer lorsqu'il faisait une trentaine de degrés en dessus de zéro ? Qui plus est en chutant, cela n'arrangeant pas les choses.

Angell réfléchissait à toute vitesse. À tout moment elle pouvait se heurter à une de ces griffes de pierre qui lui avait paru si lointaine depuis le ciel.

Il fallait qu'elle se retourne.
Ce qu'elle tenta de faire en battant des pieds et des mains, grimaçant à cause de la douleur occasionnée par le pied humain congelé. Elle devait avoir une côte cassée, au moins. Bien que lorsqu'elle se réveillerait dans son lit elle n'aurait plus rien, cela lui faisait cette impression, et ce n'était pas extrêmement agréable...

Elle avait enfin réussi à se retourner, se prenant une plume dans la figure au passage. Elle se souvient alors de la présence de ces dons du ciel dans son dos et ordonna à ses ailes de s'ouvrir, ce qu'elles firent assez brutalement, renouvelant la douleur au niveau de ses côtes.

Et elle n'était qu'à quelques dizaines de mètres d'une falaise qu'elle aurait dû se prendre de plein fouet si elle n'avait pas réagit assez vite.

Angell tenta de calmer son cœur battant la chamade en soufflant doucement, et voleta jusqu'à une petite entaille dans la roche qui se trouvait sûrement être le meilleur abri pour l'adolescente perdue dans l'immensité du ciel, car il semblait protégé du vent.

Elle essaya ensuite de recontacter son mentor qui semblait avoir disparu dans la tempête.

"Gabriel ! Est-ce que tu m'entends ?"

Silence radio. Angell soupira et regarda autour d'elle.

Elle était perdue au beau milieu de montagnes sordides, loin de son lit et de sa famille, et surtout, détachée de son enveloppe corporelle, et donc plus exposée quant aux attaques qui pouvaient avoir lieu. Que ce soit djinns, diablotins voire chimères, tous étaient à l'affût de proies facile pour déchiqueter leur âme. Et avec elle, ils ne seraient pas déçus. Bien qu'ayant un peu récupéré depuis sa chute, elle restait très faible.

Elle promenait toujours son regard sur l'immensité du paysage qui s'offrait à elle quand soudain ses yeux s'arrêtèrent sur un détail qu'elle n'avait pas encore vu : un petit dénivelé où la neige était moins présenté qu'ailleurs se trouvait quelques mètres plus loin que sa cachette. Une crevasse.

Après avoir jeté un coup d'œil aux alentours, elle décida de s'y rendre. Heureusement, le ciel restait assez clair malgré le fait qu'il doive être l'après-midi maintenant. Heureusement, grâce au décalage horaire, la nuit tomberait dans longtemps. Elle pouvait aller explorer le petit endroit sans crainte.

Après quelques battements d'ailes, Angell parvint à la crevasse. Elle pouvait y entrer debout, les ailes repliées sur elles-mêmes.

L'entaille creusée dans la roche était plus profonde qu'elle ne l'avait pensé, et alors qu'elle progressait doucement dans l'exploration de ce qui s'avérait être une sorte de grotte, elle songeait à revenir sur ses pas. Mais inexplicablement, elle sentait qu'elle devait continuer.

La lumière qui venait de l'extérieur avait maintenant disparue, et il fallait qu'elle progresse dans le noir total, s'aidant de ses mains pour repérer un éventuel obstacle.

"Aïe !"

L'adolescente porta la main à son front en fronçant les sourcils : elle venait d'heurter le plafond de la grotte. Elle courba un peu plus le dos et se remit en route en se frottant la tête.

Cela devait faire une dizaine de minute qu'elle marchait à présent. Elle avait vite renoncé au fait de pouvoir contacter Gabriel - au bout de quelques essais. Elle commençait à se demander s'il ne valait mieux pas faire demi-tour lorsqu'elle aperçu sur les murs une mousse luminescente qui éclairait faiblement l'endroit. La grotte semblait s'arrêter là.

Angell était à présent dans une vaste caverne, éclairée par la mousse bleutée. Une odeur âcre de renfermé flottait dans l'air. Il y avait aussi une autre odeur, qu'elle ne parvenait pas à identifier.

Soudain, la lumière bleue prit en intensité et inonda la pièce.

Angell, aveuglée, recula de quelques pas en essayant de ne pas trébucher.

Car maintenant, elle connaissait la provenance de la drôle d'odeur dans l'air.
Et elle provenait des cadavres humains en décomposition plus ou moins avancée qui se trouvaient étendus dans la grotte.

L'adolescente étouffa un cri d'horreur et essaya de se reprendre, tout en jetant des regards affolés autour d'elle.

" il y a quelqu'un ?" Fit-elle d'une voix tremblante, son cœur battant la chamade.

Qu'est ce qui avait bien pu provoquer la grande luminosité soudaine ?

Soudain, une ombre s'approcha de la lumière. Angell se mit en position défensive, prête à se battre s'il le fallait pour sortir de ce piège à rat dans laquelle elle s'était projetée, tête la première.
Bien que la jeune fille n'ait jamais vraiment combattu, elle connaissait quelques rudiments enseignés pas son mentor.

Une main apparut, puis un bras, une paire d'aile et une tête qu'Angell reconnut immédiatement.

"Gabriel ?!"

Partagée entre le soulagement de retrouver l'Archange et la colère qu'il l'ait abandonné, elle attendit que celui-ci apparaisse totalement.

Elle avait pensé qu'il serait fortement blessé. Il n'en était rien.

"Angell. Je suis heureux de te revoir ici."

Pardon ?!

"Comment ça ? Tu... Tu savais qu' je viendrai ici, n'est-ce pas ? Tu n'as fait pas exprès de m'abandonner, quand même ?"

Gabriel la regarda d'un air à la fois las et fier.

"Je savais que tu trouverais le chemin."

Angell n'en crû pas ses oreilles.

"J'ai failli mourir en me brisant les os après avoir été projetée contre une falaise par des membres congelés d'humain, ensuite j'ai failli mourir d'hypothermie dans la neige, et aussi peut-être mourir d'inquiétude puisque je n'arrivais pas à te contacter, et là j'ai failli mourir de peur en voyant des cadavres qui tapissent le sol. Mais à part ça tout baigne, promis !"

Après la fin de sa tirade qu'elle a prononcé crescendo, Angell regarde son mentor d'un air féroce.

Celui-ci sourit faiblement, et remarqua :
"Mais tu n'es pas morte. Là est toute la différence."

Et avant que la jeune fille n'ait eu le temps de répliquer hargneusement, il rajouta :
"Je vois aussi que tu n'as pas fait la connaissance du Gardien, l'hôte de ces lieux."

Angell le regarde d'un air interloqué, sans avoir perdu son regard noir.

"Celui qui bouffe des gens ? Non, en effet, je ne l'ai pas vu. Sinon j'imagine que tu ne m'aurais pas vu aussi vivante que j'en ai l'air..."

Gabriel soupira.

"Angell, tu n'as jamais été en danger. Je te protégeais. Mais de loin : Il fallait que tu arrives jusqu'à ici, et sans que je te guide. Le paradis ne peut être découvert que par celui qui ne l'a pas trouvé intentionnellement. Autrement dit, tu devais y arriver par tes propres moyens, sans aucune aide."

"Le paradis ? Cette grotte ? Je te demande pardon ?"

"Ce n'est pas le paradis. Ce n'est que son portail."

À ce moment, des crissements sur la roche se firent entendre en provenance de l'entrée de la grotte.

"Et en voici le Gardien."

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