Rhapsodie Hongroise nº 2

Texte écrit à l'occasion d'un concours de Nouvel An organisé par MiladyCoulter. En média, la Rhapsodie Hongroise nº 2 de Franz Liszt.

Bonne Lecture :)

Rhapsodie Hongroise No 2

31 décembre 2018, 23h50. Germaine ferme la porte de sa chambre, elle vient de rentrer chez elle, chez sa petite fille plus exactement.
La nonagénaire a passé le réveillon avec son fils, dans le home pour malades d'Alzheimer où il habite. À septante ans, il ne reconnaît plus qu'elle.
Comme chaque année depuis qu'elle loge dans la famille de sa petite fille, la vieille femme vit le changement d'année seule dans sa petite chambre. Elle chérit ce moment passé avec ses souvenirs heureux.
Fidèle à son habitude, Germaine pose un 33 tours dans son tourne-disque et s'installe confortablement dans son fauteuil. Emmitouflée dans un plaid, montre en main, elle attend le moment exact de minuit pour enclencher la musique.

23h59, la trotteuse court sur le cadrant. 5, 4, 3, 2, 1...
La première note de la Rhapsodie hongroise numéro deux de Liszt retentit dans la pièce, puissante et profonde.
0 ! L'année a changé, le lieu aussi.

31 décembre 1988, Germaine se trouve sur une place familière, devant un théâtre. Charles, son mari, se tient à ses côtés. Des flocons de neige virevoltent dans le ciel, des nuages de buée s'élèvent des gens pressés sur les marches. L'affiche du concert montre un homme à la chevelure vaporeuse, il a un regard d'artiste tourmenté, romantique. Ce soir il va jouer les Rhapsodies hongroises de Liszt.
Les portes s'ouvrent et la foule s'engouffre dans le hall.
Charles retire un flocon des cheveux de sa femme et l'embrasse sur le bout du nez, il est amoureux comme au premier jour. Elle aussi l'aime de cet amour jeune et idéaliste.
Leurs parents avaient prédit un mariage malheureux mais ils sont là, presque quarante ans plus tard, heureux comme des adolescents rêveurs.
Les sexagénaires entrent à leur tour dans la salle, prennent place dans les fauteuils de velours rouge. Ils se tiennent la main sur l'accoudoir entre leurs sièges, le concert commence.

L'interprète joue passionnément, avec tout son corps et toute son âme. Les notes puissantes de la Rhapsodie hongroise numéro deux résonnent dans le cœur de Germaine, elle tombe amoureuse de la musique. Un tourbillon d'émotions traverse Charles, il aime ce morceau autant que sa femme. Le concert se termine bien trop vite à leur goût.
Lorsqu'ils sortent, toujours main dans la main, le ciel s'est dégagé. Les astres brillent d'un éclat redoublé pour célébrer ce début d'année 1989.

Ils flânent sur le chemin du retour ; tête en arrière, yeux écarquillés, les amoureux admirent Orion et sa ceinture étoilée, le manche tordu de la Grande-ourse qui ne ressemble pas à une ourse et la petite ourse qui, comme sa mère, n'a rien d'un ourson. La pleine lune éclaire la rue comme en plein jour.
Aucun des deux n'a de connaissances en astronomie mais ils adorent observer le ciel nocturne, c'est leur tradition après le concert du nouvel an.

Ils chuchotent entre eux, complice comme des enfants, ils éclatent de rire à une boutade de Germaine. Pour Charles comme pour elle, le rire de l'autre est le plus beau son du monde.
Ils arrivent devant leur maison mais ne veulent pas rentrer, la nuit est trop belle et magique. L'air froid ne les décourage pas et ils s'installent sur la balancelle, blottis l'un contre l'autre sous des couvertures. Ensemble, ils regardent l'aube grandiose se le lever puis vont se coucher.

Premier janvier 2019, Germaine ouvre les yeux, le disque s'est tu. Des larmes de nostalgies roulent sur ses joues ridées, elle a revu Charles, elle a revécu leur dernier nouvel an ensemble avant qu'il ne soit emporté par une crise cardiaque. Cette nuit, il y a trente ans jour pour jour, est la plus poétique de sa vie.
La nonagénaire se mouche, se hisse hors de son fauteuil. Elle est fatiguée, il est temps pour elle d'aller dormir, dans ses rêves elle va retrouver Charles.
Frileusement ensevelie sous son édredon, elle soupire de bien être, elle va revoir son Charlie. Germaine ferme les yeux.

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