Après deux ans
Texte écrit à l'occasion du concours de MiladyCoulter pour ses deux ans sur Wattpad. L'histoire est inspirée d'un rêve incroyablement clair et cohérent.
Bonne lecture :)
Après deux ans
Deux ans qu'elle n'était plus qu'un souvenir, une voix qui s'estompe, une photo passée. Deux ans qu'il était parti, brisé de chagrin, porté par les promesses qu'il lui avait faites.
Assis dans un train bringuebalant, il tentait de retenir des bribes d'elle ; sa robe jaune soleil taillée dans une nappe, son exemplaire corné de l'Odyssée qu'elle emportait partout avec elle, ses cheveux indomptables qu'elle laissait libres au mépris des convenances, son rire spontané et chaleureux. Tout cela n'était plus, disparu il y a deux ans jour pour jour.
Le train s'arrêta dans une minuscule gare déserte, il descendit. Le train n'allait pas jusqu'au hameau, il devrait continuer à pieds.
Tandis qu'il marchait à travers la campagne familière, de nouveaux souvenirs s'imposèrent à lui : deux enfants perdus dans un monde brutal, l'amitié plus forte que la guerre, les nuits de peur et d'attente, l'errance dans les montagnes et, toujours, une jeune fille en robe jaune.
Il soupira, porta la main au médaillon à son cou, tout cela n'était plus, depuis deux ans. Sa besace pesait lourd, il faisait chaud, les herbes hautes lui fouettaient les jambes.
Il se rappelait parfaitement de ce jour, deux ans plus tôt, et de la nuit précédente. Il n'arrivait pas à dormir, il était trop anxieux. Claire était entrée dans sa chambre, pâle, elle ressemblait à un fantôme dans sa chemise de nuit démodée. Ils étaient restés assis en silence jusqu'à l'aube, comme quand ils étaient petits et qu'ils attendaient en vain le retour de leurs parents. Aux premières lueurs du jour, elle était partie. Pour ne jamais revenir.
Savait-elle que cette mission lui serait fatale ? Elle connaissait les risques, bien sur, il suffisait que le train ait quelques minutes d'avance ou que les boches fassent du zèle pour que tout rate.
Mais serait-elle partie si elle avait su ? Au fond de lui, il savait que oui, elle y serait allée, poussée par son sens du devoir à toute épreuve.
Il se souvenait du choc, de la douleur d'avoir perdu celle qui était comme une soeur pour lui, celle qui l'avait soutenu et encouragé à poursuivre ses rêves.
Il revoyait la petite chambre désordonnée, l'Odyssée, sur l'oreiller, ironiquement ouverte à la page où Ulysse se rend aux Enfers. Il se rappelait la robe jaune, négligemment jetée sur la chaise, le monticule de mèches brunes, par terre dans un coin, le médaillon contenant une photo d'eux, abandonné sur la table de nuit.
Deux ans qu'il s'était enfui comme un voleur, serrant contre son coeur la besace contenant ses souvenirs d'elle.
Il sortit de ses pensées mélancoliques, il avait atteint la maison entourée d'arbres, le lieu où ils s'étaient rencontrés, Claire et lui.
La cour était déserte, le jardin à l'abandon. Qu'étaient devenus Charlotte et René ? Avaient-ils survécu à la guerre ? Il chassa les questions, il n'était pas venu pour ça.
Au fond du jardin, le grand chêne était toujours debout, veillant sur la maison vide. Il s'assit dans les herbes folles et entreprit de dégager le creux entre les racines. Claire adorait s'y lover pour lire. Il dut déblayer deux ans de poussière et feuilles mortes pour pouvoir y déposer sa besace. Il referma le trou puis, avec un canif, grava l'écorce du chêne. Un nom et deux dates, le résumé d'une vie entière : Claire 2 avril 1926 - 8 juillet 1944.
Après les honneurs et décorations posthumes, après les longs discours qui ne parlaient que de la résistante héroïque et effaçaient la personne réelle, Claire avait enfin une sépulture digne d'elle.
Et en ce jour d'été, il était enfin apaisé, après deux ans.
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