Début de roman

14 août 2019

« La pause étant terminée, faute de vivres, nous allons pouvoir aborder des problèmes sérieux. Par exemple, pourquoi cette pâtisserie ne prend pas crédit...

— Tu as déjà eu un demi-cookie à peine brûlé, conteste Gorzül.

— En échange de trois tickets restaurants périmés et d'un bouton de manchette. Ce fut une âpre négociation.

— J'ai une boutique à faire tourner, moi.

— Et moi un blablalivre à écrire, c'est parti. »

***

La Prophétie du Voyageur est le premier roman que j'ai publié sur Wattpad, et premier tome d'une quadrilogie qui me tient à cœur (dont je compte toujours finir la publication, même si je dois y prendre dix ans). Néanmoins, j'ai fini par prendre conscience (en grande partie grâce aux différents retours) d'un certain nombre de soucis concernant les premiers chapitres :

– L'histoire commence directement en pleine bataille. J'ai un faible pour les débuts in medias res, mais le premier chapitre, assez long, devient vite de l'action pour de l'action. Le lecteur ne connaît pas les personnages (difficile de s'y accrocher, donc) et les enjeux géopolitiques ne sont expliqués que très tard dans l'histoire.

– Aucun objectif clair ou quête principale n'est défini au début du tome. Le héros du tome arrive dans la bataille (sans que le lecteur sache trop pourquoi, à ce stade), puis part se promener pendant la moitié de l'histoire.

– Un personnage a une partie dédiée dans le deuxième chapitre, mais disparaît pour tout le reste du tome.

Par conséquent, je me suis essayé à un exercice de réécriture, concernant ce début de roman. L'idée serait ainsi d'avoir un premier chapitre permettant de présenter rapidement les personnages et enjeux, juste avant de commencer la bataille.

Par contre, comme j'aime vraiment les débuts in medias res, j'ai quand même mis un prologue d'action, et placé le premier chapitre en tant que flash back de deux semaines. Le chapitre deux, ensuite rebouclerait avec le premier chapitre actuel de bataille du tome, avec une fin similaire (mais moyennant un certain nombre d'adaptations).

À noter aussi que j'en ai profité pour revoir en profondeur le scénario et ajouter quelques personnages. Mon but restant d'obtenir un tout plus cohérent, épique et dramatique.

Sans plus tarder, voici donc, ci-dessous, le résultat actuel. Vos commentaires et remarques sont, bien entendu, plus que bienvenus (je serais par ailleurs tout aussi curieux de lire l'avis d'anciens lecteurs, qui peuvent donc comparer avec la première version, que de nouveaux, étrangers au livre et son univers, et, par conséquent, plus à même de juger la clarté de l'exposition et à quel point ce début donnerait envie de lire la suite).

***

PROLOGUE

***

Un grondement sourd ébranla la terre.

Le jeune homme esquissa un mouvement. Une pluie glaciale l'écrasait, s'infiltrait dans ses vêtements sombres pour le transpercer jusqu'aux os.

Enfin, il rouvrit les yeux. Des éclairs zébraient le ciel noir. Aux sifflements succédaient les déflagrations, un déluge de mitraille soulevait le sol.

Il toussa, cracha du sang. Une poussière âcre l'enserrait, l'étouffait. L'odeur de la poudre, du métal brûlé.

L'enfer.

Chaque note de cette symphonie de mort résonnait dans son crâne avec une douloureuse acuité. Il porta une main à sa tempe. De la terre se mêlait à une blessure coagulée.

« Galaniel ? Galaniel ! »

Il redressa la tête, peina à distinguer la silhouette filiforme, noyée dans les éléments.

« Que... Saxen ? C'est toi ?

— J'ai cru que tu ne te réveillerais jamais, hurla son compagnon dans le tumulte. Tu as pris un sacré coup, lors du crash.

— Le... crash ? »

Galaniel tourna la tête. Juste derrière gisait la carcasse démantibulée du vaisseau, assaillie par une nuée de bombes.

Un obus éclata non loin ; Saxen se couvrit le visage pour se protéger des projections.

« Ce n'était pas prévu, murmura-t-il. Rien de tout ça n'était prévu. On va tous y passer. »

Galaniel prit appui dans la terre humide, sa main rencontra un corps tiède et flasque, empoissé de sang. Un cadavre, à moitié recouvert de terre.

Autour d'eux se refermait l'étau des armées noires. Des chars traversaient la fumée, accompagnés par des monstres de métal bipèdes — des barzacs, comme les appelaient leurs ennemis. Enfin venait l'infanterie, dans laquelle se glissaient des ombres en armure d'obsidienne.

« Zawhyk... Où est mon père ? demanda Galaniel.

— Je... je ne sais pas, répondit Saxen. Je ne l'ai pas revu, depuis. »

Ses mains se crispaient sur un fusil-mitrailleur, il tremblait.

« À couvert ! »

Une nouvelle silhouette s'interposa face à la grêle de balles. Ses mains s'irradièrent d'orange, les projectiles s'arrêtèrent, retombèrent au sol.

« Tu t'es enfin réveillé, Galaniel ? »

Les boucles rousses de ses cheveux battues par le vent, la jeune femme jeta un coup d'œil dans sa direction.

« J'ai soigné tes blessures comme j'ai pu. Normalement, ça devrait tenir ; enfin, je crois.

— Merci... Neelyn. »

Elle interrompit une nouvelle salve. Comme suivant son exemple, d'autres mages ripostaient, des traits multicolores illuminaient le champ de bataille.

Galaniel ramassa son arme de poing. Sans Zawhyk, sans renforts, disparaissait toute possibilité de victoire. Dans la distance, le jeune homme crut entrevoir les pattes de métal d'une araignée démesurée. Une myriade d'yeux rouge sombre luisait dans la pénombre, contemplaient l'inéluctable massacre.

« Attention ! »

Un groupe de soldats s'approcha de leur position, insensible aux attaques de Neelyn. Les traits magiques s'interrompaient, s'incurvaient, pour éclater aux alentours. Saxen s'interposa, mais les balles n'eurent pas plus d'effet.

« Garde noire ! » comprit Galaniel.

Une ombre fendit les ténèbres pour filer droit sur son compagnon. Saxen n'eut que le temps de dégainer son arme, les lames sifflèrent, Neelyn recula d'un bond.

Un éclair projeta sa lueur blafarde sur les deux antagonistes, figés dans leur élan. Saxen hoqueta du sang, l'épée ennemie avait traversé sa garde pour le transpercer au torse.

« C'était... vraiment... pas prévu.

— Saxen ! »

Toute à cette vision d'horreur, Neelyn n'entrevit qu'au dernier instant la grenade rouler près de ses pieds. Elle interposa une main, traça en hâte une protection lumineuse.

Le souffle de l'explosion la projeta deux mètres en arrière.

Saxen s'effondra à genoux, le garde noir dressa son arme pour le mettre à mort. Sous la pluie battante, le jeune homme ferma les yeux.

Sans réfléchir, Galaniel se précipita.

***

CHAPITRE 1

***

Nous espérions que la paix durerait toujours.

Les souvenirs de la dernière Guerre, pourtant si terrible, jaunissaient dans les pages de l'Histoire. D'épouvantables cauchemars, enfermés dans des contrées sans retour.

Plus jamais, pensions-nous.

En si peu de temps, trois mille ans de paix furent balayés.

Hupias Ecterian, la Deuxième Guerre de Zyx


Planète Zyx, Barcad, deux semaines plus tôt

Stakis effleura des doigts le panneau à reconnaissance tactile de son appartement. La porte coulissante se releva sans le moindre bruit pour se refermer juste après son passage.

Le jeune homme jeta son veston sur un canapé confortable à trois places, puis ouvrit un réfrigérateur encastré dans le mur. Sa main plongea dans l'ouverture glaciale pour en ressortir un flacon pyramidal qu'il déboucha aussitôt.

Sa boisson à la main, il balaya d'un coup d'œil son modeste deux-pièces. Des notes griffonnées, des bibelots, des boites triangulaires de jeux vidéo envahissaient l'unique table. Des didacticiels informatiques dépassés ainsi que des encyclopédies s'agglutinaient à leur tour dans la plus parfaite anarchie.

Dans un recoin traînait un parchemin rougi par des signes cabalistiques. À ses côtés, des flacons d'encre et des fusains accompagnaient une anachronique plume d'oie.

Stakis poussa du pied les emballages abandonnés qui traînaient à même le sol. Entre deux traités de philosophie se cachaient de vieilles puces et autres constituants électroniques en cours de bricolage. Plus loin trônait un laser démonté, résultat d'une nuit en quête d'inspiration pour ses œuvres poétiques et littéraires.

Il sirota sa boisson et posa son regard sur un mur recouvert d'affiches de films et d'emblèmes politiques méconnus. Par-dessus venaient se rajouter des notes manuscrites, des textes et images imprimés, des symboles ésotériques, ainsi qu'un katana dans son fourreau.

Le jeune homme chassa une pile envahissante de musique underground, puis s'affala dans son canapé. Les albums allèrent rejoindre un grimoire annoté découvert par hasard dans une décharge publique.

Il claqua trois fois des doigts. Un hologramme se précisa en face de lui, en plein centre du chaos ambiant. Une liste de diffusion. Sans hésiter, son doigt traversa la troisième case. Une journaliste virtuelle apparut aussitôt pour relater les dernières informations.

« Malgré les efforts de nos ambassadeurs, le Général Chef d'Oriale, Sméarn Pteï, continue de refuser la prolongation du traité de paix décennal. Depuis une heure, il a ainsi lancé un ultimatum incitant la Fédération à se placer sous sa "protection" d'ici quinze jours. Le Président, soutenu par Karl, a répliqué par la plus grande fermeté, malgré le risque d'une escalade. »

Stakis resta de marbre. Depuis le début de la crise, quelques jours plus tôt, le Général Chef d'Oriale occupait tous les esprits. Les marchés s'effondraient, un vent de panique balayait la planète. Bien que technologiquement supérieure et forte de dix-sept milliards d'habitants, la Fédération, en effet, ne disposait d'aucune armée.

Le jeune homme laissa son regard dériver par delà sa baie vitrée. Il parcourut les hautes tours de verre et de métal, les myriades de ponts jetés à l'assaut du vide, puis s'éleva vers le ciel étoilé. L'astre bleu dévorait la voûte, plus menaçant que jamais.

La lune d'Oriale, siège des armées des sept Généraux.

Si, jusqu'ici, la Fédération avait préservé la paix par la diplomatie, le précédent traité devenait caduc dans quinze jours.

Désormais, la chute de Zyx apparaissait inéluctable.


Orbite de Zyx, treize jours plus tôt

L'homme aux vêtements blancs monta sur la tribune, ses yeux préoccupés balayèrent l'assistance. En tout quelques milliers de personnes, regroupées dans la grande salle gris terne du vaisseau. Des Zyssiens de la Fédération, bien sûr, mais aussi des membres de sa planète natale, Shawn. Tous le regard fixe, fermé, alors que planait sur eux l'ombre du Général Chef.

Sans doute n'avait-il d'autre choix, aujourd'hui, que d'endosser le rôle de sauveur providentiel, d'offrir un espoir à un peuple autrement condamné. Mais, s'il se répugnait à un tel rôle, il savait aussi ne pas pouvoir triompher seul. Tout comme il ne pouvait abandonner dix-sept milliards de personnes à leur sort.

Les Zyssiens avaient sans doute besoin de son aide, mais, lui, avait besoin de l'aide de tous.

« Mes amis, commença-t-il. En ces temps difficiles, je vous remercie tout d'abord de bien avoir voulu répondre présent à mon appel. Comme vous le savez déjà, le Général Chef menace d'envahir Zyx. Le conflit avec Oriale s'avère, désormais, inévitable. »

« Pour ma part, je ne peux rester insensible alors que nos deux peuples sont amis. Le programme d'échanges, auquel vous avez participé, Shawniens comme Zyssiens, n'en est qu'une preuve parmi d'autres. Et j'espère que, pour l'avenir, nous apprendrons encore à nous connaître et à renforcer les liens qui nous unissent.

« Aussi, face à cette impitoyable menace, ai-je élaboré un plan de riposte. Un plan de riposte qui permettrait, avec suffisamment de volontaires, de renverser le Général Chef, de mettre fin à cette invasion, avant même son commencement. Pour des raisons de sécurité, je ne peux, cependant, pas encore, vous dévoiler tous les détails ; néanmoins, dépendamment de votre participation, sachez que nos chances de victoires oscilleraient, selon Karl, entre 60 % et 85 %. »

Il posa les mains sur son pupitre, avant de poursuivre.

« Je sais que beaucoup d'entre vous ont une certaine expérience du combat à travers différents simulateurs. Néanmoins, c'est une véritable guerre qui s'annonce ou, à défaut, une impitoyable bataille. Si vous acceptez, nos vies seront en jeu et chaque faux pas, chaque erreur d'inattention pourra signifier la mort. Je serai, bien évidemment, en première ligne, et ferai tout mon possible pour limiter nos pertes au maximum, mais vous devez comprendre que certains ne reviendront pas.

« Avez-vous des questions ? »

Dans l'assistance, une première main se leva.

« Oui, Stakis ? »

Le jeune homme, peu à l'aise, la chevelure brune en pagaille, prit la parole.

« La Fédération, tout comme le Général Chef, reste encore liée par le précédent traité de paix décennal, et ce, pour encore presque deux semaines. Comment, dans ce cas, justifier un assaut zyssien ?

— Cet assaut n'est pas zyssien, mais sous mon initiative et mon entière responsabilité de Shawnien, précisa Zawhyk. Je n'ai tout au plus fait qu'en informer le Président.

— Devons-nous en conclure que le Conseil de Shawn soutient cette opération ? » intervint un Shawnien.

Bien que toujours souriant, Zawhyk ne put empêcher une ombre de traverser ses yeux.

« Pas exactement. Lors de sa dernière réunion, le Conseil a préféré jouer la neutralité vis-à-vis d'Oriale. Néanmoins, il m'a aussi rappelé que nos lois s'appliquaient seulement à notre planète et m'a laissé le loisir d'agir en mon nom propre. Si vous cherchez un statut, voyez-moi comme le chef d'une troupe de mercenaires — sauf que je ne promets aucun argent ni récompense. »

Une nouvelle main se leva.

« Oui, Qnaua ?

— Les Orialiens disposent d'un équipement militaire que n'ont pas les Zyssiens. Et Shawn ne peut tout au plus compter que sur des épées, des arcs et des flèches. Et encore, c'est sans tenir de la quantité d'hommes dont dispose le Général Chef.

— Les Shawniens ont pour eux l'usage de la magie, que ne possèdent pas les Orialiens. Enfin, notre but ne sera pas de vaincre toute l'armée orialienne, seulement de frapper à sa tête. Il suffit de faire tomber le Général Chef pour que tombent avec lui les projets d'invasion. »

Il sembla hésiter, avant d'ajouter.

« Pour le reste, je devrais pouvoir vous fournir, dans les jours qui viennent, des armes à feu similaires à celles de nos adversaires. Vos épées, cependant, resteront toujours utiles. »

L'homme marqua un mouvement de recul.

« Comment as-tu donc réussi à dénicher ça ?

— Je ne peux encore en dire plus pour l'instant, mais vous le saurez bien assez vite. »

Comme plus personne ne se manifestait, Zawhyk mit fin à l'intervention :

« Chacun d'entre vous reste libre de participer ou non, de me faire confiance ou non. Néanmoins, je ne vous proposerais pas cette opération si je n'étais moi-même pas convaincu de sa nécessité. Nous avons une opportunité unique de mettre fin à une guerre avant même qu'elle ne commence, d'empêcher des millions de morts. Mais il n'y aura pas de seconde chance : dans deux semaines, il sera trop tard, réfléchissez-y. »

Stakis fendit la foule juste après avoir repéré Galaniel. Le jeune homme aux cheveux noirs était resté parfaitement immobile, les yeux rivés sur Zawhyk durant toute la durée du discours.

« Alors ? »

Son compagnon se retourna pour constater son arrivée.

« Alors quoi ?

— Tu vas le rejoindre ?

— Oui. »

Ses yeux sombres n'offraient qu'une infaillible détermination, libre de toute hésitation. Stakis détourna le regard, ses mains s'agitèrent.

« J'ai un mauvais pressentiment, souffla-t-il.

— Ma décision est prise, reprit Galaniel, j'ai une entière confiance en mon père. Je ne pense pas que nous ayons beaucoup de choix, de toute façon, si ce n'est de nous battre aujourd'hui ou de vivre esclaves demain.

— Shawn n'est pas encore menacée par Oriale, pourtant. Rien ne t'oblige...

— Lorsque le Général Chef aura mis à genoux tout le Système et qu'il ne restera plus que Shawn, nul doute que nous serons les prochains sur sa liste. Et, là, nul ne sera plus en mesure de l'arrêter. »

L'arrivée d'un grand Shawnien aux cheveux bruns coupés court interrompit la conversation.

« Salut les gens, s'incrusta Saxen. Laissez-moi deviner : Galaniel a de toute façon décidé de participer, c'est ça ? »

L'intéressé hocha la tête, tandis que Stakis répondait un sourire gêné.

« On peut donc dire que les jours du Général Chef sont désormais comptés, plaisanta le Shawnien. Mais bon, vu que je ne peux pas non plus laisser un cadet faire tout le travail ni lui laisser toute la gloire, je vais aussi me sentir obligé de participer, maintenant. »

Il ponctua sa tirade d'une tape dans le dos de Galaniel, avant de se tourner vers Stakis.

« Et toi, tu participes aussi ?

— Euh, je... je ne sais pas, je n'ai pas encore décidé.

— C'est ton choix, mais ça reste ta planète, aussi. »

Stakis baissa les yeux.

« Je sais. »

Saxen lui posa une main sur l'épaule.

« Fais pas cette tête. Si ça peut te motiver, je vous invite tous les deux au restaurant, à notre retour, une fois qu'on aura sauvé le monde. En plus, tu es probablement l'un des plus aptes au combat, dans cette salle. Peut-être même plus que moi, c'est dire.

— Et, comme tout le monde ici, je n'ai jamais connu la guerre.

— Hé, il faut bien un début à tout. Ça fera des histoires à raconter à tes hypothétiques futurs petits enfants. »

Stakis n'eut pas le temps de répliquer que Saxen apercevait une autre connaissance et changeait aussitôt de groupe. Le Zyssien haussa les épaules.

« Je crois ne l'avoir jamais vu aussi... exubérant, commenta-t-il.

— Oui, c'est presque étonnant.

— Non, c'est juste une façon de dissimuler sa peur. Tu n'as pas peur, toi, Galaniel ?

— Je ne sais pas. Je crois que j'y penserai vraiment le moment venu. »

Stakis s'arrêta alors qu'il entrapercevait une nouvelle silhouette.

« Finalement, je vais te laisser aussi ; j'ai encore besoin de réfléchir un peu »

Il ajouta un signe de la main avant de disparaître à son tour. La décision de Galaniel, bien que contrariante, ne le surprenait pas. Mais, à ce stade, impossible de convaincre son compagnon de changer d'avis. Insister davantage, d'ailleurs, n'attirerait que la suspicion.

Pensif, le jeune homme se glissa dans la foule, jusqu'à rejoindre une Shawnienne en armure rudimentaire, adossée à une des parois de métal. La quarantaine, les cheveux blonds noués en chignon, ses yeux de glace surveillaient les différents intervenants.

« Je pouvais te voir, Dalen ? », tenta Stakis.

Elle hocha la tête.

« Je t'attendais, justement. »

Elle vérifia du coin de l'œil que personne ne les observait. Zawhyk s'entretenait désormais avec Hupias, un cinquantenaire zyssien coresponsable du programme d'échange. Galaniel, de son côté, avait rejoint un groupe de Shawniens.

« Ne restons pas ici. Il y a une coursive juste derrière. »

Elle s'engouffra dans une ouverture, aussitôt suivie par le jeune homme. Silencieuse, elle ne reprit la parole qu'une fois à l'abri d'éventuelles oreilles indiscrètes.

« C'est encore au sujet de Galaniel, c'est ça ?

— C'est au sujet de toute cette opération, surtout. Qu'est-ce que je suis censé faire ?

— Pour l'instant, le plus logique serait que tu participes.

— Pour combattre le Général Chef ?

— Ce n'est pas l'objectif.

— Et Galaniel, dans tout ça ? »

La femme soupira, avant de faire les quatre cents pas.

« Tu crois toujours qu'il est Celui que nous cherchons ?

— Contrairement à toi, je n'ai jamais connu le Maître, mais beaucoup d'indices pointent en direction de Galaniel. Qu'est-ce que tu en penses ?

— Je ne sais pas. Même si je seconde Zawhyk, je n'ai pas eu beaucoup d'occasions de fréquenter Galaniel. Certes, je dois admettre que le lieu de naissance et son âge peuvent correspondent. Et, je le concède, c'est aussi un prodige des armes blanches, du moins dans un simulateur, voire une compétition en arène. Mais une véritable bataille est toute autre, j'attends de voir comment il réagira.

— Mais... il sera en danger de mort. »

Elle posa une main sur son épaule.

« Dans notre lutte, nous sommes tous en danger de mort, tout le temps. Et puis, crois-tu que, s'il était vraiment l'Élu, Galaniel viendrait à périr si facilement ?

— Et s'il ne l'était pas ?

— Il a fait son choix et ne pourra compter que sur lui-même. J'en suis la première peinée, mais, pour le bien de tous, certains sacrifices s'avéreront inévitables. »

Stakis resta silencieux. Pourquoi fallait-il donc que ses compagnons s'obstinassent à jouer aux héros ? Zyx ne pouvait-elle pas seulement accepter son sort, embrasser l'avenir qui se dessinait pour elle ? Au contraire, se démener paverait seulement l'Histoire de morts inutiles.


Orbite de Zyx, deux jours plus tôt

Détonation.

La balle siffla hors du canon pour venir percuter sa cible, quelques mètres plus loin. Saxen siffla d'admiration.

« Eh bien, on ne dirait pas que tu n'avais jamais tiré, il y a encore quelques jours. »

Galaniel abaissa le canon de son arme, encore fumant. Sur la silhouette noire s'étalait désormais un nouvel impact à la tête.

« Ce n'est pas tellement différent qu'une simulation en réalité virtuelle, remarqua le Shawnien.

— Oui, enfin, vu que tu étais déjà adepte des plus hauts scores là-dedans, je suppose que c'est logique. »

Saxen tenta un tir à son tour. La balle atteignit l'ombre d'une épaule.

« Hé, pas mal. »

Galaniel hocha la tête, tandis que son compagnon reprenait :

« J'aimerais quand même bien savoir comment Zawhyk a réussi à se procurer ce stock d'armes. Ni Zyx ni Shawn ne peuvent en avoir, que je sache. Tu n'as pas une idée, toi ?

— Je n'ai pas posé la question à mon père.

— Même pas pour savoir ce qui nous attend ? Ça fait dix jours qu'on s'entraîne dans ce gros vaisseau en orbite et toujours pas la moindre indication. Et toi, Stakis, tu en penses quoi ? »

Resté en retrait, le Zyssien releva la tête.

« Euh...

— Tu m'as l'air encore plus taciturne que Galaniel, dernièrement. Elles doivent être chouettes vos conversations, quand je ne suis pas là.

— Désolé, j'ai l'esprit ailleurs, ces derniers temps.

— Un peu comme tout le monde, en fait. »

Stakis ne répondit pas. À quelques mètres, des magiciens shawniens traçaient des traits de lumière, interrompaient des nuées de projectiles. Avec de la concentration, ils pouvaient même arrêter les balles.

Mais ces quelques tours d'opérette ne pourraient rien, face à la toute-puissance du Général Chef.

Un haut-parleur tira le Zyssien de sa réflexion. Tout le personnel se trouvait convié dans le hangar principal.

« Ah, on va peut-être avoir nos explications, finalement », espéra Saxen.

Les Shawniens rangèrent leurs armes, puis quittèrent la salle de tir, suivis par Stakis.

« Comme quoi, c'est à croire qu'il suffise d'en parler pour être exaucé, déclara Saxen. À croire que Zawhyk m'ait entendu.

— Ça fait une semaine que tu ne parles que de ça en boucle, fit remarquer Galaniel.

— Pas tant que ça, se défendit-il.

— Un peu, quand même », confirma Stakis.

Ils arrivèrent dans la salle aux murs de métal gris. Le visage marqué par des cernes naissants, Zawhyk s'entretenait avec Dalen, sur l'estrade de bois. La femme, suite à son implication dans le programme d'échange, occupait un rôle de bras droit. Elle s'écarta finalement, ses yeux de glace balayèrent une dernière fois la foule, avant de disparaître dans un recoin.

Zawhyk s'avança d'un pas lent. Tous semblaient arrivés, maintenant, il allait pouvoir commencer.

« L'invasion du Général Chef n'étant désormais plus qu'une question de jours, le temps est désormais venu de vous révéler les détails de l'opération. »

Derrière lui s'afficha une carte de la lune d'Oriale ; le Shawnien s'arrêta sur un pays du nord-est.

« Il y a dix jours, l'un des sept Généraux — celui du Neelhan — est mort. Son fils, Fermal Eclarian, a aussitôt pris sa succession, mais a refusé de reconnaître Sméarn Pteï en tant que Général Chef. En clair, il est entré en guerre ouverte contre le pouvoir d'Oriale.

« Fermal Eclarian suit ainsi les mêmes objectifs que nous, à savoir la mort de Sméarn Pteï, et devient, de fait, notre allié de circonstance. Les armes à feu que vous avez reçues proviennent d'ailleurs de lui. Les autres Généraux, cependant, ignorent encore notre future intervention. »

Des points rouges apparurent sur la carte, se déplacèrent le long de la frontière ouest neelhanaise, avant de s'engouffrer à l'intérieur des terres.

« Depuis dix jours, les troupes de Sméarn Pteï envahissent le Neelhan afin de mettre un terme à cette dissidence. Les troupes de notre allié, inférieures en nombre, moins bien équipées, ont préféré, jusqu'ici, se replier à la capitale, Sif. »

Son bras désigna un triangle vert sur la carte.

« Les armées ennemies arriveront d'ici deux jours et, dans deux jours, nous serons là. »

Un murmure parcourut l'assistance alors que se précisaient les intentions de Zawhyk.

« Nous nous répartirons sur trois vaisseaux de la Fédération — achetés pour un solar symbolique — et de technologie similaire à celle d'Oriale. Puis, nous débarquerons par l'arrière pendant le siège de Sif, afin de prendre en étau notre adversaire. Je le rappelle, notre objectif reste la mort du Général Chef, Sméarn Pteï. »

L'hologramme se dissipa pour afficher une image de leur adversaire. Un homme au nez d'aigle, les yeux perçants, des cheveux coupés courts, et enferré dans une armure noire, rehaussée d'insignes d'or.

« La suite est classifiée code rouge, sur Zyx, néanmoins, vous vous y retrouverez confrontés, durant la bataille. »

Il prit une inspiration.

« Le Général Chef... a prêté allégeance au Dieu Noir, qui lui a conféré des pouvoirs hors du commun. Quoi qu'il arrive, ne l'affrontez pas seul, même si vous êtes un mage. »

Dans la salle, les murmures s'intensifièrent. Sans prêter attention au brouhaha naissant, Zawhyk continua :

« Cependant, il existe de même un pendant lumineux, que nous nommons, sur Shawn, la Déesse Cristal et, sur Zyx, la Lumière divine. Concernant la bataille, trois personnes, ayant reçu grâce de ses dons, se trouvent les plus à même de vaincre notre ennemi : à savoir moi-même, ainsi que les deux autres chefs de vaisseaux, Seyer Askhalomène et Alfonsi Mactivial. »


Orbite de transfert Zyx-Oriale, trente-sept heures plus tôt

« Je ne parviens toujours pas à croire ce que nous a révélé Zawhyk », se remémora Saxen.

Le Shawnien flottait dans un couloir rudimentaire, envahi par une myriade de câbles. Le vaisseau, peu avancé, n'offrait pas même de gravité artificielle. Un moyen d'éviter, aussi, qu'Oriale puisse mettre la main sur des technologies avancées.

« Tout est vrai », confirma Galaniel.

Le Shawnien se retourna.

« Tu ne m'avais jamais dit que la Déesse Cristal avait octroyé à ton père ses pouvoirs, qu'elle avait fait de lui... l'un de ses anges ?

— Tu ne m'as jamais posé la question.

— Je ne savais même pas qu'elle existait, la Déesse Cristal, d'ailleurs. Enfin, disons que je n'ai jamais été spécialement croyant. Vous avez d'autres secrets, comme ça, dans ta famille ?

— Non. Mon père est le seul à avoir rencontré la Déesse Cristal, et aucun de nous n'a le moindre pouvoir magique. Lui non plus n'en avait pas, avant.

— Comment ça se passe, d'ailleurs ? La Déesse a débarqué, un jour, pour dire : "Salut, tu es l'Élu, prends ces pouvoirs et va combattre les forces des Ténèbres." ? »

Galaniel secoua la tête.

« Il faut obtenir un artefact divin. Qui permet de passer ensuite certaines épreuves.

— Je suppose que ça ne court pas les rues.

— Non, en effet. Et c'est pareil, pour le côté des Ténèbres. Le Général Chef doit en avoir un, lui aussi.

— Mouais. Après ce que j'ai entendu, je vais éviter d'aller l'embêter personnellement. Quand tout ça sera fini, je prendrai des vacances sur Shawn et oublierai ces histoires de fous. »

Ils continuèrent leur route à travers le couloir jusqu'à rejoindre un dortoir encombré. Des rangées de couchettes garnies de sangles s'égrenaient jusqu'au plafond.

« Sinon, mis à part ton père, tu en connais d'autres, des envoyés de la Déesse ? demanda Saxen.

— J'en ai seulement entendu parler. Il me semble que Seyer a formé mon père, autrefois, et qu'il vient d'au-delà du Système.

— C'est... un alien, du coup ?

— Si tu veux.

— Eh ben. »

Ces informations semblèrent cependant rasséréner Saxen.

« Bon, je suppose qu'avec trois anges contre un démon, ça va le faire », positiva le Shawnien.

Galaniel hocha la tête.

« Et nous, on a juste à s'occuper du menu fretin. Dit comme ça, ça ressemblerait presque à une formalité. »


Orbite de transfert Zyx-Oriale, trente heures plus tôt

Stakis ne parvenait pas à trouver le sommeil. Séparé de Galaniel, le Zyssien se trouvait désormais sur le deuxième vaisseau, étouffé dans une couchette inconfortable.

Il passa une main sur le front. Juste avant le départ, Dalen l'avait recontacté. Ils devaient saboter cette opération, le Général Chef remporterait la bataille et l'invasion aurait bien lieu.

Zawhyk allait mourir. Après tout, il faisait partie de leurs ennemis. Les Voyageurs, les envoyés de la Lumière divine — ou Déesse Cristal, comme l'appelaient les Shawniens.

Le jeune homme se retourna. Zawhyk n'était peut-être pas quelqu'un de foncièrement mauvais, mais il avait choisi le mauvais camp. Et Galaniel, dans tout cela ? Qui était-il, que recherchait-il réellement ? Stakis aurait aimé pouvoir lui parler à cœur découvert, vérifier ou non son intuition, plutôt que de rester encore et toujours dans cette insupportable incertitude.

Il aurait préféré que cette guerre n'eût pas lieu. Que personne n'eût à mourir. Mais les forces du Mal useraient de tous les artifices, ne reculeraient devant aucun sacrifice, même pour prolonger leur agonie.

Le Zyssien soupira. Il avait essayé, pourtant. Quelque temps plus tôt, à peine, il avait prétexté vouloir partager un jeu vidéo quelconque pour amener Galaniel à son appartement. Entre tous les symboles obscurs disséminés sur les murs, le Shawnien aurait dû reconnaître le Signe. Il aurait dû au moins manifester un semblant d'intérêt, voir son regard attiré quelques instants, quelques secondes...

Mais rien. Galaniel n'avait rien remarqué. Peut-être avait-il encore de temps, pour se souvenir, ou peut-être le Rituel avait-il été altéré par leurs ennemis.

Ou alors... son cœur se serra. Peut-être Galaniel se méfiait-il, peut-être le testait-il. Après tout, leurs ennemis se terraient partout, et la confiance devenait un luxe dangereux.

Oui... il devait d'abord faire ses preuves, prouver sa loyauté, quoi qu'il lui en coûtât. Ne pas oublier que, tôt ou tard, l'Élu reviendrait, rebâtirait son Ordre effacé.

Alors, seulement, Stakis rejoindrait Ses disciples, comme tant d'autres avant lui.

Il repensa à Rneigl, son mentor, resté sur Zyx, à Dalen, qui risquait sa vie sur l'autre vaisseau. Tous deux avaient connu le Maître, de son vivant. Tous deux l'avaient suivi, avaient tout abandonné pour Lui. Possédaient-ils, eux aussi, ces doutes, ces craintes ? Se sentaient-ils perdus, sans leur Guide ?

Le jeune homme ferma le poing ; pour l'heure, il devait d'abord accomplir sa mission.


Orbite de transfert Zyx-Oriale, dix-huit heures plus tôt

Saxen jouait aux cartes.

Le jeune homme avait réussi à entraîner dans son idée Galaniel, ainsi qu'un groupe de Shawniens. L'atmosphère devenait pesante, électrique, à peine égayée par la partie. Certains priaient, parlaient, tremblaient, écrivaient, d'autres, à l'instar de Galaniel, s'enfermaient leur mutisme.

« Triangle de rois et valets, annonça fièrement Saxen. C'est à toi de jouer, Neelyn. »

Il tourna la tête vers la jeune magicienne. Ses deux yeux verts, perdus dans une cascade de boucles rousses, vagabondaient dans le lointain.

« Neelyn ? »

Elle sursauta pour revenir à la réalité.

« Hein ? Ah oui, c'est mon tour, euh... »

Elle regarda ses cartes, fronça le nez.

« Euh, je n'ai pas mieux.

— Dans ce cas, je gagne, s'enthousiasma Saxen. À charge de revanche. »

Il rattrapa les cartes qui s'envolaient dans l'apesanteur et battit le paquet.

« Une autre partie ? »

Loin de partager l'enthousiasme du Shawnien, la plupart des intervenants se dispersa.

« Moi, j'ai faim », décréta Neelyn.

Elle entreprit de déballer une tortilla, puis mélangea divers assortiments — miel, beurre, confiture.

« Tu en veux ? demanda-t-elle à Saxen.

— Euh, non merci.

— Je préfère le pain, mais on m'a dit qu'on ne pouvait pas en avoir en apesanteur, à cause des miettes. Après, ça, c'est pas mal non plus. »

Elle engloutit une deuxième tortilla, puis une troisième, avant d'attraper une quatrième.

« Je crois avoir rarement vu un tel appétit, concéda Saxen.

— Mh ? La magie, ça donne faim. Du coup, je prends des forces ; demain, je vais en avoir besoin. »

Ses yeux sautèrent de Saxen à Galaniel, puis de Galaniel à Saxen.

« Vous vous connaissez depuis longtemps, tous les deux ? demanda la magicienne.

— On vient du même village, répondit Saxen. Forcément, ça crée des liens. »

Le Shawnien rangea son paquet de cartes dans une poche fermée.

« N'empêche, tout ce bazar aura au moins permis que nous nous rencontrions, positiva-t-il. Je n'imaginais pas que notre unité comporterait d'aussi charmantes personnes.

— Qui ? Galaniel ? », rebondit Neelyn.

Le concerné manqua de s'étouffer de rire, tandis que s'empourprait Saxen. Le jeune homme préféra laisser son compagnon à ses explications pour s'envoler dans l'apesanteur du vaisseau.

Il s'arrêta presque aussitôt. Son père, les paupières mi-closes, les mains jointes, flottait dans un recoin proche.

« Ça va ? »

Zawhyk rouvrit les yeux.

« Ce serait plutôt à moi de te poser la question.

— Bah, comme tout le monde, je suppose. J'essaie de ne pas trop y penser ; on verra bien. »

Zawhyk hocha la tête. Il aurait préféré savoir son fils à des centaines de millions de kilomètres, bien à l'abri sur Shawn, mais Galaniel avait pris sa décision. Dans ces yeux sombres brûlait une inaltérable détermination, un mélange d'audace et de vaillance.

« Je m'occuperai du Général Chef avec les deux autres Voyageurs, rappela Zawhyk. Lorsqu'il sera mort, la bataille prendra fin. Mais, pendant tout ce temps, fais attention à toi. »

Il le prit dans ses bras. Demain se jouait l'avenir de tout un Système, l'éternel combat entre Lumière et Ténèbres. Les estimations pouvaient être optimistes, aucune victoire ne se jouait d'avance.

Et, il le savait, certains ne reviendraient pas.


Approche d'Oriale, hangar de débarquement du premier vaisseau, soixante-neuf minutes plus tôt

« Tiens, c'est toi, le joli cœur qui drague ma nièce ? »

Saxen se retourna pour se retrouver face à une femme imposante, presque aussi grande que lui. Les cheveux roux coupés courts, elle arborait une armure complète, que complétait un casque à cornes.

« Meuh non, il ne me drague pas, intervint Neelyn. Enfin, je crois. Tu me dragues, Saxen ?

— Eh bien, euh...

— C'est ma tante, au fait, précisa la magicienne.

— Euh, enchanté. »

La femme éclata de rire.

« T'as une tête de marrant, en fait. »

Elle lui écrasa la main dans une poigne de métal.

« J'espère que t'es prêt à en découdre, toi aussi. »

Tout autour se réunissaient des Shawniens en tenue de combat. Des armures et vêtements sombres, pour la plupart. L'opération se déroulerait de nuit.

« Ouais, on va dire ça. »

Saxen vérifia l'épée dans son fourreau, réajusta son casque, posa une main sur son fusil-mitrailleur. Puis jeta un regard en direction de Neelyn. La magicienne, enveloppée dans un manteau bleu marine, regardait de nouveau dans le vide.

« Évite de trop la déconcentrer, conseilla la femme. Dans quelques minutes, ta survie et la mienne dépendront d'elle. Et de celles des autres magiciens, aussi.

— Vous êtes une magicienne, vous aussi ? »

Elle fronça les sourcils.

« Hein ? D'abord, on se tutoie et tu m'appelles Greta, ou sinon je ne réponds pas.

— Euh... alors, tu es une magicienne, aussi, Greta ? »

Elle nia de la tête.

« Pas moi, non. Mon frère l'était un peu, sa femme aussi. Et Neelyn est la prodige de la famille.

— Qui ? Moi ? se réveilla Neelyn.

— Oui, toi, confirma-t-elle. Et je t'interdis de penser le contraire. »

Elle remua les épaules.

« Ça va être impressionnant, cette bataille. Et encore, il paraît que ceux d'en face aussi peuvent arrêter les balles.

— Ouais, les gardes noirs.

— Note, j'ai un plan infaillible, contre ça.

— Ah ? Et c'est ?

— Un bon gros coup de hache dans leurs sales tronches. Je voudrais bien les voir arrêter ça. »

Saxen esquissa un sourire. À mesure que l'échéance se rapprochait croissait une certaine angoisse. Mais il n'avait plus le choix de toute façon. Et puis, le Shawnien refusait de décevoir ses compagnons.

« Tiens, et toi, t'es qui ? demanda Greta.

— Galaniel. »

La femme s'interrompit.

« Galaniel, Galaniel... C'est toi, l'enfant prodige de Zawhyk ?

— Euh, prodige, c'est vite dit.

— C'est drôle, tu ressembles à ton père : tu as les mêmes cheveux et le même regard. »

Elle lui serra — broya — la main.

« Si, en plus, tu te bats comme lui, ça va donner.

— Je ferai de mon mieux », assura le Shawnien.

Un tremblement parcourut l'appareil.

« Ah, je suppose qu'on arrive, s'enthousiasma Greta. C'est pas trop tôt.

— On doit rentrer dans l'atmosphère, maintenant ; la gravité est revenue, d'ailleurs. »

Une nouvelle secousse traversa l'appareil. Galaniel manqua de perdre l'équilibre.

« On arrive plus vite que prévu, comprit le Shawnien.

— Tant mieux, plus vite on arrive, plus vite on castagne. »

Le jeune homme ne répondit pas. La coque gémissait ; dans le hangar, la température s'élevait, degré après degré.

« Je suppose que mon père doit avoir une raison... »

Neelyn attrapa la main de Greta.

« Il y a un problème.

— Quoi ?

— La magie. Elle est perturbée.

— Tu es sûre que ce n'est pas le stress ? »

Elle nia de la tête.

« Non, ça vient d'ailleurs. C'est... comme une sorte de tourbillon qui serait au centre du vaisseau. Je n'ai jamais ressenti ça. »

Elle ferma une main, la rouvrit. Des formes orangées dansèrent sur son gant sombre.

« Ah, tu vois que tu peux toujours lancer des sorts », la rassura Greta.

Elle opina de la tête. Une violente embardée secoua l'appareil ; plusieurs personnes perdirent l'équilibre. Les cris d'agonie de l'appareil s'intensifièrent.

« Qu'est-ce qui se passe ? », gémit Saxen.

Greta se retourna vers lui, attrapa son épaule d'une main ferme.

« D'abord, on se calme, les jeunes. C'est pas bientôt fini de s'émouvoir pour rien alors qu'on est même pas encore arrivés ? Vous savez qui dirige ce vaisseau ? Rien de moins que Zawhyk Dremana Espan. Qui, en plus, a reçu les pouvoirs de la Déesse Cristal. Alors, s'il y a bien quelqu'un qui doit savoir ce qu'il fait, c'est bien ce bonhomme. »

Enfin, j'espère.


Approche d'Oriale, poste de pilotage du premier vaisseau

Trois points rouges s'affichèrent sur le radar, les vaisseaux mères d'Oriale.

Zawhyk resta interdit. La flotte du Général Chef aurait dû se retrouver dispersée sur la lune, à se préparer pour l'invasion. Sméarn Pteï avait-il tout prévu ou quelqu'un l'avait-il informé ?

Mais peu importait. Même si les forces zyssiennes ne disposaient pas d'armes ou de boucliers, Seyer restait un Grand Maître, ses pouvoirs suffiraient à les protéger.

Il ferma les yeux. Comme pour confirmer ses pensées, une nappe de magie se déploya, jusqu'à envelopper toute la flotte zyssienne. La communication radio s'enclencha.

« Je viens d'établir une protection, informa Seyer. Restons groupés. »

Des tirs orialiens traversèrent l'espace pour venir s'écraser sur la barrière. Des irisations parcoururent la bulle invisible, tout autour des vaisseaux.

« Seyer, Zawhyk, j'ai un problème, intervint Alfonsi. Mes moteurs refusent de redémarrer. »

Dans la salle de commandement, Dalen redressa la tête. Ainsi, Stakis avait accompli sa mission. Le reste reposait sur elle, désormais.

Sa main se referma sur un lance-éclairs. La salle de commandement ne comportait en tout qu'une dizaine de personnes, dont elle-même et Zawhyk.

L'homme qu'elle devait abattre.

Inconscient du danger, le Shawnien poursuivait sa conversation avec les autres chefs de vaisseau. Son statut de Voyageur faisait de lui un danger de premier plan, mais elle disposait d'un dernier atout.

Dans sa poche, sa main gauche se referma sur l'inhibiteur. Une arme inespérée, capable de neutraliser les pouvoirs de son adversaire. Elle esquissa un sourire carnassier. Sur Zyx, Rneigl avait accompli un travail remarquable, avec le cambriolage du centre de recherches. Et son apprenti, Stakis, se débrouillait bien, lui aussi. Avec le temps, le jeune homme deviendrait sans aucun doute un atout de poids.

D'un mouvement, elle se leva et déchargea son lance-éclairs sur les Shawniens présents. Hommes et femmes s'effondrèrent, les corps parcourus de crépitements. Zawhyk se retourna, les traits marqués par la stupeur.

« Toi... C'était toi », comprit le Voyageur.

Il étendit une main ; une lueur bleue se regroupa, s'intensifia dans sa paume. Au même instant, Dalen activa son inhibiteur.

La magie se brouilla, se dispersa entre les doigts de Zawhyk.

« Pourquoi ? Pourquoi fais-tu ça ? », demanda le Shawnien.

Elle jeta son lance-éclairs pour dégainer un fusil-mitrailleur. Le bleu de ses yeux se fit aussi froid que la mort.

« Tu ne me laisses pas le choix, Zawhyk. »

La rafale pulvérisa consoles et panneaux de commandes. Zawhyk se précipita derrière une table.

« Zawhyk. Qu'est-ce qui se passe ? grésilla la radio. Ton vaisseau vient de s'écarter des nôtres. À cette distance, je ne pourrai pas... »

D'un nouveau tir, Dalen mit fin à la conversation.

« Tu es aux ordres du Général Chef, c'est cela ? demanda Zawhyk. Depuis combien de temps ? Comment ?

— Aux ordres de ce pantin des Ténèbres ? Certainement pas. »

Adossé contre le bureau dévasté, Zawhyk arma son fusil. Du sang coulait le long de son bras gauche. Plusieurs impacts l'avaient atteint.

« Nous ne sommes pas obligés d'en arriver là, Dalen.

— Malheureusement, si, et j'en suis la première peinée. Tu as mis ton bras au service du Mal.

— Je suis un Voyageur, j'ai mis mon bras au service de la Lumière.

— Justement. »

Il se redressa pour faire feu. À son tour, Dalen se dissimula derrière un bureau. Des vibrations parcoururent la salle ; le vaisseau entrait dans l'atmosphère.

« Tu as été l'une des premières à soutenir mon projet d'échange, reprit Zawhyk. La paix entre les mondes ne signifiait donc rien, pour toi ?

— J'ai seulement soutenu ton projet afin de pouvoir aller librement sur Zyx, d'y retrouver une vieille connaissance. »

Elle avait retrouvé Rneigl, puis rencontré Stakis, nouvel acquis à leur cause. Ensemble, ils vaincraient ces Voyageurs, ils réduiraient à néant cette ridicule opération.

Des voyants d'alarme s'affichèrent sur les écrans encore fonctionnels. La coque externe entrait en surchauffe. Les tremblements s'intensifièrent.

« Laisse-moi accéder aux commandes ou nous allons tous y passer ! ordonna Zawhyk.

— Oh que non. Tu voulais aller à Oriale, nous y allons. »

Le Voyageur serra le poing. Mille hommes attendaient dans les hangars. Dont Galaniel. Son fils.

Si le vaisseau s'écrasait, l'opération échouerait avant même d'avoir commencé. Ils mourraient tous.

Il devait sauver le vaisseau. Sauver ses troupes. Sauver son fils.

Zawhyk se redressa. De part et d'autre, les tirs s'échangèrent. Les rafales pulvérisèrent les dernières consoles, les composants électroniques volèrent en tous sens.

Une nouvelle balle l'atteignit à l'épaule gauche. Il jura, se baissa de nouveau.

« Tu ne peux rien contre moi, Zawhyk. Sans magie, sans le don de ta "Déesse", tu n'es rien de plus qu'un homme. »

Sans l'inhibiteur, le Voyageur aurait aussitôt triomphé. Zawhyk pesta. Il avait entendu parler de ces appareils, mais ne découvrait la pratique que maintenant. Encore une brillante idée d'Alfonsi avec ses fichues recherches. D'autant que cet incapable avait ensuite réussi à se faire dérober les prototypes.

Il se risqua à un coup d'œil. Une pluie de balles le dissuada aussitôt.

La capacité des inhibiteurs, comme tout appareil, devait avoir ses limites. Le Voyageur ferma les yeux, mobilisa l'ensemble de ses capacités. Des étincelles crépitèrent sur tout son corps. La magie refusait de lui obéir, les manifestations s'évanouissaient aussitôt, mais il s'entêta, dépensa ses forces sans compter.

Un choc proche lui fit rouvrir les yeux. Une grenade venait de rebondir contre un mur, la sphère se rapprocha de lui, s'illumina.

Horrifié, Zawhyk fit volte-face, se précipita. Le cri des balles accompagna sa course désespérée.

Déflagration.

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