7 Le passage

Musique en Média : Sunshine (OST - John Murphy) - The Surface Of The Sun


Faustine et Alban se pressaient l'un contre l'autre. En dépit du froid, leurs kidnappeurs s'étaient dévêtus jusqu'à la taille, dévoilant des torses largement balafrés. S'il était encore besoin d'une preuve de leur violence, ces stigmates l'apportaient.

Le groupe s'était arrêté au milieu d'une clairière et s'était entassé dans un large cercle de pierres noires. En son centre trônaient trois arbres de taille moyenne aux troncs pâles et jaunis, semblables à de vieux os flétris. Quant aux feuilles, elles étaient si blanches qu'elles semblaient phosphorescentes.

Le visage fermé, leurs ravisseurs contemplaient le ciel. L'éclat froid de la lune s'attardait avec une étrange insistance au fond de leurs yeux. Ils attendaient. Mais quoi ?

« Peut-être qu'on pourrait... » murmura Alban.

À la manière dont il évaluait les hommes et les alentours, Faustine devina tout de suite qu'il songeait à s'échapper. Elle secoua fébrilement la tête. Il aurait été aisé de croire qu'ils avaient une chance de semer leurs poursuivants et de trouver une cachette parmi les arbres... mais son instinct lui soufflait au contraire que dans la forêt, c'était les autres qui seraient le plus à leur avantage.

Et puis, pendant la marche, elle avait surpris sur eux le regard mauvais du dénommé Reidge. S'ils étaient tous taillés du même bois que lui ou Spline, elle craignait qu'ils soient trop heureux de donner la chasse aux fuyards... et de leur faire passer toute envie de recommencer.

Faustine secoua la tête. « C'est trop risqué. »

Alban l'implora du regard, la supplia de ne pas écraser ainsi son regain d'espoir. En fin de compte, il baissa les yeux sur le sol et renonça lui aussi à l'idée.

Faustine se mordit la lèvre. Elle avait trop honte pour regarder son compagnon d'infortune. Si elle avait été moins faible, moins égoïste, juste un peu moins poltronne, elle aurait fait diversion pour lui donner une chance de s'enfuir. Il le méritait bien après la gentillesse qu'il lui avait témoignée. Mais elle n'en avait pas le courage, pas plus qu'elle n'en aurait eu la force.

Après Sandra, c'était Alban qu'elle laissait tomber.

Un brusque changement de luminosité coupa court à la culpabilité qui lui embuait les yeux.

Ce n'était pas grand-chose, comme un voile léger devant la lune qu'on aurait retiré. Les trois arbres blancs qu'elle avait cru morts se mirent alors à luire de l'intérieur. La lumière, vive à la base, s'écoula dans le tronc puis les branches, formant un réseau complexe de filaments lumineux, jusqu'à ce que les arbres étincèlent entièrement.

Lorsque la lumière toucha enfin les feuilles, elles irradièrent avec une intensité croissante, telles des ampoules en surtension. Puis un doux crépitement emplit la clairière alors que les feuilles commencèrent à noircir.

Lorsque les Arbres de Lune s'éveillèrent enfin, Greudge se sentit soulagé. Et quand leurs feuilles virèrent au noir, il sut qu'il pouvait souffler. Sanathe lui-même n'avait pas été sûr qu'ils seraient en mesure de rentrer.

Selon le vieux chef, les lunes devaient rester alignées pendant soixante-trois jours ce siècle-ci. Et sans Alpha, le seul moyen de passer était d'attendre le premier et le dernier jour de l'alignement.

En toute honnêteté, Greudge n'avait accordé que peu de foi aux calculs de Sanathe, mais en tant que chef de mission, il n'avait eu d'autre choix que de taire ses doutes.

Ainsi, jusqu'à ce moment précis, le jour et l'heure du retour n'avaient été que pure théorie. S'ils avaient loupé le coche ou si quelque chose ne s'était pas passé comme prévu, ils se seraient retrouvés coincés de ce côté-ci pour le siècle à venir - minimum. Et cela signifiait une mort lente et douloureuse pour eux.

Voilà pourquoi il s'était montré aussi tendu à l'idée qu'ils aient le moindre retard.

En arrivant sur place, le premier jour, Greudge avait été saisi d'une inquiétude supplémentaire. Les arbres de Lune étaient carrément rachitiques de ce côté-ci, leurs troncs dépassaient à peine la taille d'un homme ; ils avaient l'air de putains de bonsaïs à côté des arbres par le pouvoir desquels ils étaient partis !

Le mâle s'était demandé s'ils auraient la capacité de les ramener le moment venu. Certes, niveau discrétion, c'était la bonne taille, mais Greudge se foutait bien de la discrétion si cela signifiait rester coincé ici.

Heureusement, le pari s'avérait payant.

Alors que les autres s'abimaient dans la contemplation des pleines lunes réunies, celle de ce monde et celle du leur, il se détourna. Il ne pouvait pas se permettre de tomber sous le joug de l'astre. La lune était rapidement hypnotisante de ce côté-ci et mieux valait rester concentré jusqu'à la fin du passage.

D'ailleurs, les arbres se mirent enfin à respirer, émettant une brume opaque dans le cercle de pierres noires. Le brouillard blanc se heurta à la périphérie du cercle et remonta le long de parois imaginaires jusqu'à former un dôme au-dessus d'eux.

C'était le signal.

« On se réveille bande de feignasses ! » tonna Greudge pour sortir ses camarades de leur rêverie. « Allez, allez putain, on se bouge le cul ! On se tient prêt ! »

Il bouscula l'homme le plus proche qui poussa un grognement mécontent, mais se remit en mouvement. Sous ses admonestations véhémentes, les autres ne tardèrent pas à reprendre leurs esprits aussi. Greudge balaya d'un regard mauvais le groupe de Glanés. Les avortons avaient intérêt à se tenir à carreau. S'ils tentaient quoi que ce soit maintenant, ils ressortiraient du mauvais côté et leur échapperaient à jamais.

Fort heureusement, les humains n'en avaient pas conscience et restèrent sagement à leur place. Cela arrangeait le mâle, mais il en conçut tout de même un vague mépris. Aucun d'eux n'avait assez de couilles pour sauver sa peau ou riposter.

En théorie l'idée de Sanathe était bonne, le sang neuf et tout ça... mais quand il verrait les fiottes qu'ils ramenaient, le vieux chef déchanterait.

« Allez, faites-moi passer tout ça au milieu des arbres. On se magne putain ! »

L'urgence dans sa voix fit obéir les plus récalcitrants. Ses hommes ne connaissaient pratiquement rien au rituel, mais comme lui ils n'avaient aucune envie de rester coincés ici.

Durant tout le passage, Greudge s'efforça de rester calme et alerte en dépit de son envie de pousser tout le monde pour qu'ils en finissent au plus vite.

Ils rentraient enfin chez eux.  

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