6 Appuie-toi sur moi.

Musique en média : Hans Zimmer - Time (Inception)



L'endroit dans lequel ils étaient entassés était devenu de plus en plus glacial au fur et à mesure que le jour tombait. Les kidnappeurs avaient lourdement cadenassé les portes à battants et même s'ils ne l'avaient pas fait, personne n'aurait cherché à s'enfuir.

Maintenant que la nuit s'était installée, on ne voyait plus grand-chose à l'intérieur. On entendait surtout les gémissements et les sanglots des corps meurtris, pressés les uns contre les autres.

Autour d'elle, Faustine ne distinguait que des voix de garçons, à peine plus vieux qu'elle sans doute. La peur appesantissait l'air. Ils crevaient tous de trouille dans leurs bâillons. Faustine était l'une des premières à être arrivée dans la grange. Son compagnon et elle avaient été déchargés de la camionnette comme des meubles ou du bétail. Elle s'était laissée faire, trop effrayée à l'idée d'attiser la colère des hommes malfaisants.

Le garçon du van était juste à côté, sur le sol couvert de terre battue et de paille. Elle avait pu l'étudier un peu à chaque fois que leurs kidnappeurs avaient rouvert les portes et balancé de nouvelles victimes à l'intérieur.

Il n'était pas aussi mal en point qu'elle l'avait d'abord cru. C'était un maigrichon qui devait faire la même taille qu'elle. On lui avait si bien cassé le nez que le pourtour de ses yeux s'était teinté d'une nuance noirâtre. Du sang avait séché sur son menton, sous le bâillon... des dents cassées ou une lèvre fendue peut-être.

Faustine aurait dû s'estimer heureuse de n'avoir pas été frappée, pourtant elle aurait volontiers échangé un nez cassé et quelques bleus contre le souvenir des derniers moments de Sandra.

Dans son petit short et débardeur de pyjama, elle avait extrêmement froid. Quand son voisin le remarqua et se dandina dans ses cordes pour se serrer un peu plus contre elle, elle éprouva de la gratitude plus que de la gêne.

Elle aurait voulu le remercier, lui parler pour qu'ils se rassurent mutuellement, mais c'était impossible. Et de toute façon, qu'auraient-ils dit ? Qu'ils voulaient rentrer chez eux ? Qu'ils avaient peur et qu'ils ne voulaient pas mourir ? Il n'avait pas l'air de savoir plus qu'elle pourquoi ils étaient là.

Faustine songea qu'en à peine une journée, sa vie avait pris un tournant dramatique. Plus ils avaient roulé et plus elle avait perdu son maigre espoir d'être retrouvée.

Même morte.

Pour finir, la seule chose qui trottait dans sa tête était une supplique adressée aux ténèbres. Pourvu que je ne souffre pas trop.

De toute évidence, ils étaient victimes d'une bande organisée particulièrement violente. Elle avait repensé à ces récits sur les sectes qui enlevaient des gens, les torturaient et les tuaient parce qu'ils n'étaient pas considérés comme des êtres humains à leurs yeux.

Elle avait lu des trucs à faire froid dans le dos. Elle s'imaginait déjà, égorgée comme une truie, dans un grotesque rituel d'invocation satanique. Dans le noir, au milieu de tous ces inconnus terrorisés, c'était les seules choses auxquelles elle pouvait penser.

Ça, et Sandra. Ce qui en définitive revenait au même.

Faustine se mit à trembler comme une feuille et son voisin posa sa tête sur son épaule, comme pour la réconforter.

En temps normal partager la chaleur corporelle d'un parfait étranger l'aurait dégoûtée, mais ici, comme dans la camionnette, ce fut exactement ce qu'il lui fallait pour ne pas s'effondrer totalement.

D'un seul coup, elle n'avait plus dix-huit ans, mais huit et le besoin irrépressible qu'on lui dise que tout irait bien. Et la tête de cet inconnu sur son épaule était ce qui s'en approchait le plus.

Elle n'en sursauta que plus violemment lorsque les portes s'ouvrirent à la volée.

Un silence de mort s'abattit dans la grange, plus de gémissements, plus de sanglots. Les plus courageux avaient les yeux rivés sur la nuit au-dehors et les autres attendaient fébrilement la prochaine épreuve, sans oser la regarder en face.

« Sortez-moi ça en vitesse », tonna une voix dure.

Faustine reconnut l'homme qui les avait observés lorsqu'ils étaient arrivés dans la camionnette. Celui que ses deux monstres de kidnappeurs, Reidge et Spline, avaient appelé Greudge.

Plusieurs des hommes passèrent entre eux, détachant leurs liens au fur et à mesure, les laissant se débrouiller pour ôter leurs bâillons et se remettre sur pieds. La consigne était de sortir de la grange et Faustine ne songea pas à désobéir.

« C'est quoi cet accent ? » marmonna-t-elle en écoutant leurs ravisseurs parler. Elle l'avait déjà remarqué plus tôt chez le dénommé Spline, mais elle n'y avait pas prêté attention. En écoutant avec plus d'attention, elle n'arrivait toujours pas à mettre le doigt sur leur origine.

« Aucune idée », chuchota son voisin qui venait à son tour d'ôter son bâillon.

Les jambes à demi percluses par le froid et l'immobilité, Faustine peinait à se relever. Le garçon n'avait pas eu cette difficulté et la panique la gagna lorsqu'il commença à s'éloigner sans elle. Elle ne voulait pas être séparée. Elle ne voulait pas attirer l'attention !

Il se rendit compte qu'elle ne suivait pas et finit par se retourner. Il saisit tout de suite ce qui n'allait pas et revint prestement sur ses pas. Il se pencha et la saisit sous les aisselles.

« Appuie-toi sur moi », chuchota-t-il, si bas que Faustine faillit ne pas l'entendre.

« Merci. »

Il lui sourit. Un sourire triste. « Moi c'est Alban. »

« Faustine », souffla-t-elle et elle ne put s'empêcher de répéter : « Merci Alban. »

Alban n'était vraiment pas costaud et devait être aussi éprouvé qu'elle par les dernières vingt-quatre heures, pourtant il supporta aisément son poids. Avec son soutien, Faustine rejoignit les autres au-dehors, pour attendre dans la nuit froide les instructions suivantes.

Les Glanés étaient nombreux, bien plus que leurs agresseurs en fait, pourtant aucun d'eux ne chercha à s'enfuir. Cela valait mieux, car avec des jambes engourdies par le froid et un estomac creux, ils n'avaient aucune chance de s'échapper. En outre, bien que du genre épais et musculeux, leurs agresseurs étaient loin d'être des balourds.

Un truc tiède tomba soudain sur les épaules de Faustine et l'enveloppa du cou aux genoux. Un manteau, comprit-elle en resserrant instinctivement les bords contre la poitrine.

Le manteau d'Alban plus exactement. Faustine lui sourit faiblement. Il faisait à peine sa taille et était plus mince qu'elle, tout en os. Elle craignit qu'il eût froid sans son manteau. Il ne portait qu'une chemise et un pantalon et les nuits de janvier avaient de quoi glacer n'importe qui jusqu'aux os.

« Désolé pour les chaussures », grimaça Alban avant qu'elle ait pu protester pour le manteau. Il regardait leurs pieds. « Je ne crois pas qu'on fasse la même pointure. »

Faustine étouffa un semblant de rire. Effectivement. Maigrichon et pas bien grand, Alban semblait être chaussé de palmes plutôt que de baskets.

Il lui sourit et grimaça quand sa lèvre fendue le rappela à l'ordre. Les larmes montèrent aux yeux de Faustine devant ce type au visage tuméfié qui venait d'offrir son manteau à une parfaite inconnue et lui aurait même filé ses chaussures s'il avait pu. Elle regarda ses propres pieds, nus, et ne fut pas certaine qu'elle en aurait fait autant à sa place.

Une voix rugissante la fit sursauter : « Putain, il est à qui celui-là ?! Il est mort bande d'enfoirés. Dégagez-le ! »

Mues par le même instinct, les victimes se tassèrent, cherchant dans l'attroupement une sécurité qui n'existait pas. Au milieu du groupe, Faustine ne vit bientôt plus rien aux alentours, hormis les crânes de ses compagnons d'infortune. Elle crut entendre le bruit d'un corps traîné dans la poussière, mais elle n'aurait pu l'affirmer avec certitude. C'était sans doute mieux comme ça.

Il fallut ensuite se mettre en marche.

Elle remercia presque le froid qui engourdissait ses pieds nus et dissipait un peu la cruelle morsure des cailloux. Alban l'aidait à clopiner du mieux qu'il pouvait, supportant la majeure partie de son poids.

« Où est-ce qu'ils nous emmènent ? »

« Je ne sais pas », lui répondit la voix tremblante d'Alban.

De froid ou de peur, Faustine n'aurait su le dire. Elle préféra imaginer que c'était le froid.

Ils arrivèrent bientôt à l'orée d'un bois dans lequel Greudge, le meneur, s'enfonça sans hésitation. Même hors contexte, cette forêt aurait été sinistre à souhait. L'hésitation des humains à s'avancer parmi les arbres fut palpable, mais en définitive, ils n'avaient pas le choix et durent suivre le mouvement.

Faustine se mit à serrer fort l'épaule d'Alban qui ne protesta même pas contre les doigts qui lui rentraient cruellement dans la chair.

Pourvu que ce ne soit pas la fin.

Dans les ténèbres et les troncs goudronnés de nuit qui se refermaient sur eux, ils prièrent de toutes leurs forces.

Pourvu qu'ils vivent.

Pourvu qu'ils ne souffrent pas.

Mais cette supplique silencieuse serait vaine, là où ils allaient. 

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