11 Des histoires dans le noir.

Musique en média : Ólafur Arnalds - Particles ft. Nanna Bryndís Hilmarsdóttir

- On en apprend un peu plus sur l'endroit et les personnages ... n'hésitez pas à me laisser un petit commentaire ! Tous les avis sont les bienvenus :) -


Cette nuit-là, Faustine pleura enfin. De faim parce qu'ils n'avaient rien mangé depuis deux jours, d'épuisement aussi parce qu'il avait fallu marcher pendant des heures le ventre vide et sans chaussures. De peur également.

Et elle pleura pour Sandra, bien sûr.

Si Alban avait été là, il aurait passé un bras autour de ses épaules. Ils se connaissaient si peu et pourtant, sa présence lui manquait cruellement. On avait séparé les garçons des filles à leur arrivée dans les grottes où vivaient les créatures malfaisantes.

Au-dehors, les canyons étaient un labyrinthe immense et écrasant. Au-dedans, les galeries étroites se croisaient à l'infini dans un enchevêtrement inextricable. On avait mené les quatre filles toujours plus loin dans les profondeurs du dédale. Des puits de lumière naturels dessinaient de faibles halos de lumière au sol, mais on n'apercevait jamais le ciel par ces trous tortueux.

Alors que l'air se raréfiait, l'homme qui les menait s'était arrêté devant une cavité haute et profonde. Creusée à même la paroi, elle était fermée par une grille en bois dur. L'homme les avait poussées sur le sol tapissé d'herbes sèches et refermé sur elles les barreaux de cette cage improvisée.

Puis son acolyte et lui étaient repartis en emportant la torche, seule source de lumière. L'oxygène était trop rare si loin de la sortie pour qu'on laisse une flamme le dévorer.

Faustine avait d'abord détesté ces ténèbres ; puis elle les avait bénies, car elles dissimulaient aux autres son corps recroquevillé de peur et ses larmes d'impuissance. Elle s'était crue cachée. Jusqu'à ce que des doigts tâtonnent le long de son bras et qu'une petite main se glisse dans la sienne pour la presser gentiment.

Elle se demandait laquelle des trois autres filles cherchait à la réconforter quand une voix claire murmura des paroles de prière adressées à la Vierge Miséricordieuse et au Dieu Tout-Puissant.

C'était la bigote. Non...

Céleste.

Faustine songea que la petite blonde n'était pas si folle, contrairement à ce qu'avait laissé entendre Margaux. Elle-même ne croyait pas à toutes ces bondieuseries, mais elle trouva dans cette voix douce un certain apaisement, le même qu'aurait ressenti un enfant bercé par une comptine.

« Merci », dit Faustine après un moment.

« Ne t'en fais pas », répondit Céleste en pressant de nouveau sa main. « Tout ira bien... Le Seigneur veille sur nous. »

« Arrête Céleste », la réprimanda sèchement la voix de Margaux. « Viens pas nous sortir tes salades. Il était où ton Dieu quand tu t'es fait embarquer ? Il était où pendant que tu chialais toutes les larmes de ton corps ? Fais-moi pas rire ! »

« Qu'est-ce que ça peut te foutre ? » gronda hargneusement une voix qui ne pouvait appartenir qu'à Céline, le dernier membre de leur quatuor. Elle avait un timbre un peu rauque qui collait bien avec ses cheveux courts et son regard dur.

« Toi je t'ai pas sonn- »

« Je crois qu'ils ne m'ont pas enlevée par hasard », dit soudain Faustine, coupant court à la dispute qui menaçait d'éclater. « Je veux dire, d'une certaine manière c'est comme s'ils m'avaient choisie, même si je ne vois pas pourquoi... »

Malgré elle, elle déballa tout, sur les SMS, la fête, l'enlèvement... Sandra. Pour les sujets joyeux et réconfortants on repasserait, mais d'une certaine manière raconter la soulagea. Et les autres firent de même après elle.

Des histoires dans le noir. L'espace d'une nuit, leur enlèvement ne fut plus que cela.

Alors qu'elle se laissait terrasser par l'épuisement, Faustine songea qu'elles auraient dû tenter d'échapper à cette prison sommaire. Mais à quoi bon ? Dans le pêle-mêle de galeries elles avaient plus de chance de tomber nez à nez avec leur ravisseur ou de se perdre... pour toujours peut-être.

Après la nuit vint de nouveau le matin. Du moins Faustine le supposa-t-elle quand la lumière d'une torche les réveilla, ce qui semblait être des heures plus tard. Les grilles s'ouvrirent et on leur balança un tas de frusques – des tissus et cuirs usagés à l'odeur repoussante – avec l'ordre de s'habiller.

Quand les geôliers qui devaient leur servir d'escorte ne firent pas mine de détourner le regard, elles comprirent qu'ils comptaient profiter du spectacle.

Céline se résigna la première. Elle attrapa ce qui devait être un pantalon et une sorte de tunique, se retourna et se changea rapidement, mais sans affolement par-dessus ses sous-vêtements. Alors qu'elle venait d'enfiler le bas, l'un des hommes précisa d'une voix traînante qu'elle devait retirer tous ses vêtements.

La jeune femme se raidit ostensiblement, mais obtempéra sans broncher. Elle ne leur ferait pas le plaisir d'être gênée. Le pervers qui fixait Margaux grogna quand celle-ci leur tourna à son tour le dos et commença à imiter la fille aux cheveux courts.

En voyant que Céleste était restée pétrifiée tout ce temps, Faustine reprit ses esprits. La petite blonde serait moins traumatisée par l'expérience si elles se dévêtaient toutes ensemble. Elle lui colla donc une tenue dans les mains et la poussa un peu plus vers le fond.

Leur petit numéro ne plut pas aux gardiens et tout le temps que dura le retour vers la sortie, les deux hommes les invectivèrent et les bousculèrent à chaque fois que l'une d'elles trébuchait ou ralentissait dans les couloirs sombres. Alors que leur petite troupe zigzaguait au sein de la roche pour retrouver la sortie, Faustine songea aux récits qu'avaient faits les autres la veille.

Céleste revenait de la messe quand elle avait été enlevée. C'était un dimanche matin. Comme ses parents étaient absents pour le weekend, elle s'était rendue seule à l'église, à pied. En rentrant, elle avait emprunté le raccourci par le petit bois. Ils l'attendaient sur le chemin. L'un d'eux était apparu devant elle. Sa mine patibulaire avait poussé Céleste à faire demi-tour, mais l'autre lui barrait déjà toute retraite. Une curieuse impression de déjà-vu laissait supposer qu'ils la suivaient depuis quelques jours, attendant le bon moment, et qu'elle les avait déjà croisés.

À l'écouter, le plus dur dans cette histoire était de ne pas comprendre pourquoi le Seigneur la mettait ainsi à l'épreuve. Céleste priait tous les soirs et suivait à la lettre les diktats de la religion en matière de bonté, de morale et de vertu. Elle ne pouvait s'expliquer qu'Il la livre à un sort si cruel. Sa foi s'en trouvait rudement ébranlée et c'était ce qui la déboussolait le plus, en définitive.

Pour sa part, Céline était restée succincte et Faustine lui enviait son calme et son détachement alors qu'elle contait son épreuve. La fille aux cheveux courts était seule chez elle quand on avait sonné à la porte un après-midi de semaine. Elle avait ouvert sans se méfier. Le type ne s'était pas présenté, il avait juste frappé : un coup au ventre qui avait plié la jeune fille en deux et un deuxième qui l'avait fait s'écrouler. Après c'était le noir complet. Elle s'était réveillée dans un hangar abandonné et quelques jours plus tard on l'avait conduite jusqu'à la fameuse grange.

Quant à Margaux, c'était sans doute l'histoire qui avait le plus surpris Faustine. Avec son jean troué, son pull jaune fluo et sa tignasse bouclée, elle n'avait pas vraiment l'allure d'une clubbeuse. Son kidnappeur l'avait pourtant ramassée en sortie de boîte de nuit, il l'avait draguée au détour d'une ruelle et elle s'était laissée embobiner. La soirée ne s'était pas passée exactement comme prévu. Elle avait dû perdre ses talons hauts dans la foulée, ou bien s'en était débarrassée.

Alors que les jeunes femmes débouchaient à l'air libre, Faustine se dit qu'elles n'avaient rien en commun, hormis leurs âges proches et leur banalité. Elle restait pourtant convaincue que le hasard n'avait pas commandé ces enlèvements. Toutes, ils les avaient attendues. Ils avaient repéré leurs proies et guetté le moment opportun. Cependant, elle avait beau chercher, elle ne comprenait pas leurs motivations.

Que cherchaient des créatures semi-humaines, des loups-garous vraisemblablement, venues d'un autre monde pour capturer quatre pauvres filles et une flopée de garçons apeurés, à peine sortis de l'adolescence pour certains ? Comptaient-ils les manger, les transformer ? Ça n'avait pas de sens.

L'aube se levait seulement dehors, mais la luminosité leur fit plisser les yeux malgré tout. Leur petit groupe venait de déboucher au fond du canyon, au carrefour de cinq couloirs de roches dont les parois monumentales s'élevaient si haut que le soleil ne baignerait pas les lieux avant d'être au sommet de sa course.

L'intersection offrait une sorte de placette dégagée en son cœur et l'endroit était occupé par une horde d'hommes malfaisants. Ils étaient bien plus nombreux que la veille et Faustine compta avec surprise quelques têtes féminines dans leurs rangs. Du moins le crut-elle. Les expressions de ces dernières étaient si farouches qu'elle n'aurait pas parié sur leur genre.

Comme elles quatre, les garçons étaient là, vêtus de leurs nouvelles tenues. Ils attendaient, groupés au milieu de l'étendue sableuse et plane, encerclés par la faune locale. Plus loin, il y avait un feu dans lequel brûlaient leurs anciens vêtements. L'un des hommes qui les escortaient alla ajouter leurs vêtements au bûcher.

Les flammes engloutirent les derniers vestiges de leur vie d'avant.

Et dans quelques instants, leur nouvelle vie débuterait pour de bon...

Malheureusement, elle ne s'annonçait pas réjouissante.

Ni nécessairement longue. 

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