Chapitre 22 : Parler ?

Mirabel, le visage impassible, se tenait derrière un modeste stand en bois, distribuant les arepas chauds préparés par sa mère. Le marché du village, animé et bruyant, bruissait d'exclamations et de conversations excitées. Les habitants formaient une longue file, impatients de goûter aux célèbres arepas guérisseurs de Julieta. Depuis que la nouvelle s'était répandue que son don était revenu, tout le monde voulait en profiter. Pourtant, Mirabel restait silencieuse, ses gestes mécaniques, évitant tout contact visuel avec les villageois.

Un enfant lui tendit timidement une pièce, et sans un sourire, elle déposa un arepa dans ses petites mains. Une vieille femme lui fit un commentaire chaleureux sur son dévouement, mais Mirabel ne répondit qu'avec un hochement de tête avant de fixer à nouveau la file.

Non loin de là, Bruno, qui observait la scène depuis l'ombre d'un arbre, fronça les sourcils en voyant la lassitude pesante sur les épaules de sa nièce. Il se détourna et chercha du regard ses sœurs, Julieta et Pepa, ainsi qu'Alma. Quand il les aperçut en train de discuter à quelques mètres, il agita frénétiquement la main pour attirer leur attention. Julieta, toujours préoccupée par Mirabel, croisa son regard et remarqua son expression urgente. Elle échangea un bref mot avec Pepa et Alma, puis toutes trois s'approchèrent.

Bruno les attendait dans une ruelle plus calme à l'écart de la foule. Ses yeux trahissaient une nervosité inhabituelle. Il fit un geste pour les presser.

- Je dois vous parler, c'est important, murmura-t-il en s'assurant que personne d'autre ne les suivait.

Pepa croisa les bras, visiblement agacée par l'air dramatique de son frère.

- Bruno, qu'est-ce que tu fais encore de mystérieux ? Tu ne pouvais pas attendre qu'on soit tous réunis ?

Bruno secoua la tête, son ton plus grave qu'à l'accoutumée.

- Non, ça ne peut pas attendre...C'est au sujet de Mirabel.

Alma, qui avait écouté en silence, redressa les épaules, une ombre de culpabilité passant sur son visage.

- Qu'a-t-elle fait maintenant ? demanda-t-elle d'un ton prudent, mais Bruno lui lança un regard incisif.

- Ce n'est pas ce qu'elle a fait, Mamá. C'est ce qu'on lui fait subir. Regardez-la !? Elle ne parle plus, elle ne sourit plus. Elle porte tout sur ses épaules et ne se plaint jamais. Mais à l'intérieur...Je crois qu'elle s'effondre, et personne ne semble s'en soucier !

Julieta baissa la tête, la douleur évidente sur son visage. Pepa serra la mâchoire, les mains tremblant légèrement, signe que ses émotions étaient prêtes à exploser. Alma détourna le regard, son expression indéchiffrable.

- Alors qu'est-ce qu'on peut faire, Bruno ? demanda Julieta, la voix brisée. Je veux l'aider, mais elle se ferme à nous !

Bruno fixa chacune de ses sœurs avant de répondre :

- On doit arrêter de lui demander d'être forte. Elle ne peut pas porter tout ce poids seule. Et Mamá...Il tourna un regard accusateur vers Alma. Elle a besoin que tu lui dises que tu regrettes, pas en silence et pas avec des gestes...Seulement avec des mots !

Le silence qui suivit était presque assourdissant, rompu uniquement par les bruits du marché en arrière-plan. Alma sembla vaciller, comme si les mots de Bruno avaient frappé un endroit douloureux en elle. Julieta posa une main sur son épaule, l'encourageant doucement.

- Il a raison, mamá, murmura Julieta.

Alma hocha lentement la tête, son regard se perdant dans la direction du marché, là où Mirabel continuait à travailler, isolée du reste du monde.

Bruno, visiblement décidé, fit les cent pas en expliquant son idée.

- Écoutez-moi bien, dit-il, levant les mains comme pour calmer les objections. Je ne dis pas que Mirabel est folle, mais parfois, on a besoin de parler à quelqu'un qui n'a pas vécu avec nous, quelqu'un de neutre. Elle a traversé beaucoup de choses, et je pense qu'un expert pourrait l'aider à mettre de l'ordre dans ses pensées. Et si ça peut nous aider, tant mieux.

Julieta, bras croisés, semblait hésitante.

- Je comprends ce que tu dis, Bruno. Mais comment pouvons-nous être sûrs que cette personne saura réellement l'aider ? Et puis...Je n'aime pas l'idée de raconter des choses si personnelles à un étranger !

Alma hocha la tête avec approbation, les lèvres pincées.

- Je suis d'accord avec Julieta. Ces thérapeutes ne sont intéressés que par l'argent. Ils ne se soucient pas vraiment de la personne en face d'eux.

Pepa soupira bruyamment, croisant ses bras également.

- Et puis, Bruno, comment veux-tu que Mirabel se confie ? Elle a toujours été si réservée, même avec nous. Et tu proposes qu'elle s'ouvre à un inconnu ?

Bruno, déterminé, pointa un doigt vers sa sœur.

- C'est précisément pour ça que ça pourrait marcher ! Nous sommes sa famille, et avec tout ce qui s'est passé, elle pourrait se sentir jugée par nous. Mais avec quelqu'un d'extérieur, il n'y aurait pas ce poids.

Le silence retomba un moment, chacun pesant les paroles de Bruno. Julieta semblait troublée. Elle porta une main à son front.

- Je veux ce qu'il y a de mieux pour Mirabel...Mais l'idée de la forcer à aller parler à quelqu'un qu'elle ne connaît pas...Et si ça la faisait se refermer encore plus ?

Bruno haussa les épaules, conscient des réticences.

- Je ne dis pas qu'on doit la forcer. Mais peut-être qu'on peut lui en parler, voir ce qu'elle en pense. Et si elle est d'accord, alors pourquoi pas ? Cela pourrait être un moyen pour elle de trouver une partie de ce qu'elle a perdu.

Pepa haussa un sourcil, hésitante.

- Et si elle refuse ?

- Alors, on respecte son choix, répondit Bruno avec douceur. Mais au moins, on aurait essayé !

Julieta, après un long silence, soupira profondément. Elle semblait sur le point de céder.

- Je vais y réfléchir, Bruno. Mais je veux être certaine que Mirabel se sente en sécurité et respectée, quoi qu'on décide.

Alma, les bras toujours croisés, sembla sur le point d'ajouter quelque chose, mais elle se tut finalement, jetant un regard pensif vers les villageois.

Bruno, malgré les objections, semblait satisfait d'avoir planté l'idée dans leurs esprits.

- C'est tout ce que je demande, conclut-il.

🕯✨️🕯

La matinée touchait à sa fin, et Mirabel venait de vendre les derniers arepas que sa mère avait préparés. Elle comptait la petite somme d'argent dans sa main, son visage toujours marqué par ce vide caractéristique. Julieta, qui avait observé sa fille depuis un moment, s'approcha doucement. Elle s'accroupit devant Mirabel, une lueur d'inquiétude dans ses yeux, mais aussi une détermination bienveillante.

- M-Mirabel...commença-t-elle doucement, pour ne pas la brusquer.

Elle posa une main sur la joue de sa fille, caressant sa peau avec une tendresse qui n'avait pas faibli malgré les récents événements.

- Je sais que c'est compliqué pour toi en ce moment. Tu traverses beaucoup de choses, et j-je veux t'aider ! J'ai une proposition à te faire.

Mirabel, surprise par le ton inhabituellement prudent de sa mère, leva un regard interrogateur. Julieta hésita un instant avant de poursuivre, ses yeux cherchant à capter ceux de sa fille.

- Q-Que dirais-tu de suivre une séance thérapeutique ? Pas pour te forcer à quoi que ce soit, mais pour te donner un espace où tu pourrais parler. Où tu pourrais peut-être commencer à te sentir mieux.

Julieta marqua une pause, observant attentivement la réaction de Mirabel. Sa voix baissa, presque un murmure.

- Tu n'es pas obligée de dire oui. C'est ton choix, entièrement le tien. Mais je veux que tu saches que je suis là, et que tu n'es pas seule dans tout ça.

Mirabel resta silencieuse, son regard s'éloignant légèrement vers le sol. Derrière elles, Isabela et Luisa se tenaient là, observant discrètement la scène. Les deux sœurs étaient visiblement prises au dépourvu par cette discussion.

Luisa, d'ordinaire forte et stoïque, avait l'air déstabilisée. Quant à Isabela, elle plissa légèrement les lèvres, comme si elle comprenait soudain la profondeur du vide qui hantait leur cadette. Elles n'avaient jamais imaginé que leur mère proposerait une telle démarche, et encore moins qu'elles assisteraient à ce moment vulnérable.

Mirabel finit par relever les yeux vers sa mère. Elle n'avait pas encore de réponse, mais une larme roula doucement sur sa joue. Julieta, sans attendre une réponse immédiate, essuya la larme avec douceur et murmura :

- Prends ton temps, ma vida ! On avance à ton rythme.

Mirabel, le regard décidé mais teinté d'incertitude, attrapa doucement le bras de Julieta alors que celle-ci s'apprêtait à adresser un sermon à Isabela et Luisa. D'une voix basse mais ferme, elle murmura :

- Mamá, j'accepte la séance thérapeutique. Je veux la faire aujourd'hui.

Julieta resta immobile un instant, assimilant les paroles de sa fille. Puis, un sourire doux, empreint d'espoir et de soulagement, éclaira son visage. Elle hocha la tête en posant sa main sur celle de Mirabel.

- Très bien, mi vida. Viens, nous allons en parler avec tes oncles, ta tía, et Abuela pour organiser cela.

Elle attrapa la main de Mirabel et l'entraîna doucement, marchant direction de la Casita.

Isabela et Luisa, qui observaient la scène, restèrent figées, des expressions de stupeur peintes sur leurs visages. Dolores, les bras croisés et le regard pensif, chuchota quelque chose à Camilo, qui semblait prêt à faire une remarque légère. Lorsqu'il remarqua l'état des deux sœurs, il ne put s'empêcher d'ajouter avec un sourire en coin :

- Ben quoi, vous avez vu un fantôme ou quoi ?

Isabela se tourna lentement vers lui, les yeux écarquillés.

- Elle a accepté. Elle veut vraiment parler à quelqu'un ! UN INCONNU !?

Luisa, d'une voix faible, ajouta :

- C'-C'est la première fois qu'elle prend cette initiative.

Camilo haussa les sourcils, légèrement surpris, mais finit par hausser les épaules avec un air rassurant.

- Eh bien, c'est une bonne chose, non ? Peut-être qu'elle va enfin s'ouvrir. En tout cas, je ne suis pas surpris. J'ai toujours dit que ma prima était plus forte que vous ne le pensiez !

Dolores, un sourire en coin, lui donna un léger coup sur le bras.

- Camilo, c'est SÉRIEUX !?

Il leva les mains en signe de reddition, mais son regard se perdit un instant sur le sentier par laquelle Mirabel et Julieta étaient parties. Derrière ses plaisanteries habituelles, une lueur d'inquiétude se lisait dans ses yeux.

Dans le silence qui s'installait, les trois jeunes femmes se regardèrent, un mélange d'espoir et de regret sur leurs visages. Isabela murmura presque pour elle-même :

- Peut-être, qu'on devrait faire un peu plus d'efforts aussi.

Luisa hocha doucement la tête, le poids de ses propres maladresses semblant peser sur ses épaules. Dolores, toujours calme et réfléchie, répondit doucement :

- Ce n'est pas trop tard, mais il va falloir être patientes.

🕯✨️🕯

Dans la grande salle où la famille Madrigal s'était rassemblée, Julieta s'avança doucement vers Mirabel avec un sourire encourageant. Elle posa une main réconfortante sur son épaule, un geste qui semblait à la fois protecteur et apaisant. À ses côtés, Bruno fit un pas en avant, le visage légèrement inquiet mais déterminé. Il esquissa un sourire hésitant et dit doucement :

- Mirabel, je voudrais te présenter quelqu'un. Voici María. Elle est thérapeute et elle a aidé beaucoup de personnes ici, surtout des enfants comme toi. Je pense qu'elle pourrait t'écouter et te comprendre. Mais c'est entièrement ton choix !

Pepa, se tenant à côté avec Félix, intervint rapidement pour appuyer les paroles de Bruno.

- María est douce et patiente. Tu n'as aucune obligation, mais elle pourrait vraiment t'aider. On sait que c'est beaucoup pour toi...Et si tu ne te sens pas prête, c'est parfaitement compréhensible.

Mirabel resta silencieuse, son visage toujours figé dans une expression distante. Elle fixa María, une femme chaleureuse d'une trentaine d'années, habillée simplement mais avec un air rassurant et des yeux débordant de bienveillance. María lui sourit doucement et inclina légèrement la tête.

- Bonjour, Mirabel. Merci de me laisser te rencontrer. Si tu es d'accord, nous pourrions discuter un peu. Et si ça ne te plaît pas, tu n'as pas à continuer. Tout est entre tes mains.

Mirabel baissa les yeux un instant, réfléchissant, avant de murmurer d'un ton presque inaudible :

- Je devrais au moins essayer... Enfin, je suppose.

Bruno hocha la tête avec soulagement tandis que Julieta serrait doucement la main de sa fille. Pepa murmura un "bien joué, ma sobriña" à Mirabel avec un sourire d'encouragement. María répondit avec douceur :

- Merci de me faire confiance, même juste un peu. Ça compte beaucoup. Peux-tu me montrer ta chambre, là où tu te sens le plus toi-même ?

Mirabel hésita un instant, puis hocha la tête, se retournant vers l'escalier en silence. Alors qu'elle avançait avec María, Pepa essuya discrètement une larme en la voyant enfin s'ouvrir un peu, tandis que Bruno et Félix échangeaient un regard plein d'espoir.

Dans l'ombre de l'entrée, Abuela regardait la scène avec une expression indéchiffrable, observant les premiers pas de sa petite-fille vers une possible guérison.

🕯✨️🕯

Mirabel était assise sur son lit, les mains croisées sur ses genoux, son regard fixé sur un point invisible au sol. Maria, était assise sur une chaise en face d'elle. Son carnet de notes reposait sur ses genoux, ouvert mais presque vide. Elle n'écrivait que peu, préférant écouter attentivement la jeune fille.

Mirabel parla d'une voix hésitante, presque murmurante, mais les mots coulaient comme un flot inarrêtable. Elle raconta tout : comment elle s'était sentie rejetée, comme si elle était une pièce défectueuse dans une famille extraordinaire ; les regards de déception, les murmures, et la manière dont ces petites blessures avaient creusé un gouffre en elle au fil des ans. Elle évoqua aussi le regret immense qui pesait sur ses épaules depuis qu'elle avait détruit la bougie, tout en essayant de réprimer les larmes qui montaient.

Maria, assise calmement, hochait la tête de temps à autre, invitant Mirabel à continuer. Sa voix douce coupait parfois le silence pour poser des questions :

- Et qu'est-ce que tu ressens exactement quand tu penses à Antonio ou Camilo ? À ces moments où tu te sens vide, à quoi te raccroches-tu ?

Mirabel répondit sincèrement, bien qu'hésitante. Elle parla de l'affection qu'elle avait toujours ressentie pour Antonio, ce lien spécial qu'ils partageaient malgré tout. Elle raconta aussi sa culpabilité envers Camilo :

- Il a été là, il a essayé de m'aider...Mais je l'ai trahi. Je lui ai menti, et pourtant, il reste là ! Pourquoi ? Comment peut-il encore tenir à moi alors que j'ai tout détruit ?

Maria écrivit quelques mots rapides avant de lever les yeux.

- C'est parce qu'il t'aime, Mirabel. Et tu dois te souvenir que, même si tu te sens vide, ces liens que tu as avec eux et le reste de ta famille existent encore. Ils ne sont pas parfaits, mais ils sont réels.

Mirabel baissa les yeux. Elle murmura, presque pour elle-même :

- Mais est-ce que ça suffira pour combler ce vide ?

Maria garda le silence un moment avant de répondre, avec une assurance douce mais ferme :

- C'est un premier pas. Ce n'est pas quelque chose que tu dois combler seule...Tu n'as pas à porter tout ça sur tes épaules !

Mirabel hocha la tête, bien qu'elle semblait toujours en proie au doute. Après un moment de silence, elle releva timidement les yeux :

- Peut-on arrêter pour aujourd'hui ? J-Je suis fatiguée señora Maria...

Maria referma doucement son carnet avec un sourire compréhensif.

- Bien sûr, Mirabel. Nous avons terminé pour aujourd'hui. Tu as fait du bon travail !

Les deux femmes se levèrent, Maria tapotant gentiment l'épaule de Mirabel en signe de réconfort. Mirabel, quant à elle, resta un instant immobile, regardant Maria quitter la pièce, avant de la suivre.

Les deux femmes sortent de la chambre de Mirabel, le visage marqué par une profonde réflexion. Mirabel, sans un mot, aperçut Antonio près du jardin en train de jouer avec ses jouets. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, un rare éclat de lumière dans son regard sombre. Elle choisit d'ignorer les adultes présents et se dirigea vers Antonio, s'asseyant près de lui pour l'accompagner dans son jeu, trouvant un semblant de répit dans l'innocence et la simplicité de son jeune cousin.

Maria s'éloigna doucement, observant Mirabel avec un mélange de tendresse et d'inquiétude. Elle se tourna ensuite vers le groupe d'adultes composé de Bruno, Pepa, Félix, Alma, Julieta et Augustín, qui attendaient anxieusement dans le salon. Leur regard la transperçait, espérant des réponses. Julieta, en particulier, semblait au bord des larmes, tenant ses mains serrées contre son cœur.

Elle inspira profondément avant de prendre la parole :

- Mirabel est en souffrance, mais elle est aussi incroyablement forte. Elle porte une douleur qu'aucune jeune fille de son âge ne devrait supporter, et son sentiment de vide persiste. Elle a l'impression que sa valeur ne peut exister qu'à travers le miracle qu'elle a détruit, ce qui la ronge de culpabilité. Cependant, il y a un profond mélange de colère et de résignation. Elle oscille entre vouloir se racheter et une sensation d'abandon total.

Bruno fronça les sourcils en murmurant :

- Et ce vide qu'elle ressent...Tu as pu comprendre d'où il vient ?

Maria hocha la tête, cherchant ses mots.

- Ce vide vient de plusieurs choses. De l'absence d'amour qu'elle a perçu toute sa vie, de ses années à se sentir inférieure, et surtout de la conviction qu'elle ne mérite pas de seconde chance. C'est comme si elle avait construit un mur autour de son cœur, un mur difficile à briser, car elle a peur de souffrir à nouveau.

Pepa, les bras croisés, semblait hésitante avant de murmurer :

- Je savais qu'elle était blessée, mais pas à ce point... Et nous avons tous contribué à ça, n'est-ce pas ?

Félix posa une main réconfortante sur l'épaule de sa femme tandis qu'Alma regardait ailleurs, visiblement troublée par ses propres regrets. Maria poursuivit doucement :

- Elle essaie de reprendre pied en travaillant dur, en aidant, en jouant avec Antonio ou Camilo. Mais ce sont des mécanismes pour éviter d'affronter ses émotions. Elle a besoin de sentir que sa famille la soutient sans condition, et surtout qu'elle n'a pas besoin de porter tout le poids de cette culpabilité.

Julieta hocha la tête, une larme glissant sur sa joue. Elle murmura :

- Je savais qu'elle souffrait, mais je n'ai pas vu à quel point c'était grave.

Elle posa doucement une main sur l'épaule de Julieta et répondit avec une voix calme mais grave :

- On ne peut pas parler de guérir, señora Julieta, car les blessures émotionnelles ne disparaissent pas simplement avec le temps ou une solution rapide. Ce qu'elle traverse est profond, enraciné dans des années de pression, d'incompréhension et de solitude. Ce qu'elle a besoin, c'est de soutien, d'écoute et surtout de patience. Vous devez lui montrer que vous êtes là pour elle, même si elle met du temps à l'accepter.

Alma détourna les yeux, ses traits tendus, tandis que Pepa essuyait une larme en silence. Félix posa une main réconfortante sur l'épaule de sa femme, mais lui-même semblait déconcerté. Bruno, quant à lui, gardait un regard fixe sur le sol, son expression lourde de culpabilité.

- Elle ne se sent pas digne de l'amour ou du pardon de sa propre famille, continua Maria. Et ce sentiment est amplifié par la perte de Casita et de la magie. Mirabel porte un poids bien trop grand pour son âge. Vous devez lui prouver, pas seulement lui dire, qu'elle a sa place, qu'elle est importante même sans magie, et que vous l'aimez pour ce qu'elle est, pas pour ce qu'elle peut faire.

Antonio, jouant avec Mirabel à quelques mètres de là, éclata de rire en voyant sa cousine imiter un de ses animaux. Ce petit moment de joie fit sourire Maria, mais elle se tourna rapidement vers les adultes :

- Regardez-la ! Elle essaie de paraître forte pour Antonio, mais à l'intérieur, elle est épuisée. C'est un masque, et il finira par se fissurer si vous ne l'aidez pas.

Julieta fronça les sourcils, déterminée.

- Mais comment pouvons-nous l'aider, señora Maria ? Si elle ne veut pas parler ou qu'elle se replie sur elle-même ? Je ne veux pas qu'elle se sente seule...

Maria répondit avec douceur :

- Commencez par des gestes simples. Ne la forcez pas à s'ouvrir tout de suite. Soyez présents dans sa vie, même de petites façons : travaillez à ses côtés, passez du temps avec elle, faites-lui comprendre qu'elle n'a pas à tout affronter seule. Et surtout, ne lui imposez pas vos attentes. Montrez-lui qu'elle est libre de se reconstruire à son rythme.

Augustín prit la main de Julieta et hocha la tête, partagé entre inquiétude et espoir.

- Nous ferons tout ce qu'il faut pour elle, murmura-t-il. Tout !

Maria sourit légèrement avant d'ajouter :

- Elle a besoin de se reconnecter à ce qu'elle aime, à ce qui la fait vibrer. Peut-être que reconstruire Casita avec vous peut être un bon début...Mais rappelez-vous : son bien-être est plus important que tout bâtiment ou tradition.

Bruno leva enfin les yeux et, d'une voix brisée, murmura :

- Et si elle ne veut plus de nous ? Si elle a perdu foi en la famille ?

Maria fixa Bruno avec compassion et répondit :

- Alors c'est à vous de regagner sa confiance, brique par brique, comme Casita. Soyez patients. Montrez-lui qu'elle est aimée, qu'elle est irremplaçable !

En entendant cela, Julieta essuya une larme silencieuse avant de regarder Mirabel, toujours en train de jouer avec Antonio. Sa détermination brilla dans ses yeux.

- On va y arriver, dit-elle fermement. On va la retrouver, notre Mirabel !

Tandis que Mirabel murmure quelques mots pour divertir son jeune cousin, elle lève brièvement la tête et aperçoit Alma, Pepa, Félix, Bruno et Julieta qui remercient Maria à l'entrée. Alma tend une bourse de pièces à la guérisseuse, mais Maria décline avec un sourire chaleureux en disant :

- Votre famille a toujours tant fait pour le village. Si je peux aider la jeune Mirabel, c'est la moindre des choses.

Les Madrigal adultes échangent des sourires rassurés, Félix et Pepa la remercient chaleureusement, Bruno pousse un soupir de soulagement, et Julieta, fidèle à elle-même, ajoute :

- Alors acceptez au moins des arepas pour la route, Maria. Cela me ferait plaisir !

Maria finit par acquiescer et suit les adultes vers la sortie.

Antonio, toujours près de Mirabel, s'agita soudain, pointant du doigt une silhouette familière qui s'approchait.

- Regarde Mirabel, Camilo arrive !, dit-il avec enthousiasme.

Mirabel leva lentement les yeux, son sourire s'effaçant légèrement alors qu'elle voyait son cousin s'approcher avec son sourire habituel, mais cette fois avec une touche de malice qu'elle connaissait bien. Elle haussa un sourcil, méfiante.

- Qu'as-tu fait, primo ?, murmura-t-elle en croisant les bras.

Camilo, accompagné d'Antonio, partagea un regard complice avec son petit frère avant de tendre un paquet soigneusement enveloppé.

- Rien, prima ! Antonio et moi avons simplement pensé que tu méritais ça.

Mirabel fronça légèrement les sourcils mais attrapa le paquet avec précaution.

- J'espère que ce n'est pas encore une de tes farces, répondit-elle sèchement, bien qu'un soupçon de curiosité brilla dans ses yeux.

Camilo éclata de rire en secouant la tête.

- Pas cette fois, promis. Ouvre-le !

Avec hésitation, elle défit les rubans et ouvrit le paquet. À l'intérieur se trouvait un livre épais, fabriqué à la main, avec des pages remplies de photos et de dessins. À chaque page, elle découvrait des souvenirs de leur enfance : des moments où elle et Camilo jouaient ensemble dans Casita, des dessins qu'ils avaient faits, et même une photo d'elle, Camilo, et Antonio riant aux éclats autour d'un gâteau d'anniversaire.

Sur la couverture intérieure, en lettres tracées avec soin, étaient écrits :

"Pour la meilleure prima au monde, Camilo et Antonio !"

Mirabel resta un moment figée, sa bouche légèrement ouverte alors qu'elle parcourait les pages. Ses yeux, sombres et épuisés depuis des jours, scintillaient légèrement d'une étincelle nouvelle. Elle releva la tête, regardant ses deux cousins. Antonio souriait fièrement, tandis que Camilo, pour une fois, semblait sincèrement ému.

- Alors ? , demanda Camilo avec une pointe d'incertitude, grattant nerveusement sa nuque.

Mirabel inspira profondément, refermant doucement le livre contre sa poitrine. Elle murmura, la voix presque brisée par l'émotion :

- M-Merci...

Elle fit un pas en avant et, à la surprise de Camilo, l'enlaça fermement. Antonio se joignit à l'étreinte en riant joyeusement. Camilo, malgré son habitude de faire des blagues, répondit à l'étreinte avec douceur.

- Tu sais, prima, dit-il en chuchotant, ça fait du bien de te voir sourire, même un tout petit peu !

Mirabel se recula légèrement, essuyant une larme solitaire qui avait roulé sur sa joue.

- C-C'est parfait...Merci, vraiment à tous les deux.

Alors qu'elle tenait le livre comme un trésor, elle regarda ses cousins avec un petit sourire sincère, une étincelle, bien que fragile, semblant renaître dans son cœur.

Elle semble perdue dans ses pensées, ses yeux toujours marqués par cette lueur vide. La porte s'ouvre soudain, et Isabela, Luisa et Dolores entrent. Isabela, fidèle à elle-même, la toise de haut en bas avant de relever fièrement le menton et de balancer ses cheveux dans un geste désinvolte. Elle passe sans un mot, se dirigeant vers sa nouvelle chambre.

Luisa, les épaules voûtées, soupire lourdement, exprimant sans le dire sa tristesse et sa culpabilité, avant de suivre sa sœur en silence. Dolores, quant à elle, s'arrête, hésite un instant, puis murmure doucement :

- Désolée pour tout, Mirabel. Mais...Ne recommence plus jamais ce que tu avais fait sur le toit, s'il te plaît !

Sa voix tremble légèrement, trahissant son inquiétude. Elle détourne rapidement les yeux et s'éloigne, laissant Mirabel seule avec Antonio et Camilo, qui échangent un regard perplexe. Antonio, innocent et trop jeune pour saisir toute la gravité de la situation, demande doucement :

- Mirabel...Qu'est-ce que tu as fait sur le toit ? Je n'ai jamais vu Dolores aussi bouleversée.

Mirabel ferme les yeux un instant, sa prise se resserrant sur le livre de souvenirs qu'Antonio et Camilo lui avait offert. Elle hésite, consciente que le jeune garçon ne comprendrait pas. Elle esquisse un petit sourire forcé à Antonio, effleurant doucement ses cheveux pour le rassurer.

Camilo, inquiet mais curieux, incline la tête et se rapproche, son expression montrant qu'il attend une réponse. Mirabel baisse la voix, se penchant pour murmurer dans son oreille afin qu'Antonio n'entende pas :

- J'ai failli...S-Sauter, Cami. Je ne voyais plus de raison de rester.

Camilo se fige, ses yeux s'élargissant d'horreur en réalisant le poids de ses mots. Il déglutit, essayant de masquer son choc devant Antonio, qui les observe innocemment. Mirabel détourne les yeux, son visage marqué par un mélange de honte et de fatigue, avant d'ajouter, toujours en chuchotant :

- Mais je suis là, pour toi, pour Antonio

Camilo ne dit rien immédiatement, mais son regard brille de douleur et de détermination. Il pose une main ferme mais tendre sur l'épaule de sa prima, répondant dans un murmure :

- Alors ne fais plus jamais ça, Mira. On a besoin de toi ! Moi, Antonio et toute la famille. Même si on n'est pas toujours doués pour le montrer !

Antonio, ne comprenant pas l'échange, sourit innocemment et dit :

- Oui, Mirabel ! Tu es toujours là pour moi, alors moi aussi, je suis là pour toi !

Mirabel esquisse un sourire triste mais sincère. Elle serre doucement le livre contre sa poitrine avant de murmurer :

- Merci, vous deux...

🕯✨️🕯

La lune éclairait doucement la chambre modeste de Mirabel, où l'ombre de ses mouvements se découpait sur les murs. Assise à sa petite table en bois, elle cousait avec soin une robe pour une jeune fille du village. Les tissus aux teintes vives glissaient sous ses doigts habiles, mais son rythme ralentit, son esprit s'égarant. Elle posa son aiguille, les yeux fixés sur son ouvrage inachevé, lorsqu'un léger bruissement se fit entendre sous la porte.

Mirabel fronça les sourcils et se leva, intriguée. En s'approchant, elle aperçut une note pliée soigneusement glissée par quelqu'un. Elle la ramassa et l'ouvrit avec hésitation. Les mots griffonnés avec une écriture familière se dévoilèrent :

"Ne refait plus jamais ça, prima. Je ne pourrai jamais supporter de te perdre à nouveau !"

Elle reconnut immédiatement l'écriture de Camilo. Une bouffée d'émotion traversa son regard, mais elle resta immobile, tenant la note comme si elle pesait des tonnes. Après un moment, elle poussa un profond soupir, ses épaules s'affaissant légèrement.

Elle tourna les talons, regagnant lentement son bureau où reposait un petit livre de souvenirs. C'était un cadeau de Camilo et Antonio ce matin-là, une tentative de leur part pour lui redonner un peu de joie. Elle glissa la note entre les pages du carnet, juste à côté d'une vieille photo d'eux trois, plus jeunes, riant dans le jardin de Casita.

Un faible sourire traversa ses lèvres, mélancolique mais sincère. Elle referma le livre avec délicatesse et le posa sur la table, ses doigts effleurant la couverture usée. Elle murmura, comme pour elle-même, mais avec une promesse qui vibrait dans l'air :

- Je ferai de mon mieux pour me retrouver comme avant, Camilo, Antonio, mamá...Je vous le promets.

Sa voix tremblait légèrement, mais une étincelle de détermination commençait à illuminer ses yeux bruns. Elle reprit son aiguille, retournant à sa couture, plus décidée que jamais à avancer, pas à pas, pour eux et pour elle-même.

Elle se redressa lentement, son corps tendu et impassible. Elle prit un moment pour observer les alentours, comme si elle attendait un signe, un éclaircissement sur sa propre identité. Dans la pièce silencieuse, seule la lueur de la bougie et la chaleur de la lumière qui filtrait par la fenêtre l'accompagnaient. Son regard se posa sur le calendrier accroché au mur, les dates marquées pour chaque événement important, mais c'était celle du lendemain qui attira particulièrement son attention. Ses doigts effleurèrent le papier, comme pour en imprimer l'importance dans son esprit.

Avec une respiration calme mais pleine de détermination, elle murmura pour elle-même :

- À partir de demain, je vais le montrer à tous...Même sans miracle, Mirabel Madrigal est aussi extraordinaire ! Ses mots étaient simples, mais pleins de l'émotion qui bouillonnait en elle, cette frustration accumulée depuis des années. Chaque fibre de son être se tendait sous l'intensité de cette déclaration.

Elle tourna son regard vers le miroir à côté, où son reflet la regardait fixement. Ses yeux, normalement d'un marron foncé, brillaient désormais d'une lueur dorée. La magie qui l'habitait, bien qu'inaudible et invisible aux yeux des autres, semblait vibrer en elle, comme si une force cachée s'éveillait doucement dans son âme.

Elle se pencha légèrement en avant, tendit la main pour toucher son propre reflet.

- Pourquoi suis-je liée au miracle ? murmura-t-elle silencieusement, les doigts effleurant la surface froide du miroir. Pourquoi ai-je été choisie pour être cette anomalie dans cette famille parfaite ?

Un soupir s'échappa de ses lèvres alors qu'elle se redressait, mais il n'était pas de découragement, plutôt de résignation, teinté de la force d'une résolution nouvelle. Elle savait que sa quête pour comprendre sa place ne serait pas facile. Mais elle ne pouvait plus rester dans l'ombre des autres, pas après tout ce qu'elle avait vécu.

Ses yeux se firent plus perçants alors qu'elle se regardait à nouveau dans la glace. Ce n'était pas la Mirabel des années passées, timide et effacée. Non, cette Mirabel-là était prête à tout pour comprendre son pouvoir, pour comprendre son lien avec le miracle qui entourait sa famille. Elle allait redonner à la famille Madrigal l'espoir qu'ils avaient perdu depuis sa naissance. La lumière dorée dans ses yeux se reflétait sur la vitre, comme une promesse, un début.

- Je vais y arriver, murmura-t-elle une dernière fois, son cœur battant plus fort, son esprit déjà tourné vers les défis à venir.

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