Chapitre 12 : Souffrance !

Mirabel avançait lentement dans les couloirs de la Casita, ses doigts effleurant les murs comme pour ressentir la matière même de la maison. Ses yeux, toujours illuminés d'un jaune intense, observaient sans émotion les fissures qui apparaissaient à chaque pas, se propageant avec une lenteur sinistre, comme si la Casita elle-même se disloquait sous son regard indifférent. Mais peu importaient les fissures pour elle à cet instant. Dans ses pensées, d'autres souvenirs refaisaient surface, des souvenirs qu'elle aurait préféré oublier.

Elle s'arrêta un instant en haut des escaliers, baissant les yeux vers le rez-de-chaussée. Sa tía Pepa, visiblement heureuse, était réveillée malgré l'heure matinale. À ses côtés se trouvait Antonio, petit et fragile dans ses bras, qui semblait avoir été réveillé par les secousses de la maison. Mirabel écarquilla légèrement les yeux en fixant Antonio, et des images du passé s'imposèrent à elle.

Elle se souvenait des nuits sans sommeil, des journées éreintantes, où elle s'était occupée de lui en silence, dans l'ombre, sans même un mot de reconnaissance. Antonio, encore bébé à l'époque, la regardait avec de grands yeux confiants, ignorant la souffrance cachée de sa cousine. Mirabel avait été pour lui une présence réconfortante, une main douce qui berçait ses nuits. Elle se rappelait les moments où, épuisée et affamée, elle prenait sur elle de veiller sur lui, de lui chanter des berceuses, de le calmer lorsqu'il pleurait.

Une lueur amère traversa son regard jaune. Elle avait donné sans compter, avait sacrifié des heures de sommeil et de paix pour prendre soin d'Antonio. Pourtant, elle n'avait jamais reçu un mot de remerciement de la part de sa tía Pepa, ni même un regard de fierté de la part d'Abuela pour ses efforts discrets. Elle restait « l'oubliée », celle qui n'avait pas de don, celle qui passait inaperçue.

Mirabel serra les poings, ses ongles s'enfonçant dans sa paume, mais elle n'arriva pas à détourner les yeux de sa tía et d'Antonio. Un mélange de colère et de tristesse bouillonnait en elle. Elle voyait Pepa câliner tendrement Antonio, un geste simple et doux qui, à ses yeux, soulignait encore plus cruellement l'indifférence qu'elle avait subie.

Au fond d'elle-même, elle ressentait le poids des années de solitude, des regards froids, des murmures à peine voilés. La famille l'avait toujours vue comme un poids, un fardeau. Mais maintenant, dans la lumière des fissures qui rampaient autour d'elle, elle se sentait différente, comme si une force nouvelle l'avait envahie. Elle ne voulait plus être ignorée.

- Mamà, je vais dans ma chambre, d'accord ? lui murmura-t-il avec un sourire.

Pepa hocha la tête distraitement, le laissant s'éloigner dans le couloir.

Elle était sur le point de se détendre lorsqu'une silhouette émergea de l'ombre devant elle.

- Hola, tía Pepa, lança Mirabel d'une voix douce mais avec une lueur étrange dans le regard.

Pepa sursauta violemment, une décharge d'éclair éclatant au-dessus de sa tête. Son cœur battait à tout rompre, et elle essuya une goutte de sueur sur son front.

- Mirabel ! Mon dieu, tu m'as fait peur, dit-elle en soufflant, essayant de calmer les battements rapides de son cœur.

Mirabel roula les yeux avec un sourire ironique, avançant d'un pas assuré vers sa tante.

- Tía Pepa, pourquoi ne pouvons-nous pas parler de tío Bruno ? demanda-t-elle, sa voix teintée d'une curiosité perçante.

Le visage de Pepa se durcit instantanément, et le nuage sombre au-dessus de sa tête devint plus épais, libérant une pluie fine.

- Ne parlons pas de Bruno, Mirabel, répliqua-t-elle, sa voix empreinte d'une irritation retenue mais perceptible.

Mirabel observa sa tante avec insistance, comme pour sonder au-delà de ses paroles. Elle remarqua la crispation de ses mains et la tension dans sa mâchoire, signes de souvenirs enfouis et d'émotions qu'elle semblait s'efforcer de contenir. Mais Mirabel, déterminée à percer ces secrets familiaux, ne bougea pas, continuant de fixer sa tante avec une intensité désarmante.

Elle fit volte-face, une expression glaciale dans les yeux, son ton se teintant d'une ironie mordante.

- Oh, ne parlons pas de Bruno, hein ?

Elle se détourna alors, ses paroles murmurées se chargeant de reproches bien plus profonds que la simple curiosité.

- Dis-moi, tía...Pourquoi tu l'as fait partir ?

Pepa fronça les sourcils, déconcertée et légèrement blessée par l'accusation. Elle s'efforçait de comprendre d'où venait cette colère inattendue de sa nièce.

Sans attendre de réponse, Mirabel poursuivit, ses mots aiguisés comme des lames.

- Le jour de ton mariage ? Tu l'as méprisé pour ça, n'est-ce pas ? Bruno n'a fait que vouloir s'assurer que tout irait bien pour toi. En bon frère, il a voulu jeter un œil à ton avenir...Mais toi, tu l'as rejeté comme un fardeau, comme un mauvais présage !

Les yeux de Pepa s'agrandirent, emplis d'incompréhension et de douleur, alors qu'un nuage sombre et dense se formait au-dessus de sa tête, répandant une pluie glaciale sur ses épaules tremblantes.

- C-Comment peux-tu savoir tout cela, Mirabel ? balbutia-t-elle, la voix empreinte de tristesse et d'une pointe de peur.

Mirabel rit amèrement, un rire presque moqueur qui résonnait dans la pièce.

- Tu te caches derrière tes tempêtes, en pensant que personne ne voit rien, hein, tía ? Mais moi, je vois tout !

Pepa demeura figée, la pluie s'intensifiant au-dessus d'elle, une tempête grondant de plus en plus fort. Soudain, Mirabel fit brusquement volte-face, ses yeux brillant d'une fureur contenue.

- APRÈS BRUNO, TU T'EN PRENDS À MOI ? cria-t-elle, sa voix tranchante, emplie de colère et de douleur.

Pepa recula d'un pas, sa main se portant involontairement à sa poitrine, les mots la frappant comme un coup. Un murmure étrange sembla flotter dans l'air, et Pepa se sentit troublée, son cœur serré d'angoisse. Mirabel s'avança encore d'un pas, son regard brûlant fixant sa tante avec une intensité qui la fit frémir.

- Tu répands des rumeurs sur moi, comme si je ne pouvais rien voir, comme si j'étais aveugle !

Pepa resta silencieuse, sidérée par la dureté des paroles de Mirabel. Elle cherchait des mots pour se défendre, mais la tempête en elle éclatait trop fort, ses pensées noyées dans un chaos de pluie et d'éclairs.

Mirabel se mit à rire doucement, presque méprisante, avant de claquer des mains dans un lent applaudissement, le bruit résonnant dans la pièce comme une provocation calculée. Elle regarda Pepa d'un air perçant, son sourire se faisant plus aiguisé.

- Bravo, tía...Tu sais, je sais tout.

Les mots tombèrent comme des pierres, glacials et assurés, et Pepa, sous le choc, sentait la pluie redoubler autour d'elle, ses gouttes froides s'intensifiant sous l'effet de son angoisse. Elle fixait Mirabel, désemparée, le souffle court, tandis que sa nièce continuait, la voix calme mais teintée d'un cynisme inquiétant.

- Oui, je connais ta faiblesse, Tía, murmura Mirabel, ses yeux pétillant d'une lueur calculatrice. Ton don...Toute cette puissance que tu possèdes...Elle se retourne contre toi au moindre petit trouble. Ta précieuse petite pluie, tes éclairs, tes tempêtes...Elles t'engloutissent, t'étouffent, à chaque émotion qui te traverse !

Pepa déglutit, troublée par cette froideur nouvelle chez Mirabel, sentant ses propres émotions échapper de plus en plus à son contrôle. Des éclairs se mirent à jaillir au-dessus de sa tête, illuminant brièvement la pièce d'une lumière blanche et vive qui projetait des ombres étranges sur le visage de Mirabel.

Mirabel laissa un instant de silence s'étirer, ses paroles s'infiltrant comme du poison. Elle s'approcha encore d'un pas, se penchant légèrement en avant, pour la regarder dans les yeux.

- Alors, ma douce tía dis-moi, que comptes-tu faire de cette faiblesse, maintenant que tout le monde sait que même tes propres pouvoirs te dominent ?

Pepa, paralysée par l'angoisse et la tempête grandissante en elle, ne put que la fixer, incapable de trouver ses mots. Les larmes se mêlaient à la pluie qui tombait de plus en plus violemment autour d'elle.

Elle restait figée, incapable de répondre, la bouche entrouverte, ses mains tremblantes. Les fissures qui se formaient autour d'elle et de Mirabel semblaient s'étendre comme une toile menaçante sur le sol et les murs de la Casita, érodant son apparente solidité.

Elle murmura, d'une voix à peine audible :

- Mirabel...Q-Qu'est-ce que tu fais ?

Mirabel se redressa, un sourire cruel étirant ses lèvres tandis que ses yeux brillaient d'une lueur jaune intense, inhabituellement froide et enragée.

- Je me libère de mon emprise, tía, répondit-elle, le ton tranchant comme une lame.

La chandelle, gardienne du miracle, s'embrasa d'une lumière intense et aveuglante, émettant une lueur dorée si vive qu'elle éclipsait tout le reste. Le cœur de la Casita semblait vibrer au rythme de la colère refoulée de Mirabel.

Sous le regard horrifié de Pepa, la pluie qui l'entourait s'évapora soudain, laissant place à un silence oppressant. Pepa tourna la tête, le souffle coupé, pour voir la porte de sa chambre trembler au loin, la lumière autrefois douce et constante peinant à briller. Un tremblement de terre silencieux s'emparait d'elle en réalisant l'emprise de Mirabel sur ce qui semblait être la source même du miracle.

- On a peur de sa propre sobrina, tía ? railla Mirabel en avançant d'un pas, imitant la voix et les gestes de sa tante avec un sarcasme mordant. Tu aurais dû me défendre ou au moins essayer de me comprendre, plutôt que de te cacher derrière tes tempêtes et de répandre des rumeurs ! Elle ricana amèrement, savourant chaque mot qui semblait se tordre dans l'air, chargé de rancœur.

Mirabel fit soudain demi-tour, la tête haute, mais avant de partir, elle ajouta, d'une voix glaciale et déterminée :

- Tu aurais dû t'occuper d'Antonio au lieu de me laisser, moi, m'en occuper comme s'il était mon propre fils, pendant toutes ces années !

Pepa, frappée en plein cœur par cette révélation, resta paralysée, le visage figé dans une expression de terreur et de regret. Elle voulut lever la main, supplier Mirabel de s'arrêter, mais rien ne sortit. Elle se rendit compte avec effroi que son don, sa précieuse pluie, ne répondait plus à son appel. Elle ne ressentait plus cette familiarité avec la météo qu'elle avait toujours connue.

🕯✨️🕯

Les quatre Madrigal sortirent de la chambre de Mirabel sur la pointe des pieds, leurs regards constamment tournés vers le couloir, craignant de croiser Mirabel ou d'attirer son attention. Le silence dans la Casita, habituellement animé par des chuchotements ou des éclats de rire, semblait maintenant pesant, presque oppressant. Ils retenaient tous leur souffle, conscients de l'urgence et du danger qu'ils ressentaient autour d'eux.

Isabela, toujours à l'affût, leva les yeux vers l'étage supérieur et remarqua quelque chose d'étrange. Le ciel, qui avait été assombri par les nuages de pluie de leur tía Pepa, venait de s'éclaircir subitement, comme si la tempête s'était arrêtée en un instant. Une lumière froide de lune s'infiltrait par les fenêtres de la Casita, éclairant le hall d'une pâle lueur argentée. Isabela fronça les sourcils, un mauvais pressentiment traversant son esprit.

Ses yeux glissèrent alors vers la porte de Pepa, cette même porte qui, normalement, scintillait avec éclat, vibrant avec l'énergie de son don. Mais là, à sa grande surprise, la porte de Pepa ne brillait plus. Elle semblait terne, privée de vie, comme si quelque chose d'essentiel lui avait été arraché. Une onde de choc silencieuse traversa Isabela, et elle serra instinctivement la main de Luisa, qui la regarda avec inquiétude.

Camilo, qui avait lui aussi observé le phénomène, se figea, ses yeux écarquillés par la surprise et l'incompréhension.

- M-Mirabel a réussi son plan avec mamá ? murmura-t-il, ses mots à peine audibles, mais assez pour transmettre son effroi. Son regard se perdit dans le vide, comme s'il peinait à accepter la réalité de ce qu'il voyait.

Dolores, à côté de lui, restait silencieuse, les traits tendus et les yeux perdus dans l'ombre de ses propres pensées. Elle ne pouvait plus entendre le léger murmure d'énergie qui accompagnait les dons de chacun. Tout semblait si étrangement calme, tellement différent de ce qu'elle avait toujours connu.

Luisa posa alors une main tremblante sur l'épaule d'Isabela, brisant le silence :

- C-Comment...C-Comment est-ce possible ? Comment elle a pu...Sa voix se brisa, incapable de terminer la phrase. Elle luttait pour comprendre comment Mirabel, sa petite sœur douce et jadis innocente, avait pu réaliser quelque chose d'aussi radical, d'aussi destructeur.

Isabela, elle, ressentait une vague d'angoisse monter en elle. Mirabel, sa propre sœur, avait été capable d'affecter leurs dons, de priver Pepa de son pouvoir, et maintenant, ils ignoraient tous jusqu'où elle était prête à aller. Elle murmura, la voix basse mais chargée de regret :

- Qu'est-ce qu'on a fait pour qu'elle nous haïsse autant ?

Ils restèrent ainsi, tous les quatre, pétrifiés par l'effroi et le chagrin, tandis que les ombres de la nuit semblaient s'épaissir autour d'eux, comme un présage funeste. La maison, autrefois si chaleureuse, leur paraissait désormais remplie de danger, chaque recoin portant la marque de leur propre culpabilité et des secrets qu'ils n'avaient jamais voulu affronter.

Camilo prit une profonde inspiration, serrant les poings avec détermination.

- Bon, on ne va pas abandonner ! déclara-t-il, sa voix ferme mais empreinte d'urgence. Il fixa Dolores avec intensité, cherchant dans ses yeux une lueur de confiance malgré le tourment qu'ils traversaient. Montre-nous le chemin vers la cachette de tío Bruno, avant que Mirabel ne nous repère !

Dolores hocha la tête en silence, une expression sérieuse assombrissant son visage. Malgré la perte de son don d'ouïe surnaturelle, elle savait où aller, grâce aux secrets qu'elle avait gardés depuis si longtemps. Elle prit une grande inspiration, jetant un dernier coup d'œil vers les escaliers, puis s'engagea dans le couloir, les trois autres la suivant de près.

Ils avancèrent prudemment dans la pénombre de la Casita, les couloirs semblaient plus longs et plus menaçants que jamais. Leurs pas résonnaient dans le silence, un silence bien trop lourd pour une maison si vivante. La Casita elle-même, affectée par les fissures, semblait retenir son souffle, comme si elle partageait leur anxiété.

Arrivés devant un grand portrait de leur abuelo Pedro, Dolores marqua une pause. Ses yeux s'attardèrent sur le visage de son grand-père, une figure protectrice et bienveillante qui semblait les observer avec une tristesse infinie. Elle posa sa main tremblante sur le cadre du tableau, appuyant doucement à un endroit précis du rebord, comme elle l'avait vu faire autrefois.

À leur grande surprise, un mécanisme discret se déclencha, et le mur à côté du portrait se déplaça lentement, révélant une petite entrée secrète, sombre et étroite. L'odeur de poussière et de pierre s'en dégageait, et un courant d'air glacial s'engouffra dans le couloir, faisant frissonner Dolores, Isabela, Camilo, et Luisa.

Isabela murmura, sa voix empreinte de tristesse et d'appréhension :

- Alors, tío Bruno était vraiment là, caché depuis tout ce temps...

Elle se sentait submergée par la honte d'avoir cru aux rumeurs et aux superstitions qui entouraient son oncle.

Camilo, les yeux résolus, murmura doucement pour apaiser les autres :

- Allons-y...Si quelqu'un peut nous aider à comprendre ce qui se passe ou bien nous aider avec Mirabel, c'est bien lui !

Il se tourna vers Dolores, et avec un petit signe de tête, l'encouragea à avancer dans le passage. Dolores prit une inspiration, puis fit un pas en avant dans l'ombre de l'entrée, suivie par les autres, qui se glissèrent dans le passage les uns après les autres.

Ils avancèrent à tâtons dans le passage sombre et étroit, sentant la pierre froide sous leurs doigts, les bruits étouffés de la Casita semblant lointains derrière eux. Au bout d'un moment, ils aperçurent enfin une faible lumière au loin. L'espoir grandissait en eux, chacun priant en silence pour que leur tío Bruno ait des réponses, pour qu'il puisse les aider à sauver Mirabel et le miracle qui leur échappait chaque seconde un peu plus.

🕯✨️🕯

Pepa entra précipitamment dans la cuisine, ses cheveux flottant autour d'elle comme un nuage sombre, une tornade d'émotions se reflétant dans son regard. Sa respiration était haletante, et son visage, habituellement si contrôlé, portait désormais une expression de panique qu'elle ne pouvait masquer.

- JULIETA, MAMÀ ! cria-t-elle presque, avant de se précipiter vers elles.

Julieta, qui préparait un repas dans la cuisine, sursauta en entendant la voix de sa sœur, son visage marqué par une inquiétude immédiate. Alma, leur mère, était en train de remuer un grand pot sur le feu, mais à l'instant où elle tourna la tête vers Pepa, elle comprit instantanément que quelque chose n'allait pas.

Pepa était à bout de souffle, mais elle n'avait ni le temps ni la patience pour des explications lentes.

- C'est Mirabel...E-Elle...Elle a fait quelque chose avec mon don ! Je ne peux plus contrôler la météo ! Ses mains tremblaient légèrement alors qu'elle se tenait près de la table, essayant de reprendre son souffle, mais ses mots ne cessaient de se précipiter hors de sa bouche. Les fissures...Elles s'étendent partout dans la maison ! Et je viens de voir sa chambre...Casita est en train de s'effondrer...

Elle se tourna rapidement vers sa mère, ses yeux remplis de peur et d'incompréhension.

- Mamà, C-C'est...C'est à cause de Mirabel, je suis sûre !

Julieta la regarda, les yeux écarquillés, un frisson parcourant son dos.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? Tu n'as plus ton don Pepa ? demanda-t-elle, se redressant d'un coup, ses mains suspendues dans l'air comme si elle avait peur de faire le moindre geste de plus.

Alma, qui restait calme malgré l'alerte, déposa lentement la cuillère en bois qu'elle tenait et fixa Pepa, son visage d'abord impassible, avant que ses traits ne se durcissent.

- Que s'est-il passé, Pepa ? Dis-nous tout ! Sa voix était ferme, mais il y avait une inquiétude sous-jacente qu'elle ne pouvait complètement dissimuler.

Pepa, n'en pouvant plus, se laissa tomber sur une chaise, le regard plongé dans celui de sa mère.

- M-Mirabel...Elle n'est pas celle que nous croyions...Elle a manipulé la situation, mamà ! Ses mots s'entrechoquaient les uns contre les autres, précipités, comme si chaque seconde comptait. Elle a pris tout le contrôle, elle savait ce qu'elle faisait ! E-Elle a laissé la Casita se briser, elle sait, que j'ai blamé Bruno, le jour de mon mariage ! Elle secoua la tête, essayant de comprendre elle-même ce qui venait de se passer. Ce n'est pas elle ! Ce n'est pas la Mirabel que nous connaissions...

Abuela s'avança d'un pas, ses yeux fouillant ceux de fille.

- Calmement, Pepa, dis-moi exactement ce que tu as vu ?

Pepa ferma les yeux un instant pour tenter de se ressaisir, puis se tourna vers sa sœur et leur mère.

- Je crois que Mirabel a délibérément provoqué les fissures...Elle a ouvert les portes à l'effondrement de tout ce que nous avons construit ! Je l'ai vue..E-Elle a...E-Elle a pris la décision de tout détruire !?

Julieta, choquée et perdue, échangea un regard avec Alma, mais il y avait trop de confusion pour qu'elles puissent saisir toute la vérité. La maison tremblait sous leurs pieds, comme si Casita elle-même essayait de leur dire quelque chose, de leur crier à l'aide.

- Elle veut détruire la maison ? Pourquoi ? demanda Julieta, sa voix tremblante, l'incompréhension et la douleur évidentes dans ses yeux.

- Parce qu'elle souffre Julieta ! murmura Pepa. Parce que...Je crois qu'elle a eu l'impression d'être abandonnée, de n'avoir jamais été comprise, et qu'elle est seule à porter le fardeau du miracle. Mais...E-Elle a pris la mauvaise décision en croyant que c'était la seule voie pour se faire entendre !

Le silence tomba sur la pièce alors qu'Alma regardait l'état de sa famille et de sa maison, son esprit en train de traiter ces révélations. Pepa, toujours sous le choc, se leva soudainement.

- Nous devons la retrouver, et vite, avant que tout s'effondre !

Julieta hocha la tête, prête à agir, mais Alma, la matriarche, resta silencieuse un moment, ses yeux fixant l'horizon comme si elle cherchait une solution dans le vide. Puis, d'un ton ferme, elle dit :

- Nous devons la sauver...Mais aussi sauver ce qu'il reste de la famille, de notre famille.

Elle se tourna vers Pepa.

- Prépare-toi, nous allons la retrouver, et comprendre ce qui s'est réellement passé avec ma fille !

Les trois femmes se précipitèrent hors de la cuisine, les pensées lourdes, le poids de l'avenir sur leurs épaules, cherchant à réparer ce qui semblait irréparable. Mais elles savaient toutes que l'issue de cette confrontation serait bien plus complexe que ce qu'elles auraient pu imaginer.

Les trois femmes Madrigal, le cœur battant et l'esprit alourdi par l'angoisse, sortirent de la cuisine et se figèrent en voyant les murs de Casita couverts de fissures sombres qui serpentaient comme des veines fracturées. Abuela Alma, en tête, avançait lentement, sa main tremblante touchant un des murs.

- C-C'est...I-Impossible...murmura-t-elle, sa voix à peine un souffle. Le choc teintait son visage d'une pâleur inhabituelle, tandis que ses yeux parcouraient l'étendue des dégâts.

Julieta, les yeux écarquillés et l'inquiétude grandissante, regardait autour d'elle, son regard cherchant désespérément Mirabel, mais nulle part elle ne vit sa fille cadette.

- Mirabel ? appela-t-elle doucement, sa voix teintée d'une note d'espoir désespéré, comme si sa fille pouvait surgir d'un coin pour les rassurer, pour leur dire qu'il ne s'agissait que d'un malentendu.

Pepa, visiblement angoissée, pointa du doigt les portes de la famille, et sa voix, chargée de crainte, s'éleva :

- Regardez !

Julieta et Alma suivirent son geste et virent les portes à moitié éteintes de leurs proches. Seules celles de Julieta, de Pepa, d'Abuela et du jeune Antonio brillaient encore faiblement, comme des lumières vacillantes prêtes à s'éteindre.

Le visage d'Abuela se durcit, sa bouche se pinça, et elle dit d'une voix basse mais glaciale :

- Alors...Isabela, Dolores, Luisa et Camilo eux aussi ont perdu leurs dons ?

Elle restait immobile, comme si le poids de cette pensée la clouait sur place.

Julieta, déterminée à défendre sa fille, s'avança en secouant la tête.

- Il y a sûrement une autre explication, mamà ! Mirabel n'aurait pas fait une chose pareille, pas volontairement...Sa voix tremblait, mais elle essayait de garder un ton calme, d'analyser rationnellement la situation pour ne pas céder à l'angoisse.

Alma, cependant, n'était pas de cet avis. La colère grondait en elle, visible dans son regard dur et son expression figée de reproche. Elle tourna les talons d'un geste sec et se dirigea, déterminée, vers l'escalier, montant vers l'étage en criant d'une voix chargée d'une autorité glaciale :

- Cette jeune fille va m'entendre !

Julieta et Pepa échangèrent un regard, partagées entre la peur de ce qui allait suivre et l'urgence de comprendre. Elles virent clairement dans le regard de leur mère une résolution farouche, comme si elle avait déjà décidé de tout reprocher à Mirabel sans chercher plus loin.

Elles n'avaient d'autre choix que de suivre Alma. À chaque marche, Julieta sentit la tension monter en elle, et Pepa se crispait, ses yeux jetant des regards nerveux vers les murs fissurés de Casita, comme si la maison elle-même souffrait avec eux. Arrivées devant la porte de la chambre de Mirabel, Abuela se tenait droite, la mâchoire serrée, son poing fermé prêt à frapper.

Elle toqua violemment, comme pour libérer la frustration qui la brûlait.

- MIRABEL ! cria-t-elle avec une autorité glacée, comme si elle voulait faire comprendre à sa petite-fille que cette fois, elle ne pourrait pas échapper à ses questions.

Julieta, le cœur serré, posa une main tremblante sur l'épaule de sa mère.

- Mamà, s'il te plaît...Écoute d'abord ce qu'elle a à dire !

Mais Abuela ne semblait pas vouloir attendre.

Abuela, impassible, répondit sèchement à Julieta, le regard dur et la voix tranchante :

- Non, Julieta. Ta fille a un vrai problème ! Malgré tout ce que j'ai fait pour elle, malgré que je lui offre un rôle important dans la famille, elle fait tout pour saboter notre miracle. Elle n'a aucun respect pour ce que nous avons construit !

D'un geste brusque, elle poussa la porte de la chambre de Mirabel, prête à lui faire face et à exiger des explications.

Mais la pièce était vide.

Les trois femmes entrèrent, leurs regards balayant la chambre silencieuse de Mirabel. Un silence oppressant régnait, et les fissures continuaient de serpenter sur les murs et le plafond, amplifiant leur angoisse. Julieta lança des regards autour d'elle, cherchant désespérément un signe de sa fille.

- M-Mirabel...? murmura-t-elle, l'inquiétude teintant sa voix d'une tristesse profonde.

Pepa, qui observait attentivement chaque recoin de la pièce, eut soudain l'attention captée par quelque chose au sol. Elle fronça les sourcils en voyant des fragments éparpillés d'une couleur verte intense, dispersés autour du centre de la chambre. Elle se pencha pour ramasser un morceau et réalisa, le cœur battant, qu'il s'agissait de morceaux de la vision de Bruno, ceux que Mirabel avait retrouvés et que la famille avait tenté de reconstituer.

- Mamà, Julieta, regardez ça...murmura-t-elle, la voix presque étranglée par la surprise.

Elle montra à sa mère et à sa sœur les fragments dans sa main.

Julieta s'agenouilla à côté de Pepa, le cœur lourd. Elle prit délicatement un des morceaux verts et le tourna dans sa main, remarquant des images en demi-teinte, à peine visibles. Son cœur se serra en reconnaissant Mirabel, entourée de fissures sombres, au centre de Casita brisée. Le poids de l'inquiétude l'envahit plus profondément alors qu'elle comprenait les tourments que Mirabel avait dû traverser en voyant cette vision.

Abuela resta figée un instant, son regard s'assombrissant encore davantage. Elle serra les poings, observant les morceaux au sol d'un œil dur.

- A-Alors...Cette vision. Elle savait depuis le début, et pourtant elle n'a rien fait pour protéger notre miracle...Au contraire, elle l'a mis en péril ! Son ton accusateur laissait peu de place à la compréhension ou au doute.

Pepa, les mains tremblantes, murmura :

- Mamà, il faut peut-être réfléchir et essayer de comprendre. Peut-être que Mirabel a cherché à nous protéger, d'une façon que nous n'avons pas saisie. Peut-être qu'elle est perdue ? Sa voix était douce, presque implorante, tentant de trouver une explication qui pourrait adoucir la fureur de sa mère.

Mais Almq secoua la tête, les yeux brillants d'un mélange de colère et de frustration.

- Non ! Elle n'a pensé qu'à elle. Peu importe où elle est maintenant, elle va m'entendre. Elle va comprendre ce qu'elle a fait à cette famille.

Julieta, toujours agenouillée près des fragments de la vision, ferma les yeux un instant, le cœur en lambeaux. Elle sentait que quelque chose échappait à leur compréhension, que sa fille souffrait de manière bien plus profonde que ce qu'ils avaient pu imaginer. Mais dans cette atmosphère lourde de méfiance et de colère, elle craignait que toute tentative de réconciliation soit désormais un chemin douloureux et difficile.

Pepa tourna lentement le regard vers les morceaux de la vision, toujours éparpillés au sol. Son visage s'assombrit, et elle murmura, presque pour elle-même :

- Alors...C-C'est pour ça que Bruno est parti...I-Il a vu tout cela ! Ses yeux étaient hantés par l'inquiétude et la compréhension tardive.

Le puzzle de l'absence soudaine de son frère Bruno, si mystérieux et incompris, semblait maintenant commencer à s'assembler dans son esprit.

Julieta, à côté d'elle, fronça les sourcils, absorbant ce que Pepa venait de dire. Elle se redressa un peu, une main tremblante posée sur un fragment de la vision, le regard perdu.

- Tu crois qu'il a fui pour protéger Mirabel ou pour nous protéger de cette vision ? Sa voix trahissait son tourment intérieur.

Tout au fond d'elle, elle savait que Bruno n'aurait jamais voulu nuire à la famille, et encore moins à Mirabel. Mais la révélation soulevait plus de questions qu'elle n'apportait de réponses.

Abuela, qui les écoutait en silence, restait figée, son regard sévère tourné vers le sol, comme si elle essayait elle aussi de reconstituer les événements. Elle pinça les lèvres, secouant légèrement la tête.

- Bruno aurait dû nous dire la vérité, quoi qu'il ait vu. Nous avons le droit de savoir, pour le bien de la famille et il nous a abandonnés, lui aussi ! Sa voix était remplie de reproches, mais aussi d'une peine que seule la famille connaissait.

L'absence de Bruno avait laissé une plaie béante dans leur vie, et maintenant, cela semblait plus complexe encore.

Pepa se releva lentement, observant les fissures rampantes qui s'élargissaient sur les murs de la Casita, comme une métaphore de la brisure dans leur famille.

- Peut-être qu'il a vu quelque chose de trop horrible quelque chose qu'il ne voulait pas admettre ? Son visage se tordit d'émotion, alors qu'elle luttait pour retenir ses larmes. Et s'il a fui parce qu'il ne voulait pas que tout cela arrive ? Q-Que ce soit Mirabel ou Casita en danger...Il voulait nous épargner ?

Un silence pesant s'installa, chacune des trois femmes perdue dans ses pensées. Julieta posa une main réconfortante sur l'épaule de Pepa, essayant de lui donner un peu de courage.

- Peut-être qu'il n'a jamais cessé de veiller sur nous et que Mirabel a su quelque chose...Quelque chose qu'il ne pouvait nous dire directement !

Abuela, le visage sévère, s'apprêtait à répondre durement lorsqu'un léger rire résonna derrière elles, coupant l'atmosphère comme un couteau. Les trois femmes se retournèrent pour découvrir Mirabel debout dans l'embrasure de la porte, son regard dur et pénétrant. Un sourire amer se dessinait sur ses lèvres.

- Ma pauvre Abuela, lança Mirabel d'une voix teintée de sarcasme. Tu te fais tout un film...Tío Bruno n'est jamais parti.

Julieta, stupéfaite, laissa échapper un cri de surprise :

- MIRABEL ?!

Elle se précipita vers sa fille, prise d'une vague d'inquiétude et de soulagement à la fois. Elle attrapa la main de Mirabel, espérant y retrouver la chaleur et l'innocence de l'enfant qu'elle avait élevée. Mais Mirabel, le regard perçant et distant, serra la main de sa mère d'une manière inattendue, presque brutale, avant de la soulever lentement pour la poser contre sa propre joue.

- J'ai toujours rêvé de ressentir ce doux sentiment venant de toi, mamá, murmura Mirabel d'une voix froide, glaçante. Ses yeux brillaient d'un éclat étrange, quelque chose entre la douleur et la colère, un mélange d'émotions qu'aucune des trois femmes n'avait vu chez elle auparavant.

Julieta, décontenancée, sentit une pression glaciale envahir sa main contre la joue de Mirabel, comme si le contact physique avec sa propre fille la mettait face à une vérité qu'elle avait longtemps ignorée. Elle déglutit, les yeux écarquillés, réalisant l'ampleur de ce qu'avait enduré Mirabel.

- Depuis que je suis petite, tu n'as jamais eu d'yeux que pour Isabela et Luisa, continua Mirabel avec un sourire triste et amer. J'étais là, dans l'ombre de leurs réussites et de vos regards d'admiration, me battant chaque jour pour exister...Sa voix tremblait à peine, mais chaque mot était empreint d'une émotion contenue, comme un poison lentement libéré.

Julieta voulut protester, mais aucun mot ne sortait de sa bouche. Elle sentit sa main glisser lentement de la joue de sa fille, le coeur lourd, en réalisant ce qu'elle avait refusé de voir pendant tant d'années. Pepa et Abuela, figées, regardaient la scène en silence, l'une choquée, l'autre fermant les yeux pour ne pas affronter ce qui se déroulait sous ses yeux.

Abuela, se ressaisissant finalement, tenta de reprendre son autorité :

- Mirabel, assez de drame ! Ce n'est pas le moment de-

Mais Mirabel ne lui laissa pas le temps de finir.

- Oh, mais c'est toujours un mauvais moment pour entendre la vérité, n'est-ce pas, Abuela ? Son ton, empreint de défi, trahissait une douleur profonde, réprimée pendant des années. Tío Bruno n'est jamais parti parce qu'il le voulait. Il est resté, caché dans vos propres murs, par peur de vous, de ce que vous êtes devenue avec ce miracle.

Pepa, tremblante, chercha le regard de sa sœur Julieta, l'air dévasté. Abuela, quant à elle, resta silencieuse, son visage fermement refermé, mais ses yeux trahissant pour la première fois un doute.

Julieta fit un pas en avant, posant sa main sur le bras de Mirabel.

- M-Mirabel...J-Je suis tellement désolée !

Mais le regard de Mirabel restait distant, comme si elle n'entendait plus les mots d'excuses. Elle recula lentement, s'écartant de leur prise, le visage fermé et déterminé, laissant les trois femmes derrière elle, déchirées par une vérité qu'elles ne pouvaient plus nier.

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