Chapitre 11 : Mirabel ?

Le murmure de Luisa, presque inaudible dans l'atmosphère lourde qui emplit la pièce, brise un silence lourd de tension :

- La vision...? Ses mots flottent dans l'air, comme une question suspendue, comme si, au fond, elle savait qu'elle n'allait pas vraiment obtenir de réponse. Mais dans la voix de Mirabel, tout son mal-être, toute sa colère et sa déception, explosent.

Mirabel, les mains tremblantes et les yeux écarquillés, se redresse brusquement, luttant contre la douleur qu'elle ressent. Elle se relève lentement, le souffle court, sa poitrine se soulevant comme si elle portait un fardeau bien plus lourd que ce qu'elle pouvait supporter. Ses yeux se posent sur les fissures qui commencent à se former sous ses pieds, un signe évident que quelque chose de terrible est en train de se produire. L'espace autour d'elle semble se tordre sous la pression, comme si les murs de la Casita elle-même se refermaient autour d'elle.

Elle serre les poings, essayant de retenir les larmes, mais une rage sourde se réveille, alimentée par les années de douleur et d'injustice qu'elle a subies. Les fissures, comme une métaphore de son âme brisée, se propagent autour d'elle, chaque craquement résonnant dans son esprit. Elle les regarde, sans pouvoir les arrêter, sans pouvoir faire quoi que ce soit contre cette sensation de rupture imminente.

D'un coup, sa voix s'élève, déchirant le silence lourd :

- Ça ne sert plus à rien que je fasse semblant de sourire maintenant ? Elle les fixe, chaque mot qu'elle prononce frappant plus fort que le précédent. La douleur dans sa voix est palpable, et la colère qui en émane fait trembler la pièce. J'étais plus maligne que vous tous réunis, la famille.

Ses paroles sont comme des flèches lancées directement vers les autres, chacune se plantant dans le cœur de ses cousins, de ses sœurs. Il n'y a plus de distance entre elle et eux, plus de faux-semblant. Mirabel se déclare, non plus comme l'élément fragile de la famille, mais comme quelqu'un qui, dans l'ombre, a vu et souffert, plus que n'importe qui d'autre.

La tension dans la pièce était palpable, lourde comme une chape de plomb. Dolores, dont les sens étaient toujours affûtés, ne put s'empêcher de remarquer quelque chose d'étrange dans les yeux de Mirabel. Ce n'étaient plus les yeux marron chocolat qu'elle connaissait, ceux qui brillaient toujours d'une curiosité naïve et d'une bonté sincère. Non, aujourd'hui, les yeux de Mirabel brillaient d'une lumière intense, presque surnaturelle, comme si quelque chose d'inconnu et de puissant s'était éveillé en elle. Un éclat étrange et froid s'y était glissé, semblable à celui d'un avertissement, une lueur qui résonnait comme une promesse de chaos.

Avant que Dolores ne puisse exprimer son inquiétude à voix haute, Camilo, avec un regard choqué et une douleur évidente dans la voix, éclata :

- A-Alors Mirabel, tu nous as mentis depuis le début ? Tu t'es servi de nous ? Toutes ces paroles, tout ce que tu nous as dit, n'étaient qu'une mise en scène ?

Dolores est la première à remarquer le changement dans les yeux de Mirabel : leur doux marron chocolat avait laissé place à un jaune vif et intense, presque inhumain, dégageant une énergie palpable et étrange. Elle ouvre la bouche, prête à dire quelque chose, mais c'est Camilo qui s'exclame avant elle. Sa voix tremble de douleur et d'incrédulité :

- M-Mirabel, tu nous as menti depuis le début ? Des larmes se forment dans ses yeux. Tu t'es servi de nous ? Est-ce que tout ce que tu as dit n'était qu'une mise en scène ?

Mirabel, son regard fixé sur Camilo, sent la douleur de sa question, mais détourne les yeux. Un instant, ses iris redeviennent marron, comme si une lueur de douceur tentait de percer malgré la haine qui couvait en elle. Elle détourne le regard de Camilo, incapable de supporter l'angoisse et la déception sur le visage de son cousin bien-aimé. Sa voix s'étouffe en elle, paralysée par ses propres émotions contradictoires.

- Mirabel, dis quelque chose, prima ! crie Camilo, désespéré, alors que ses larmes coulent désormais librement.

Mais avant qu'elle ne puisse prononcer un mot, Isabela fait un pas en avant, le visage déformé par la fureur.

- ÇA SUFFIT MIRABEL !hurle-t-elle, sa voix débordant de colère. Nous avons tout fait pour t'aider avec la vision, et tu te retournes contre nous de cette façon ? C'est toi l'égoïste dans cette histoire ! D'un geste brusque, elle lance une liane couverte de piquants vers Mirabel, son visage marqué par la douleur et la trahison.

- ISABELA, NON ! s'écrie Camilo, levant une main pour essayer d'arrêter sa cousine, tandis que Dolores ferme les yeux, ne supportant plus la scène. Luisa, de son côté, reste sans voix, comme figée face au conflit qui éclate entre ses sœurs.

Mais alors, Mirabel relève brusquement la tête, et ses yeux s'illuminent de nouveau d'une lueur dorée, plus intense que jamais. Avec un calme glaçant, elle soupire, puis tend la main et attrape la liane d'Isabela d'un geste vif. Elle serre la liane entre ses doigts, et, sous les yeux horrifiés de tous, elle la désintègre lentement, réduisant les piquants et les fibres de la plante en poussière. Un sourire froid, presque maléfique, se dessine sur ses lèvres, provoquant un frisson de terreur chez Isabela, qui reste paralysée, incapable de réagir.

Isabela observe avec effroi les fissures qui s'élargissent à une vitesse alarmante, se ramifiant et couvrant le sol de la chambre de Mirabel. Les murs tremblent, chaque secousse amplifiant la peur dans le cœur de chacun. Dolores, les mains plaquées contre ses oreilles, murmure dans une voix tendue et souffrante :

- Ça fait mal...Elle s'arrête soudain, réalisant qu'un silence étrange a envahi son esprit. Sa voix s'éteint dans un souffle d'angoisse : J'ai...J-J'ai perdu mon don !

Camilo, pris de panique, tente de se transformer, son visage se tordant d'effort et de désespoir, mais rien ne se passe. Il regarde ses mains avec horreur, réalisant l'ampleur de la perte, et tombe à genoux, paralysé par le choc.

- N-Non...murmure-t-il, la voix brisée.

À côté de lui, Luisa ne peut contenir ses larmes, ses épaules tremblant sous le poids de l'émotion, elle qui a toujours été si forte.

Isabela, reculant, hurle, les yeux emplis d'incrédulité et de désespoir :

- Mirabel, qu'est-ce que tu as fait ?! Sa voix résonne dans la chambre, mais Mirabel reste silencieuse, se contentant de tourner lentement le dos à sa famille.

Elle avance vers la porte avec une expression déchirante, le visage empreint d'une profonde tristesse. Une unique larme coule le long de sa joue alors qu'elle s'arrête juste avant de franchir le seuil.

- Je voulais juste être aimée et comprise, dit-elle, sa voix presque éteinte, tremblant d'émotion. Je n'ai jamais souhaité tout ce malheur...

Puis, dans un mouvement inexorable, la porte de sa chambre se ferme derrière elle, les séparant de sa présence. Un silence glacé envahit la pièce alors que les Madrigal réalisent qu'ils sont désormais seuls, perdus et sans leurs dons. Les fissures continuent de ramper le long des murs, symbolisant l'éclatement de leur unité et de leur magie.

🕯✨️🕯

Isabela, dévastée et remplie d'une amertume palpable, frappe le sol avec rage, ses poings heurtant les fissures qui se dessinent encore autour d'eux. Elle murmure dans un souffle désespéré :

- N-Nous avons créé et aidé un monstre !

Camilo, les yeux emplis de tristesse et de déni, redresse doucement la tête et, d'une voix douce mais implorante, répond :

- N-Non, ce n'est pas vrai ! Elle est juste...E-Elle est juste malheureuse, j'en suis sûr-

Mais Isabela l'interrompt violemment, son ton perçant brisant le peu de calme qui reste dans la pièce.

- ELLE EST FOLLE ! s'écrie-t-elle, son regard jetant des éclairs de reproche et de frustration vers son cousin. Elle a été plus maline que nous, Camilo ! Ouvre les yeux et connecte tes neurones deux secondes ! Elle a utilisé la carte de la "gentille et innocente Madrigal" pour nous tromper, nous piéger, et nous priver de nos dons !

Camilo, blessé par ces mots, secoue la tête, refusant d'accepter cette vision des choses, mais la détermination glaciale d'Isabela ne fléchit pas. Elle poursuit, une lueur de crainte et de colère dans les yeux :

- Et qui sait ce qu'elle est capable de faire maintenant avec les autres ? Peut-être qu'elle va même s'en prendre à Abuela, à mes parents, tes parents ou aux villageois...Peut-être qu'elle veut nous punir tous !

Dolores, accroupie dans un coin, garde le silence, mais ses mains tremblent légèrement. Son regard se perd dans le vide, essayant de traiter la tempête d'émotions et de désillusions qui l'envahit, incapable de revenir à son rôle de médiatrice. Luisa, toujours silencieuse, serre ses poings jusqu'à ce que ses jointures blanchissent, le poids des révélations accablant son esprit.

Camilo se redresse avec détermination, refusant de céder au ressentiment que les autres semblent nourrir envers Mirabel. D'une voix ferme, il déclare :

- Je refuse de croire que Mirabel est devenue mauvaise ! Isabela, regarde la réalité en face : elle a été maltraitée pendant dix ans !

Isabela, prise entre sa colère et une vague de remords qui commence à la submerger, murmure avec incertitude :

- Et si c'était même vrai, Camilo ? Sa voix vacille, comme si elle luttait contre un fardeau qu'elle refuse de pleinement reconnaître.

Dolores, qui se tient en retrait, soupire et secoue la tête. Elle murmure :

- Camilo...Elle n'a peut-être pas tort. Nous avons tous nos fardeaux ! Mirabel, est juste instable mentalement. Sa voix est douce, empreinte d'une résignation amère, mais aussi d'une gêne évidente face aux vérités qui viennent d'éclater.

Camilo, les sourcils froncés et le regard perçant, les fixe tour à tour, sentant qu'il y a encore des non-dits. Il prend une profonde inspiration et, avec une intensité presque accusatrice, demande :

- Ah oui ? Alors vous pouvez toutes les deux nous expliquer, à Luisa et moi, ce que Mirabel voulait dire par "elles sont déjà au courant" quand elle parlait de la vision ?

Isabela et Dolores échangent un regard pesant. Une hésitation grandit dans leurs yeux, mais elles semblent prises au piège par la demande de Camilo. Dolores baisse les yeux, ses doigts s'agitant nerveusement, tandis qu'Isabela détourne le regard, le visage marqué par la honte et l'incertitude.

Camilo, frustré par leur silence, insiste, la voix un peu plus forte :

- Alors ? Vous saviez quelque chose à propos de Mirabel ? À propos de ce qu'elle vivait ? Sa voix est remplie d'une douleur à peine contenue, trahissant une amitié et une loyauté blessées.

Isabela finit par lâcher dans un murmure presque inaudible :

- P-Peut-être...Peut-être que oui.

Elle inspire, mais sa voix s'étouffe sous le poids de la confession, comme si l'admettre rendait les souffrances de Mirabel plus réelles et indéniables.

Dolores, quant à elle, prend une grande respiration, le regard fuyant, et murmure :

- Abuela a toujours été stricte...Mais on pensait qu'elle agissait pour le bien de la famille, pour préserver le miracle. On n'a jamais voulu voir jusqu'où ça pouvait aller pour Mirabel...

Luisa, silencieuse jusque-là, se redresse, le visage figé de tristesse et de regret. Elle demande doucement, le cœur lourd :

- A-Alors...Tout ce que Mirabel a dit, tout ce qu'elle a subi, ce n'étaient pas des exagérations ? C'était réel ?

Les mots non prononcés flottent lourdement dans l'air. Pour la première fois, ils sont confrontés à la réalité : peut-être que leur propre loyauté et leur aveuglement envers Abuela ont contribué à la souffrance de Mirabel.

Dolores hoche lentement la tête, son regard fixé au sol, avant de murmurer :

- Ce n'est pas tout...

Camilo, déjà ébranlé par la révélation précédente, ne peut retenir une exclamation pleine de frustration :

- QUOI ENCORE ?!

Il a du mal à cacher la colère, la confusion et la douleur qui bouillonnent en lui. Les mots de Dolores semblent s'attarder, comme si elle cherchait la meilleure façon d'amener une vérité qu'elle avait elle-même longtemps cachée.

Elle inspire profondément, ses yeux trahissant une tristesse profonde, avant d'admettre enfin :

- T-Tío Bruno...N-N'est jamais parti.

Ces mots tombent comme un coup de tonnerre. Isabela recule d'un pas, figée par la surprise, le visage tendu. Elle reste bouche bée, une main portée à sa bouche alors qu'elle tente d'absorber la portée de ce qu'elle vient d'apprendre.

Camilo, lui, reste pétrifié. Il fixe Dolores comme s'il avait mal entendu, comme si ses oreilles refusaient de croire à une telle révélation.

- Q-Quoi ?! Sa voix est incrédule, presque brisée, tandis que son regard se perd dans celui de sa cousine, cherchant la vérité.

Luisa, d'ordinaire si solide et résolue, semble elle aussi frappée de stupeur. Figée sur place, elle serre ses poings, son visage exprimant à la fois la tristesse et la douleur de cette découverte.

Dolores prend une grande inspiration avant de poursuivre, sa voix tremblante :

- J-Je l'ai su...Je l'ai su depuis des années. Je l'entendais des chuchotements, des murmures dans les murs...Il est resté dans Casita, tout ce temps.

Les trois autres la fixent, les yeux écarquillés, pris entre le choc et l'incompréhension. Ils cherchent des réponses, mais aucun mot ne vient pour combler le silence lourd qui les enserre.

Isabela finit par murmurer, la voix cassée :

-Tío Bruno...Dans les murs de la Casita ? Pourquoi ? Pourquoi ne pas être venu nous voir, nous parler ?! Je pensais, que tu me disais tout Dolores !

Camilo fronça les sourcils vers sa cousine.

- Et nous Isabela ? Luisa et moi, sommes encore plus perdus que toi !

Dolores baisse la tête, évitant leur regard, presque honteuse.

- Abuela...Elle l'a toujours accusé, elle lui en voulait pour ses visions. Peut-être qu'il a pensé, qu'il ferait mieux de disparaître pour protéger la famille.

Les yeux de Luisa s'emplissent de larmes.

- Et tout ce temps, il était seul...Alors que nous étions tous là ?

La culpabilité dans sa voix est palpable, comme un poids qui l'écrase. Elle comprend maintenant la solitude et la souffrance qui ont été imposées à Bruno, et elle en est dévastée.

Camilo, les poings serrés, secoue la tête, comme s'il luttait pour rassembler ses pensées :

- Alors...Mirabel avait raison depuis le début. Elle voulait comprendre et nous, on ne l'a pas écoutée.

Isabela, retenant un sanglot, serre ses bras autour de son corps, submergée par un mélange de honte et de remords.

La révélation de Dolores fait l'effet d'un coup de froid parmi les jeunes Madrigal, chacun se figeant un peu plus dans le silence. Elle frissonne légèrement en murmurant, presque pour elle-même :

- Ce qui me glace le plus le sang...C'est comment Mirabel a su ? J'étais la seule à connaître ce secret !

Camilo, toujours en train d'absorber le choc, se passe une main tremblante dans les cheveux.

- Peut-être que quelqu'un lui a dit ? avance-t-il, mais sa propre voix trahit son doute.

Dolores n'était pas d'accord avec son frère.

- Impossible, personne n'était au courant....Même Abuela ! Nous étions tous si aveugle...

Luisa, encore sous l'émotion, murmure pensivement :

- Ou alors...Elle l'a découvert seule, en explorant la Casita ?

Isabela, elle, pince les lèvres, cherchant à comprendre, les yeux perdus dans le vide. Elle se tourne vers Dolores, qui reste silencieuse, visiblement plongée dans ses pensées, puis lance d'une voix pressante :

- Dolores...Que veux-tu dire par "nous étions aveugles" ? Explique-toi !

Dolores, les mains légèrement tremblantes, relève enfin la tête pour croiser le regard de ses cousins et de sa sœur.

- Vous ne comprenez pas...Mirabel a été plus intelligente que nous le croyions. Elle n'a rien dit à haute voix. Elle a su comment me contourner, comment éviter que je découvre ses plans ! Son regard se fait distant, comme si elle repassait en mémoire toutes les conversations et les moments partagés avec Mirabel, se rendant compte des signes qu'elle avait manqués.

- M-Mirabel...poursuit-elle d'une voix tremblante, nous a sûrement observés pendant des années, écoutant, notant tout, apprenant de nous. Elle a compris nos faiblesses, nos doutes, sans jamais en laisser paraître !

Camilo, incrédule, secoue la tête.

- Tu es en train de dire qu'elle a passé tout ce temps à nous analyser ?

Dolores hoche la tête, les yeux brillants d'inquiétude.

- O-Oui...Elle savait parfaitement comment agir pour rester sous notre radar, pour jouer le rôle de la "Mirabel sans don" que nous croyions tous connaître. En réalité, elle nous observait, elle notait tout.

Un silence choqué s'installe alors que chacun comprend peu à peu l'ampleur de ce qu'ils entendent. Luisa s'effondre sur le bord du lit, ses épaules tremblantes de culpabilité et de tristesse.

Isabela, quant à elle, serre les poings, sa colère mêlée de honte.

- Nous l'avons sous-estimée...Elle a joué ce rôle sous nos yeux, sans que l'on soupçonne quoi que ce soit !

Camilo secoue la tête, murmurant plus pour lui-même que pour les autres :

- Alors tout ce que nous avons vu...Ce n'était qu'un masque ? Elle n'était pas seulement la Madrigal sans don...E-Elle était...E-Elle était plus intelligente, plus déterminée qu'on ne l'a jamais imaginé !

Les Madrigal, ébranlés et coupables, se rendent peu à peu compte de l'ampleur de leur mépris inconscient envers Mirabel. En sous-estimant ses émotions et sa détermination, ils l'avaient poussée vers un chemin de solitude et de rancœur.

Luisa, visiblement bouleversée, s'assoit lentement sur le bord du lit, ses mains tremblantes. Elle prend une grande inspiration, puis murmure avec douleur :

- Ce n'est pas de notre faute...Mais soyons honnêtes, Mirabel a souffert bien plus que nous ?! Sa voix se brise légèrement, alors qu'elle se remémore les cicatrices que Mirabel leur avait montrées.

Elle serre les poings et continue, son regard fixé sur le sol.

- Vous avez vu ses épaules...C-Ces marques, ces cicatrices...Elle secoue la tête, sa voix teintée d'une tristesse profonde. J'ose à peine imaginer le reste de son corps...L-Le poids de tout ce qu'elle a dû endurer !

Camilo baisse les yeux, une expression de culpabilité visible sur son visage. Il murmure, presque pour lui-même :

- Pendant que nous vivions nos vies, avec nos dons et nos responsabilités...E-Elle...Elle souffrait en silence !?

Il passe une main sur son visage, luttant pour contenir ses propres émotions.

Dolores, toujours affectée par la révélation de la nuit, hoche la tête lentement, les yeux humides.

- N-Nous n'avons rien vu...Sa voix tremble, comme si elle se reprochait de ne pas avoir compris plus tôt. Elle se battait seule, jour après jour...Et nous étions aveugles.

Isabela, habituellement fière et forte, reste silencieuse un moment, comme figée par la honte. Elle se tourne enfin vers Luisa et murmure, presque dans un souffle :

- J-Je...Je ne pensais pas que... Sa voix se brise, et elle détourne le regard, comme si elle ne pouvait plus affronter ses propres souvenirs de tous les moments où elle avait ignoré ou minimisé la douleur de Mirabel.

Un silence lourd s'installe dans la pièce, chacun plongé dans une profonde réflexion. La culpabilité, la tristesse et la honte se mêlent dans l'air, créant une tension presque palpable. Luisa, sentant le poids des émotions peser sur ses épaules, pose doucement une main sur son cœur, fermant les yeux.

- Nous ne pourrons jamais changer ce qu'elle a vécu, murmure-t-elle, la voix pleine de regret. Mais peut-être...Peut-être que nous pouvons encore faire quelque chose pour elle ?

Dolores acquiesce lentement, bien qu'un air d'incertitude passe dans son regard.

- Oui...Mais comment ? Comment lui prouver que nous avons changé, que nous la comprenons enfin ?

Le groupe reste silencieux, chacun cherchant une réponse, un moyen de regagner la confiance de leur sœur et cousine. Mais malgré les doutes et la peine, ils sont déterminés à ne pas laisser Mirabel sombrer seule dans cette douleur qu'elle a si longtemps portée en silence.

Camilo, soudainement animé d'une lueur d'espoir, redresse la tête. Ses yeux brillent d'une détermination nouvelle, malgré la fatigue et les émotions qui pèsent sur ses épaules.

- En allant chez Tío Bruno ! dit-il, sa voix se faisant entendre dans le silence pesant. Tous les regards se tournent vers lui, surpris.

Il se redresse, plein d'entrain, et explique avec une urgence dans la voix :

- Il pourra peut-être nous aider ! Une autre vision pourrait tout nous expliquer, nous montrer comment réparer ce qui a été brisé !

Luisa et Dolores échangent un regard hésitant.

- Mais...Et si cela n'aggravait pas la situation ? murmure Dolores, bien qu'une étincelle d'espoir s'allume dans ses yeux. Elle aussi veut croire qu'il reste un moyen de sauver Mirabel et le miracle.

Isabela, qui avait jusque-là gardé le silence, croise les bras et fixe Camilo.

- Et tu crois vraiment qu'il va accepter de nous aider ? Après tout ce que Mirabel a révélé...Nous avons ignoré ses souffrances pendant des années. Ses paroles sont dures, mais son regard laisse transparaître sa propre culpabilité.

Camilo fronce les sourcils, refusant de céder au désespoir.

- Mirabel nous a dit qu'elle ne pouvait plus vivre comme ça et elle a raison ! Mais elle mérite aussi de savoir ce qui l'attend vraiment, ce que le futur nous réserve. Tío Bruno a peut-être fui, mais je refuse de croire qu'il est incapable de nous aider. Si quelqu'un peut trouver une solution, c'est bien lui !

Luisa serre les poings, inspirée par la détermination de Camilo. Elle se lève d'un mouvement ferme, ses yeux remplis de résolution.

- Alors allons-y. Nous ne pouvons plus rester les bras croisés !

Dolores, toujours incertaine mais décidée, hoche la tête.

- Allons trouver Tío Bruno...Et peut-être enfin comprendre ce qui doit être fait pour apaiser tout cela.

Isabela, après une dernière hésitation, prend une profonde inspiration et se redresse également. Bien que ses yeux soient assombris par la peur et les remords, elle suit le groupe.

Luisa se relève avec un soupir lourd, ses yeux fatigués parcourant la chambre chaotique de Mirabel, lorsqu'elle remarque quelque chose d'inhabituel derrière le lit. Un petit coin de cuir brun dépasse de sous les couvertures et la poussière accumulée. Intriguée, elle s'approche, tendant la main pour attraper l'objet malgré la perte de sa force surnaturelle. Avec un léger effort, elle tire le livre hors de sa cachette.

C'est un petit carnet de cuir usé, aux coins écornés, recouvert de dessins et de petites inscriptions que Mirabel semble avoir griffonnées de sa propre main. Luisa l'ouvre avec précaution, ses yeux s'attardant sur les premières pages où sont notées des phrases comme :

Il faut être forte, même seule !

La Casita ne doit pas savoir...

La gorge serrée, elle feuillette plus loin, découvrant des paragraphes remplis de réflexions personnelles, des observations et des détails troublants sur les souffrances silencieuses de sa petite sœur.

Les mots semblent s'imprimer dans l'esprit de Luisa comme des coups au cœur. Elle lit un passage où Mirabel parle de nuits blanches, de blessures cachées, de doutes profonds quant à sa valeur. Il y a même des esquisses des membres de la famille, chacun accompagné de petites phrases empreintes de douleur et d'admiration.

En tournant les pages, Luisa découvre une liste de toutes les remarques qu'Abuela a faites à Mirabel, une par une, détaillant les critiques et les reproches que Mirabel a endurés. À mesure que les mots se gravent dans son esprit, Luisa se sent de plus en plus accablée par la douleur de sa sœur, une douleur dont elle n'a jamais vraiment compris l'ampleur.

- O-Oh non...Mirabel, pourquoi tu n'as rien dit... murmure-t-elle, les larmes lui montant aux yeux.

Puis, en découvrant un passage particulièrement dur où Mirabel décrit ses peurs les plus profondes, la voix de Luisa s'élève malgré elle dans la chambre silencieuse, étouffée par l'émotion.

- QUOI ?! crie-t-elle soudain, incapable de contenir le choc. Sa voix résonne dans la pièce, alertant les autres qui se tournent vers elle, inquiets.

Camilo s'approche précipitamment, suivi d'Isabela et de Dolores.

- Luisa, qu'est-ce qu'il y a ? demande Camilo, l'inquiétude se lisant sur son visage.

Les mains tremblantes, Luisa leur montre le carnet, incapable de trouver les mots pour expliquer ce qu'elle vient de lire.

- E-Elle a...E-Elle a tellement souffert et on n'a rien vu...RIEN COMPRIS ! chuchote-t-elle, sa voix brisée.

Ils se penchent tous pour lire le contenu du carnet, leurs yeux s'agrandissant à mesure qu'ils découvrent la profondeur des souffrances de Mirabel. Isabela, le visage figé de stupeur, murmure en parcourant les pages :

- C-C'est...C'est comme si elle avait caché tout ça pour nous protéger ou pour qu'on ne la voie pas ainsi...

Dolores, encore sous le choc des révélations, tourne doucement une autre page, ses mains tremblant légèrement. Ses yeux s'agrandissent lorsqu'elle découvre une section soigneusement organisée par Mirabel, où elle a pris le temps de noter, sous forme de petites annotations méticuleuses, chaque don familial, suivi de ce qu'elle identifie comme leurs points faibles.

Elle passe rapidement ses doigts sur les notes consacrées à chaque membre de la famille. Elle lit :

Dolores : son ouïe est sensible aux sons intenses et trop soudains. Elle peut être submergée par des bruits proches ou continus.

Dolores murmure, presque incrédule :

- C'est pour ça...E-Elle a compris comment se taire d'une façon que je n'entends jamais...U-Une vraie génie...

Elle tourne une autre page, parcourant les détails concernant Luisa :

Luisa : la force est aussi une faiblesse. Elle ressent une pression constante de devoir toujours être invincible, ce qui la rend vulnérable à la fatigue émotionnelle...

Luisa, lisant par-dessus l'épaule de Dolores, se mord la lèvre en sentant sa gorge se nouer. Elle prend conscience que Mirabel comprenait, mieux que quiconque, le poids qu'elle portait constamment pour satisfaire les attentes de la famille et du village.

Isabela, elle, fronce les sourcils en voyant sa propre description :

Isabela : perfection est une prison. Elle est enfermée dans l'image de la perfection qu'on attend d'elle, et cela l'empêche d'être elle-même.

Isabela détourne les yeux, sentant un poids douloureux sur son cœur en réalisant que Mirabel avait vu clair à travers sa façade impeccable.

Camilo se fige en découvrant sa propre page. Mirabel a écrit :

Camilo : il se cache derrière son don de transformation pour éviter de montrer qui il est vraiment. Ses transformations le protègent de ses propres insécurités.

Il fixe ces mots, sentant ses joues brûler d'une honte silencieuse.

- Elle m'a toujours compris, bien plus que je l'avais imaginé...murmure-t-il.

Puis, Dolores tourne enfin une dernière page, où elle découvre des réflexions générales de Mirabel sur la famille, accompagnées de croquis des visages de chacun, qu'elle a dessiné avec tendresse et minutie. Elle lit un passage qui résume tout :

Nos dons sont notre fierté, mais aussi notre chaîne. On est tous pris au piège d'être ce que la famille (Abuela) et le village attendent de nous, sans pouvoir être pleinement nous-mêmes. Peut-être qu'un jour, on pourrait être libres d'être juste...Nous ?

Les larmes aux yeux, Dolores referme le carnet en murmurant,

- Elle nous connaissait tous, jusqu'au plus profond de nous-mêmes !

Le silence dans la pièce est lourd et empreint d'une profonde tristesse, mêlée d'admiration pour la force et la perspicacité de Mirabel. Ils réalisent qu'elle avait toujours été celle qui les avait observés, aimés, et protégés malgré sa propre souffrance. Leurs propres points faibles, qu'ils pensaient soigneusement dissimulés, avaient été vus et compris par Mirabel, la même sœur qu'ils avaient souvent négligée.

Isabela tourne la page lentement, jusqu'à ce que ses yeux se posent sur une série de photographies glissées entre les feuilles, des images que Mirabel avait prises elle-même. L'encre de ses mots griffonnés autour des photos est tremblante, comme si elle avait eu du mal à écrire ces pensées intimes et douloureuses. En bas de chaque photo, des annotations décrivent brièvement la date, et parfois la cause des blessures, avec des mots simples, mais déchirants.

Isabela pose une main tremblante sur la première photo : une large ecchymose sombre s'étale sur l'épaule de Mirabel. Une autre photo montre des traces de griffures le long de son bras. Au fil des images, des contusions de différentes couleurs se révèlent sur son dos, ses bras, même sur ses jambes. Les cicatrices sont parfois superficielles, mais certaines sont bien plus profondes, témoignant de blessures répétées.

Dolores, en observant l'une des photos, se couvre la bouche pour étouffer un cri, sentant la nausée monter à la vue des marques incrustées dans la peau de sa cousine. Luisa, elle, reste figée, les yeux écarquillés, luttant pour contenir les larmes qui brouillent sa vision.

- M-Mon Dieu...murmure-t-elle, incapable de comprendre comment Mirabel a pu endurer tout cela.

Isabela, les mains tremblantes, lâche une photo et la laisse tomber sur le sol. Elle recule, les larmes coulant sur ses joues, incapable de détourner les yeux de ces blessures qui témoignent silencieusement de la douleur de Mirabel.

- E-Elle...Elle a supporté tout ça...Et nous n'avons rien vu...murmure-t-elle d'une voix presque brisée, ses mots tremblants de regret et de culpabilité.

Camilo détourne le regard, le visage blême, refusant de regarder les photos que ses cousines et sa sœur tiennent toujours entre leurs mains tremblantes. Il ferme les yeux, secoué par des images qu'il préfère éviter, mais les cris étouffés d'Isabela et de Dolores le hantent, lui imposant la réalité de la souffrance de Mirabel.

Isabela finit par lâcher un cri, comme si elle n'en pouvait plus de supporter la vue de ces preuves accablantes.

- C-Comment...C-Comment Abuela a-t-elle pu...Comment n'avons-nous rien vu ?

Elle tombe à genoux, submergée par la culpabilité.

Dolores et Luisa s'effondrent également, chacune ressentant l'écrasante douleur d'avoir ignoré la souffrance de Mirabel. Dolores, la voix tremblante, dit faiblement :

- Nous étions aveugles...C'est de notre faute...N-Nous l'avons laissée seule, à souffrir, à se battre...

Camilo se redresse, essuyant les larmes qui glissent le long de ses joues, puis fixe Isabela d'un regard lourd de reproches et de colère contenue. Sa voix, habituellement pleine de malice, est rauque, presque brisée, alors qu'il articule chaque mot avec une précision tranchante :

- Alors, Isabela, tu penses toujours que ma prima est une folle ou un monstre ?

Isabela relève les yeux vers lui, décontenancée. Elle cherche quelque chose à répondre, mais les mots lui échappent. La culpabilité la submerge. Ses souvenirs de toutes les fois où elle a ignoré, méprisé ou rejeté Mirabel défilent dans son esprit, et elle réalise que sa propre attitude a contribué à la souffrance de sa sœur. Son regard se brouille, et elle détourne les yeux, incapable de soutenir le regard de Camilo.

- J-Je...Je ne savais pas...murmure-t-elle faiblement, les mots se brisant dans sa gorge.

Camilo serre les poings, son visage exprimant un mélange de colère et de tristesse.

- Tu ne savais pas ? Vraiment, Isabela ? Sa voix s'élève, pleine d'amertume. Comment as-tu pu être aussi aveugle ? Comment avons-nous tous pu l'être ? Elle souffrait sous notre nez, et tout ce qu'on a fait, c'est l'ignorer, la juger, la traiter de fardeau...

Dolores, restée silencieuse, baisse la tête en écoutant les paroles tranchantes de son cousin. Elle ressent le poids de cette accusation elle aussi. Elle qui entend tout, qui sait tout...Comment a-t-elle pu ignorer cette souffrance ? Les mots de Camilo résonnent douloureusement dans son cœur.

Luisa, de son côté, sent les larmes lui monter aux yeux. Elle prend une profonde inspiration et pose une main tremblante sur l'épaule d'Isabela.

- Nous avons tous failli, Isabela...Nous étions tous trop absorbés par nos propres rôles, par ce que la famille attendait de nous...Mais Mirabel, elle, a dû porter ce fardeau sans jamais que personne ne la soutienne.

Isabela ferme les yeux, un sanglot lui échappant. Elle murmure, presque pour elle-même :

- J-Je...Je l'ai traitée comme si elle était un obstacle, un problème à éviter. Je n'ai jamais essayé de comprendre ce qu'elle vivait...

Elle relève le regard vers Camilo, une lueur de honte et de désespoir dans les yeux.

- Je me suis trompée, Camilo. Elle n'est ni un monstre ni folle. Elle est juste...U-Une sœur qui voulait être aimée !

Camilo adoucit légèrement son regard, mais la tristesse reste gravée dans ses yeux.

- Alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? On ne peut pas revenir en arrière et effacer toutes ces années où on l'a laissée seule.

Luisa se redresse, ses poings serrés, une lueur de détermination dans les yeux. Elle jette un regard à ses cousins et à Isabela, essuyant les larmes qui glissent encore sur ses joues.

- Allons retrouver tío Bruno avant que Mirabel ne fasse quelque chose de regrettable...Elle a peut-être sombré, mais on peut encore la sauver, elle et Casita !

Les autres échangent des regards hésitants mais résolus. Camilo est le premier à hocher la tête, serrant la mâchoire.

- Tu as raison, prima, murmure-t-il, essayant de ravaler le mélange de peur et de chagrin qui l'envahit. On ne peut pas la laisser comme ça. Elle a besoin de nous, même si elle ne le réalise pas encore !

Dolores ferme les yeux un instant, concentrant son ouïe à l'extrême, cherchant le moindre indice, le moindre bruit qui pourrait les guider.

- Je vais essayer de repérer Mirabel ou tío Bruno...Si seulement je pouvais encore capter les sons comme avant ! Sa voix s'éteint, teintée de regret, mais elle relève la tête avec une résolution nouvelle. Je ferai de mon mieux, même sans mon don.

Isabela hésite, la culpabilité et la peur se disputant sur son visage, mais elle finit par inspirer profondément et murmurer,

- Elle a besoin de nous, même après tout ce qui s'est passé. Puis elle ajoute, presque pour elle-même, Je lui dois ça !

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