Chapitre 7

Micah

Mes points de suture me tiraient encore et mon épaule était toujours raide mais rassuré sur le fait que je n'allais pas me changer en machin plein de poils et de crocs, j'avais repris mon poste au Unicorn Temple le lendemain de l'intrusion d'Adam et ses amis flippants. J'avais dissimulé mes pansements sous un henley bleu électrique à manches longues, plus confortable que sexy et dont je prévoyais déjà qu'il allait me coûter quelques pourboires en comparaison de ma garde-robe habituelle. J'avais fait l'impasse sur le maquillage également. Maintenir ma façade me demandait trop d'énergie ce soir. Tant pis pour les clients, ils auraient droit à la version non améliorée. Les anti-douleurs commençaient néanmoins à faire effet et je ne grimaçai que légèrement au dessus de ma mise en place lorsque Steven arriva, les yeux brillants de curiosité avide. Il se jeta immédiatement sur moi sans même jeter un coup d'œil au tee-shirt offensant.

- Aloooors?

- Alors ça va beaucoup mieux, merci de demander.

Il plissa les yeux et m'assena une pichenette taquine sur la joue.

- Je ne veux pas parler de ça ! Enfin, je suis content que tu ailles mieux, c'est sûr, mais les détails de ta grippe je m'en passe sans souci. Non, ce que je veux savoir c'est comment était ta nuit avec monsieur beau gosse. Tu dois tout me raconter!

Je levai un sourcil offusqué.

- Non mais que dalle! Je ne te demande pas de détails sur tes coups de bite dans le chiottes, moi!

L'étudiant en design fit une moue théâtrale de ses lèvres brillantes de gloss.

- Mais ça n'a rien à voir. Déjà parce que ça n'a rien d'exceptionnel pour moi alors que toi, mon pote, tu flirtes sans jamais passer à l'acte en temps habituel. Et puis moi, je ne m'envoie pas en l'air avec les amis de Bear. Et des amis supers canons, en prime!

- A ton grand regret, persiflai-je d'un ton léger. 

Steven pouvait être pénible mais c'était une bonne nature et il pouffa sans se vexer.

- Hey, j'aurai voulu être à ta place, fais-moi un procès. Mais comme je n'ai pas eu la chance de bénéficier de l'intérêt de l'homme blond et sexy que tu t'es tapé tu pourrais au moins me consoler en me donnant quelques détails. C'est un bon coup? Actif ou passif? Il est circoncis?

- Putain quand tu dis que tu veux des détail tu ne rigoles pas!

Steven me retourna un regard implorant, la lippe tremblante et l'œil humide et je soupirai devant ma défaite inéluctable. J'avais caressé l'espoir de ne pas avoir à imaginer un mensonge trop élaboré mais je m'étais leurré. Je me tâtai une seconde, par pur esprit de revanche contre Adam et la trouille qu'il m'avait fichu en débarquant chez moi sans prévenir, à prétendre qu'il avait une petite bite et était un coup épouvantable. Mais je voulais encore plus que mon collègue et mon patron oublient notre brève interaction et ce genre de ragots croustillants resterait dans la jolie tête de Steven à jamais.

- On est allé à l'hôtel, c'était chouette. On n'a pas baisé mais les pipes étaient sympas et tu n'en sauras pas plus.

- Whaaat? Vous n'avez même pas couché ensemble ?

- Je suis à peu certain que les fellations comptent pour du sexe, Steven. A moins que tu ne sois président des Etats-Unis, peut-être. Et tu devrais gueuler encore plus fort, il y a des gens à Tucson qui n'ont pas eu l'info.

Il gloussa mais ne lâcha pas son idée pour autant.

- Non mais tu vois ce que je veux dire. Un morceau comme celui-là, j'aurai saisi ma chance et profité au max.

Il plissa le front.

- Je me demande s'il me laisserait le sauter.

- Steven, il ne t'a même pas laissé le draguer!

Il ricana d'un ton appréciateur.

- Joli scud, tu deviens de plus en plus une garce, j'adore.

- Je m'adapte à mon environnement, c'est une de mes qualités.

Notre échange de vacheries aurait pu durer longtemps mais un raclement de gorge rauque me fit sursauter et couiner Steven de surprise. Devant le comptoir, Bear nous dévisageait en fronçant les sourcils, les bras croisés dans sa posture de mâle alpha grognon.

- Ça va les pipelettes? Je ne vous dérange pas?

Il désigna le comptoir où les agrumes toujours entiers trônaient comme des preuves de ma distraction.

- Les clients ne vont pas tarder à débarquer, les jeunes, et ils ne vont pas se servir tout seuls. Vous êtes priés de bien vouloir bouger vos petits culs de bavards et de terminer la mise en place. C'est un vrai bordel sur ce comptoir!

Steven et moi hochâmes la tête, contrits, et je repris ma découpe pendant que mon collègue partait chercher un fût dans la réserve. Bear avait beau avoir l'apparence d'un champion de catch et se déplacer comme une montagne en mouvement, il commençait à avoir mal au dos. Discrètement, histoire d'éviter de le vexer, nous préférions nous charger nous même de tout ce qui était manutention. Il passa derrière le zinc pour rincer des verres et je coulai un regard hésitant en sa direction. J'avais beau avoir fermement décidé de tirer un trait sur les évènements de la fin de semaine passée, une partie de moi était avide d'en savoir plus.

Je n'avais pas d'ordinateur ni de smartphone. Andreï m'avait appris la faille de sécurité qu'ils représentaient et cette leçon avait été bien intégrée. Mon téléphone était un modèle à dix dollars avec une carte prépayée et un numéro provisoire et au vu de ma vie sociale trépidante, cela suffisait amplement. Lorsque j'avais besoin de consulter le net, généralement les journaux new-yorkais et quelques comptes Facebook sur lesquels je surfais de manière anonyme, je me rendais à la Multnomah County, la bibliothèque centrale de la ville. Les lieux étaient suffisamment fréquentés pour me permettre l'anonymat que je recherchais, les ordinateurs étaient en libre accès et contrairement à la bibliothèque de la PSU, pas besoin d'une carte d'étudiant pour y pénétrer.

J'avais beau eu me sermonner sur la thématique que ce n'était pas mes oignons, et que bien souvent la curiosité tue le chat, j'y avais fait un tour la veille. J'avais refusé qu'Adam m'en dise plus et je restais encore convaincu qu'il s'agissait du bon choix. J'étais suffisamment en danger dans le monde normal pour ne pas me rajouter des emmerdes surnaturelles. Mais ça n'empêchait pas mon esprit de battre la campagne ni mon imagination de faire des heures sup. Et en matière d'imagination, j'avais trouvé en ligne de quoi alimenter largement mon hamster intérieur.

J'avais ressenti un profond sentiment d'irréalité en tapant "loup garou" dans le moteur de recherche. Mais pourtant, c'était bien la définition la plus évidente de ce dont j'avais été témoin.
Évidemment, les résultats étaient partis dans tous les sens entre des milliers de sites de fan de Teen Wolf, les références à Harry Potter, le film avec Nicholson ou des jeux de plateaux divers. Mais dans ce fatras, j'avais été surpris du nombre d'articles plus sérieux. L'Encyclopedia Britannica abordait le sujet sous l'angle du folklore, bien sûr, mais j'y avais au passage appris l'existence d'une vraie maladie psychiatrique nommée lycanthropie clinique. Quand au mythe du loup-garou, il remontait jusqu'à la Grèce Antique et s'était répandu partout en Europe. Il était lié, d'après les anthropologues, à la fascination exercée par le loup, symbole de sauvagerie et de férocité, sur les premiers humains à l'époque de leur transition vers la civilisation. Dans la tradition nordique et scandinave, la symbolique du changement en loup se référait à une hamr, ou âme, revêtant une peau de bête. Les Celtes, les Amérindiens, quasi tous les peuples avaient des légendes proches où des humains étaient capables de changer de peau et d'adopter provisoirement celles des prédateurs de la nuit.

J'avais aussi découvert, choqué, qu'en Europe et en France en particulier, des loups-garous présumés avaient été sauvagement exécutés à peu près à la même époque que les récits de loups mangeurs d'homme courraient la campagne. Bien sûr, les épidémies étaient les principales responsables de la mortalité élevée mais des loups porteurs de la rage avaient aussi décimés des villages entiers. Entraîné dans mes recherches, j'avais dévié vers un article sur la bête du Gévaudan, que certains assimilaient à un loup-garou, avant de revenir à Wikipedia. L'encyclopédie participative avait eu de nombreuses choses à développer concernant la légende du lycanthrope elle-même mais j'y avais repéré immédiatement une différence notable avec la réalité. Contrairement à ce que l'article en ligne exposait, Adam m'avait assuré que les morsures ne risquaient pas de me changer

History chanel avait consacré un documentaire au loup-garou dans l'histoire mais c'est finalement un film indépendant sur youtube, intitulé sobrement Dogman and werewolf in USA, qui m'avait fait cliquer. J'avais regardé avec fascination les nombreux témoignages de passants surprenant des bêtes à forme humaine, croisant des loups dans des régions où celui-ci était officiellement absent, ou se trouvant face à face avec des créatures non identifiables mais à l'intelligence évidente. On parlait de lieux interdits, de forêts hantées et d'hommes hurlant à la lune.

Après des heures à me plonger dans cette réalité alternative que je n'avais jamais soupçonné, j'étais ressorti le cœur battant et ma rationalité fortement ébranlée. Mais aussi avec la compréhension flippante que ce dont j'avais été témoin n'était qu'une minuscule part de ce qui nous était caché et la certitude troublante que, quelle que soit la nature réelle d'Adam et ses amis, ils n'étaient pas les seuls étrangetés en ce monde.

Bear grognait sourdement en dévissant une bouteille de gin récalcitrante, à mille lieux de mes pensées, et une fois de plus, je me demandai s'il savait. Ça paraissait peu probable mais si j'avais bien compris, son frère était en couple avec un ami proche d'Adam. Et je pouvais me planter mais mon instinct me criait que les amis d'Adam étaient sûrement du genre très velu. Je décidai de me lancer et lâchai avec une désinvolture feinte :

- Adam est passé me ramener mon manteau. C'était sympa de sa part. Il m'a dit que c'est toi qui lui avait donné mon adresse?

Bear hocha la tête et se contenta d'un grondement indistinct, toujours concentré qu'il était sur sa bouteille. Je me raclai la gorge et insistai.

- C'est un mec cool. Tu le connais depuis longtemps ?

Bear ouvrit la bouteille avec un cri rauque de triomphe et la plaça sur le présentoir. Puis il s'essuya les mains sur son jean élimé et planta ses yeux clairs dans les miens.

- Tu essayes de me tirer les vers du nez, gamin?

Je rosis en songeant que du point de vue de Bear, je devais avoir l'air d'un adolescent en plein béguin tachant de soutirer des informations sur son crush. C'était un peu la honte mais tant pis si c'était le prix à payer pour récupérer les connaissances que je convoitais.

Je laissai ma gêne paraitre et souris avec une fausse timidité.

- Je suis juste curieux, c'est tout.

Bear leva les yeux au ciel.

- Tout comme Adam était curieux lui aussi. Étrange comment les choses peuvent être. Je ne suis pas les renseignements. Si tu as des choses à lui demander, il existe un truc nommé téléphone pour ton information.

Je gloussai.

- Pour ton information à toi, je pense que les "renseignements" ont disparu dans les années 90. Et ouais, je sais, mais je ne veux pas le traquer non plus.

- D'autant qu'Adam n'est pas du genre à faire dans la redite au cas où tu ne l'aurais pas compris.

Bear me jaugea avec une gentillesse bourrue.

- Il se spécialise dans les coups d'un soir. Sans ton manteau à te rendre, tu ne l'aurais recroisé que dans six mois et collé au cul d'un nouveau gars.

- Ça ne me pose aucun souci, comme je te disais je suis juste un peu curieux, c'est tout. Il est un ami proche de ton beau-frère, c'est ça? 

Lassé de mon insistance, Bear lâcha un soupir douloureux et consentit enfin à me répondre.

- Ouais. Ils bossaient ensemble avant que Sonny et Lucas ne déménagent en Californie.

Je m'accoudai sur le comptoir et penchai la tête de côté.

- Adam a une entreprise de construction j'ai cru comprendre?

- Yep. Il emploie une vingtaine de personnes dans tous les corps de métier et d'après ce que j'en sais, il fait aussi bien de la construction individuelle pour les architectes de son coin paumé que des chantiers publics plus importants, à Portland, Seattle ou Vancouver. Ça fonctionne bien pour lui, de ce que j'ai entendu. Lucas est spécialisé en charpentes et lorsqu'il est venu s'installer dans la région, Adam lui a proposé un boulot et l'a hébergé plusieurs mois.

Il fronça les sourcils. 

- Je ne sais pas d'où ils se connaissaient par contre, mais ils sont restés très proches.

Je restai impassible mais intérieurement, je triomphais. Lucas était lui aussi un loup-garou, c'était obligé. Je me demandai si Sonny en était informé. Était-il possible de partager sa vie avec la moitié d'une bête féroce sans le savoir? La majorité des sites que j'avais consulté s'accordaient sur le fait que les loups-garous avaient besoin de se transformer régulièrement, même si l'influence de la pleine lune n'était pas reconnue par tous. Mais peut-être était-il possible à quelqu'un de prétexter de temps en temps des déplacements ? Des voyages professionnels? Un besoin urgent de solitude et de camping en forêt ?

- Et Lucas, il est comment ?

Bear me fusilla des yeux mais le bar était toujours vide et même s'il s'en défendait, je savais que le vieux grognon aimait papoter autant que Steven et moi.

- Il est sympa.

Il n'avait pas l'air convaincu et j'ouvris de grands yeux.

- Whaaa ça venait du cœur, ça !

Il me balança un coup de torchon humide et je reculai d'un pas en pouffant.

- Petit con. Lucas est sympa et un bon gars mais nous avons parfois du mal à nous entendre. Anita dit que je suis atteint du complexe du frère ainé.

- Mais je croyais que Sonny et toi étiez jumeaux ?

- J'ai huit minutes d'avance, rétorqua Bear avec évidence. Je suis donc responsable de lui, même si ce petit enfoiré n'est pas d'accord. Pour en revenir à Lucas, il est parfois... un peu intense, tu vois? Lorsqu'il arrive quelque part, c'est comme si tout l'air disparaissait de la pièce.

Il plissa le front.

- Un peu comme Adam, d'ailleurs, il me fait le même effet. C'est un truc de charisme, je suppose. J'ai connu d'autres gars comme ça à l'armée. Mais à la limite, ça on s'en fout. Là où ça a parfois pété c'est parce qu'il est très possessif avec Sonny et nous avons eu du mal à trouver un terrain d'entente au début. Je le trouvais un peu jeune pour mon frère, aussi, et j'avais peur qu'il ne soit pas sérieux sur le long terme. Pour être franc, j'ai eu du mal à avaler leur départ en Californie alors que je finissais à peine l'armée et que je rentrais à la maison. Mais Anita me dit que c'est égoïste et elle a toujours raison donc bon... Et c'est du passé. Aujourd'hui on s'entend très bien lorsqu'ils passent en ville ou que je leur rends visite.

- Pourquoi est-ce qu'ils ont déménagé ?

- Des proches de Lucas avaient besoin de lui là-bas. Des trucs de famille, je crois.

Il souffla.

- Ce n'était pas très clair d'ailleurs. J'ai cru comprendre qu'il avait une très grande famille et du genre pas simple. Mais même si sa personnalité est plutôt voyante, Lucas est quelqu'un de très secret et il parle rarement de lui. Je ne connais d'ailleurs qu'Adam alors que d'après Sonny, il avait de nombreux autres collègues et amis dans le coin.

Je pris note en hochant la tête. Tout ce que j'entendais allait dans le même sens. Lucas était très certainement un loup, comme Adam, et les amis qu'il avait rejoint en Californie aussi. La seule question était de savoir si Sonny était dans le secret et cachait la vérité à son jumeau ou si Lucas lui mentait depuis des années. Mais ma curiosité à ce sujet, en plus de n'être pas fondamentale, devrait attendre un peu. Le bar s'était rempli d'un coup et Steven lançait les hostilités. Le son commençait à monter, j'avais du boulot et avec un peu de chance, suffisamment de clients à gérer pour oublier les interrogations qui me taraudaient.


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