Chapitre 25
Adam
Je soufflai de soulagement lorsque je foulai enfin le tarmac du Boise Air Terminal et traversai à grandes foulées l'aéroport récemment rénové. La pensée que d'ici quelques heures, ou jours, j'allais devoir refaire le trajet en sens inverse me donnait des envies de bouffer les porteurs de bagages et autres employés de guichet. Heureusement que l'affluence était était calme à cet horaire de milieu de journée. L'air était frais et vif et les Sawtooth Moutain Range et les monts Owyhee se découplaient au nord et au sud dans un ciel d'un bleu limpide à faire rêver les habitants de l'Oregon que nous étions. Myriam nous avait réservé une Subaru spacieuse au guichet de l'aéroport et sans bagages à récupérer, il ne nous fallut que quelques minutes pour nous diriger vers l'adresse que le lycan avait communiqué à Abraham lorsqu'il l'avait appelé.
Le GPS nous dirigea vers le nord de l'agglomération, nous faisant longer la rivière Snake avant de nous ramener vers les contreforts d'Hidden Springs. Le quartier où il nous somma de nous arrêter était semi urbain, succession de lotissements aux façades de bois colorées, un peu usées et décrépites, et petits centres commerciaux populaires peuplés de fast-food, cabinets médicaux miteux et enseignes de vêtements bon marché. Les rues étaient calmes, néanmoins, et rien ne laissait présager que des horreurs nous y attendaient.
L'entrepôt devant laquelle Connor nous arrêta était vieux et mal entretenu, mélange de bardeaux de bois élimés et de plaques de métal rouillées et arborait l'enseigne rongée par le temps d'une aciérie familiale. Nous hésitâmes devant la porte close et je humai longuement les alentours, sans rien déceler de particulier, avant de pousser la porte. Elle était verrouillée et bien plus solide qu'il n'y paraissait et il nous fallut plusieurs minutes et toutes nos forces de lycans combinées pour parvenir à la forcer. Heureusement que les passants étaient rares et la façade décalée vis à vis de la rue sinon, nous nous serions fait repérer. Nous entrâmes avec circonspection. Si l'air pur de l'Idaho avait régalé mes narines sensibles à l'extérieur, les remugles sordides qui m'attendaient dès le seuil franchi me firent tousser. Connor réprima un haut-le-cœur, émit quelques borborygmes étouffés et murmura, en alerte, les cheveux dressés.
- Bordel de merde... Mais qu'est-ce qui s'est passé ici?
Cela sentait la mort et la merde, la terreur et les produits chimiques, le sang et la décomposition et je me demandai dans quoi nous étions en train de mettre les pieds. Mes poils s'épaissirent sur mon dos et se dressèrent sur mon échine, annonçant que mon loup était en alerte et prêt à jaillir pour nous protéger. Je le jugulai et murmurai à mon béta :
- Reste juste derrière moi...
Une grimace de désapprobation parcourut ses traits rugueux mais il opina sèchement. Son instinct lui indiquait de me protéger tout autant que de m'obéir mais il me connaissait bien et adopta la position de renfort que je lui demandais. Le couloir, blanc et clinique dans la pénombre, détonnait fortement avec l'apparente rustique du bâtiment dans lequel il prenait place et le sas sécurisé auquel il menait me fit hésiter. La porte était lourde, vitrée, mais impossible de distinguer quoi que ce soit à l'intérieur. Je tendis l'oreille et ne perçus aucun mouvement. Elle était fermée et sécurisée par un boîtier numérique et je me penchai pour l'examiner avant de me redresser et de lui désigner le système complexe de tubes au-dessus de nos têtes.
- C'est un verrouillage hydraulique double, je connais ce modèle. Il permet de bloquer la porte des deux côtés, autant pour empêcher une intrusion que pour empêcher quiconque de sortir lorsqu'elle est fermée. Nous ne pourrons pas forcer le panneau lui-même, il est blindé, mais si nous réussissons à écraser le vérin qui contrôle l'ouverture...
Connor hocha la tête et ressortit. Quand il revint quelques minutes plus tard, il s'était muni du démonte pneu de la voiture de location, d'une énorme clé à molette trouvée je ne sais où et d'une vieille barre d'acier rouillée mais très lourde, même à nos mains de lycan. Le processus fut lent, incroyablement bruyant et laborieux mais après de longues minutes à nous relayer, nous réussimes à détruire le système de verrouillage. Nous étions épuisés et nous allions tous deux avoir des courbatures le lendemain mais ceux qui avaient conçu la sécurité avaient sous-estimé la force de deux lycans puissants et très inquiets. Je n'avais pas vu d'alarme ou de système distant et il n'y avait qu'à espérer que c'était bien le cas. Si les flics débarquaient, la merde allait voler. Je tendis la main pour abaisser le levier, ouvris la porte blindée et prudemment, entrai. L'odeur me frappa telle une claque fétide et je dus ravaler la remontée de bile qui menaçait de jaillir de mon estomac. Connor jurait tout bas dans mon dos et je l'entendis tâtonner sur le mur blanc jusqu'à trouver un interrupteur. La lumière blanche des néons jaillit enfin et nous restâmes sans voix devant le spectacle immonde qui nous attendait.
Nous étions dans un immense laboratoire, ou une clinique, peut-être, aux équipements luxueux. Les pièces que nous pouvions apercevoir étaient disposées en enfilade, séparées par des parois vitrées et réparties en bureaux, salles d'examen ou zones de stockages. J'avançai lentement dans le premier espace et mes yeux écarquillés notèrent plusieurs paillasse immaculées recouvertes d'éprouvettes, de microscopes et autres instruments scientifiques sophistiquées. Plus loin, derrière un paravent médical, des tables d'examen modernes voisinaient avec des chariots recouverts de matériel à l'aspect onéreux. De nombreux écrans larges et unités centrales derniers cris étaient disséminés sur des bureaux dans des box de travail semi-fermés. Les ordinateurs visibles étaient haut de gamme tout comme la machine me rappelant un scanner qui occupait un coin de la vaste pièce, protégée de parois de plexiglas épais. Tout semblait neuf et bien pensé. Mais évidemment, l'impression générale d'efficacité et de modernité était amplement gâchée par les cadavres pourrissants dont le sol et la majorité des meubles étaient jonchés, ainsi que les traînées et mares de sang et de merde qui transformaient les lieux en un abattoir de cauchemar.
- Putain de bordel de merde, laissa échapper Connor, sous le choc, et je ne pouvais qu'approuver.
J'avalai ma salive à plusieurs reprises pour maîtriser mes nausées, recadrai mon loup qui hurlait sa fureur et sa peur à s'en déchirer la gorge au fond de ma psyché, et me mis en quête de tout ce qui pourrait me permettre de comprendre dans quoi nous nous étions fourrés. Je rappelai à Connor :
- Le lycan que nous cherchons s'appelle Austin. Il nous a dit s'être caché mais n'a pas précisé où, ce qui est pourri... C'est un vrai labyrinthe ici et l'endroit est immense.
Connor s'approcha d'un des cadavre affalé dans un angle et le bougea du bout du pied.
- Celui-là est humain. Et vu sa blouse, il travaillait ici.
- Tu sais comment il est mort?
Il se pencha pour manipuler le cadavre et se releva en grimaçant :
- Il a le ventre ouvert et les intestins qui se barrent. Si tu veux mon avis, quelque chose avec de très grandes dents et une humeur de chien a essayé de le bouffer.
Mon nez avait du mal à faire le tri entre les effluves puissants et morbides qui nous submergeaient à en suffoquer. Je me concentrai pour renifler et évaluer l'atmosphère viciée que la climatisation glacée qui me caressait le dos ne parvenait pas à améliorer.
- Cela sent le lycan. Vérifie chaque corps de ton côté.
Connor acquiesça sombrement et partit en quête d'un de nos congénères caché parmi les de cadavres, et je fis de même de mon côté. Il y avait une dizaine d'individus, majoritairement des hommes mais aussi quelques femmes, tous vêtus de blouses blanches recouvertes de sang et de viscères et tous humains. Les causes de leur mort étaient évidentes. À moins qu'un ours enragé ne se soit échappé du zoo de Boise, il était clair qu'un lycan très très énervé s'était frayé un chemin de dents, de griffes et de fureur parmi ces rats de laboratoire. Était-ce le même qui avait appelé Abraham au secours? C'est ce que nous allions devoir déterminer...
Une énorme armoire d'inox recouvrant le mur de la seconde salle, à côté d'une table d'examen du même métal, attira mon regard. Elle était dotée de tiroirs démesurés qui titillèrent chez moi l'amateur de séries télés et je m'en approchai, priant pour me tromper. Avec prudence, je me saisis d'une poignée et dans le bruit feutré de gonds bien ajustés, la tirai vers moi.
Je n'avais pas l'estomac fragile, loin de là. Aucun lycan ne pouvait se permettre une sensibilité exacerbée, les alphas encore moins. Néanmoins, après le carnage qui m'entourait, la vision d'un corps réfrigéré dont les coutures non refermées révélaient qu'il avait été autopsié me fit bondir en arrière, horrifié. Putain de merde, mais où étions nous tombés. Repoussant mon écœurement, je me penchai plus près du cadavre figé et malgré les odeurs étouffantes, mon odorat me confirma ce que mon instinct me hurlait. Il s'agissait bien d'un lycan.
Les autres tiroirs refermaient d'autres corps suppliciés, tous des miens. Certains avaient dû être assassinés en pleine transformation car ils arboraient des signes clairs de leur réelle nature : poils épars sur le corps, dents apparentes, griffes et mâchoires déformées. Je sentis un long frisson me parcourir la colonne vertébrale en comprenant où avaient sans doute atterri certains des solitaires disparus dont Abraham s'était inquiété.
J'étais tellement crispé, absorbé par la contemplation funèbres de ces lycans morts, dont certains que j'avais peut-être rencontré au cours de mes années à servir le Fenrir, que le cri de Connor me fit sursauter.
- Adam! Ramène ton cul ici de suite!
Mon béta se tenait debout devant un renfoncement utilisé comme débarras, à en croire l'aspirateur et les produits d'entretien qu'il renfermait. Il servait aussi de cachette à un lycan aux yeux fous et à la respiration saccadée, nu et recroquevillé, aux mains crispés autour d'un téléphone portable qui ne cessait de vibrer et clignoter. Il était recouvert de sang, de tripes et de terreur et je pariai sans trop de risque que j'avais sous les yeux l'auteur du massacre que nous avions trouvé. Et à cet instant, avec la découverte du frigo mortuaire, j'étais assez disposé à ne pas le lui reprocher.
Il reniflait frénétiquement autour de lui, le corps secoué de tremblements spasmodiques et les effluves de sa terreur me firent gémir par solidarité. Je fis remonter mon loup alpha à la surface, chargeant l'air autour de nous de phéromones apaisantes. Il ferma les yeux un instant, inspira profondément, et lorsqu'il nous regarda à nouveau, un peu de rationalité irriguaient ses pupilles dilatées.
Je m'accroupis vers lui, tâchant de ne pas paraitre menaçant, et lui parlai doucement.
- Hey. Je suis Adam, alpha de la meute de Trout River. Et voici Connor, mon béta. C'est le Fenrir qui nous envoie pour t'aider.
Un pur soulagement baigna ses traits épuisés et ravinés de larmes et il oscilla en ma direction. Je m'accroupis et l'attirai contre moi pour le serrer sur ma poitrine, prétendant ne rien sentir de l'odeur abominable qu'il émettait. Les lycans étaient des créatures de contacts et même si les solitaires s'habituaient à vivre sans, il était suffisamment tourneboulé pour y puiser du réconfort. Je le berçai quelques minutes pendant que ses sanglots s'apaisaient et lorsque je sentis ses muscles se relâcher et se détendre, je m'écartai, maintenant le contact rassurant de ma main sur son épaule.
- C'est toi qui a appelé Abraham? Le Fenrir?
Il déglutit et hocha la tête. Il me montra le téléphone qu'il avait gardé dans sa main crispée.
- J'ai réussi à prendre un téléphone et appeler le Fenrir. Je... j'avais appris son numéro par cœur il y a très longtemps, en gage de sécruité.
Je hochai la tête, compréhensif. C'était effectivement là une mesure de prudence que nous enseignions aux louveteaux au sein des meutes, comme les enfants humains apprenaient le 911. Au passage, cela me révéla que le lycan terrorisé que j'avais sous les yeux n'avait pas été solitaire de tous temps. Je lui souris gentiment :
- Tu es Austin, c'est bien ça?
Il hocha la tête et se redressa un peu à l'écoute de son nom, reprenant du poil de la bête, si j'osais dire, maintenant que des renforts étaient arrivés. Je lui demandai :
- Nous sommes venu t'aider mais j'ai besoin de comprendre ce qui t'es arrivé. Est-ce que tu peux m'en parler?
Le gamin - je lui donnais dans les vingt cinq ans - baissa la tête, visiblement éprouvé. Mais lorsqu'il me regarda à nouveau, ses tremblements s'étaient calmés et il semblait sûr de lui et de ce qu'il m'expliquait :
- J'habite à Santa-Fe depuis trois ans à peu près. Je bosse comme cuisinier dans un tex-mex en bordure de l'autoroute, à l'entrée de la ville. Il y a trois nuits, un homme m'a abordé sur le parking à la fin de mon service. Il paraissait affolé et m'a dit que sa femme venait de faire un malaise. Il m'a demandé de venir l'aider.
Il secoua la tête.
- J'aurai juste dû appeler les pompiers et ne pas m'en mêler mais il semblait dans tous ses états, fébrile et perdu, alors je l'ai suivi. Je n'avais pas fait trois mètres que j'ai senti un truc bizarre dans mon cou et deux minutes après, j'étais par terre, paralysé.
Je le dévisageai avec incrédulité :
- Comment ça, paralysé ?
- Je sais que c'est sensé être impossible, mais ils m'ont injecté un produit qui m'a mis KO. Et je crois que c'est justement ça, cet endroit. Un laboratoire de test sur les lycans.
Il leva des yeux effrayés vers moi.
- Je crois qu'ils m'ont enlevé pour expérimenter des trucs sur moi. Ils savaient que j'étais un lycan, alpha. Je ne me souviens pas du trajet dans les détails mais de temps en temps, j'arrivais à émerger et à savoir où j'étais. Il y avait plusieurs hommes, certains armés et d'autres qui ressemblaient à des docteurs. Quand nous sommes arrivés, ils m'ont mis dans une cellule dans une pièce à l'arrière et j'ai attendu plusieurs jours. Je n'étais pas le seul ici. Il y en avait d'autres, prisonniers comme moi.
Sa pâleur était de plus en plus prononcée et je ne craignis sérieusement qu'il ne tombe dans les pommes. Connor dû songer de même car il échangea avec moi un regard inquiet. Mais le jeune lycan était lancé et son débit s'accéléra alors qu'il relâchait tout ce dont il se rappelait.
- Je pense qu'ils sont tous morts. En tous cas, ils partaient et ils ne revenaient jamais dans les cages. Lorsque ça a été mon tour... (sa voix se brisa et il fit une pause pour étouffer ses sanglots horrifiés). Ils m'ont amené ici, m'ont attaché sur une table et m'ont fait plein de prélèvements. Du sang, de la salive... Ils m'ont examiné de tous les côtés, c'était horrible. Quand ils ont eu terminés, ils m'ont injecté encore des trucs et ont refait des examens.
Des larmes coulaient sur ses joues juvéniles.
- Ça a duré des jours. Des fois, ce qu'ils m'injectaient me rendait malade. D'autres fois, ça m'endormait juste ou bien ça me rendait super faible. Mais la nuit dernière...
Un long frémissement parcourut son épiderme.
- Ça brûlait... Le produit brûlait dans les veines...
Il releva ses yeux noyés vers moi.
- Je ne sais pas ce dont il s'agissait mais ça m'a rendu fou. Fou de rage. Et incroyablement fort. J'ai arraché mes lanières et je me suis jeté sur eux. Je... je n'arrivais pas à m'arrêter. Je voulais juste m'en aller, ajouta-t-il en montant dans les aiguës mais je ne pouvais pas m'en empêcher !! J'étais fort, rapide, indestructible, comme les Loup-garous des légendes. Ils ont été pris par surprise et en à peine quelques minutes, je les avais tous tué ! Je les entends encore hurler...
Sa voix se brisa et je tendis ma main vers son visage. En reniflant, il nicha sa joue dans ma paume ouverte, cherchant le réconfort. Il finit par ajouter, dans un souffle éreinté :
- La porte vers la sortie était bloquée et au bout d'un moment, je me suis senti mal et faible. J'ai trouvé un de leur téléphone non verrouillé et j'ai appelé le Fenrir au secours. J'avais repéré l'adresse sur le GPS et je lui ai demandé de venir me chercher.
Il déglutit, cligna des yeux et me montra à nouveau l'appareil autour duquel ses doigts étaient toujours enroulés.
- Il n'a pas arrêté de sonner. Les hommes qui m'avaient enlevé sont repartis après m'avoir laissé ici et je pense que c'est eux qui essayent d'appeler. J'avais peur qu'ils ne reviennent avant votre arrivée. Surtout que...
Un nouveau sanglot lui déchira la poitrine.
- Je ne voulais pas le croire au début mais j'en suis sûr désormais. Il n'y avait pas que des humains avec eux, alpha. Un des hommes qui était dans la voiture et qui m'a jeté dans la cage, un d'entre eux sentait différemment... C'était un lycan, comme nous, je suis prêt à le jurer...
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