Chapitre 23

Micah

Je m'éveillai à la sensation inédite d'un souffle chaud sur ma nuque et d'un contact ferme dans mon dos et je restai figé une seconde avant de me détendre à nouveau. Je n'avais pas l'habitude de dormir avec quelqu'un. J'avais eu ma propre chambre chez Andreï et ne mettais les pieds dans la sienne que lorsqu'il avait envie de moi. Nos rapport, toujours à son initiative, étaient souvent intenses et violents, parfois calmes, mais jamais teintés de la tendresse qu'Adam m'avait démontrée tout au long de la nuit. Car nous n'avions pas beaucoup dormi. Le premier round avait été passionné, intense et centré, si je puis dire, sur le plat principal. Mais lorsqu'il m'avait réveillé de caresses quelques heures plus tard, nous avions largement exploré amuse-bouche, entrées, desserts, mignardises et café. Adam était patient, trop patient même. À la limite du sadisme, d'après ce que j'avais fini par lui crier. Et lorsqu'il m'avait fait jouir une deuxième fois, après ce qu'il m'avait paru des heures à torturer de ses doigts durs et sa langue agile mes tétons sensibles, à aguicher ma verge de toutes les manières possibles et à lécher la moindre parcelle de ma peau jusqu'à ce que je fonde sous ses attentions, je m'étais rendormi aussi sec, ravagé et épuisé.

Je baillai longuement en étirant mes muscles ankylosés par nos activités nocturnes et notai un pincement caractéristique au fond de mon postérieur, ce qui me fit sourire. Ouais, nous avions passé une sacrée nuit. Me demandant si mon amant dormait, je tournai la tête à moitié et je tombai sur des iris verts que la lueur du matin qui filtrait entre les rideaux rendait brillants et doux. Adam me regardait.

- Tu es réveillé? demandai-je bêtement, me sentant soudain très exposé dans cette configuration peu familière.

- Depuis un moment.

- Tu aurais dû me réveiller!

Adam leva un sourcil surpris et plissa le nez.

- Pourquoi donc? Tu n'as rien de spécial à faire aujourd'hui, à ma connaissance. Et je t'ai épuisé cette nuit.

Il paraissait très content de lui, très macho, même, et je gigotai en grommelant, évitant son regard arrogant en m'enfonçant un peu plus sous la couette tiède. Il pouffa de ma gêne visible et me caressa les cheveux. Ils partaient dans tous les sens, les couleurs noyées dans les racines plus claires qui revenaient et des épis abrupts dressés à la verticale en ignorance de la gravité. Je fondis sous la caresse et me traitai immédiatement d'idiot mais ouais, en vrai, j'appréciais...

- J'aime bien te regarder dormir, avoua-t-il sans fard.

- C'est un peu flippant. On dirait un truc de stalker.

Il fit la moue.

- C'est aussi un truc de lycan. Et d'alpha, peut-être. Ça flatte mon égo et mon loup apprécie beaucoup de voir notre partenaire se sentir en sécurité avec nous.

Je retins un geste brusque au choix du terme et réprimai l'élan de panique qui menaçait de se manifester. Adam n'avait pas fait mystère du sérieux de ses intentions à mon égard et il était carrément trop tard pour paniquer. Je me forçai à me détendre, à profiter du moment et de la langueur de ce matin paresseux et sexy. Le monde réel n'avait qu'à se faire mettre, j'étais parfaitement bien sous ma couette. Adam poursuivait ses caresses sur ma nuque et mes épaules et mon épiderme tressaillait sous les doigts habiles qui se promenaient. Je refermai les yeux, profitant de ces attentions inaccoutumées. Il se rapprocha encore, abaissa l'amas de couvertures qui me couvrait, et fit glisser la pulpe de son index le long de mon échine, me provoquant une myriade de frissons. C'était parfait. J'étais à deux doigts de ronronner sous ses délicatesses lorsque je sentis soudain son bras se figer. Ses doigts appuyèrent sur mon flanc et tracèrent un dessin que je connaissais bien. Je grimaçai à l'évocation de ce qu'il y avaient trouvé. La chéloïde était ma cicatrice la plus importante et serpentait le long de mes reins dans un bourrelet épais qui me tiraillait, parfois, quand j'oubliais de l'hydrater. J'avais bien remarqué le temps d'arrêt d'Adam la veille au soir et tout d'un coup, avec quelques heures de retard, j'en comprenait les raisons. Mes cicatrices n'avaient plus eu l'air de le gêner cette nuit, dans le feu de l'action, mais de toute évidence, il en était à nouveau perturbé. Je pouvais me taire, sortir du lit ou ignorer la question silencieuse qu'il n'osait pas formuler. Ou je pouvais croire en ce qui nous liait et en ce cas, je devais lui parler. Encore.

Je relevai le nez en sa direction et comme je l'avais anticipé, ses yeux étaient remplis d'interrogations réprimées. Je soupirai et lâchai nonchalamment :

- C'était un coup de couteau. Lorsque je vivais dans la rue, avant qu'Andreï ne me trouve et me ramène chez lui. J'avais dormi dans un squat infesté de toxicos et l'un d'eux a voulu me piquer mon blé. Je me suis défendu et voilà...

- Ça a dû faire mal.

- Ouais, un peu. Ce n'était pas très profond, en fait, et pas dangereux. Mais je n'ai pas eu de points de suture et c'est pour ça que la cicatrice est aussi laide.

Adam plaqua sa paume dessus, comme s'il pouvait la faire disparaitre de sa seule volonté mais c'était inutile. La trace était sans doute inesthétique mais comme les autres, j'y tenais, même si ça semblait complètement barré. Elle m'avait appris une leçon importante, à savoir éviter à tout prix les connards accros à la meth, et dans le genre philosophie de vie, il y avait bien plus pourri. Mais à en croire ses yeux qui lançaient des éclairs et sa mâchoire crispée, Adam ne partageait pas mon opinion à ce sujet. Il me poussa pour m'allonger sur le dos et remonta au dessus de moi, scannant mon torse et mon ventre avec sévérité.

- Et celles-ci? D'où proviennent-elles?

Je soupirai. Les évènements auxquelles ces marques me ramenaient étaient des leçons, également, mais je n'avais pas forcément envie de m'y replonger. Néanmoins, Adam attendait. Si je voulais lui laisser une chance, si je voulais m'en laisser une, aussi, il devait comprendre qui j'étais et ça passait par la transparence concernant mon passé.

- Celles-là viennent toutes de la nuit où Andreï a été tué...

Je déglutis alors que les souvenirs du moment où ma vie avait, une fois de plus, explosé me revenaient en force. Je fermai les paupières un instant et retournai plusieurs mois en arrière.

- Je te l'ai déjà dis, Andreï a été tué par une bombe qu'un des gardes du corps avait mis sous la berline de Dmitri. Je ne vivais plus avec lui, à cette époque, il me payait une chambre étudiante sur le campus et on se voyait beaucoup moins. Du coup, je n'ai pas su de suite qu'ils avaient réussi à l'avoir. J'étais tranquille à la bibliothèque en train d'étudier alors qu'il se faisait piéger. Je n'ai pas tous les détails de ce qui s'est passé après mais d'après moi, Sergueï, son fils, a vite compris en fouillant les affaires de son père qu'il était dans la merde. Le blé était bien planqué et sans les numéros et les codes d'accès des comptes offshore, il était baisé. Tout le monde me connaissait, dans le milieu. Andreï m'avait traîné derrière lui pendant des années et plusieurs hommes de Dmitri, qui s'étaient rallié à Sergueï, savaient où j'étudiais. Ils n'ont pas eu trop de soucis à mettre la main sur moi.

- Parce que Sergueï pensait que tu avais les codes... se remémora Adam d'une voix rugueuse.

- Ouais. c'était logique, pour eux, selon leur manière de penser. Andreï avait été l'homme de confiance de Dmitri, son homme de main favori et son double. Il le suivait partout, voyait et entendait tout, et moi j'étais son gigolo et son élève. Ils ont supposé qu'il me les avait peut-être révélé en mode confidence sur l'oreiller.

Je roulai des yeux.

- Ce n'était pas très probable, connaissant Andreï, il n'y avait pas plus secret que lui. Mais Sergueï était désespéré et j'étais leur seule piste, en réalité.

Je me rappelai son regard maniaque, entre désespoir et soif de sang, lorsqu'il m'avait interrogé une première fois, avant de me livrer à ses hommes pour me faire parler. Je n'avais pas honte d'avouer que ce mec me faisait flipper.

- Sergueï était dingue. Fou de rage. Il avait buté son propre père et foutu un bordel sans nom dans l'organisation pour que dalle. Tout risquait de lui filer entre les doigts et c'est toujours le cas. J'ai eu de la chance qu'il ne me saigne pas sur place juste pour se défouler. Le gars n'a jamais été réputé pour sa grande stabilité mentale... Mais bref, il avait d'autres chats à fouetter, avec les lieutenants et les partenaires furax, et il m'a laissé à la charge de ses hommes avec pour consigne de me faire cracher ce que je savais.

Je posai ma main sur mon ventre.

- Les cicatrices rondes, c'est des cigarettes. Et les plus fines, c'est un couteau.

- Ils t'ont torturé, comprit Adam et sa voix n'était plus qu'un feulement féroce qui, s'il avait été dirigé contre moi, m'aurait terrorisé par la promesse létale qu'il contenait.

- Mmmh ouais... Ils ne savaient même pas où vivaient Andreï. Cet enfoiré était archi super parano et déménageait tous les ans, voire plus. Dmitri respectait ça mais le résultat c'est que personne n'avait réussi à localiser sa dernière adresse. Même moi, si je n'y avais pas vécu quelques semaines avant de déménager seul, je n'y aurais sûrement jamais été. Bref, ils m'ont interrogé et je leur ai dis que je n'avais pas les codes des comptes mais qu'ils seraient probablement dans son ordinateur, chez lui. J'ai proposé de les y amener.

Adam me dévisageait avec attention et je poursuivis calmement, me replongeant dans l'enfer de cette nuit là.

- Je les ai conduis chez Andreï. À ce moment-là, il vivait dans un appartement qu'il avait fait rénover au dessus d'un ancien entrepôt, en lisière du quartier russe. C'était le genre d'endroit qu'il appréciait, sans gardien et sans voisins curieux pour observer ses mouvements. Andreï était parano, je te l'ai dis, mais tu ne peux imaginer à quel point il poussait le concept. Il anticipait tout, même s'il n'a pas réussi à anticiper que le mec chargé de regarder sous la voiture serait celui qui y mettrait la bombe, au final.

Je roulai des yeux.

- Ça a été sa seule erreur et c'est ce qui l'a tué. Enfin bon, ils m'ont emmené chez lui, un peu abîmé mais remonté à bloc. Mais au lieu de faire le code qui me permettrait d'entrer, j'ai tapé celui qui amorcerait les bombes...

- Des bombes?

Adam s'était redressé d'un coup et me dévisageait, les yeux exorbités.

- Ce taré avait piégé son propre appartement?

- Ouais, bien sûr... Et franchement, les hommes de Sergueï auraient dû y penser, c'était assez évident. Mais bon, pour la plupart ils servaient Sergueï depuis des années au lieu de son père et aucun d'eux n'avait côtoyé Andreï de près. Ils devaient penser que sa réputation était exagérée, ou bien ils n'étaient juste pas très compétents.

Je haussai les épaules.

- Ça a été ma chance. Une combinaison levait les alarmes et permettait d'entrer mais une autre déclenchait un compte à rebours de quinze secondes pour tout faire péter. Ils ne s'y attendaient pas du tout. J'ai pris un gros risque, d'autant que j'étais menotté. Je savais exactement où étaient placées les charges et quand elles allaient exploser et j'ai profité qu'ils soient distraits par leur arrivée dans l'appart pour me rebeller. Je me suis débattu comme un dingue, j'ai réussi à les prendre par surprise, à me dégager et me jeter dans le couloir. Évidemment, je n'aurais pas pu aller bien loin mais ça m'a suffit à échapper au gros de l'explosion.

Je tordis la bouche alors que les souvenirs sensoriels me revenaient en mémoire. Le bruit terrible de l'explosion m'avait rendu sourd de longues heures et j'avais encore dans les sinus l'odeur atroce de la chair brûlée mélangée aux produits chimiques qu'Andreï avait utilisé.

- C'était à une seconde près et j'ai eu de vilaines brûlures dans le dos, si tu passes la main on les sent encore un peu. J'ai failli griller avec ces connards mais je savais qu'ils me tueraient dans tous les cas donc bon... Ça m'a motivé et j'ai juste tenté le coup.

Mon amant paraissait à court de mots mais moi, j'étais lancé et je continuai, plongé dans les réminiscences de mes premières heures de fuite.

- Je n'ai pas osé passer chez moi récupérer mes affaires, au cas où ils avaient trouvé mon adresse. Andreï avait préparé des kits de secours et les avait placé un peu partout dans la ville, dans des consignes, avec des armes, du fric, des faux papiers et des affaires de base. Je me suis détaché, nettoyé et soigné dans des chiottes publiques, je suis passé dans les trois planques les plus proches pour ramasser tout ce que je pouvais et deux heures après l'explosion, j'étais dans un bus direction la Caroline du Sud. J'ai eu le reste des détails via les journaux et un contact d'Andreï, le seul qu'il considérait presque comme un ami, que j'ai appelé une seule fois d'un téléphone prépayé pour savoir où en était la situation. J'espérais que quelqu'un finirait pas se débarrasser de Sergueï mais ce cloporte tient bon. Depuis, je n'ai fait que bouger et brouiller les pistes, jusqu'à arriver à Portland. Et tu connais la suite, je pense.

Je me rembrunis.

- Je ne comprends toujours pas comment il ont retrouvé ma trace ici mais ça me fait vraiment chier...

- Putain... finit par réagir l'alpha, médusé. Andreï était vraiment...

Il hésita.

- J'allais dire taré mais au final, ses précautions t'ont permis de t'échapper.

Il réfléchit quelques instants, intégrant mes révélations, et d'un coup il fronça ses sourcils furieusement. Il remonta sur son coude pour me dévisager, le visage tendu.

- Attends voir. Il y a a un truc que je ne comprends pas. Si tu avais l'intention de les piéger dès le départ en les amenant chez Andreï, pourquoi est-ce que tu as attendu d'être torturé pour leur donner l'adresse?

Je levai un sourcil surpris.

- Ben c'est évident. Je n'aurais pas été crédible si je n'avais pas tenté de résister. Il fallait qu'ils aient l'impression de m'arracher cette info pour que leur méfiance diminue. Si je leur avais donné directement, ils auraient anticipé que c'était un coup fourré.

- Tu t'es laissé torturé exprès?

Adam s'était à moitié relevé et ses yeux sortaient de ses orbites. Il paraissait partagé entre incrédulité et rage et je plissai le nez à sa réaction outrancière sans la comprendre.

- Ben ouais. C'était nécessaire. J'étais le gigolo d'Andreï, mais j'étais aussi son élève, et tout le monde le savait. Je veux dire, je n'étais pas à son niveau, lui n'aurait jamais rien lâché quitte à en crever, mais toute la putain de mafia russe avait conscience qu'il m'avait formé aux armes et au combat. Ils ne pouvaient pas savoir qu'il m'avait aussi entraîné à résister à la torture mais dans le doute, je devais donner le change.

Je grinçai des dents en me remémorant les longues heures de supplice subis.

- J'ai tenu autant de temps que je pouvais et quand j'ai craqué, ça semblait d'autant plus réaliste que j'étais à bout, en vrai.

- Andreï t'a formé à la torture. Andreï t'a torturé... articula Adam avec lenteur, pesant chaque mot comme s'ils lui arrachaient la langue.

- Ouais...

Je me rabattis dans le lit et contemplai le plafond peint en blanc. Adam respirait à peine à côté de moi, immobile et crispé et je lui laissai le temps de digérer. J'avais conscience que l'histoire de ma vie avait de quoi perturber. J'avais quelques bons souvenirs de ma relation avec Andreï. Les premiers repas copieux où il me laissait choisir le menu et manger tout ce que je voulais. Les livres et les jeux vidéos en cadeaux, même s'il s'agissait surtout pour lui de me tenir occupé et en dehors de ses pattes. Les premiers combats où son entraînement avait payé et où il m'avait félicité. Ouais, tout n'avait pas été noir durant ces années en sa compagnie mais ces séances là, ces entraînements précis, ne faisaient pas partie de ceux que j'avais envie de conserver en mémoire. Mais le pansement collait encore et je voulais juste l'arracher.

- Il disait que si on a pas connu ça, si on n'a pas connu la douleur, il est impossible de résister le moment venu. Pour lui, cela faisait partie des compétences de base, comme tirer avec une kalach ou ouvrir des menottes fermées. Alors, comme il anticipait tout, il m'y a préparé. Il ne s'est pas servi de lames ou de feu sur moi, il ne voulait pas me laisser de cicatrices, mais il m'a électrocuté et m'a fait subir des simulacres de noyade jusqu'à ce qu'il soit satisfait de ma capacité à tenir et résister...

- Bordel...

Adam était sous le choc et je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir. Les enseignements d'Andreï avaient été ceux d'un ancien des commandos russes, ceux d'un tueur de sang-froid au quotient émotionnel quasiment nul et incapable de ressentir le moindre remord et je concevais la réaction outrée de mon amant. Néanmoins, dans le cas présent, c'est ma capacité à gérer la douleur qui m'avait donné l'opportunité de m'échapper et de sauver ma vie alors je ne pouvais pas vraiment la regretter. Non plus que je ne pleurais le sort des mafieux morts dans l'explosion de l'appartement de mon mentor.

Cette conversation était un peu lourde pour un lendemain de luxure et je commençais à m'en lasser. J'espérais qu'Adam avait eu sa dose de mon passé sordide et j'avais un peu faim, en prime, quand un mouvement dans le couloir lui fit dresser l'oreille. Si j'avais espéré que notre rapprochement nocturne, et nos activités ludiques, seraient restées discrètes, il m'apparut vite que je m'étais leurré. Un coup sec tapa à la porte de la chambre et la voix puissante et pas du tout gênée de Myriam résonna, nous faisant grimacer de concert:

- Adam? Si ton marathon de baise est terminé, tu penses que tu pourrais descendre? On a besoin de toi en bas.

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