Chapitre 20

Adam

- Et donc tu n'as plus de nouvelles?

- Non, gronda Abraham dont la frustration s'entendait dans la voix altérée. Je ne le faisais pas spécialement surveiller et en temps normal, je ne me serais pas inquiété. Mais vu le contexte...

Je grimaçai. Effectivement, vu le contexte il y avait de quoi s'en soucier.

Les meutes étaient de facto soumises à l'autorité du Fenrir, depuis des temps immémoriaux. La même organisation se retrouvait en Europe où elles étaient nombreuses, malgré le peu d'espaces naturels disponibles, ainsi qu'en Asie et sur le continent africain. Ce contrôle pyramidal répondait à la fois au besoin primal de chaque lycan de connaître sa place au sein de ses pairs mais permettait également de réguler les conflits et de veiller au respect par tous de nos lois les plus élémentaires. Les solitaires, par définition, refusaient de se fondre dans la hiérarchie que respectaient les lycans mais ils n'étaient pas pour autant livrés à eux-mêmes. Abraham veillait à ce qu'ils se conforment à certaines règles fondamentales : ne pas se révéler aux yeux des humains, ne pas tuer, ne pas attirer l'attention. Pour ce faire, il gardait un œil, plus ou moins attentif, sur chacun d'eux. La présence de Simon et de deux autres solitaires aux obsèques de Li, et le défi qui en avait résulté, l'avait intrigué. En effet, le territoire connu de ce dernier était bien plus au sud du pays et la question de savoir comment il avait pu être informé de cette opportunité restait entière. Abraham s'était donc lancé dans un recensement rapide des solitaires présents sur son territoire, à savoir tout le nord de l'Amérique, et le résultat l'avait désarçonné. Si la plupart des indépendants connus avaient répondus à l'appel et s'étaient manifestés à sa demande, un certain nombre semblaient avoir disparu sans laisser de traces et mon vieil ami, et chef respecté, en était troublé.

- Matthew est un mec correct, malgré son caractère de chiotte, et un homme bien, reprit-il. Il s'était construit une vie sympa dans sa cambrousse au fin fond de l'Alberta et je ne le vois pas tout plaquer sur un coup de tête.

- Et il répondait à tes appels en temps habituel?

J'entendis son soupir au bout du fil.

- Oui. Enfin, il rappelait au bout de quelques jours. Il n'est pas le lycan le plus communicatif du monde, sinon il ne vivrait pas seul. Je m'en fais peut-être pour rien. Il est sans doute parti en expédition de chasse pour quelques semaines et n'a pas de réseau... Mais habituellement, son message d'absence le signale, avec une date de retour prévue. Je ne sais pas quoi penser...

- Est-ce que tu veux que j'aille voir ce qu'il en est ? Je ne suis pas très loin par rapport à toi.

Je le sentis hésiter mais il finit par refuser.

- Non. Tu as suffisamment à faire chez toi pour le moment, entre cette menace contre toi qui n'est toujours pas écartée et tes problèmes avec ton nouveau mec. J'enverrai Joshua dès qu'il sera revenu d'une autre vérification sur le terrain. Il va râler qu'il passe son temps dans l'avion mais hé, c'est pour ça qu'il a signé.

J'émis un petit bruit neutre, pas du tout compatissant à l'égard de cet enfoiré de bêta. Une pensée me traversa et je la partageai immédiatement.

- Même si je ne vois pas pourquoi,
ou comment elles le seraient, si mon agression, la mort de Li et ces disparitions sont liées, il y a des chances que tout tourne autour du Concile, une fois de plus. Je ne vois juste pas d'autres possibilités. On peut imaginer que l'objectif de s'en prendre aux solitaires vise justement à t'obliger de te séparer de tes bétas et t'isoler, pour s'en prendre à toi. Tu es peut-être toi même en danger.

- J'y ai pensé, admit Abraham en reniflant avec dérision. Mais cela ne m'inquiète pas plus que ça. Je garde Alex près de moi et tu sais bien que je ne suis pas vraiment sans défense moi-même. Sans compter Kim qui n'est pas non plus une force négligeable, si elle s'y met, et le reste de la meute. Non, je ne crains pas une attaque directe en dehors du cercle. Mais si notre hypothèse est juste et si tout cela a un rapport avec le poste de Fenrir, alors je ne vois pas bien le rapport avec la disparition des solitaires. S'en prendre à toi, s'en prendre à Li - même si la thèse de l'accident reste la plus probable - je peux en comprendre la logique s'il s'agit de m'isoler. Mais les solitaires ne comptent pas dans la hiérarchie et quand au Concile, ils n'y participent même pas.

Je n'avais aucune réponse ou suggestion à lui apporter aussi je restai muet. Nous nous tûmes ainsi quelques secondes, partageant notre préoccupation commune, puis il changea brutalement de sujet, reportant son attention sur des questions plus immédiates et, je l'avoue, plus sensibles me concernant :

- Et donc, comment se porte ton nouveau compagnon? Il s'intègre bien?

- Ce n'est pas mon compagnon, protestai-je. Nous ne sommes qu'amis.

Il ricana au bout du fil :

- Oui, enfin, ce n'est certainement pas faute d'y penser de ton côté. Je peux sentir ta frustration d'ici et l'odeur de tes phéromones en folie traverse le combiné. Kim et Rachel me harcèlent pour savoir quand est-ce que nous pourrons enfin le rencontrer. Adam casé, c'est une première.

- Ce n'est pas aussi simple que ça...

J'hésitai une seconde et avouai :

- Il n'est pas sur la même longueur d'onde que moi. Ou en tous cas, il s'y refuse. Je suis capable de sentir son attraction à mon égard. Les signes physiques ne trompent pas, surtout pour nous. Mais il a peur de nous attirer des emmerdes, peur d'être retrouvé, peur de se lier, également. Je ne veux surtout pas le brusquer. Et sachant son passé...

Si j'avais juste expliqué à ma meute et mes bêtas la nature du danger qui le guettait, à des fins pratiques et sans détailler, j'avais résumé brièvement à Abraham ce que m'avait révélé Micah. Je n'y voyais pas une trahison de ses confidences, pas vraiment. Abraham était le Fenrir, je ne pouvais ni ne voulais rien lui cacher concernant sa meute et l'éventualité d'avoir la mafia russe au cul faisait clairement partie des informations dont il avait besoin. Et en plus de cela, il était autant mon meilleur ami que Connor mais en plus sage et plus âgé. Avoir ses conseils avisés dans cette situation compliquées m'était nécessaire et je ne comptais pas m'en priver.

- Tu as peur qu'il soit traumatisé? Qu'il ait peur de toi?

Abraham savait aller au fond du problème et même si ses propos pouvaient sembler abrupts, j'en avais besoin.

- Je pense qu'il l'est. Traumatisé, je veux dire. Enfin, on le serait à moins. Il a été abusé enfant, a été contraint de se prostituer, a été manipulé par ce connard de tueur russe... Je marche sur des œufs, là.

- Mmmh...

Abraham paraissait pensif au bout de la ligne.

- Tu as sans doute raison de prendre ton temps et raison d'attendre qu'il soit à l'aise, sans rien exiger. Mais d'un autre côté...

- Quoi?

- Ce gamin n'a pas non plus l'air d'une fleur fragile, Adam. Tu me l'as dit dès le début et c'est une part de ce qui t'a attiré. Il a peut-être l'apparence d'un môme innocent mais de toute évidence, il sait gérer sa barque et est capable de se défendre. Ne commence pas à le traiter différemment suite à ses révélations sinon il risque de très mal le prendre. En tous cas, c'est ce que je ferai à sa place.

- Donc tu me dis de lui sauter dessus? Parce que je me retiens pour le moment et je t'assure que ce n'est pas aisé.

Il rigola franchement.

- Pas forcément mais ne lui prête pas des fragilités qu'il ne ressent peut-être pas. Je te rappelle que sans l'embuscade d'où il a sorti ton cul poilu à coups de flingue, vous auriez baisé dès le premier soir. Il a peut-être des problèmes à surmonter, je ne dis pas, tu le connais mieux que moi. Mais la timidité et l'indécision ne semblent pas en faire partie. Pas sur le plan sexuel du moins. Et ne le prend pas en pitié. Encore une fois, je ne le connais pas mais j'ai rencontré beaucoup de survivants, lycans ou humains. Et s'il a le type de caractère que j'imagine, s'il est l'homme que tu m'as décrit, je pense que ce serait le baiser de la mort en ce qui le concerne. Ton instinct te dicte de le protéger et c'est normal mais entre ça et le couver, ou penser à sa place, il y a une sacrée différence.

Lorsque je finis par raccrocher j'étais à la fois troublé et soulagé. Abraham avait raison, conformément à sa mauvaise habitude. Depuis son arrivée et notre discussion, j'avais ménagé Micah. J'avais eu peur de m'imposer, peur qu'il me juge agressif ou trop pressant. Peur qu'il me compare à l'autre enflure qui lui avait dérobé son adolescence, surtout. Inquiet de mal me comporter, je l'avais évité, me notant volontairement dans le boulot et les affaires de la meute et le confiant aux habitants de ma maison sans le formuler franchement. C'était une connerie et je ne le ferai pas à nouveau, même s'il en était résulté un bénéfice plaisant quant à sa bonne entente avec ma famille. Micah était adulte. Il méritait de me choisir en toute connaissance de cause et pour cela, je devais me montrer tel que j'étais réellement. Son récit m'avait rendu fou furieux, oui. Il m'avait donné envie de déchiqueter beaucoup trop de gens et m'avait valu une violente session de baston avec Connor, qui avait gentiment joué les punching-ball poilu pour me permettre d'évacuer à coups de griffes et de dents. Mais l'histoire de Micah n'avait rien remis en cause pour moi. Bien au contraire, d'ailleurs. Comme le disait mon vieil ami avec sagesse, le jeune homme était un survivant. Un guerrier. Un soldat. Et qu'il s'agisse de moi ou de mon loup, cette réalisation ne faisait que renforcer l'attraction qu'il suscitait chez nous. En plus de cela, le voir chez moi, l'observer interagir avec mes lycans, manger ma nourriture et dormir sous mon toit comblait mes instincts les plus possessifs et primaux. J'aimais le croiser à toute heure et j'aimais le voir se creuser une place parmi les miens. Alors j'étais prêt à lui laisser du temps, ouais. Mais j'allais aussi lui faire connaitre exactement la place que je souhaitais lui donner, à savoir dans ma meute et dans mon lit. Et s'il me laissait la moindre chance d'avancer dans cette direction, s'il laissait apparaître la moindre brêche dans sa résolution obstinée, je me ferais un devoir et un plaisir de m'y engouffrer.

Fort de cette résolution toute neuve, je partis à sa recherche à peine le téléphone raccroché. Il était très plaisant pour moi de suivre son odeur si excitante dans les couloirs, tel un jeu de piste amoureux. Lorsque je le trouvai, il était en pleine discussion avec Myriam. Je distinguai les dernières bribes de ce que lui racontait ma béta et un sourire arrogant fendit mon visage :

- Je vois qu'on parle de moi? Je suis ravi d'occuper tes pensées, Micah!

Myriam, qui m'avait entendu approcher, se contenta de glousser mais Micah sursauta à mon arrivée et je souris de plus belle devant sa réaction offusquée. Pour un humain, il était particulièrement attentif à son environnement, à l'affut permanent du moindre danger et les sens aiguisés. Le voir progressivement relâcher sa vigilance sous ma protection et sous mon toit était du miel pour mon loup et sa possessivité. Notre humain favori se sentait en confiance chez nous et nous nous en délections avec fierté.

Contrairement à tous les loups-garous de ces romances surnaturelles que je voyais passer dans la boutique de mon abonnement kindle, et dont les humaines semblaient raffoler, les lycans n'avaient pas de compagnes ou compagnons prédestinés. Pas d'âmes sœurs chez nous ou autres niaiseries romantiques à base de coups de foudre et autre attirances immédiates et inéluctables. A ce titre là, nous étions bien plus réalistes, qu'il s'agisse de notre part humaine ou de nos instincts lycans. En général, c'est le côté humain qui s'entichait le premier. Mais le loup en nous avait également son mot à dire et n'acceptait le partenaire que s'il lui trouvait des qualités. Dans mon cas, il était clair que si je trouvais Micah sexy, intelligent et intriguant, la deuxième moitié de mon âme l'avait choisi au titre de sa force, sa pugnacité et sa résilience. En tant qu'alpha, j'appréciais les personnalités autonomes et débrouillardes. J'avais besoin de quelqu'un susceptible de me seconder et de marcher à mes côtés. D'un partenaire sur lequel je pouvais m'appuyer et ces atouts, mon loup les avait évalué, soupesé et validé chez Micah en même temps que mon côté humain était séduit par son caractère piquant, son humour et son petit cul serré. Donc oui, amadouer Micah, l'attacher à nous, le charmer, le convaincre de rester et d'abandonner ce stupide statut d'ami derrière lequel il se réfugiait était notre priorité.

Il se retourna vers moi et me sourit, dissimulant son plaisir de me voir sous un regard narquois.

- Salut! Ne prends pas trop la grosse tête, Croc-Blanc. Je profitais juste de Myriam pour en apprendre plus sur ces histoires de meutes et de hiérarchie.

Je me laissai tomber dans le fauteuil à côté de lui et étendis mes jambes jusqu'à frôler sa cuisse.

- Tu peux aussi me demander, je me ferai un plaisir de répondre à toutes tes questions. Et à tous tes besoins, d'ailleurs.

Mon timbre s'était fait enjôleur et un ricanement émergea du troisième fauteuil. Myriam nous adressa un sourire amusé en se redressant.

- Bon... Si ça part comme ça, je vais vous laisser. Soyez sages si vous restez ici, il y a des enfants qui ne vont pas tarder à revenir de l'école par contre.

Micah commença à protester mais elle se contenta de rire et sortit tranquillement du salon. Je ne cherchai pas à la retenir. Un tête à tête avec l'humain que je voulais était tout à fait conforme à mes souhaits et je n'étais pas stupide.

Il se retourna vers moi et croisa les bras :

- Je croyais que tu souhaitais que nous soyons amis. C'est quoi ce flirt à deux balles?

- J'ai changé d'avis.

Il se décomposait et je coupai immédiatement court aux pensées stupides qui lui venaient à l'esprit en précisant d'un air carnassier :

- Je te l'ai dis l'autre jour. Être ton ami est mieux que rien mais ce n'est certainement pas mon premier choix. Et l'ont m'a depuis fait remarquer que je devais m'assurer que les choses étaient claires entre nous. Alors je vais les clarifier.

Je me penchai vers lui, observant avec plaisir une rougeur monter sur ses joues douces et ses pupilles se dilater. Je soufflai doucement sur sa peau pour la faire frémir et murmurai :

- Je vais t'embrasser, Micah. Si tu n'en as pas envie, tu peux simplement te reculer.

Il ne bougea pas mais inspira vivement. Je scrutai ses yeux, traquant la moindre trace de peur ou d'appréhension mais je ne trouvai qu'un peu de confusion et, derrière, beaucoup d'excitation. Alors, je levai ma main et la glissai sur sa nuque, jouant avec les cheveux rasés qui s'y trouvaient. D'un mouvement lent mais ferme, je le ramenai à moi tout en venant à sa rencontre, jusqu'à ce que nos lèvres brûlantes fusionnent ensemble dans un baiser d'abord doux puis passionné. Je glissai ma langue dans sa bouche avec possessivité et il ne se défendit pas. Au contraire, après quelques instants d'inertie, sa propre langue se joignit à la mienne avec fureur, traquant mon goût et faisant monter la chaleur entre nous. J'avais envie de le dévorer et sans le préméditer, je l'attirai encore plus prêt, lui ravissant la bouche, encore et encore, jusqu'à lui tirer un gémissement qui me remplit de triomphe. Mais je devais prendre garde à doser mes effets. Lorsque je le relâchai, il était écarlate et moi-même je tremblais. Il me dévisagea avec égarement, le souffle court, et j'articulai d'un timbre rauque tout en promenant la pulpe de mon pouce sur sa pommette et sa tempe.

- Voilà ce que je veux, Micah. Je suis prêt à te laisser tout le temps du monde mais c'est ça que j'espère et que j'attends. Et je ne parle pas d'une baise rapide mais de toi, ici et avec moi.

Il semblait complètement perdu, incapable de parler. Je me relevai lentement et lui déposai un dernier baiser sur les lèvres, goûtant à nouveau leur tendresse et leur goût. Et lorsque je quittai la pièce, le laissant incapable de s'exprimer, ce fut avec la satisfaction intense de l'avoir rendu muet d'un seul baiser.

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