Chapitre 17
Adam
La chambre bleue était petite mais confortable et surtout, celle disponible la plus proche de la mienne. En y guidant Micah je me demandai si Karen avait vu dans cette installation un moyen de nous rapprocher. C'était bien son genre de jouer les marieuses, y compris en plein milieu d'une crise. Myriam et Connor, en revanche, étaient à mille lieux de cette préoccupation et oscillaient entre anticipation et inquiétude. J'avais résumé à mon béta la situation à grands traits et l'avais chargé de s'assurer de la vigilance de chacun, en cas d'intrusions à Trout River ou sur notre territoire. Sans même attendre notre arrivée, il avait augmenté les tours de garde en ville et dans la forêt et envoyé deux parmi les meilleurs combattants de la meute à la rescousse du serveur agaçant, le fameux Steven. Globalement tout était donc sous contrôle d'autant que je ne m'attendais pas à une attaque. Pas si rapidement, en tous cas. Mais le danger était réel, ces hommes armés jusqu'aux dents l'avaient prouvé, et maintenant que mes lycans étaient impliqués je n'avais plus le luxe de laisser à Micah ses secrets. Mais à en voir son museau renfrogné et son langage corporel crispé, lui tirer les vers du nez allait revenir à extraire des épines de porc-épic de la patte d'un grizzly très agacé.
Je ne me considérais pas comme un grand psychologue, surtout concernant les humains. Toutefois, je me targuais d'une empathie basique que j'avais travaillé et mon odorat de loup m'apportait un avantage indéniable lorsqu'il s'agissait de comprendre les émotions de mes interlocuteurs. Lorsque nous l'avions secouru, Micah puait la peur et l'agressivité. Durant le trajet, il avait vacillé entre colère, angoisse et désespoir et maintenant, je le sentais épuisé. Un homme meilleur l'aurait laissé reprendre ses esprits et sa maîtrise de lui-même avant de le confronter mais je n'étais ni un homme, ni quelqu'un de bien. La sécurité de ma meute passait avant tout et malgré les liens forts qui m'attachaient au barman éreinté que j'avais enfin dans ma tanière, je ne pouvais me permettre de l'épargner.
Il n'était pas naïf non plus et il était facile à voir que cette position de vulnérabilité lui était intolérable. Aussi, je ne fus pas surpris qu'une fois un tour rapide des commodités effectué, et sans se soucier de la décoration champêtre de sa chambre, il ne choisisse d'attaquer, dressé sur ses ergots et sur ses pieds, toute sa posture criant son besoin de s'échapper.
- Tout ça est bien joli mais tu ne peux pas me retenir ici. Il faut que je parte dès demain matin.
- Et pour aller où? répliquai-je froidement.
- N'importe où, là où je ne serais pas en danger. Là où je ne mettrais personne en danger.
Ses yeux se baissèrent un instant et dans une illumination, je perçus la faille que je pouvais exploiter. Avec cynisme, je m'y engouffrai :
- Mais c'est trop tard, pas vrai? Tu as déjà mis plusieurs personnes dans la merde.
Il releva la tête et je lus le regret et la peur dans ses yeux couleur d'azur, dont je savais qu'ils étaient nuance d'orage en réalité. J'avais hâte de les voir, de le voir sans artifice. Son masque était en train de glisser et bien que la situation soit critique, je ne pouvais réprimer la partie de moi qui s'en réjouissait. J'enfonçai le trait durement :
- Steven est en danger. Bear pourrait l'être, s'il revient. Tu as besoin de nous pour les protéger et moi, j'ai besoin de savoir où je mets les pieds.
Il serra les poings si fort que je vis ses articulations blanchir sous la pression qu'il leur imposait et je remuai le couteau dans la plaie, énonçant soigneusement ce à quoi j'avais songé dans la voiture :
- Tu es coincé, Micah. Si tu t'enfuis, tu ne sauras jamais ce que deviennent tes amis. Je suis là pour toi et je suis là pour eux. Tu sais que je suis capable de les protéger, contrairement à toi, mais mon aide n'est pas gratuite. Et mon prix, c'est la vérité.
- Je croyais que nous étions amis... parvint-il à répliquer d'une voix étranglée.
Ses mots portèrent et une seconde, je m'en voulus de la pression que je lui faisais endurer. Mon loup me grondait méchamment aux oreilles, me reprochant de maltraiter celui qu'au contraire, il ne rêvait que de protéger. Mais ma priorité, ma charge, ma responsabilité allait envers ma meute. Je pouvais leur demander de me servir, de servir mon attachement à Micah et de prendre avec moi la responsabilité de sa sécurité mais pas à l'aveugle, et pas sans comprendre ce à quoi nous étions confrontés. Alors, j'attrapai la main du tout jeune homme dans la mienne, plantai mes yeux dans les siens et articulai :
- Je suis ami avec Micah. Mais je ne connais ni Léo, ni Trevor. Et si je ne me trompe pas, ils sont ceux qui sont en danger.
Je pensais que Micah allait se décomposer, hurler, pleurer ou même tenter de se sauver mais il apparut que dans le feu de la soirée, j'avais sous-estimé une fois de plus la parfaite mainmise qu'il avait sur ses nerfs. Il cilla une fois, deux fois, déglutit et un sourire effrayant apparut sur son visage d'ange. C'était comme de voir un papillon dangereux émerger d'une chrysalide féérique. Il se redressa, ses épaules parurent plus larges, ses dents brillèrent au coin de ses lèvres et une expression dure et sauvage se déposa sur ses traits. Ce nouveau Micah, ce dangereux Micah, celui que j'avais entraperçu quelques instants en plein combat me jaugea sans aménité et même sa voix était différente, légèrement plus grave et affirmée, lorsqu'il me demanda:
- Depuis combien de temps le savais-tu?
Quelqu'un qui ne l'aurait pas connu aussi bien que moi n'aurait pas vu la différence. Mais j'avais passé des soirées entières à étudier Micah, à l'observer, à apprécier chacun de ses gestes gracieux et de ses sourires effrontés et cette version là, je ne l'avais encore jamais rencontré. Je me demandai si c'était là la version originale ou un nouveau masque mais je n'avais pas le temps de creuser. Et si mon loup gémissait d'appréciation et de désir devant le danger qui s'en dégageait et bien, ce serait un point à élucider un peu plus tard.
Je l'invitai à s'assoir sur le lit et après un instant d'hésitation, il obéit. J'en fus content. Même s'il était clairement sur ses gardes, tendu jusqu'aux os et peut-être prêt à mordre, il me faisait encore suffisamment confiance pour ça. Mais je ne me leurrais pas, cela pouvait vite dégénérer.
Je tirai le fauteuil capitonné de cette nuance canard que Karen avait choisi pour la chambre et l'écartai du bureau marqueté. Je n'étais pas un grand féru d'aménagement intérieur mais heureusement, la femme de ma béta adorait chiner et trainer dans les puces et les brocantes et je lui devais une grande part du confort de ma maisonnée. Je le tournai pour être face à Micah et m'installai, soucieux de paraitre moins menaçant qu'en position debout.
- Je l'ai découvert il y a quelques mois. J'étais très intrigué, après notre première rencontre et je devais savoir si tu représentais un danger pour la meute. Harry, dont je t'ai déjà parlé, a fait des recherches sur toi. Il a découvert que Micah Jameson était un faux nom alors il a creusé.
Un frémissement imperceptible le parcourut mais son timbre était plat lorsqu'il demanda :
- Comment a-t-il fait?
Je n'étais pas hyper fier de moi mais je ne pouvais rien faire d'autre qu'assumer aussi lui répondis-je sans fard :
- J'ai relevé tes empreintes digitales au bar. Ensuite, il lui a seulement fallu fouiller un peu. J'ai trouvé tes alias, Léo et Trévor et un morceau de ton passé.
J'hésitai puis avouai, cherchant à ôter tout jugement ou agressivité de mes paroles :
- Il a découvert que tu étais fiché à New York et même si tu n'as pas de casier à proprement parler, il a réussi à retrouver le dossier du NYPD.
Il ferma les yeux un instant et je crus percevoir une vague de vulnérabilité passer sur ses lèvres crispées. Mais rien n'en paraissait lorsqu'il reprit, d'un ton parfaitement maitrisé :
- Ton hacker est très bon. Je ne pensais pas que quiconque y arriverait.
- Il est excellent, oui. Mais je n'ai qu'une partie de l'histoire et rien ne me permettant de comprendre comment tu es passé de gamin placé à... toi. Toi avec tes armes et toi recherché par des hommes de toute évidence très dangereux. J'ai besoin de comprendre, Micah. Ou préfères-tu que je t'appelle autrement, désormais?
Il secoua la tête, faisant voler ses mèches teintes autour de ses joues douces et juvéniles et répondit sèchement.
- Micah c'est bien. Léo et Trevor sont morts depuis bien longtemps et je n'ai jamais été du genre à vivre dans le passé.
- Mais le passé détermine bien souvent le présent et l'avenir. J'ai besoin de savoir à quoi je suis confronté. De quoi est-ce que je dois te protéger.
Il força un sourire.
- Je ne pense pas que qui que ce soit puisse me protéger. Mais je suppose que je n'ai guère le choix alors ok...
Il inspira profondément.
- Tu veux savoir qui tu héberges ce soir? Qui te sert à boire et avec qui tu as failli coucher? D'accord. Je suppose que tu l'as mérité.
Mon cœur battait vite dans ma poitrine et j'eue le sentiment qu'un moment essentiel allait se jouer. Un moment où je n'avais pas droit à l'erreur et où il m'était interdit de me planter. Micah ne me regardait pas. Il avait fixé ses yeux sur la courtepointe de patchwork tricoté et attrapa un bout de laine, qu'il fit jouer doucement entre ses doigts comme pour se réconforter. Il commença lentement, débutant par des informations que j'avais déjà lues, ou déjà devinées.
- Tu as vu mon dossier de mineur donc tu dois avoir une idée d'où je viens. Ma mère... (il tordit les lèvres amèrement), ma mère était une junkie. Elle n'a jamais été foutu de me dire qui était mon père mais comme elle tapinait, je suppose que cela peut-être n'importe qui. Heureusement, elle était quand même assez lucide pour comprendre qu'elle ne pouvait pas m'élever aussi j'étais tout bébé lorsqu'elle me largua chez ma grand-mère. Mimah, comme je l'appelais.
Il releva un peu la tête et une lueur tendre et nostalgique adoucit la froideur de ses traits crispés.
- Nous vivions dans un quartier pourri, un ghetto de Vinegar Hills, mais elle a vraiment fait de son mieux. Elle était déjà très âgé parce qu'elle avait eu ma mère tard, surtout pour l'époque, et elle était veuve et n'avait personne sur qui s'appuyer. Mais entre sa petite pension et le travail à mi-temps qu'elle avait repris pour s'occuper de moi, ça allait à peu près. C'était... c'était une bonne période.
- Elle avait l'air formidable, murmurai-je pour l'encourager.
Il hocha vigoureusement la tête.
- Elle l'était. Sa mère, mon arrière-grand-mère, était irlandaise alors elle me racontait des légendes et des histoires de là-bas. Elle était douce et gentille. Toujours fière de moi. Elle se privait pour m'offrir des jouets, des livres et des vêtements corrects pour l'école.
Il fit une grimace froide pour refouler l'émotion que je voyais affleurer.
- Bref c'était bien. J'étais un gamin sage mais assez vite, j'ai commencé à beaucoup traîner dans la rue. Sans faire de grosses conneries, tu vois, juste pour la soulager. J'étais un petit sauvage du Brooklyn le plus mal famé qui connaissait tous les bons plans aux quatre coins des rues, qui savait où manger gratos, où mendier quelques bonbons et comment me glisser en douce dans la salle d'arcade du quartier. On n'avait pas grand chose mais c'était bien.
- Que s'est-il passé?
- La vie... Ou la mort, plus exactement. Mimah s'est sentie mal un soir, j'ai appelé les pompiers et trois heures après, elle était morte. AVC. J'ai longtemps pensé que c'était ma faute, qu'elle s'était épuisée à travailler pour moi malgré son âge et sa fatigue mais avec le recul... (il haussa les épaules). Elle était vraiment âgée. Les services sociaux n'ont pu trouver aucune autre famille, ma mère avait disparu de la circulation depuis des années, alors ils m'ont placé.
- J'ai vu que tu avais eu plusieurs familles d'accueil?
Il se remit à contempler l'étendue de laine sur le côté, l'œil sec et concentré.
- Ouais... La première était vraiment bien, le couple était sympa et les autres enfants pas trop cassés, mais ils se sont séparés après quelques mois. Le mec s'est barré sans se retourner et la mère a du se séparer d'une partie des enfants qu'elle gardait. J'étais le dernier arrivé donc bon... C'est sur moi que c'est tombé. On m'a envoyé dans une seconde famille qui était assez correcte mais je ne sais pas pourquoi, je n'y suis resté que quelques mois.
Il secoua la tête.
- C'est comme ça dans le système des enfants placés, tu dois toujours être prêt à dégager. On m'a ensuite placé dans une troisième famille mais là...
Sa voix perdait toute inflexion au fur et à mesure qu'il racontait et je sentis mon échine se tendre d'anticipation et mon loup se crisper.
- La troisième famille n'était pas bien... Le père...
Il se redressa à nouveau vers moi mais cette fois, son regard était glacé et son ton morne.
- Je ne vais pas te faire un dessin. Après quelques semaines à endurer les visites nocturnes de ce salopard, et l'écouter me dire que c'était normal et que je devais aimer ça, vu que j'étais gay, je me suis cassé. Je pensais pouvoir me débrouiller seul. Comme je disais, je connaissais la rue. Enfin, c'est ce que je croyais. Mais évidemment, traîner lorsqu'on a une maison chaude et un repas tout prêt qui nous attend et vivre dehors, ce sont deux choses différentes. J'ai vite compris que je n'avais pas beaucoup d'autres options alors je me suis mis à vendre ma bouche ou mon cul. Après tout, j'avais une hérédité chargé dans le domaine.
Un rictus sardonique s'était posé sur ses lèvres et il me dévisageait, cherchant sans doute l'indignation, l'horreur ou le dégoût, je ne savais. Mon estomac s'était noué, ma peau vibrait et mon loup grognait sans discontinuer depuis de longues minutes, rempli de haine et brûlant de venger ceux qui avaient osé poser leurs pattes ignobles sur l'enfant que Micah avait été.
- Tu as lu le rapport de police donc tu as une partie de la suite, reprit-il en constatant que je restait impassible, même si au fond de moi je bouillais. Je me suis fait choper et placer en foyer mais je n'y suis pas resté.
- Pourquoi donc? réussis-je à articuler. Tu n'y étais pas en sécurité?
- Pas vraiment, dit-il en secouant à nouveau la tête. La bouffe y était plus que rationnée, les bastons incessantes, les pressions pour du sexe aussi et quitte à me faire baiser, j'aimais autant être payé. Je suis retourné dehors mais comme j'étais connu, j'ai changé un peu de quartier et je me suis installé plus au Sud, vers Coney Island. Et c'est là que j'ai rencontré Andreï.
L'intonation russe me fit me redresser et je plissai les yeux :
- Un client?
-Un habitué. Il était... plutôt plus sympa que la moyenne. Oh, pas affectueux pour un sou, mais réglo et pas spécialement brutal.
- Ca n'en faisait pas moins un salopard de pédophile, ne pus-je m'empêcher de commenter avec hargne.
- Ephébophile, pour être exacte.
Je le dévisageai sans comprendre et Micah m'expliqua doctement, comme si tout notre conversation était normale et non pas une plongée dans les méandres d'une horreur qui m'était insoutenable:
- Andreï n'aimait pas baiser des gosses mais des ados, entre treize et dix-sept ans, en gros. Je faisais plus jeune que mon âge, en prime, et j'étais tout à fait son type. Il a commencé à venir me voir régulièrement et il était dans le coin lorsqu'un soir, un de mes clients a commencé à me tabasser pour récupérer son pognon. C'était les risques du métier mais Andreï est intervenu et l'a défoncé. Je crois même qu'il l'a tué, même si j'en ai jamais eu la certitude.
Je hochai la tête, le coeur retourné et attendis la suite. Je ne sais pourquoi mais je pressentais que le pire n'était pas encore arrivé et je muselai férocement ma bête qui était à deux doigts d'exploser.
- Ce soir là, Andreï m'a ramené chez lui et m'y a installé. Je n'ai jamais su pourquoi. Il faut dire qu'il n'était pas le genre à parler et moi, j'étais juste content d'être au chaud, en sécurité et d'avoir à bouffer. Il n'était pas désagréable et à part quand il avait envie de me sauter, il me fichait une paix plutôt royale. Mais évidemment, c'était bien trop parfait.
J'avais un mal de chien à voir où était la perfection dans un arrangement impliquant un gamin à la rue et un pervers qui profitait de lui mais je me mordis la langue pour me contraindre au silence. Ce devait être la bonne attitude car après m'avoir étudié, scrutant mes réactions, Micah finit par reprendre son récit :
- Andreï était en réalité l'homme de main favori d'un des dirigeant de la plus grosse bratva locale, la mafia russe. Il était le garde du corps préféré et le confident de Dmitri, le boss de tout le coin.
Je fronçai les sourcils, surpris :
- Et Dmitri tolérait votre... arrangement? Les mafieux russes sont plutôt réputés pour leur homophobie, d'après ce que j'ai entendu.
- Au début, ils ignoraient mon existence mais au bout d'un moment, Andreï a commencé à m'amener avec lui. Bien sûr, la plupart de ses... collègues, disons, étaient horrifiés. Mais la majorité avaient conscience qu'ils devaient seulement la fermer. Déjà parce qu'Andreï avait l'oreille et la confiance de Dmitri mais aussi parce qu'ils avaient tous une peur bleue de lui.
- C'est lui qui t'a entraîné, énonçai-je alors que les pièces du puzzle se mettaient doucement en place.
- Oui. Au début, Andreï ne s'intéressait qu'à mon cul. A part quand il voulait baiser il ne me parlait pas. Ce n'était pas si horrible, franchement, il m'avait acheté une console de jeu, des livres... Je n'étais pas prisonnier mais je n'avais pas de raisons de vouloir partir. En comparaison avec ce qui m'attendait, c'était un putain de paradis. Mais après quelque mois, il a commencé à s'intéresser à moi, je ne sais pas pourquoi. Pas pour discuter ou apprendre à me connaître, mais plus pour... me former. M'apprendre une partie de ce qu'il savait. Je ne saurais jamais quel était son objectif à ce sujet. Je veux dire, je n'aurais jamais pu le remplacer auprès de Dmitri donc à quoi bon...
Il haussa les épaules.
- Mais il fait ça sérieusement quand même. Il m'a appris à utiliser des armes, flingues, couteaux, garrots, à me battre au corps à corps. Il m'a enseigné la conduite défensive, la manipulation des explosifs... Il m'a appris à rester en permanence sur mes gardes, à anticiper et à attaquer le premier s'il le fallait...
Je ne pus retenir mon exclamation horrifiée.
- Bordel mais c'était qui ce gars!
- Un tueur, répondit calmement Micah. Et un ancien des services secrets russes. Le guerrier parfait et la machine à massacrer personnelle de Dmitri, le seul à qui il donnait sa loyauté. Au début, j'étais un élève piteux mais il ne m'a pas laissé le choix. Alors, j'ai obéi, j'ai appris et je suis devenu son apprenti.
Les révélations de Micah coulait en moi comme des flots d'acide tranchants, détruisant ma maîtrise de moi au passage. J'allais devoir passer un bon moment à massacrer mon punching-ball ou à courir dans la forêt pour me calmer. L'ampleur de ce que je découvrais sur le jeune homme que j'appréciais me donnait le vertige mais au fond, tout au fond, mon loup veillait. Là où l'humain en moi était horrifié par les atrocités subies par Micah, écartelé entre pitié, douleur et rage, mon loup gémissait sa satisfaction en constatant la résistance, la force et la pugnacité de celui qu'il avait élu. Là où je pleurais les souffrances subis, il voyait la résilience et là où je craignais les blessures du passé, lui estimait le guerrier.
- Combien de temps es-tu resté avec lui? demandai-je lorsque mes dents cessèrent de grincer.
- Entre mes quinze ans et demi et jusqu'à l'an dernier, à dix-neuf ans. Enfin, les derniers mois je n'habitais plus dans son appartement. Il m'avait payé une chambre sur le campus de NYU où j'étudiais sous le nom de Léo.
- Je ne comprends pas. Comment es-tu passé d'apprenti homme de main à étudiant?
Il secoua la tête, distancié.
- Andreï était... le contraire d'un homme bien. Je l'ai vu faire des choses terribles. A t'en faire cauchemarder, tout loup carnassier que tu puisses être. Et je ne me suis jamais leurré en imaginant qu'il éprouvait quelque chose pour moi au delà de, tu sais, le sexe. Et au fur et à mesure que je vieillissais, je n'étais plus son type et il me baisait de moins en moins. Une de mes hypothèses est qu'il m'a formé parce qu'il ne savait rien faire d'autre et que c'était la seule interaction humaine qu'il maîtrisait à peu près. Et lorsqu'il en a eu marre de me voir traîner chez lui, il a payé pour m'offrir une porte de sortie.
Je ne savais honnêtement pas quoi répliquer mais Micah remonta un peu plus sur le lit et croisa ses jambes, dans une posture relâchée de yogi qui me fit plaisir. Le plus dur devait être passé et il se détendait un peu. Malgré les écueils de notre échanges et les souvenirs douloureux qu'il faisait remonter, il semblait de plus en plus à l'aise en ma compagnie, baissant sa garde, et mon loup et moi nous en gorgeâmes avec satisfaction et plus qu'une pointe d'arrogance.
- C'était une porte de sortie plutôt sympa, ajouta-t-il avec nostalgie. J'ai beaucoup aimé être étudiant. Je pensais que ma vie allait changer.
- Qu'est ce que tu voulais étudier?
- J'avais pensé à la psycho ou au droit. Je n'étais pas très sûr, encore. Mais bon, de toute façon, je n'ai pas eu à me poser la question très longtemps.
Je me penchai en avant, résistant à l'envie de le toucher pour chasser la tristesse que je percevais et le serrer contre moi pour le réconforter. Mais sauf erreur d'analyse, Micah était comme un chat effarouché à cet instant. Il me tolérait dans son espace mais c'était tout et et si je m'y aventurais, il fuirait ou me grifferait.
- Que s'est-il passé?
- Sergueï, cracha-t-il avec un mépris glaçant, l'échine tendu à nouveau. Le fils ainé de Dmitri et la pire enflure que tu puisses imaginer. Pour te la faire courte, il a décidé qu'attendre que son père ne meure naturellement, ou ce qui en tient lieux chez les mafieux, ne lui convenait pas et a décidé d'accélérer le processus. Il a convaincu l'un des gardes du corps de Dmitri de se retourner contre lui et ce dernier a piégé leur voiture. Andreï et lui sont morts assassinés en un instant par un homme en qui ils avaient confiance.
Il avait repris sa mine froide et dure et je ne me résolu pas à lui demander s'il en avait été attristé ou soulagé. Je pressentais que les relations de Micah, ou Léo, à l'époque, avec son ancien client et protecteur était un terrain miné et pour ce soir, je n'allais pas m'y engager. Mais plus je découvrais le passé trouble du jeune homme si séduisant et dangereux, plus je le voulais. Je ne savais trop ce que cela révélait sur moi mais je pouvais assumer. Et la patience en était le mot clé.
- Mais pourquoi s'en prendre à toi? interrogeai-je en penchant la tête, cherchant à me faire une idée des motivations des hommes que j'avais croisé. Les hommes que j'ai vu étaient ceux de Sergueï je suppose? Ils collaient bien au cliché du mafieux russe, en tous cas.
Micah soupira et contempla à nouveau la couverture aux mille nuances de bleu.
- Dmitri n'avait aucune confiance en son fils et toute confiance en Andreï. Cet abruti de Sergueï a découvert seulement après les avoir fait buter tous les deux que la grande majorité de sa fortune, de l'argent bien sale, était planqué sur des comptes offshores.
- Et il n'en a pas les accès, complétai-je alors que la compréhension m'inondait.
Micah hocha sobrement la tête.
- Il est niqué. Sa position est précaire dans la bratva. Il a fait descendre tous les anciens alliés et fidèles de son père mais s'il ne peut pas payer ses hommes, et s'il ne peut pas arroser généreusement les différents partenaires pour leur faire oublier comment il a accédé à la tête de son territoire, il se fera évincer.
Il grimaça.
- Il n'a pas hérité du charme et de l'intelligence de son géniteur, ce connard. Dmitri était un boucher mais il savait mener sa barque et était capable de se maîtriser. Sergueï est une brute sans scrupule et sans beaucoup de finesse et sans les millions de son père pour assurer sa place, il ne fera pas long feu.
- Et il pense que tu peux lui donner cet argent?
Il roula des yeux.
- Il s'imagine que Andreï se confiait à moi. Lui connaissait ces codes, c'est certain. Dans la tête de Sergueï, je suis le seul à pouvoir lui filer cette montagne de pognon dont il pense qu'elle lui est dûe. Je m'en suis sorti de justesse, après la mort d'Andreï, et ça été assez sanglant. J'avais les contacts et les connaissances pour acheter une nouvelle identité et depuis lors, je fuis.
- Parce que même si tu pouvais lui donner les codes...
- Il me ferait quand même buter. Parce que je me suis sauvé, parce que j'ai tué ses hommes, parce que je suis une tapette et parce que je l'ai défié. Et aussi, parce que je suis le rappel vivant d'Andreï et son père et de la manière dont il les a fait tuer et ça, il ne peut pas le supporter.
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