Chapitre 14

Micah

Le miroir rectangulaire occupait toute la paroi de la petite cabine d'essayage et pendant que je me rhabillais, l'éclat de couleur de mes cheveux dans le reflet attira mon regard. J'interrompis mes gestes et me penchai sur le côté, examinant les racines qui commençaient à apparaitre sous la teinture bleue, rose et violette. Mon undercut demandait beaucoup d'entretien, tout comme la couleur, et pour être honnête, je commençais à en avoir ras la caisse. Dans ce genre de moment, ceux où un miroir me renvoyait l'image d'un inconnu frivole et décontracté, l'envie de retrouver ma couleur naturelle et un peu de mon vrai moi avait tendance à me submerger sans prévenir, dans une sensation de perte qui s'attardait ensuite malgré mes tentatives de l'ignorer. Ces jours-là, je prenais soin d'éviter mon image et de bannir de ma pensée toute nostalgie idiote du garçon que j'avais laissé mourir dans les rues de New-York, bien des années auparavant. Mais je n'étais pas dupe et je savais bien ce que la récurrence de cet état d'esprit révélait, in fine, à mon sujet.

Je repris mon habillage et terminai d'enfiler mon jean avant de revenir malgré moi à cette contemplation qui me fascinait. Je dévisageai à nouveau le jeune homme qui me toisait, sourcils froncés. Il était beau et insouciant, séducteur et drôle. Un garçon désinvolte aux yeux limpides et aux mèches colorées qui flânait dans les magasins avant de prendre son service dans le bar sympa où il travaillait. Il avait l'air sympa et facile à apprécier mais il n'était pas moi et ce manque insidieux et prégnant de celui que j'avais été, de celui que j'aurais dû être, de celui que j'avais perdu, me tordait de plus en plus régulièrement les entrailles et le cœur. Au fur et à mesure que je me construisais une vie propre, une vie agréable, je ne savais plus comment concilier la personnalité endormie qui tentait d'émerger en moi, celle dont je jouais la réalité et celle qui avait été bâtie à force de coups et de peur durant des années. En plus de cela, durant mes moments de faiblesse, la voix d'Andrei qui quittait rarement mes pensées se faisait alors plus forte et plus sévère et me rappelait durement que les doutes existentiels n'avaient pas leur place dans la lutte pour la survie. Me rappelait que si je finissais par craquer, alors j'en mourrais.

Je souris amèrement en songeant que j'étais en train de me payer une crise existentielle en plein essayage de boxers moules-bites et que, décidément, ça ne disait rien de bon de mon équilibre mental des derniers temps. Il était trop facile, trop agréable d'être Micah et cette ébauche de bonheur à laquelle je touchais enfin venait bouleverser tout ce que j'avais construit pour me protéger. Après des heures passées au bar à rire avec Steven, taquiner Bear ou plaisanter avec Adam, la tentation de plus en puissante de fondre les meilleurs aspects de Léo et Trevor dans le creuset de Micah me prenait à la gorge et je devais lutter contre moi-même, dans une guerre civile impitoyable, pour m'empêcher de baisser la garde. Et au fur et à mesure que Adam me dévoilait qui il était, qu'il me racontait ses secrets et qu'il se taillait une place dans ma vie, ses yeux verts se remplissaient de questions qu'il se retenait de poser. Et je brulais, de plus en plus fort, de lui donner les réponses qu'il espérait mais sans jamais pouvoir passer le cap.

Je me scrutais dans la glace sans indulgence, évaluant celui que j'apercevais. Le menteur qui me contemplait. Pouvais-je prendre le risque? Pouvais-je montrer, même à doses homéopathiques, celui que j'étais? Adam savait déjà qu'il y avait beaucoup plus en moi qu'il n'y paraissait. Il m'avait vu, arme au poing et il n'était pas idiot. Il savait que Micah, le serveur sexy, n'était que la façade que j'avais adopté pour me dissimuler et s'il s'abstenait de creuser, s'il se refusait de me questionner, c'était parce que pour une raison que j'ignorais, il me laissait cette latitude, cette liberté de me cacher. Et ça, plus que toute autre chose, me donnait des envies stupides de me confier.

Mon regard descendit et s'attarda sur ma poitrine nue et les dizaines de mouchetures rondes et violettes qui s'y trouvaient. Il dévia sur la cicatrice dentelée de mon bras droit, souvenir de l'attaque des loups, puis trouva la marbrure rosée qui décorait ma hanche sur une dizaine de centimètres. J'étais perclus de cicatrices, pas toutes visibles, souvenirs imprimés dans ma chair de la période où j'avais dormi dans la rue, de mes jours d'entrainement avec Andrei et de la nuit terrible où toute ma vie avait à nouveau basculé. J'étais marqué, dans ma peau comme dans ma tête, et je ne devais jamais, jamais me laisser aller à l'oublier. Je secouai la tête en songeant que tout espoir de normalité était vain. On ne peut être normal lorsqu'on sait tuer. On ne peut être normal lorsqu'on risque d'être tué. Andrei me l'avait assené, encore et encore. Le sentiment de sécurité que je ressentais était précisément ce qui pouvait causer ma perte et le souvenir de la mort de mon mentor, si je pouvais le nommer ainsi, avait enfoncé profondément cette leçon dans ma mémoire. Tant pis pour les confidences, la nostalgie de mes cheveux cendrés et la fatigue de mes yeux fatigués de se cacher. Si je voulais vivre, si je voulais survivre, je ne pouvais pas me permettre de me relâcher.

- Micah, mais qu'est-ce que tu fous là-dedans, bordel! J'ai terminé depuis trois plombes!

- J'arrive!

Ma voix me parut rauque et triste et je me morigénai. Je devais retrouver l'allant de Micah, cet alter-ego amusant et désinvolte ravi de faire les boutiques en compagnie de son ami Steven, partant pour se promener et s'amuser. Je me rhabillai vite fait, triai les vêtements sélectionnés, et sortis de la cabine pour y retrouver mon ami, blasé de son attente.

- Tu es pire que moi, putain. Personne ne met des heures à choisir des calbuts!

J'avais en réalité passé l'essentiel de mon temps à m'apitoyer sur moi-même mais je ne pouvais le lui révéler et Micah, le serveur grande gueule, vint à ma rescousse sans difficulté.

- Le confort du paquet c'est important, Steven. Et avec les shorts que je mets, je dois être certain que tout est bien tenu à sa bonne place. Tu imagines si j'avais une boule qui se mettait à pendre en dehors ?

Il me toisa avec hauteur.

- Tu parles, tu es juste indécis, c'est tout. Et en plus, si tu veux mon avis, c'est du pur gâchis.

Je levai un sourcil intrigué en tendant quatre billets de dix à la caissière qui emballait mes articles. Je n'avais pas de carte de paiement. Bear me déclarait pour mon taf, enfin il déclarait Micah Jameson, mais il me payait en liquide, ce qui m'arrangeait. Je n'avais aucune intention d'ouvrir un compte bancaire et d'augmenter les probabilités que quelqu'un ne mette son nez dans les failles de mon identité.

- Du gâchis? Pourquoi?

- Tu le sais parfaitement!

Steven leva le menton dans une pose de drama queen désespérée par le monde dans lequel il évoluait, ouvrit des yeux tragiques et articula :

- Tu ne montres tes sous-vêtements à personne, Micah. Voilà le gâchis. Ça fait des semaines et des semaines que le plus beau gosse de la région vient spécialement au Unicorn pour te dévorer des yeux et depuis le premier soir, il ne se passe plus rien. Je suis déçu, Micah Jameson. Dé-çu. Si tu continues ainsi, tu devras rendre ta carte du club des salopes, mon chéri.

Je ris. Nous sortîmes dans la rue et inconsciemment, je renversai ma tête en arrière pour profiter du timide soleil de mars sur mes joues et mon front. Les prémices du printemps faisaient leur arrivée et après le long, froid et humide hiver de Portland, chaque once de chaleur était bonne à prendre.

- Je n'ai jamais eu cette carte, je te signale. Moi, je suis titulaire de celle des barmen sexys et inaccessibles et je te garantie que niveau pourboires, ça marche tout aussi bien. 

Il renifla et je continuai.

- En plus tu exagères carrément. Adam ne vient pas si souvent. Et s'il le fait, c'est aussi pour voir Bear. Je te rappelle qu'il sont amis.

- Et voilà un exemple typique de déni masculin, mesdames et messieurs. Avec toutes ses caractéristiques de mauvaise foi et d'évitement! Micah, le gars ne vient que pour toi, n'a d'yeux que pour toi et ne parle qu'à toi. Il est sympa, ultra hot et de toute évidence, très intéressé. Je ne sais vraiment pas ce qu'il te faut de plus pour lui grimper dessus comme un écureuil à un arbre. Un arbre dur et bien...branchu... Agrouuuuu...

Il mima l'extase et j'étendis le bras pour lui assener une calotte derrière le crâne. Il m'échappa en rigolant.

- Tu as rougi, Micah, tu peux te planquer dans ton col mais je le vois! Il te plait aussi alors je ne comprends vraiment pas pourquoi tu te retiens de lui sauter dessus à nouveau. Ou le laisser te sauter. Le sauter toi-même ? Enfin, à vous de voir, quoi.

Je roulai des yeux mais ouais, je sentais mes joues chauffer. Je ne pouvais dire à Steven que si je me retenais, c'était par peur que des yeux d'émeraude me conduisent à avouer tous mes secrets. Par peur qu'une nuit de sexe ne fasse vaciller les remparts solides que j'avais érigés. Par peur que l'intuition trop aiguisée d'un loup déguisé en homme ne me conduise à ma perte et ne précipite la fuite qui me pendait au nez. Adam m'attirait, je pouvais me l'avouer. Mais ce n'était rien de plus qu'une attraction physique et dans notre intérêt, j'étais parfaitement capable d'y résister.

Je répliquai d'un sourire forcé à mon collègue et lui dédiai un clin d'œil mutin.

- Et bien, si on te le demande, tu diras que tu n'en sais rien.

Et comme il allait protester, je conclus, profitant des effluves chocolatés qui envahissaient les rues du Pearl:

- J'ai envie d'une gaufre, tu viens?


Même s'il exagérait clairement l'attraction entre Adam et moi, Steven n'avait pas tort sur un point. Le grand blond avait fait du Unicorn sa sortie de prédilection et il ne se passait plus guère trois ou quatre jours avant qu'il ne vienne poser ses fesses fermes sur le tabouret à la droite du bar, où j'étais à deux doigts de foutre une étiquette avec son nom.

- Salut Micah, me salua-t-il en retirant sa veste.

- Grand méchant loup...

Il répondit d'un rictus faussement menaçant, dévoilant ses dents blanches, et je gloussai sans réussir à me retenir. Le surnom était transparent mais pour ceux qui nous environnaient, et pour lesquelles sa nature n'était pas apparente, il s'agissait d'une simple taquinerie ou d'une référence amicale que personne n'avait cherché à élucider. Même Bear n'avait pas tiqué lorsque je l'avais employé devant lui, la première fois, me confirmant par la même qu'il ignorait qui était Adam en réalité. Ce dernier l'avait ensuite admis, expliquant, pour la première fois un peu gêné, que le frère jumeau de Bear était dans l'obligation de lui mentir depuis des années. Il s'attendait peut-être à ce que je proteste devant cette omission énorme au sein d'une même famille mais je n'avais même pas sourcillé. Je comprenais la vertu du silence et le poids d'un secret susceptible de nous faire tuer et les mesures de sécurité propres aux meute, qu'il m'avait brièvement expliquées, me paraissaient tout à fait sensées.

Sans lui demander, j'attrapai la bouteille de whisky qu'il appréciait et lui versai un verre qu'il accepta avec le sourire. J'avais commencé à m'assurer que nous en avions en stock et j'avoue que j'aimais le voir content lorsque je devançais sa commande. J'étais tellement dans la merde...

- Tu es tout seul ce soir?

- Non, Connor est en train de se garer. Il n'y avait pas de place dans la rue, il doit encore tourner.

Je pouffai en imaginant la contrariété de son béta, contraint de passer ses soirées à affronter la circulation du centre-ville et à repousser les tentatives de flirt d'une bande de gay, et il m'envoya un clin d'œil complice.

- Hey, c'est son taf! C'est l'anniversaire de Karen et Myriam leur a prévu une soirée en amoureuses. Resto et galipettes au programme. Léon et Lucius se sont portés volontaires pour garder les gamins, du coup, et il ne restait que lui de disponible. Je lui ai dit que je pouvais venir seul mais il n'a pas voulu en démordre...

Aussitôt ramené au souvenir de l'attaque des mois précédents, je me rembrunis et protestai. Adam restait regrettablement peu angoissé vis à vis de sa sécurité, si on me demandait mon opinion à ce sujet.

- Il a raison. Je ne sais pas grand chose de vos histoires mais tu ne dois pas te promener seul tant que tu ne sauras pas pourquoi tu as été... (je baissai la voix) attaqué par d'autres lycans...

- Je suis capable de me défendre, murmura-t-il sur le même ton avant de retrouver un volume normal. Je l'ai fait pendant des années, mon cher. J'ai été pris par surprise ce soir là mais je peux te garantir que cela n'arrivera plus.

- Précisément! tonna Connor que je n'avais pas vu approcher malgré sa carrure, absorbé que je l'étais par notre discussion. Cela n'arrivera plus car je vais te coller au cul, mon pote. Je ne suis peut-être pas un alpha mais je peux botter les fesses de connards solitaires autant que tu en voudras!

Il n'était pas très discret et Adam le fusilla des yeux. Mais comme à l'accoutumé, personne ne se mêlait de notre discussion ni ne se focalisait sur nous. Le grand blond faisait maintenant parti des meubles, tout comme son acolyte flamboyant, et les clients étaient pour la plupart en train de se dépenser sur la piste de danse. A force de le croiser, je m'étais habitué à la personnalité haute en couleur de Connor et je l'aimais bien, malgré ses plaisanteries stupides et ses outrances. J'appréciais aussi de le voir mal à l'aise, je devais l'avouer, petit hétéro égaré parmi nous autres même si, à force de venir, il s'habituait. Mais si je devais admettre que son look de bucheron écossais était plutôt sexy, il ne me faisait pas du tout le même effet que l'alpha enjoué qui exsudait la confiance à ses côtés. Je servis une bière aussi rousse que lui à Connor et abandonnai les deux lycans quelques instants pour faire mon taf. Bear était indulgent à mon égard par gentillesse avec son pote mais il ne fallait quand même pas exagérer.

Comme les dix soirées précédentes, Adam resta collé au comptoir à me regarder bosser et discuter avec moi entre deux clients. J'étais toujours surpris de la facilité avec laquelle je réussissais à parler avec lui. Nos premières conversations avaient d'abord porté sur lui et ce que signifiait être un loup mais par la suite, nous avions échangé sur bien d'autres thèmes. Il m'avait conté ses démêlés avec sa meute, me faisant des portraits hilarants de ses congénères, de Harry le timide à Myriam la maman ours, en passant par la love story récente et passionnelle que vivaient Lucius et Léon, que j'avais déjà croisé ici. Il me parlait des films qu'il aimait, de son faible honteux pour les Disney et de ses goûts littéraires qui le portaient vers les policiers et la science-fiction. Je lui racontais ma découverte de Portland, les soirées hipsters où Steven me traînait lorsque le Unicorn était fermé, ses démêlés rocambolesques avec son tatoueur et les bouderies de Bear lorsque nous le taquinions sur son vieil âge. Certains sujets restaient tabou, l'ensemble de mon passé et sa jeunesse, mais nous avions largement de quoi échanger et j'attendais avec de plus en plus d'impatience nos soirées.

Un groupe de trentenaires bruyants arriva au comptoir et je me dépêchai de les servir, pressé de retourner à ma discussion. Connor avait disparu dans la salle, sûrement vers la table de billard, et Adam sirotait son verre sans me lâcher des yeux.

- Qu'est-ce que je peux vous servir?

- Une bière blonde, un cosmo et heu... toi?

La phrase de drague la plus pourrie du monde me fit rouler des yeux et je me retournai pour attraper mon shaker.

- Une bière, un cosmo, ça roule. Mais pour le serveur, il faudra aller voir ailleurs!

Le grand gars brun dont le marcel échancré révélait des bras musclés recouverts de tatouages était déjà bien éméché et il ne se laissa pas décourager. Il se pencha sur le comptoir et lécha ses lèvres, les yeux brillants d'ivresse.

- Allez bébé, ne me brise pas le cœur. On pourrait passer un bon moment tous les deux.

- Ce sera sans moi, mon beau. Mais merci de la proposition.

Me faire draguer était habituel et je savais m'en sortir avec grâce et sans dommage pour mes pourboires. En revanche, me faire saisir le poignet par un boulet aviné était hors de ma zone de confort et je fusillai l'outrecuidant du regard.

- Allez, juste un bisou, bredouilla-t-il. Je suis un super coup, bébé, je peux te l'assurer!

- Merde, lâche-moi de suite!

Au lieu d'obtempérer, il tira sèchement sur mon bras pour me rapprocher et je grimaçai. Non mais quel connard! J'allais protester avec vigueur quand une silhouette imposante plana soudain au dessus du poivrot et une voix glaciale lui susurra à l'oreille :

- Le monsieur t'a dit de le lâcher alors tu t'exécutes, bordel.

Hors de contrôle, l'apprenti culturiste renâcla sans même se retourner.

- Mêle-toi de ton cul, enfoiré, je discute là.

Un grognement sourd me fit avaler ma salive et une traînée de chair de poule envahit mon échine. Il était facile, en plaisantant avec le Adam amusant et arrogant, d'oublier qui il était réellement. Mais je n'étais pas naïf et je gardais toujours dans un coin de ma tête qu'il était avant tout un prédateur, capable de tuer sans sourciller pour se nourrir, ou se venger. Il ne m'effrayait pas. J'avais passé l'essentiel de ma vie à côtoyer des hommes bien pires que lui et ce, sans l'excuse de la fourrure. Mais à cet instant, il me suffit de l'évaluer d'un seul regard pour comprendre que les choses allaient sacrément dégénérer si je ne faisais rien.
A côté de mon emmerdeur ses amis, tous plus ivres les uns que les autres, regardaient la scène en gloussant et sans faire mine d'intervenir. Et à voir ses mâchoires crispées et ses pupilles brillantes, Adam était sur le point de massacrer le pauvre abruti qui me broyait le poignet. Merde, est-ce que c'étaient des crocs qui pointaient ? Je ne pouvais pas le laisser bouffer nos clients, c'était mauvais pour les affaires. Je m'étais retenu jusque-là mais tant pis, j'étais sûr et certain que Bear me pardonnerait au vu de la situation. D'un mouvement sec de retrait, je tordis le bras de l'idiot dans le sens inverse de l'articulation, l'obligeant à me lâcher. De la main droite, je lui décochai une claque sèche du plat de la paume sur le nez, le faisant glapir de douleur et pour finir, je me retournai et lui envoyai mon coude dans le ventre. Il hoqueta et s'avachit sur le zinc, les yeux révulsés et des larmes coulant sur ses joues rougies par l'alcool. Steven, qui avait aperçu l'altercation de l'autre bout du bar, me sourit largement, un peu étonné, et Adam me regarda, les sourcils froncés pendant que je rappelais les règles de base à l'abruti.

- Quand on te dit de lâcher, tu lâches, idiot. Et garde tes mains pour toi la prochaine fois, serveur n'est pas synonyme de cul facile!

Il pleurnichait toujours sur mon comptoir et j'eus un peu pitié de lui. En roulant des fesses avec dédain dans mon jean ultra moulant, je lui servis un verre d'eau et lui conseillai gentiment.

- Mon patron a horreur qu'on emmerde les employés. Et mon pote, ici présent, a horreur qu'on m'emmerde moi. Alors tu devrais peut-être aller faire joujou ailleurs. Et arrête de picoler pour la soirée, si tu veux mon avis.

Il se redressa en titubant et m'adressa un geste vague d'excuse puis, suivi de ses congénères qui riaient et se bousculaient, il trébucha jusqu'à la sortie. Putain, les mecs bourrés étaient vraiment une plaie. Adam avait repris place sur son tabouret mais semblait toujours énervé. Je lui resservis un verre et lui apportai.

- Merci du coup de main.

- Tu n'en avais pas besoin...

Cette constatation avait l'air de le contrarier et je levai un sourcil.

- Et c'est un problème?

Il prit le temps de réfléchir un instant puis avala une longue gorgée de sa boisson forte, avant de me décocher un sourire carnassier.

- Non, finalement non...

- Tu m'en vois ravi.

- Moi de même, "mon pote".

Je piquai un fard à cette affirmation, peut-être hors de propos, et tentai de me justifier.

- Pardon, je voulais juste appuyer ma démonstration. Ce que je voulais dire...

- Ce que tu voulais dire c'est que nous sommes amis, Micah. Et qu'en tant qu'ami ouais, je n'aime pas qu'on t'emmerde. Est-ce que nous sommes amis?

Il me dédia un sourire agaçant mais une certaine chaleur colorait son regard. Je relevai le menton et le dévisageai droit dans les yeux. Adam était toujours intense, même quand il semblait cool et décontracté. Il m'avait expliqué que c'était en partie un effet secondaire de son aura d'alpha que même en tant qu'humain je pouvais percevoir. Mais à cet instant, l'intensité semblait s'être encore relevée d'un cran et je réfléchis avant de choisir les bons mots. Adam m'attirait et pire que ça, je l'appréciais. Mais aucune relation n'était possible dans ma situation. Quant à une amitié... Ouais, s'il pouvait se contenter de ce que j'étais capable de lui donner, la vérité n'en faisant pas partie, peut-être pouvions-nous être amis. Je hochai lentement la tête.

- Amis. Oui, nous sommes amis, Adam.

Il me dévisagea avec une satisfaction exaspérante et je secouai la tête en me demandant si je devais regretter mon élan. Quelque chose que disait qu'en matière d'amitié, les lycans étaient quelque chose à supporter.

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