Chapitre 8



Constitué d'une multitude de bâtiments imbriqués dans un parterres de verdure donnant sur l'extérieur, le temple entier ressemblait à un puits de lumière, alimenté par la clarté du jour, le scintillement des étoiles oul'éclat de la lune. Avec sa succession de hautes ogives formant un grandcercle, la pièce qu'il foulait à présent ne faisait pas exception. Gigantesquedans ses dimensions, elle accueillait en son centre un croissant de lune enpierre blanche, surplombé par une plateforme que chapeautait un dais doré.

Debout sur cette sorte d'estrade, Li Xai Ning les attendait en compagnie de Li Qian De.

Ralentissant le pas, Xue Lian prit le temps d'observer ses camarades. Ceux-ci s'inclinaient respectueusement devant le Grand Maître au fur et à mesure de leur arrivée, tout en s'alignant les uns auprès des autres. Il allait inévitablement devoir se placer de la même manière à l'une des extrémités. Étant le dernier, il ne lui restait plus que deux choix. Il exclut d'office de se mettre sur le côté droit, occupé par Wei San.

Le maître des arts de l'esprit était le plus grand des Treize.  Sa haute taille s'accordait à son torse d'athlète, dévoilé en partie par l'échancrure de sa robe bleu sombre, ouverte sur sessous-robes rouges. Ses yeux, d'un brun identique à celui de sa chevelurerelevée, possédaient un magnétisme puissant, qui laissaitrarement de marbre. Son visage, d'une beauté classique, respirait généralementle calme et la détermination, en accord avec sa voix étonnamment douce pour unhomme de sa carrure.

Son attention tournée vers Li Xai Ning, Wei San ne parut pas remarquer la manœuvre de Xue Lian pour l'éviter. Obliquant sur la gauche, ce dernier s'installa près de He You, qui se trouvait à l'autre bout de la ligne. Il savait qu'il n'avait rien à craindre du maître rattaché aux esprits terrestres, même si ce petit homme, à l'allure aussi inoffensive que son regard brun teinté de bonté,était prédisposé à déchaîner des golems.

He You était avant tout un amateur de bonne chair, qui s'empâtait un peu sous sa robe safran. Au-delà de ces détails, il possédait une vive intelligence etétait capable de faire le lien entre d'infimes éléments avant tout le monde. Ildemeurait toutefois trop gentil pour l'ennuyer par des questions gênantes.Contrairement aux autres, il portait sa chevelure noire coiffée en un chignon haut tout simple, cerclé d'argent. Sansdoute dans l'espoir de gagner les quelques centimètres qui paraissaient luimanquer lorsqu'ils se réunissaient.

Toujours aimable, le maître des arts terrestres lui adressa un sourire discret pour lui souhaiter la bienvenue. Xue Lian fit comme s'il ne le voyait pas tout en évitant son regard. La présence des deux anciens excusait un peu son absence de tact. Il devait les saluer en premier, ce qu'il fit en s'inclinant de façon cérémonieuse, avant de s'immobiliser en ignorant ses condisciples.

Vêtu à son ordinaire de blanc et d'or, un sourire radieux sur les lèvres, le Grand Maître rayonnait d'autorité bienveillante. Malgré le millénaire qu'on lui prêtait, il n'affichait pas plus de trente ans. Un simple cercle doré passé dans sa chevelure brune libre de toute attache dans son dos, marquait sa position en ceignant son front. Il était grand et possédait un teint de lait, une taille bien prise et des membres divinement proportionnés. Le pur ovale de son visage inspirait la quiétude, et face à sa beauté, beaucoup oubliaient combien les dieux pouvaient parfois se monter vindicatifs ou rancuniers. Li Xia Ning, maître et fondateur de la secte des Treize Lunes, était heureusement connu pour sa patience, sa mansuétude et son cœur généreux. Trois qualités, qui le liaient à tous les membres qui dépendaient de lui plus sûrement que les serments d'allégeance.

Debout à ses côtés, Li‑Qian De exprimait plus de majesté. Grand, un regard noir et séducteur sous des sourcils épais, il portait avec élégance une longue barbe dans laquelle se perdaient de nombreux fils d'argent, à l'exemple de ceux qui poivraient sa chevelure, retenue sur la nuque d'une épingle en ivoire. Son âge véritable se devinait sous les rides de son beau visage.

Bien qu'aimant se présenter sous les traits d'un vieillard, il n'en demeurait pas moins un homme au corps vigoureux,de taille presque aussi élevée que Wei San. Le gris clair de sa robe, découpée dans un tissu léger, semblait capter la lumière, tandis que le rouge de sa ceinture se moirait de reflets irisés. Si personne ne mettait en doute sa réputation de probité, le Sage Suprême était connu pour son goût du paraître et les rubis des trois bagues qu'il portait à la main droite en attestaient. Il n'en était pas moins aimé et respecté par l'ensemble de ses subordonnés, dont il avait un souci réel.

Li Xai Ning attendit que Xue Lian se redresse pour prendre la parole d'une voix douce.

— Maîtres des treize pagodes, mon cœur sourit de votre retour et j'espère que vous êtes à présent suffisamment reposés pour profiter de la fête donnée en votre honneur. Ce jour marque la joie de tous de vous revoir. Votre rôle durant cette guerre était prépondérant. Sans vous, je n'aurais pu vaincre et je ne vous remercierai jamais assez pour votre sacrifice. Intercéder auprès des gardiens de l'entre-monde pour rendre à vos âmes vos corps matériels n'était que justice. Sachez néanmoins que sans les compétences temporelles de Ba Hua, il m'aurait été impossible de vous ramener.

Désignée à la reconnaissance de tous, la seule personne capable de ralentir le temps accueillit ses paroles avec modestie. Sans être d'une beauté particulière, Ba Hua conservait lephysique d'une femme vigoureuse malgré ses cinquante-cinq ans et le gris d'unechevelure plaquée par deux peignes en ivoire sur les côtés. Elle était l'un desmaîtres les plus discrets de la secte et ses disciples étaient aussi peuvoyants. Silencieuse la plupart du temps, elle n'en possédait pas moins unregard chaleureux qui attirait la sympathie.

Conscients de ce qu'ils lui devaient, les douze autres maîtres la remercièrent, en formant de leurs bras l'arc traditionnel pour s'incliner devant elle.

— Je ne vous apprendrai pas que le temps s'écoule différemment suivant les plans des univers, enchaîna Li Xia Ning. Il est encore plus capricieux dans les interstices qui joignent ceux-ci, et il m'a fallu plusieurs semaines pour vous délivrer de l'entre-monde où vous étiez piégés. Croyez-bien que j'en suis désolé, mais je n'avais droit qu'à un seul essai. Je devais vous ramener tous, ou abandonner définitivement ceux qui s'étaient égarés en chemin. Vous vous êtes heureusement unis inconsciemment pour ne jamais totalement perdre la trace de ceux qui s'éloignaient, et j'ai pu agir.

En écoutant ces paroles, Xue Lian sentit un vertige le saisir. Il n'avait aucun mal à traduire « ceux » par « celui ». Il était responsable de la lenteur de leur sauvetage. S'il était reconnaissant au Grand Maître pour son tact et sa discrétion vis-à-vis de ses frères et sœurs assermentés, son estime de lui-même se détériorait proportionnellement. À peine eut-il conscience de la vague d'énergie bienveillante dont ce dernier le couvrit, et des mots qu'il prononça avec bonté directement dans sa tête.

« Ne te blâme pas, Xue Lian. Tu n'as rien fait de mal. Ce temps a été mis à profit d'une autre manière. Nous devons néanmoins en parler. Rejoins-moi dans le jardin de ma résidence privée demain, lorsque le soleil sera à son zénith. »

Troublé par ces paroles, le maître du vent inclina la tête le plus discrètement possible pour montrer qu'il avait compris et qu'il obéirait. Témoin de cet échange muet, Li Qian De se promit d'interroger le Grand Maître à ce sujet une fois qu'ils seraient seuls. Imperturbable et souriant, celui-ci reprit son allocution de bienvenue comme si rien ne s'était passé.

Trop ébranlé pour suivre son discours, Xue Lian perçut brusquement le poids d'une attention soutenue qui se focalisait sur lui. Se penchant légèrement en avant, il jeta un regard rapide vers sa droite. En croisant les yeux sombres de Jiang Bo, son cœur rata un battement.

Le maître des arts guerriers était connu pour sa franchise et sa façon frontale d'affronter les problèmes. À trente ans,c'était un homme qui plaisait aux femmes et qui n'hésitait jamais à se lancerdans un combat, aussi difficile s'annonçait-il. Mis à part que sa longue chevelure était lisse et qu'il la portait libre de toute entrave, sa musculature sans excès et les traits avenants de son visage n'étaient pas sans ressemblance avec le physique de Siama Feng, ce qui n'aidait pas le maître du vent à se ressaisir.

Jiang Bo le fixait intensément et son expression ne laissait place à aucune équivoque. Il connaissait l'identité de l'âme réfractaire à cause de laquelle le sauvetage des douze autres avait été retardé. Xue Lian se troubla davantage. Comment cela était-il possible, alors que lui-même ne se souvenait que de manière indistincte des tentatives de ceux qui essayaient de le convaincre de rejoindre le groupe ? Conscient de son embarras, le maître des arts guerriers lui adressa un message muet à travers une moue significative : il ne dirait rien.

Totalement déstabilisé, Xue Lian détourna la tête. Garder le contrôle... Il devait se focaliser essentiellement sur cela. S'il se laissait aller à réfléchir davantage, il risquait de s'effondrer lamentablement. Il était à présent si concentré sur la mise en place d'une barrière spirituelle plus solide pour interdire à quiconque de lire ses émotions, qu'il ne remarqua que le discours de Li Xia Ning avait pris fin qu'en voyant celui-ci disparaître dans un rayon de lumière.

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