Chapitre 4
— Comment vont les autres ?
— Mieux à présent, maître. Comme vous, ils étaient terriblement affaiblis, mais rien de très méchant. Après quelques heures de repos, la plupart sont déjà bien vaillants. Vous êtes certainement le plus épuisé, maître Xue.
Son premier disciple l'observait avec insistance. Il quêtait silencieusement une explication. Mais à ce jeu, Xue Lian restait le plus fort et ils se dévisagèrent une longue minute sans rien dire. Étendu dans son lit, le maître du vent se sentait néanmoins vulnérable. Serrant les dents contre des douleurs musculaires toujours bien présentes, il repoussa la lourde couverture pour s'asseoir.
Le voyant peiner, son élève lui vint aussitôt en aide. Un coussin se glissa dans son dos. Reconnaissant, il lui adressa l'ombre d'un sourire. Il s'abstint cependant de répondre à sa curiosité sur son absence de signalisation lors de son retour. Faignant une indifférence qu'il n'éprouvait pas, il demanda :
— Raconte-moi comment s'est terminé notre affrontement avec Wang Long.
Consciencieusement, Ouyang Peng lui narra comment la conjugaison du pouvoir des Treize, canalisé par celui du Sage Suprême, avait finalement vaincu le dragon doré en produisant une terrible explosion. Wang Long avait néanmoins réussi à survivre quelques instants de trop, qui les avaient tous condamnés à mourir brûlés vifs. Une mort atroce, dont la réminiscence arracha un frémissement d'horreur à Xue Lian.
Ouyang Peng fit mine de ne rien remarquer et poursuivit son exposé. Une fois la bête défaite, une brèche était apparue dans les défenses du royaume des Terres Sombres. Li Xia Ning et l'arrière-garde s'y étaient immédiatement engouffrés. Désorientés par le trépas du grand dragon, leurs ennemis s'étaient repliés en désordre, jusqu'à ce que Ji Guo Dong lui-même se manifeste.
Le Sorcier Maudit avait alors engagé un duel mortel contre le Grand Maître de la secte des Treize Lunes, tandis que les troupes toujours en vie des deux factions rivales continuaient de s'entretuer. À son grand regret, Ouyang Peng avait dû se tenir à l'arrière pour protéger les plus jeunes. Il conservait cependant un souvenir particulièrement dur de la bataille qui avait fait rage. Li Xia Ning avait finalement vaincu, laissant Ji Guo Dong pour mort et les créatures qui peuplaient son royaume en déshérence.
Un silence gêné suivit ce récit. À aucun moment son disciple n'avait évoqué sa capture, ainsi que celle de Li Qian De, Wen Meng, Wei San, Ma Dai et Tuobashi Ju, quelques mois avant l'ultime offensive, ni leur réapparition brutale au sein des rangs ennemis. Déterminé à crever l'abcès, Xue Lian remarqua à brûle-pourpoint :
— Tu pensais que nous vous avions réellement trahi, n'est-ce pas ?
Pour la première fois, Ouyang Peng baissa la tête. Comme son rôle l'y prédisposait, il insista froidement :
— Réponds-moi.
Relevant les yeux, son disciple s'expliqua :
— Il y a un an, lorsque nous avons appris que votre groupe avait été capturé, le Grand maîtres a tout mis en œuvre pour vous sauver. Jusqu'à ce que Ji Guo Dong nous persuade de votre trépas. Nous nous doutions qu'il vous avait torturé, mais nous étions sûrs que vous étiez morts sans qu'aucun d'entre vous n'ait aidé nos adversaires.
La voix tremblante, son élève retenait à présent ses larmes. Il semblait s'en vouloir énormément d'avoir cru à la fable du Sorcier Maudit. Il avait abandonné son maître. Ému par ses remords et son affection manifestent, Xue Lian tenta maladroitement de le réconforter :
— Le plan de Li Qian De exigeait ce mensonge. Ji Guo Dong devait avoir la certitude que vous nous pensiez morts, afin de retourner notre désespoir contre vous. Ce mauvais moment est à présent derrière nous.
Il parlait de cette épreuve avec un détachement trompeur. À l'époque, le Sage Suprême ne leur avait expliqué sa stratégie qu'une fois qu'ils avaient tous été faits prisonniers. Une démarche que le maître du vent avait mal vécue, tant ses conséquences l'obligeaient à sacrifier tout ce qui lui était cher.
À demi convaincu par la fin de ses propos, Ouyang Peng hocha la tête avant de reprendre d'un ton chagrin :
— Quand un de nos éclaireurs nous a rapporté que vous marchiez en compagnie de l'armée ennemie, beaucoup ne savaient plus quoi penser.
— Dont toi, commenta avec plus de douceur Xue Lian.
Il ne pouvait tenir rigueur à son disciple. Il ne le comprenait que trop bien au contraire. Depuis les premiers mois de son enseignement, il lui avait appris qu'un pratiquant de leur Ordre ne pliait pas devant la noirceur, qu'il conservait sa droiture en toutes circonstances, qu'il ne désavouait jamais la parole donnée et qu'il renonçait à la vie plutôt que d'enfreindre une de ses trois règles. Or, sous la houlette de Li Qian De, il avait renié les trois.
Le bien contre le mal : la justice contre l'iniquité ; l'honneur contre l'infamie. Un ensemble de bons sentiments et de nobles principes, que la réalité s'était chargée de fouler au pied à ses dépens. Gagner un combat contre un ennemi aussi retors et intelligent que Ji Guo Dong les avait obligés à utiliser le mensonge et la félonie. Il en avait fait l'amère expérience et il en conservait une impression de faute indélébile.
D'un ton morne, parce qu'il refusait de se pardonner cet épisode, il relata :
— Nous étions forcés de donner le change. C'était la seule façon de rallier ce qu'il restait des Treize afin d'affronter le dragon Wang Long collectivement. Il n'existait pas d'autre moyen pour permettre à Li Xia Ning de franchir le seuil des Terres sombres.
— Nous le savons tous maintenant, s'empressa de le rassurer Ouyang Peng. La plupart l'ont d'ailleurs compris en ressentant votre union commune quand vous avez attaqué le dragon doré.
— Mais à un moment, tu as cru que j'avais réellement trahi, reprit Xue Lian.
Le silence de son élève était révélateur. Si Ouyang Peng s'était laissé tromper, il n'osait imaginer ce que Siama Feng avait pensé de lui en découvrant son supposé ralliement. Il avait dû le haïr.
— L'essentiel, c'est que vous soyez revenu maintenant, se rattrapa son disciple en retrouvant un franc sourire, alors qu'il posait une main apaisante sur son poignet.
Le jeune garçon lui signifiait à sa manière qu'il l'affectionnait toujours autant. Xu Lian lui en savait grée, pourtant, il détourna le regard.
— Que se passe-t-il, maître Xue ?
Les yeux obstinément fixés sur le mur qui lui faisait face, le maître du vent retira son bras de l'étreinte douce et protectrice.
— Laisse-moi, à présent, intima-t-il d'une voix froide.
C'était un ordre. La discipline bien rodée n'admettait pas d'objection. Ouyang Peng se releva en silence. Sa lenteur trahissait pourtant sa réticence à quitter la pièce. Xue Lian ne pouvait lui en tenir rigueur. Trop fatigué pour totalement dissimuler ce qu'il éprouvait, il savait que le jeune homme percevait en partie sa détresse à travers leur lien spirituel. Reportant ses iris d'un gris sombre dans celles d'un noir profond de son élève, il ajouta avec plus de douceur :
— J'ai besoin d'être seul.
Contrairement à ce qu'il espérait, ce dernier parut hésiter davantage et il se maudit d'avoir cédé à la gentillesse. Il s'apprêtait à le repousser d'un ton plus cinglant, lorsque celui-ci quitta son chevet en déclarant :
— Reposez-vous, maître. Exceptionnellement je dormirai en bas, dans la grande salle. Oncle Shen m'a déjà préparé un couchage. Du thé attend près de votre lit. Un talisman le conserve à bonne température. Appelez-moi en cas de besoin.
Enfin la porte se rabattit sur son premier disciple. Xue Lian étouffa un soupir de soulagement. Ses émotions allaient pouvoir s'étaler sur son visage sans risquer de trahir la profondeur de son désespoir. Fermant les yeux, il tenta de comprendre la raison de son retour à la pagode du vent.
Si Li Xia Ning l'avait englobé dans son sauvetage, alors c'était que leur Grand Maître le considérait toujours comme le dépositaire suprême des arts du vent. Il comptait sur son concours pour maintenir l'équilibre entre les mondes, satisfaire les créatures magiques, aider les hommes à marcher sur la voie paisible et tenir à l'écart les mauvais de la forêt des Âmes . Mais comment allait-il parvenir à reprendre le cours d'une vie normale après ce qui lui était arrivé ? C'était impossible.
Xue Lian ne doutait pas de la compassion de Li Xia Ning à son égard, tout comme il admettait ne pas devoir être informé du bien-fondé de ses décisions, mais dans son cas, le Grand Maître ne pouvait ignorer à quoi il le condamnait. Xue Lian avait clairement senti la caresse de l'aura puissante de leur Guide avant qu'il ne se sacrifie face à Wang Long.
À ce moment-là, alors qu'il suivait les directives de Li Qian De face au dragon doré, le touché mental de Li Xia Ning n'avait été qu'un doux effleurement. Pour sa part, il était certain qu'il allait mourir. La mise à nue de son secret avait d'autant moins d'importance à cet instant, qu'il possédait encore suffisamment de forces pour sceller sa faute aux autres. Mais leur Grand Maître avait bel et bien perçu la raison de sa détresse. Il n'ignorait rien de sa véritable trahison. Il savait... Il avait lu en lui bien au-delà de sa fausse allégeance à Ji Guo Dong. Il connaissait son crime.
Dans ce cas, pourquoi avait-il intercédé pour le ramener à la vie avec ses semblables ? Pourquoi le forçait-il à mentir encore ? Pourquoi lui imposait-il de jouer ce rôle, pour lequel on l'avait forgé, et qui le détruisait ?
Malgré toute la déférence qu'il devait à leur Grand Maître, Xue Lian jugeait sa décision injuste et cruelle. Qu'il ait veillé à restaurer la matérialité de ses frères et sœurs d'infortune, ça oui, il le comprenait. Mais lui, de quelle utilité serait-il à présent ? Il avait perdu une partie de lui-même dans cette guerre et il n'avait pas le droit de révéler à quiconque ce que l'autre recelait. Intérieurement, il en pleurait comme un enfant.
Combien de temps parviendrait-il à garder son masque de froideur ? À conserver son inflexibilité ? À ne rien montrer ? À nier sa propre souffrance ? Et plus que tout, à demeurer inaccessible aux autres. ? À tous les autres, Siama Feng y compris
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