33. Lueur d'espoir (1/2)
Blottie contre mon oreiller, je contemple la photo de ma mère biologique. Ce cliché qui la capture en plein tissage ne me quitte plus depuis que je l'ai trouvé. J'ai beau l'avoir regardé des dizaines, peut-être même des centaines de fois, je ne m'en lasse pas. Avec ce que je sais, cette contemplation est aussi belle que destructrice, elle apaise mon âme et déchire mon cœur.
Où que je sois et quoi que je fasse, à chaque instant, le vide me rattrape et je coule de nouveau. Les journées sont longues et chaque seconde passée sans fondre en larmes est un exploit. Le seul point positif, c'est qu'à l'exception de quelques consignes sommaires, Carlos n'a plus cherché à rentrer en contact avec moi. Si je ne l'évitais pas moi-même comme la peste, je pourrais presque croire qu'il m'ignore.
Tac ! Tac !
Je m'apprêtais à sombrer pour le reste de la soirée, mais il suffit d'un bruit d'impact contre ma vitre pour renverser la donne. Alertée, je me redresse. Il n'y a à ma connaissance qu'une seule personne susceptible de m'adresser ce genre de signal.
Un mélange de curiosité et d'espoir m'encourage à me lever pour traverser la pièce. Mes soupçons se confirment dès l'instant où je penche la tête à travers la fenêtre.
— Rafael ?
Le regard déterminé de l'accordéoniste perce la pénombre de la rue.
— Je suis venu te chercher. Il est temps qu'on parle.
Le son de sa voix m'apaise et m'aide à réaliser à quel point il m'avait manqué. Je descends si vite que je ne prends même pas la peine de reposer mon oreiller ni d'enfiler un pull par-dessus mon débardeur de pyjama.
Je referme doucement la porte et m'approche de Rafael à pas feutrés. Son regard luit d'émotions difficiles à déchiffrer. Empathie, curiosité, excitation ?
L'accordéoniste s'avance à son tour. Les yeux dans les yeux, nous nous rapprochons jusqu'à pouvoir étudier chaque détail du visage de l'autre. Nous nous stoppons quand nos pieds ne sont plus qu'à un centimètre de distance, comme si chacun refusait de franchir trop vite ce cap de proximité. Il ne nous faut finalement que quelques secondes pour fondre l'un sur l'autre dans une embrassade spontanée qui me fait lâcher mon coussin.
— Ana... Tu m'as tellement manqué.
Le murmure de Rafael sonne comme une caresse pour mon cœur et mon esprit. Pour la première fois depuis ces quatre jours qui m'ont semblé durer une éternité, et au beau milieu de cette rue sombre, j'ai la sensation d'enfin voir de la lumière. Mon cœur palpite un peu trop fort, comme si ma cage thoracique atrophiée peinait à lui trouver la place dont il a besoin.
— Toi aussi tu m'as manqué, Rafael, lui soufflé-je en retour. Si tu savais tout ce qui s'est passé...
— Est-ce que... Est-ce que tu veux en parler ?
— Oui, mais pas ici.
Je ramasse mon oreiller et tire Rafael par le bras afin d'éviter de passer aux confessions sous la fenêtre d'Elvira. Une fois installée sur un banc de la plaza San Diego, mon coussin fermement serré contre moi, je décide de lui livrer cette nouvelle si douloureuse :
— J'ai appris que... María-Carolina Herrera, elle... Elle est morte. Et c'est Carlos qui l'a tuée...
Je me recroqueville contre mon coussin et ravale les larmes qui menacent déjà mes yeux brûlants. À ma grande surprise, le visage de Rafael reste impassible.
— Ah oui... commente-t-il. Tu me croirais si je te disais que c'est exactement ce qu'on m'a dit, à moi aussi ?
Interpellée, je me redresse pour le sonder avec insistance.
— Quoi ? Mais... Quand est-ce que tu l'as appris ?
— Juste avant notre dernière conversation... Un messager est venu me délivrer tout un tas d'informations provenant d'une source anonyme, dont ce fameux trafic. De ce que j'ai compris, l'export de marchandises permettait de faire circuler les émeraudes vers d'autres pays sans avoir à les déclarer. Les sacs servaient de cachettes, ils dissimulaient des pierres dans leurs doublures. Même en cas de contrôle, personne ne les aurait trouvées.
Si ses explications m'aident à mieux saisir l'origine de cette histoire de trafic, je n'en mène pas large. Peu importe la raison, ces histoires ont entraîné la mort de ma mère biologique, et cette simple pensée me révolte.
— D'après cette mystérieuse source, María-Carolina se serait tirée avec l'argent, ce qui n'aurait pas trop plu aux Maestre. C'est pour cette raison que Carlos aurait décidé de la tuer.
Je me sentais déjà à fleur de peau, et apprendre que Rafael a eu écho de ma propre histoire bien avant moi m'insuffle une nouvelle bouffée de colère.
— Et tu as appris tout ça juste avant notre dernière conversation ? Mais enfin, elle remonte à plus d'une semaine ! Comment tu as pu me cacher de telles informations ?
— Ana, je comprends ta réaction... Mais laisse-moi au moins une chance de t'expliquer.
Je baisse les yeux en serrant les poings pour me contenir. Percevant sans doute dans mon silence une porte ouverte, Rafael poursuit :
— Mon premier réflexe a été de venir te chercher pour t'en parler. Quand j'ai débarqué sans prévenir à Color Caribe en prétextant devoir te voir urgemment, c'était de ça dont il s'agissait. Le truc, c'est qu'après le dérapage de notre conversation, j'ai commencé à douter. Ce sont des accusations graves et le fait qu'elles proviennent d'une source anonyme était louche. C'est à ce moment que j'ai décidé de faire profil bas, le temps de vérifier ces informations.
— Peut-être, mais je méritais quand même de savoir, tranché-je en abattant mon poing sur mon coussin. Au final, j'ai fini par l'apprendre au pire moment...
— Je suis désolé, Ana. Je sais que je n'ai pas toujours fait les meilleurs choix... Et, crois-moi, je regrette de ne pas avoir pu t'accompagner sur ces derniers jours difficiles.
Je soupire. J'ai beau lui en vouloir, Rafael semble sincèrement navré et, dans le fond, je comprends sa réaction.
— Ce n'est pas grave, c'est comme ça de toute manière. Le passé, c'est le passé.
Ce qu'en la prononçant que je réalise la portée de cette phrase. Le passé, c'est le passé... Certes, mais où s'arrête-t-il exactement ? Et que faire quand le passé conditionne tant notre présent ?
— Eh bien, peut-être pas complètement, avance l'accordéoniste en tournant son buste pour me faire face. Si je suis venu te trouver, c'est justement parce que j'ai d'autres informations à te transmettre.
— D'autres informations ? Si tu es venu me dire que Santiago est mon père, c'est trop tard, ça aussi je le sais déjà.
— Attends, Santiago est ton père ? répète Rafael d'un air hagard.
— Quoi, tu ne savais pas ?
— Non... ça ne manque pas m'étonner, mais... Ce n'est pas de ça dont je voulais te parler.
L'accordéoniste marque une courte pause, avant de reprendre d'une voix plus assurée :
— Il s'agit plutôt d'une autre version des faits... Carlos n'a pas tué ta mère, Ana. María-Carolina Herrera est bel et bien vivante.
Cette déclaration me fige sur place et, très vite, je sens la méfiance s'immiscer en moi.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Carlos l'a dit, et je sais très bien ce que j'ai entendu !
— Et moi, je maintiens qu'il ne dit pas la vérité. Il ment à sa famille sur toute cette histoire, parce qu'il ne l'a jamais tuée. Et c'est Carlos lui-même, qui me l'a dit.
— Carlos lui-même ? Parce que tu lui as parlé ?
Ma question arrache un sourire à Rafael.
— Il fallait que je le fasse. Pour avoir la vérité sur cette histoire... Et pour toi, surtout. Le messager qui m'a délivré ces informations répétait que Carlos n'était pas quelqu'un de bien et que la personne l'ayant envoyé souhaitait rendre justice. Et si, crois-moi, j'ai été tenté de le croire sur ce point, j'ai tout fait pour rester objectif. J'ai beau détester ce type, porter de telles accusations sur quelqu'un n'est pas anodin. Alors j'ai décidé de lui parler pour démêler le vrai du faux...
— Attends une minute, coupé-je en levant ma main. Si tu es allé lui parler de tout ça, ça veut dire que Carlos est au courant de qui je suis vraiment ? Il... Il sait que je suis la fille de María-Carolina Herrera ?
— Oui, il le sait... Mais il n'a pas eu l'air si surpris que ça, alors je suppose que ce n'est pas moi qui le lui ai appris.
Mon cœur manque un battement. Bon sang... Carlos savait déjà ? Est-ce pour cette raison qu'il m'évite ? Depuis quand le sait-il et, si ce n'est pas de Rafael, de qui l'a-t-il appris ?
— Mais, qu'est-ce qui nous prouve qu'il dit vrai ? opposé-je avec prudence. Et s'il ne cherchait pas plutôt à se couvrir pour éviter que cette histoire de meurtre ne s'ébruite ?
— Je me suis aussi posé cette question... Au final, il n'y aura qu'une manière de nous en assurer.
Sondé par mon regard inquisiteur, Rafael cède :
— Carlos m'a dit qu'il pouvait entrer en contact avec María-Carolina pour savoir où elle était. Et c'est ce qu'il va faire.
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