31. Le prix du silence
Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
Affalée sur le lit de Carlos, je fixe le plafond sans bouger. Une petite voix me souffle que je devrais partir, mais je suis incapable de remuer ne serait-ce qu'un orteil.
J'ai beau retourner la chose dans tous les sens, je n'arrive pas à comprendre ce que fiche la chaîne de María-Carolina Herrera dans les affaires de mon boss. Si j'en crois ses mots, il n'avait que dix ans au moment où ma mère a quitté Cartagena. Carlos a-t-il retrouvé ce collier à l'hôtel après coup ? Non, ça n'a pas de sens, María n'aurait pas oublié la chaîne de ses parents décédés. Peut-être que ses soucis financiers l'ont poussée à la vendre aux Maestre ?
Des bruits de pas dans les escaliers me tirent de ma réflexion. En identifiant la voix de Carlos, je réalise que j'aurais dû quitter la chambre il y a belle lurette et me redresse d'un bond. S'il me trouve ici, je suis fichue pour de vrai !
Les mains moites, je glisse l'amulette dans le sachet et le replace dans le coffret de bijoux. En sentant les voix s'approcher, je comprends que je n'aurais pas le temps de quitter la chambre. Prise d'une poussée d'adrénaline, je m'élance pour rouler sous le sommier. Le timing est parfait car, pile au moment où m'y faufile, la porte s'ouvre. Depuis ma cachette, je vois deux paires de chaussures franchir le seuil : les baskets noires de mon jefe et des mocassins en toile.
— C'est ça, ta chambre ?
Je m'efforce d'inspirer calmement afin d'apaiser mes tremblements. Mon dos ruisselle de sueur et j'ai si peur que mon cœur est à deux doigts de sortir de ma cage thoracique.
— Oui.
En voyant fléchir les genoux de mon patron, je retiens ma respiration. Ai-je laissé quelque chose traîner, a-t-il deviné que j'étais cachée sous son lit ?
— Tiens, prends celle-là, je m'occupe du champagne.
Je réprime un soupir de soulagement en voyant qu'il ne fait que soulever la caisse de vin que nous avions laissée dans la chambre. Les baskets noires se dirigent vers la porte d'entrée, quand les mocassins le rattrapent.
— Attends, Carlos. Faut qu'on parle.
— Quoi, qu'est-ce que tu veux, Eric ?
Comprenant qu'ils ne sont pas prêts de partir, je décide de me concentrer sur leur conversation pour tromper ma peur. Le nom Eric, notamment, me renvoie aux quelques discussions que nous avons eues sur sa famille. Au moins, je sais désormais que c'est avec son frère qu'il parle.
— Je préférais te voir seul à seul pour éviter d'en remettre une couche avec les parents, mais faut que tu te bouges, là.
Le silence qui s'en suit me laisse deviner les appréhensions de Carlos.
— Que je me bouge ? Parce que tu crois quoi, que je me tourne les pouces ? Je vous avais pas vu depuis des années, toi et les parents. Je sais très bien que vous êtes venus ici uniquement pour cette affaire, je suis pas con.
— Oh, Carlos, s'il te plaît, arrête de noyer le poisson. Ne m'oblige pas à revenir sur la manière dont tu as géré le trafic de Color Caribe à l'époque.
Toujours tapie dans l'obscurité, je fronce les sourcils. Le trafic de Color Caribe ?
— Pour la centième fois, je te rappelle que j'ai rien eu à voir avec le départ de cette femme. Faire passer des émeraudes dans les sacs d'une créatrice indépendante, c'était un plan risqué, on le savait tous très bien !
Je tente de me dépêtrer avec ces informations, mais la tâche n'est pas simple. Faire passer des émeraudes dans les sacs d'une créatrice indépendante ? C'est de ma mère, dont ils parlent ?
— Ce débat n'évoluera jamais avec toi, mais je suis pas venu pour épiloguer là-dessus, soupire le frère de Carlos. Ce qui nous intéresse, c'est la superbe idée que t'as eue ensuite.
— J'ai fait que venger l'honneur de notre famille, comme tu m'avais dit de le faire avant de te rabattre lâchement, t'as oublié ?
— Et c'est reparti, le pauvre Carlos joue la victime, comme toujours... C'est pas de ma faute si ton cerveau tordu a déformé mes paroles, frangin. Le souci que t'as pas l'air de bien saisir, c'est qu'on va se retrouver à payer pour tes erreurs, si tu te magnes pas un peu. La fille de la radio est sûrement en train d'avancer bien plus vite que toi ! Alors je te le répète : si la mort de cette femme s'ébruite et que ton nom y est associé, crois-moi, on te le fera payer.
La mort de cette femme ?
Ces paroles s'écrasent sur moi dans un choc d'une violence sans précédent. J'ai l'impression que le lit et l'intégralité de l'hôtel viennent de s'effondrer sur ma tête.
— Personne n'en saura rien, je te dis. Laisse-moi gérer ça, tu sais que c'est pas simple.
Contre toute attente, je reste d'un calme olympien. Je ne sais pas si c'est parce que je continue à espérer que tout ça ne soit qu'un énorme malentendu, ou que ma sidération m'empêche de bouger le moindre muscle.
— Quoi, tu vas encore nous parler de ton ami le gangster ? Putain, Carlos... T'as rendu service à tout le monde, en refourguant ce bébé à l'adoption. Il était voué à une existence merdique, avec des parents pareils.
Si j'étais déjà complètement chamboulée, cette dernière réplique marque le coup de grâce.
Ce bébé ? Attendez, c'est bien de moi que l'on parle, là ?
— J'en suis aussi convaincu que toi, mais crois-moi, Santiago ne penserait pas pareil. S'il apprend que je lui ai caché l'existence de sa seule fille, c'est fini pour moi !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top