21. 11 de Noviembre (2/2)

[Photo : défilé du 11 novembre sur les fortifications de la ville]


Nous passons le reste de la matinée à préparer la journée qui nous attend. Les garçons étant partis chercher leurs propres déguisements, nous en profitons pour rejoindre notre troisième mousquetaire et lui partager le programme.

Mes amies sont splendides. Sara a noué un bandana qui retient ses tresses africaines et dégage ses oreilles, où sont suspendus d'énormes pendentifs aux couleurs vives. Juli, quant à elle, a noué ses cheveux en deux longues tresses qui descendent jusqu'à son nombril.

Pour ma part, j'ai glissé une broche ornée d'une fleur en tissu aux couleurs de la Colombie dans mes cheveux raides et orné mes poignets habituellement nus de bracelets brésiliens. Moi qui opte généralement pour des couleurs plus sobres, je reconnais que ce style me plaît bien. Serais-je en train de me laisser influencer par la mode caribéenne ?

Nous sommes immergées dans l'atmosphère de ce jour de fête dès notre premier pied dehors. Il faut dire que tout le centre historique est paré de drapeaux, de musique et de confettis. En quelques minutes à peine, nous rejoignons les remparts en pierre pour le défilé.

La danse des couleurs se mêle au désordre, aux chants harmonieux, au rythme des percussions et aux bruits de pétards qui explosent. Je reste figée sur le bord de la piste, émerveillée par la contemplation de ce spectacle.

— Hé, on est là !

La voix de Sara m'arrache à cet instant de béatitude. En suivant son regard, je découvre un groupe déguisé que je peine à reconnaître. Le premier que j'identifie est Sebastián, déguisé en corsaire espagnol, puis Iván qui, torse-nu, arbore une grande coiffe à plumes.

— Tu es très belle, morenita.

Je me retourne pour tomber nez à nez avec Rafael, vêtu d'une tunique blanche et coiffé d'un chapeau aux bords retournés.

— Merci, c'est gentil, sourié-je.

Je détaille ses habits en tentant de deviner ce qu'il représente, mais l'intervention de Juli coupe court à ma petite enquête :

— Bon, expliquez-nous. C'est quoi, le thème de vos déguisements, au juste ? S'il y en a un...

— Détrompe-toi ! conteste Sebastián. À la base, il y en avait un : on voulait incarner différentes figures de la bataille d'indépendance. C'est pour ça que je me suis déguisé en conquistador et qu'Iván, a choisi un costume ethnique africain... Puis, ça a un peu dérivé. D'abord, il y a Tico qui a décidé de s'habiller en indigène wayu...

— Et je ne vois pas pourquoi ça serait considéré comme hors sujet ! accuse Rafael. Les fiestas novembrinas sont le moment d'incarner ses racines, d'être fier de son héritage culturel...

— Mouais, ça peut s'entendre, concède Sebastián. Mais va trouver une explication à... ça.

Le prof de boxe désigne son voisin, coiffé d'une perruque blonde et vêtu d'une jupe à frange.

— Rolando ? m'étonné-je.

— Comment ça, tu ne reconnais pas notre splendide Shakira ? ironise Iván.

— Ouais, bon, ça va ! rouspète Rolando. Je suis le seul gars de la fratrie, c'est tout ce que j'ai trouvé chez moi.

— En soi, ça se défend, concède Iván. Après tout, c'est une figure colombienne mondialement connue !

— Ne t'en fais pas, Rola. Tu fais une superbe Shakira, le console Sara en lui tapotant l'épaule.

Un éclat de rire s'élève au sein du groupe.

— Bon, c'est bien beau, mais la fête nous attend... déclare Sebastián. Et, avant de partir, il va falloir s'alléger un peu. Je propose donc qu'on boive tous un peu de cette bouteille de rhum !

Quelques gorgées chacun plus tard, la bouteille est vide et nous sommes d'attaque pour rejoindre le cortège. Entraînée par l'euphorie ambiante, je me laisse tirer par la main de Sara et Juli.

Le ballet chaotique de la foule me submerge. Nous avançons dans le sillage rythmé des chars du défilé et, à chaque coup d'œil, je découvre un nouveau déguisement, de nouveaux visages. Le parcours est bordé d'un côté par des petits commerces parés de drapeaux, de l'autre par une muraille basse ouvrant sur une mer qui s'étend à l'infini. Devant moi, Sara et Sebastián livrent déjà une bataille sans pitié, soulevant de grands nuages de maicena sur le fond bleu azur.

— Alors, les festivités te plaisent ? m'interroge Rafael en relevant un coin de ses lèvres.

Je m'apprête à lui répondre, quand une voix tonitruante coupe court à notre discussion :

Cómo está mi hermosa gente de Cartagena ?

Je me retourne. L'imposant char qui surplombe le cortège met en scène un homme tout de noir vêtu, accompagné de belles femmes saluant la foule. D'énormes baffles font vibrer la foule au rythme d'une musique dont le cortège répète à l'unisson les paroles :

« Suena, suena buscapies ! »

— J'adore, lâché-je d'un air béat. Qui sont ces femmes ?

— Des reines de beauté. Ne me demande pas pourquoi... L'élection de la représentante de notre pays pour le concours de Miss Univers est associée depuis longtemps aux fêtes d'indépendance. Ce char est celui de Miss Cartagena, alors tu te doutes bien qu'il fait sensation !

J'acquiesce en détaillant les reines de beauté, quand Rafael ajoute :

— Hé, au fait, Ana !

Un impact mou s'écrase sur mon épaule et je me retrouve soudain prise dans un nuage blanc. Le sourire triomphant de l'accordéoniste perce entre les particules aériennes.

— Alors là, tu vas me le payer !

Ma cible détale dès que j'empoigne mon sac de maicena, mais je me lance à sa poursuite en me faufilant à travers les groupes. Quand nous nous retrouvons coincés contre une barrière et que je l'inonde de poignées de fécule, Rafael se retourne et me vide le reste de son sac dessus. J'en fais de même, et complète mon œuvre en explosant quelques bombes à eau sur sa tête.

— OK, OK, c'est bon, je me rends ! Tu es sans pitié, Ana-Lucía !

— Moi, sans pitié ? Rappelle-moi, qui a initié cet affront ?

Je tente de le fixer d'un air impassible, mais échoue lamentablement. Comment rester sérieux face à son visage suppliant, ruisselant d'eau et de maicena ? Rapidement, Rafael me rejoint et nous sommes pris d'un fou-rire.

— Bon, maintenant que cet affront est terminé, il vaut peut-être mieux qu'on retrouve le groupe, proposé-je.

Nous entreprenons de chercher les déguisements de nos amis, mais la tâche s'annonce ardue. J'en viens presque à regretter d'avoir cédé à mes envies de vengeance.

— Je vais essayer de les appeler...

J'acquiesce mais, au moment où Rafael dégaine son téléphone, ma vue est happée par un visage dans la foule. Un visage que je n'aurais jamais pensé retrouver ici.

Un visage lisse, à la peau ambrée et aux traits doux. Je reconnais les yeux en amande, le nez arrondi et les reliefs aplanis qui me hantent depuis que j'ai trouvé cette photo d'elle. Mais surtout, ces yeux émeraude. Je les observe, et tout se fige autour de moi. Quand elle se retourne pour continuer sa marche parmi la foule, je ne réfléchis pas et me mets à courir.

— Ana ? s'étonne Rafael. Tu les as vus ?

Je ne prends pas la peine de lui répondre, trop concentrée sur l'océan de têtes que je dois traverser.

— Hé, attends-moi ! Il ne faut pas qu'on se sépare !

Je continue de me faufiler parmi le cortège, cherchant avidement ce visage désormais gravé sur ma rétine. Je ne dois pas tourner la tête, je ne peux pas tourner la tête, ce serait prendre le risque de perdre ma seule direction dans cette marée humaine. À quoi peut bien ressembler ma mère biologique de dos ? Je me suis tellement focalisée sur son visage que je n'ai aucune idée des vêtements qu'elle portait. Mue par l'énergie du désespoir, je me mets à taper l'épaule de toutes les femmes aux cheveux noirs que je croise.

— Excusez-moi, madame, je... Oh, désolée, je me suis trompée.

Des visages se tournent un à un vers moi, mais aucun ne s'apparente à celui que je cherche. Chaque essai est une petite déception à essuyer, et je sens chaque précieuse seconde filer entre mes doigts impuissants.

— Ana, tu peux me dire à quoi tu joues ?

Lorsque Rafael tente de me retenir, je le repousse en m'exclamant :

— Ma mère adoptive ! Je l'ai vue, je... Aide-moi à la trouver !

— Hein ? Qu'est-ce que tu racontes ? C'est impossible, qu'est-ce qu'elle pourrait bien...

— Je te jure que c'est elle. Je l'ai reconnue, j'ai vu son visage, le même que sur la photo ! Elle s'est retournée et maintenant, je n'arrive plus à la retrouver !

Je n'attends pas pour filer de plus belle. Rafael, comprenant qu'il n'a pas trop le choix, s'élance à ma poursuite. Nous passons ainsi plusieurs longues minutes à écumer la foule.

— Ana, je crois qu'on a perdu notre route, là.

La main de Rafael vient se poser sur mon épaule, m'arrachant un soupir. Je sais qu'il a raison. Nous avons autant de chances de retrouver ma mère biologique dans ce cortège que de mettre la main sur une perle noyée dans une plage de sable...

— Qu'est-ce qu'on peut faire ? me lamenté-je. Il y a forcément un moyen !

Morenita, tu sais, quand on cherche quelqu'un à tout prix... ça peut nous arriver de la voir un peu partout. Tu as peut-être cru voir son visage dans celui d'une femme qui lui ressemble.

Je baisse les yeux. Toute l'adrénaline qui m'animait est désormais retombée et je me sens vide. Bien que cela me coûte de l'admettre, Rafael a certainement raison. Il faut que je me fasse à l'idée que je ne croiserais pas ma mère biologique à Cartagena...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top