21. 11 de Noviembre (1/2)

[Photo : Le défilé du 11 novembre. Plus de photos en fin de chapitre !]


Cet interrogatoire avec Carlos ne fait que m'embrouiller davantage. Qui croire, entre la fille de William qui pourrait avoir une version erronée des faits, ou mon patron trop impliqué pour me dire toute la vérité ? Pire, a-t-il découvert qui je suis ? Mon seul espoir réside dans le fait qu'il n'ait pas rattaché mon nom ou quoi que ce soit me concernant à « la pelada ».

Rafael, loin d'être aussi perdu que moi, débarque sans cesse avec une nouvelle théorie. Le premier jour, il suppose un lien de parenté entre la famille Maestre et ma mère biologique, ce qui expliquerait leur étrange partenariat et l'intérêt de Carlos pour ma quête. Le deuxième, il se demande si Camila n'a pas été manipulée par son père dans l'intérêt de mon patron, faisant de William le correspondant téléphonique inconnu. Le troisième, il décrète que Carlos est chargé de glaner des informations à notre sujet et qu'il possède déjà une longueur d'avance sur nous – et là, je comprends que l'évidente surchauffe de son cerveau commence à le rendre parano.

En l'entendant mitrailler ma fenêtre pour le quatrième jour d'affilée (exit le téléphone, il semble avoir fait des cailloux son mode d'appel privilégié), je soupire. C'est décidé, aujourd'hui, je fais la morte. Les théories de Rafael commencent à me faire vriller et, en plus, c'est mon jour de repos. J'aimerais en profiter pour laisser souffler un peu mes neurones, est-ce trop demander ?

Affalée sur le lit, j'écoute les impacts se succéder sur ma malheureuse fenêtre en me persuadant que Rafael-Santos va finir par renoncer de lui-même.

— Ana, hija, ton arrocito en bajo est en bas, je crois... Tu devrais lui ouvrir avant qu'il ne finisse par casser la vitre.

Je n'ai pas besoin de lever les yeux pour deviner le sourire entendu d'Elvira, qui glisse sa tête dans l'entrebâillement de la porte. À croire que le ciel a décidé de s'acharner, aujourd'hui...

— Et, par pitié, fais-le avant que Carlos ne le voie, ajoute-t-elle. Il est encore en plein dans sa compta et je n'ai aucune envie de gérer un nouveau scandale.

Réalisant que l'assistante a fait le lien entre l'ennemi juré du jefe et ledit arrocito en bajo, j'ouvre grand les yeux.

— Euh... Je...

— Ne t'en fais pas, je ne lui dirais rien, me rassure Elvira d'une voix mielleuse. Pour une fois qu'il se passe quelque chose, ici ! Pourquoi est-ce que je mettrais fin à cette histoire d'amour tragique que je peux suivre en direct depuis ma chambre ?

— Elvira, je t'arrête tout de suite, ce n'est pas du tout une...

— Tss, m'interrompt l'assistante en collant un doigt à ses lèvres. Ne gâche pas la magie, Ana...

À défaut de me réjouir, ses paroles me procurent au moins l'énergie de me hisser du lit. L'envie de mettre fin à cette conversation a dû primer sur la flemme, je suppose.

En retrouvant le lanceur de cailloux sur le pas de la porte, je n'attends pas pour lui faire part de mes états d'âme :

— Rafael, c'est bien que tu sois emballé par nos recherches, mais si tu pouvais m'épargner ta dernière théorie le temps que je...

— Salut, Ana !

Alpaguée par une voix familière, je tourne la tête.

— Sebastián ?

Le chanteur du groupe me sourit, un carton entre les mains.

— On est venus ramener quelque chose pour Sara, mais cette tête en l'air n'est même pas fichue de répondre à nos coups de fil...

— J'aurais bien sonné à la porte, mais j'aimerais autant ne pas me faire casser la figure, précise Rafael. Alors dépêche-toi de nous faire entrer, avant que Carlos me voie !

Je me décale pour laisser passer les deux garçons. Nous traversons le patio quand Rafael se penche vers moi :

— Alors, comme ça, mes théories te saoulent ?

— On parlera de ça plus tard, tranché-je d'un air entendu. Ce n'est pas le moment.

La porte entrouverte de la cuisine laisse apercevoir Sara en plein ménage. Sebastián colle un doigt sur sa bouche avant de déposer son carton pour s'approcher à pas de loup.

— Devine qui est là, déclare-t-il en posant ses mains sur ses yeux.

— Sebas !

L'afro-caribéenne se retourne pour le serrer dans ses bras.

— Alors, vous avez trouvé ? s'enquiert-elle.

— Et comment, qu'on a trouvé ! Voici la commande de madame...

Sebastián ouvre le carton sous les yeux excités de mon amie, qui s'empresse d'y plonger ses mains. Les étoffes qu'elle révèle déclinent les couleurs chatoyantes du drapeau colombien : le jaune, le bleu et le rouge.

— Génial ! s'extasie-t-elle.

— Qu'est-ce que c'est ? l'interrogé-je d'un air curieux.

Mon amie relève ses yeux pétillants en se frottant les mains.

— Je vous ai préparé une surprise, à Juli et toi, pour les festivités du 11 novembre.

— Hein ? Il y a des festivités, aujourd'hui ? m'étonné-je.

— Attends, tu n'es pas au courant ?

— Je vous rappelle que je suis nouvelle, ici... Je n'ai pas connaissance de toutes les fêtes locales.

Ma réplique fait bondir l'afro-caribéenne.

— Les fêtes locales ? Ce n'est pas d'une soirée poker chez la voisine dont il est question, mais de la célébration nationale de l'indépendance de la Colombie, Ana !

— Oh, lâché-je d'un air pantois.

— Comme tu dis, me glisse Sebastián. On ne plaisante pas avec le 11 novembre, ici... Cette fête est importante à l'échelle du pays, et d'autant plus à Cartagena.

— Ah oui ? Pourquoi ?

— Cartagena a eu un rôle très important dans la prise d'indépendance du pays. C'est ici qu'a été créée la Constitution autonome, et c'est aussi ici que les troupes espagnoles se sont rendues. À l'époque, les navires du roi avaient encerclé la forteresse de San Felipe de Barajas, mais les patriotes ont refusé de se rendre. Ils ont survécu là-haut pendant cent-sept jours, jusqu'à réussir à s'échapper par un passage secret. C'est leur contre-attaque qui a fait couler les navires ennemis et, aujourd'hui, on appelle Cartagena « La Heroica », en référence à cet acte de résistance.

— C'est dingue, cette histoire ! Je comprends mieux votre attachement...

— Oui, on est très fiers de cette prise d'indépendance. Tous les cartageneros ont participé à la rédaction de la Constitution autonome, y compris les plus pauvres ou les personnes de couleur, à l'époque persécutées par les autorités blanches. Cette date célèbre une victoire commune, un événement qui a rassemblé les gens. Alors forcément, tout le monde s'approprie ces festivités et veut continuer à les faire vivre.

Excitée par le récit de Sebastián, je réunis mes mains en sautillant.

— J'ai hâte de voir ça ! Quand est-ce qu'on y va ?

— Quand on aura mis nos robes, tranche Sara. C'est important, de soigner sa tenue pour marquer le coup. Je nous ai prévu des modèles aux couleurs de la Colombie... Comme ça, on sera assorties !

L'afro-caribéenne déplie l'étoffe qu'elle tenait entre ses doigts pour révéler une longue robe à volants tricolore.

— Oh, Sara, c'est adorable ! Les robes sont superbes !

— Pour ça, tu peux remercier Sebastián. Je n'avais ni le temps, ni l'argent pour aller en acheter, alors je l'ai missionné de nous en trouver chez lui.

— Ça n'a pas été compliqué, précise humblement le chanteur. Entre mes sœurs, mes cousines et mes tantes, j'ai eu l'embarras du choix. J'ai fait en fonction des tailles que Sara m'a données, j'espère que ça ira...

— Eh bien, on va tester ça de suite, lance Sara.

Mon amie empoigne le carton et me tire vers la remise voisine. Une fois dévêtue, je glisse ma tête à travers le col de ma robe et dispose les volants sur mes épaules. Les couches de jupons tricolores virevoltent lorsque je tourne.

— Tu es magnifique, Ana. Une vraie cartagenera !

En me tournant, je croise le visage ému de mon amie, dont la peau couleur chocolat fait ressortir d'autant plus les couleurs de la robe.

— Si j'en suis une, c'est bien grâce à Juli et toi, lui adressé-je en posant ma main sur son bras.

Ay, Uchi... Sortons avant que je me mette à pleurer. Il faut montrer ça aux garçons !

J'acquiesce et la suis hors de la remise. En nous voyant, Rafael et Sebastián poussent des sifflements admiratifs.

— Waouh, les filles ! Je suis fier de mon choix ! s'exclame le chanteur.

Nous leur répondons d'un grand sourire, avant que Sebastián n'ajoute :

— Et ce n'est pas tout... Je nous ai ramené des provisions !

Pour illustrer ses mots, le chanteur sort tour à tour des sachets en plastiques remplis d'eau, des pétards, une bouteille de rhum et ce qui ressemble à des paquets de farine.

— Oh, de la maicena ! couine Sara. Tu as vraiment pensé à tout !

— Désolée si je passe pour une ignorante, mais qu'est-ce qu'on va faire avec ça ? demandé-je. Le rhum et les pétards, je peux comprendre, mais la fécule...

— La maicena te sera bien utile si tu veux te défendre dans la bataille sans pitié qui t'attend...

Je prends un petit temps pour étudier ses paroles, avant de conclure d'un air solennel :

— OK. Je sens que je vais adorer cette fête.

* * *

Comme promis, voici plus de photos ! D'abord, comment j'imagine les robes de nos 3 mousquetaires :

Ensuite, voilà LA chanson des fêtes d'indépendance en Colombie (buscapié = pétard)

https://youtu.be/NGTU7x1ziF0

Et d'autres photos de costumes, en cadeau :



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