19. Révélations inattendues au QG
— C'est vrai ? Attends, laisse-moi sortir le pop-corn. Après la serenata en bas de chez toi et le rencard clandestin, qu'est-ce qu'il a tenté encore ? Une demande de fiançailles au beau milieu de ton club de boxe ?
La question de Sara fait lever les yeux de Juli. Attablées à notre habituelle Juancho Super-tienda, notre trio se partage les derniers potins et, comme d'habitude, Rolando est à la une.
— Quand même, il n'irait pas jusque-là... Mais figurez-vous que, maintenant que je vois quelqu'un, il n'arrête pas d'essayer de saboter mon coup !
— Attends, tu vois quelqu'un ? répète Sara en repoussant sa bouteille de bière à moitié pleine. Comment ça se fait qu'on en sache rien ?
Juli triture sa capsule en se raclant la gorge.
— Je ne vous en ai pas parlé avant parce qu'on préfère faire profil bas pour le moment. Ce n'est que le début, on ne veut pas tirer de plans sur la comète...
— Por favor, Juli... souffle Sara. Profil bas ou pas, tu ne peux pas nous cacher ça ! Qui est cette mystérieuse conquête ?
— Il s'appelle Adrián, cède l'amoureuse dans un sourire. On s'est rencontrés au club de boxe.
— Ah, tiens... Je comprends mieux comment Rola en est venu à s'en mêler. Il doit être furieux qu'on vienne marcher sur ses platebandes...
La comparaison taquine de Sara fait réagir mon amie au quart de tour.
— Sur ses platebandes ? C'est moi que tu assimiles à un vulgaire coin d'herbe au bord d'un trottoir ? Puis, le fait de me draguer ne fait en aucun cas de moi sa propriété !
— Je rigole, Juli. Calme-toi.
— Facile à dire... Ces blagues, je ne les supporte plus ! Aujourd'hui encore, on m'a appelée princesita au cabinet d'avocat. C'est pas parce que je suis stagiaire que ça leur donne le droit de m'infantiliser comme ça ! Si j'étais un garçon, personne ne m'appellerait « mon choupinou » !
— Parce que ton Adrián si merveilleux, il ne te donne pas de petits noms, peut-être ? s'enquiert Sara d'un air taquin.
— Eh bien, non, dément Juli. C'est justement pour ça qu'il me plait. Il est plus... mature.
— Évidemment. Ils sont toujours parfaits, au début !
Juli souffle d'un air théâtral, avant de rétorquer :
— Au lieu de te moquer de moi, si tu nous parlais plutôt des tiennes, de conquêtes ?
— Mes conquêtes ? ricane Sara. C'est bien le dernier de mes soucis !
— Pourquoi est-ce que tu dis ça ? l'interrogé-je d'un air curieux.
— Je suis la sœur ainée d'une fratrie de sept enfants. Comme on n'a pas les moyens de se payer une employée de service, je donne un coup de main à mes parents... Et il y a suffisamment à faire pour reléguer l'amour au fin fond de ma liste de priorités, crois-moi.
— Si je peux me permettre, tu ne fais pas que « donner un coup de main », corrige Juli avant de se pencher vers moi pour me glisser : Elle fait tout !
— Ce n'est pas vrai, ma mère s'occupe de la cuisine, des courses, du ménage, et mon père fait un tas de travaux pour essayer de réparer tout ce qui ne marche pas...
— Peut-être, mais toi, tu gères tes frères et sœurs comme s'ils étaient tes enfants ! Tu les emmènes à l'école, tu les aides à faire leurs devoirs, tu prépares leurs affaires, leur repas de midi... Le tout en travaillant à plein temps à côté.
— Peut-être, admet Sara. Mais je ne me vois pas lâcher mes parents ou les petits.
— Être une femme dans ce monde n'est pas simple, soupire Juli en s'affalant dans sa chaise.
En voyant nos mines dépitées, l'afro-caribéennes tape dans ses mains.
— Bon, avant que tout le monde ne se mette à déprimer, je propose de changer de sujet. Où en est l'enquête, Ana ?
— L'enquête ? répété-je. Je dirais que mon alliance avec Rafael-Santos lui a donné un nouveau souffle. L'autre jour, on s'est défiés d'aller chercher des informations dans le bureau de Carlos.
— Quoi ? Vous êtes allés fouiller dans son bureau ? reformule Sara d'un air choqué.
— Il faut bien commencer quelque part, et Rafael pense que les Maestre détiennent des réponses. Si sa famille les a mis sur liste noire, c'est sûrement parce qu'ils étaient liés à cette affaire avec ma mère !
— Je n'en suis pas si sûre, objecte l'afro-caribéenne.
— Et pourquoi ça ?
Sara soupire, avant de confier :
— Carlos n'est pas en très bon termes avec sa famille, et ce depuis de longues années. Color Caribe, ce n'est plus réellement les Maestre...
Surprise par cet aveu, je fronce les sourcils.
— Je comprends que tu aies envie d'en savoir plus... reprend mon amie. Mais fais attention à toi, Ana. Carlos est quelqu'un qui accorde beaucoup d'importance à la confiance et, s'il découvre que tu es en train de fouiller dans son dos, il ne le pardonnera pas.
— Tu as raison... cédé-je. D'ailleurs, à ce sujet, il y a quelque chose dont je ne vous ai pas parlé.
Sondée par mes deux acolytes, je me penche pour confesser à voix basse :
— Une fois, il m'a tellement saoulée avec ses piques que j'ai craqué. Je lui ai balancé ses quatre vérités et, sincèrement, ce n'était pas beau à voir. J'étais persuadée qu'il allait crier, me virer... Mais il est resté super calme ! Il n'en a jamais reparlé et je dirais même qu'il m'a lâché la grappe depuis. Plus ça va, plus je commence à me dire que son rôle de dur à cuire n'est qu'un masque...
— Perro que ladra no muerde ! persifle Juli. Les grandes gueules dans son genre parlent beaucoup, mais ne font pas grand-chose.
— Je dirais surtout que Carlos est bien moins terrible que ce qu'il montre, tempère Sara. Et je maintiens que tu ne devrais pas t'aventurer sur le plan des cachotteries avec lui, Ana.
— J'entends ce que tu me dis, mais s'il est lié à cette histoire, lui dire la vérité risquerait de compromettre mes recherches. Et ça, c'est hors de question.
— Ne t'en fais pas, on ne dira rien, me rassure Juli en posant sa main sur mon bras. C'est à toi de gérer ton enquête comme tu l'entends. N'est-ce pas, Sara ?
L'interpellée acquiesce à contrecœur, avant de m'interroger :
— Vous avez trouvé quelque chose dans ses affaires, au moins ?
— Pas grand-chose pour le moment, mais on a découvert que Transportes Portuarios Maestre, la compagnie de sa famille, avait collaboré avec Color Caribe les années précédant la fermeture de la manufacture. Rafael-Santos trouve bizarre qu'une grosse compagnie de transport ait exporté les produits d'une petite boutique artisanale...
— Il n'a pas tort, admet Juli. À moins que Color Caribe ait été une grande multinationale, ça m'étonnerait que TPM ait ce type de clients.
— Oui, c'est pour ça qu'on compte continuer à creuser dans ce sens. Qui sait, ça pourrait être lié à ces affaires à risque mentionnées dans la lettre. Peut-être même que ça pourrait nous aider à comprendre ce qui a entraîné la fin de la boutique de María-Carolina...
Et, surtout, où elle se trouve actuellement. Bien qu'il continue de me guider dans ce long périple, je préfère ne pas trop penser à cet objectif, qui semble encore si lointain...
— C'est vrai, ça vaut le coup de s'y pencher, concède Juli. Tu en penses quoi, toi, Sara ?
— Peut-être, mais ça reste une simple collaboration, objecte l'afro-caribéenne en haussant les épaules. Je ne sais pas trop quoi en penser...
— Salut, les filles !
Interrompues par une voix suave, nous nous retournons. Il ne me faut pas longtemps pour reconnaître ces boucles blondes et ces doigts manucurés empoignant une bouteille de vin.
— Tiens ! Salut, Camila, me devance Sara d'un air avenant.
L'intéressée esquisse quelques pas vers nous, avant de glisser :
— Je suis désolée, je ne voudrais pas être indiscrète, mais j'ai cru entendre que vous parliez de l'ancienne boutique de Color Caribe... Vous vous y intéressez ?
En entendant ces mots, mon sang ne fait qu'un tour. Inquiète de la savoir au courant des recherches que je mène en sous-marin avec Rafael, je m'empresse de broder :
— Euh, oui... C'est ce que j'ai entendu, mais je ne suis pas sûre de l'information. Ça m'intéresse parce que j'adore l'artisanat local, mais comme Carlos n'en parle pas, je n'ose pas trop lui demander. J'avoue qu'il me fait un peu peur.
— Oh, c'est vrai ? s'étonne Camila. Dans ce cas, je peux peut-être t'aider...
— Ah oui, et comment ?
Incitée par nos visages curieux, la blonde tire une chaise pour s'asseoir à notre table.
— Mon père, qui est proche de Carlos, m'a pas mal parlé de cette histoire. À l'époque, TPM s'était associée à Color Caribe dans l'objectif de créer une marque de luxe inspirée par l'artisanat de la boutique. Le projet était prometteur, mais aussi très ambitieux... Et la quantité de travail à fournir était si colossale que l'ancienne propriétaire a fini par faire un burn-out. Elle a tout plaqué du jour au lendemain, et les Maestre n'ont pas vraiment apprécié de la voir déserter de la sorte. Le point positif, c'est qu'ils ont pu récupérer les locaux pour en faire l'hôtel qu'on connaît aujourd'hui.
Son récit me laisse bouche bée. Ça alors, si j'avais su que j'obtiendrais des réponses à mes questions si vite ! Entre mon accident au vin rouge au mariage et cette confession spontanée, cette fille semble aider les autres comme elle respire.
— Et cette ancienne propriétaire... Tu sais ce qu'elle est devenue ? enquêté-je.
— Il me semble qu'elle a ouvert une boutique de sacs ailleurs dans la région. Sa famille a vécu cette histoire comme un échec, et les échecs, les Maestre n'aiment pas trop ça... Tu m'étonnes que Carlos n'ait pas envie d'en parler ! Les vieilles histoires ont la dent dure, ici.
Je suis encore en train d'assimiler ces nouvelles données, quand Camila conclut :
— Je serais bien restée en discuter encore un peu, mais le devoir m'appelle. Je dois aider mon père et sa femme à organiser leur lune de miel... À la prochaine les filles, et bonne chance !
— Pas de souci, acquiescé-je. Merci, Camila.
La blonde m'adresse un sourire, avant de se relever pour disparaître dans la rue.
— Ben, ça alors... C'est plutôt sympa de sa part, lâche Sara.
— Je suis d'accord, appuyé-je. Elle a l'air gentille, cette Camila, je ne comprends pas pourquoi Rolando la déteste autant.
— Elle a l'air gentille ? répète Juli. Je suis la seule à me méfier, ici ?
— Pourquoi, qu'est-ce qui te laisse penser le contraire ? m'étonné-je.
— Les filles, vous savez que je crois dur comme fer en la sororité. En temps normal, je serais la première à croire la parole d'une autre femme, mais là, c'est différent... Je connais Rola, et il ne déteste personne ! S'il parle comme ça de cette Camila, c'est qu'il y a quelque chose.
— Ah oui, parce que tu crois à son babillard, maintenant ? ironisé-je.
— Écoutez, faites-en ce que vous voulez... Mais le fait qu'elle veuille nous aider de façon si désintéressée... C'est louche.
— Deja de buscarle la quinta pata al gato*, intervient Sara. J'ai l'impression que Rola t'a retourné le cerveau, ce qui, en toute honnêteté, me fait très peur.
Juli pousse un soupir théâtral, mais je ne les écoute déjà plus que d'une oreille, bien trop accaparée par ces dernières découvertes.
Que Camila soit notre alliée ou pas, au final, peu importe tant que ces informations m'aident à avancer dans mes recherches...
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