9
Après s'être débarbouillés, Shawn et Narcisse finirent par quitter la maison trois gâteaux en main. Lors de sa courte douche, elle eut tout le loisir de repenser au moment bizarre qu'elle venait de vivre. Shawn, qui avait été si proche d'elle, avait d'une seconde à l'autre changé de comportement. Elle avait lu quelque chose dans ses yeux bruns qu'elle était incapable d'identifier. Quelque chose de spécial. L'atmosphère était devenue électrique lorsque sa main avait rencontré sa joue. Non, elle ne préférait ne pas penser à ça, ça la mettait franchement mal à l'aise. Elle venait à peine de se réconcilier avec lui et elle n'avait pas envie de créer de nouvelles tensions entre eux.
- Où est le lieu de rendez-vous ? demanda-t-elle.
- Pas loin.
- Ce n'est pas une réponse.
Il leva les yeux au ciel.
- Rho, tu verras.
Elle sourit, elle adorait le voir comme ça. Jouer avec les nerfs de Shawn et l'agacer au plus haut point était vraiment amusant. Ils ne tardèrent pas à s'engouffrer dans un petit bâtiment grouillant de personnes. Il faisait chaud à l'intérieur et la salle semblait remplie à raz-bords. Des tables en bois sur lesquelles reposaient des gâteaux étaient disposées à peu près partout. Ils s'avancèrent vers l'une d'entre elle, et une dame, qui semblait connaître Shawn, sourit en les voyant s'approcher.
- Comment tu vas Shawn ? Tu as encore ramené pleins de gâteaux, comme d'habitude ! s'exclama-t-elle.
- Je vais bien madame Harper, et vous ? répondit-il en posant les gâteaux sur la table.
- Oh, ça va comme une vieille comme moi peut aller ! Oh, mais tu ne nous ramènes pas que des gâteaux ! s'écria-t-elle en indiquant du regard Narcisse.
- Je te présente Ana, une amie.
- Enchantée. Déclara l'intéressée un peu gênée.
Elle aurait bien aimé que quelqu'un ici la reconnaisse, mais ça n'avait pas l'air d'être le genre de personnes qui fréquentent les bars. Shawn parlait avec madame Harper et Ana, en retrait, commençait sérieusement à s'ennuyer. Elle attendit un peu puis décida de s'éclipser discrètement. Elle se balada à travers les rangées et lorgna sur les parts de gâteaux. Elle en acheta une, pour la bonne cause. Elle continuait de se balader en mangeant du mieux qu'elle pouvait son gâteau sans faire trop de miettes, quand soudain, elle aperçut quelqu'un qu'elle pensait connaître. Elle s'arrêta et fixa la jeune fille, les yeux plissés. Mais oui ! C'était cette bonne vieille Marcie, une bonne amie. Mais que faisait-elle ici ? Narcisse fut prise de panique. Le passé revenait la chercher ! A force de la fixer avec insistance, la jeune fille avait fini par le remarquer. Narcisse se hâta vite de lui tourner le dos et de se fondre au mieux dans la masse. Mais malheureusement, lorsqu'elle se tourna, elle aperçut Marcie qui se dirigeait vers elle, la cherchant des yeux. Il fallait à tout prix qu'elle trouve un endroit où se cacher. Si Marcie la trouvait, sa couverture tomberait à l'eau et tout ce qu'elle aurait à faire était de rentrer à la maison. Pas question de retourner à la case départ. Elle accéléra le pas quand quelqu'un lui saisit le bras.
- Où étais-tu passée ? Je me demandais où tu étais. Déclara Shawn.
- Ne t'inquiète pas, personne ne va me kidnapper. Répliqua-t-elle.
Elle jeta un coup d'œil inquiet derrière elle. Marcie se rapprochait. Elle voulut s'échapper mais Shawn ne la libérait pas de son emprise.
- Je parlais justement de toi.
- Alors, vous vous êtes reproduite sur scène hier soir ? demanda madame Harper.
Marcie était vraiment proche. Il fallait qu'elle trouve une excuse pour partir, et rapidement. Elle hocha la tête en souriant faussement.
- Oui oui, c'était génial. Ca m'embête de vous laisser mais j'ai vraiment envie d'aller aux toilettes.
Sur-ce elle partit d'une marche rapide, voir en courant.
- Elle doit vraiment être pressée cette petite ! conclut madame Harper.
Qu'est-ce qu'Ana manigançait encore ? se demanda Shawn. Son attitude était encore plus bizarre que d'habitude.
Narcisse trouva enfin les toilettes et y entra avec un soupir de soulagement. Elle ferma à clefs la cabine, s'assit sur les toilettes et enfouit son visage dans ses mains. Qu'allait-elle faire maintenant ? C'est seulement à ce moment-là qu'elle se rendit compte d'à quel point elle avait été irresponsable. Chez elle, on la cherchait forcément. Elle était partie en laissant un petit mot, un peu d'argent en poche et sa guitare sur le dos. Mais que lui était-il passé par la tête ? La vie n'est pas un rêve. Elle avait menti à tout le monde ici, et elle savait pertinemment que ce lourd mensonge lui tomberait dessus un jour. Recommencer une nouvelle vie ? Quelle stupidité. Etait-ce vraiment possible, où le passé nous rattrapait-il toujours ? Elle devrait bien rentrer chez elle un jour. Et une fois chez elle, les conséquences seraient lourdes. Elle avait à la fois plaqué famille et lycée. Que se passerait-il si elle ne perçait pas dans la chanson ? Elle serait dans de beaux draps. Pour la première fois depuis qu'elle était Ana, elle avait arrêté de réfléchir comme une enfant. Les dégâts pour son moral étaient lourds. Elle poussa un long soupire. Il y a des moments dans la vie où l'on a l'impression qu'il n'y a aucune issue, qu'on ne peut pas s'en sortir.
- Courage ma belle, ça va aller. S'auto-encouragea-t-elle d'une voix molle.
De toute façon, personne ici ne pouvait l'entendre. Elle se releva et décida d'affronter son destin. Elle sortit des toilettes, et si elle croisait Marcie, elle assumerait totalement sa décision. Heureusement pour elle, celle-ci semblait s'être évaporée. Mal à l'aise malgré tout, elle revint vers Shawn. Contrairement à son habitude exubérante, elle resta silencieuse, pensive. Elle avait le sentiment qu'un poids pesait sur ses épaules. Finalement, elle prétexta un coup de fatigue pour repartir à l'appartement.
Elle se retrouva seule dans une petite ruelle, complètement perdue. Son sens de l'orientation se faisait vraiment désirer. Elle était perdue perdue perdue.
Perdue dans tous les recoins de la vie.
Sa situation était plus qu'instable, et l'avenir ne s'annonçait pas mieux. C'était comme être sur une petite barque au beau milieu d'une mer enragée. Ca tangue, encore et encore, jusqu'au moment où l'on se fait renverser.
Ne sachant pas quelle route prendre, elle décida tout simplement de suivre le soleil. Aussi bizarre que celui puisse paraître, il la conduisit jusqu'à l'appartement (après de nombreux détours, certes, mais c'est le résultat final qui compte.)
Environ deux heures plus tard, Shawn entrait dans un appartement plongé dans le silence. Lui qui était habitué à entendre le boucan infernal que créait Ana à longueur de journée, il fut étonné. En posant son manteau sur la patère, il lui sembla que l'habitation était totalement vide.
- Ana ? questionna-t-il.
Etait-elle capable de partir, comme ça, d'un coup, sans lui dire au revoir ? Cette fille était tellement imprévisible qu'il était tout à fait possible qu'elle soit partie aussi vite qu'elle était venue.
Cette question ne trotta pas longtemps dans son esprit car il entendit avec soulagement une petite voix lui répondre :
- Ici !
Ana était installée sur le canapé, un chignon décoiffé sur le sommet de la tête et un ordinateur posé sur ses cuisses. Elle paraissait concentrée sur l'écran dont il n'arrivait pas à distinguer l'affichage.
- Qu'est-ce que tu regardes ?
- Des annonces pour louer un petit appartement.
- Tu... Tu veux partir ? bafouilla-t-il avec un froncement de sourcils.
Il était surpris comme si la question ne lui avait jamais effleuré l'esprit. C'était presque impensable qu'elle puisse le quitter, et pourtant si inévitable.
- Je ne vais pas passer toute ma vie chez toi quand même ! répondit-elle sans se détacher de l'écran.
Il n'émit aucune objection, sans l'approuver néanmoins.
- Mais je ne trouve rien dans mes prix. Soupira-t-elle.
Egoïstement, il en fut soulagé. « Reste auprès de moi ! » criait-il avec les yeux.
Mais elle ne l'a jamais regardé.
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