Alicia faisait partie de ses enfants qu'on croit chouchoutés mais qui sont abandonnés. Elle possédait une montagne de vêtements et ses parents cédaient au moindre de ses caprices. Avides de se débarrasser de cette gamine envahissante, il lui avait payé un petit appartement pour ses 18 ans, lui offrant la liberté. Chaque moins, ils lui envoyaient de l'argent, et ils appelaient ça de l'amour.

Mais Alicia restait seule et s'ennuyait. Elle ne faisait rien de ses journées, car ses parents subvenant largement à ses besoins, elle n'avait aucunement le besoin de travailler. Contrairement à Ana, elle n'avait pas un rêve à suivre qui lui permettait d'avancer. Alors parfois elle sortait, et ramenait toujours un garçon différent, histoire de s'amuser. Ses parents ne s'occupaient pas d'elle, et ne la poussaient pas à reprendre ses études. De temps en temps, elle se prenait à rêver d'une autre famille. De parents qui la porteraient sur leurs épaules pour l'aider à aller plus loin. Des parents qui feraient vraiment attention à elle.

Alicia menait la vie de rêve d'une enfant gâtée. Et cette vie de rêve n'est en réalité qu'un sombre cauchemar.

Narcisse ouvrit les yeux et aperçut avec terreur l'heure que le réveil affichait.

- Oh mon dieu ! s'exclama-t-elle en sautant sur ses pieds.

Shawn ne l'avait pas réveillée ce matin, elle allait être en retard. Elle courut jusqu'à la cuisine, puis se stoppa en pleine course. Il valait mieux faire une croix sur son petit déjeuner. Elle fonça alors vers la salle de bain. Elle se brossa les dents à vitesse grand V, mais pas les cheveux. Elle trouva un chemisier et l'enfila, puis prit le premier short qui lui tombait sous la main. Elle sortit rapidement de l'appartement, décoiffée et pas maquillée. Naturelle, auraient dit certains, négligée, aurait dit sa mère. Elle dévala les escaliers, manqua de tomber mais se rattrapa au dernier moment à la rampe. Elle reprit sa course folle et sortit enfin du bâtiment. Elle se mit à courir dans la rue, et bouscula sans faire exprès une vieille dame. Elle arriva au bar essoufflée, et remercia de toutes ses forces l'inventeur du déodorant.

- Salut Ana ! la salua gentiment Joe.

- Hey !

Elle se glissa derrière le comptoir et noua un tablier à sa taille. Une fois prête, elle put enfin se remettre de ses émotions.

- Je suis à l'heure ? demanda-t-elle.

- Tout pile.

Un sourire de satisfaction étira ses lèvres. Elle resta un moment sans bouger, rêveuse, se complimentant pour l'exploit qu'elle venait d'accomplir.

- Bon, maintenant au boulot ! ordonna-t-il avec douceur.

Elle se chargea donc de prendre les commandes. En fin de matinée, le bad boy à la veste en cuir fit son apparition. Encore une fois, il la dévora des yeux. Elle se rapprocha de sa table, carnet et crayon à la main.

- Salut ma jolie. Miaula-t-il.

Elle roula des yeux.

- Pour toi ce sera juste Ana, ok ? répliqua-t-elle.

Elle fit un sourire faussement doucereux. Le sourire du bad boy s'agrandit.

- C'est un beau prénom pour...

- Oui oui, on la connait par cœur ta phrase. La coupa-t-elle. Tu prends ta commande oui ou non ?

Il haussa les sourcils, blessé d'avoir été si vite interrompu.

- Un café. Et ton numéro de téléphone.

- Mais tu ne lâches pas l'affaire ! s'écria-t-elle, scandalisée.

Comme si un plouc comme lui avait une chance avec elle. Dans son ancienne vie, elle ne lui aurait même pas adressé la parole.

- Ce n'est pas tous les jours que j'ai le droit de voir un canon pareil.

- Je sais que Colortown est une ville minable, mais je t'en supplie, épargne-moi des petites phrases de dragues pourries. Je passe une mauvaise journée tu vois, et tu n'arranges rien. Donc, pour être claire, lâche-moi. Tu n'as aucune chance avec moi, et même si je passais ne serait-ce qu'une minute de plus avec toi, ce serait parce que je mourrais d'ennuis. Alors cio bello !

Sur cette tirade, elle partit. Elle était allée un peu loin, mais ce garçon commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs. Elle revint peu de temps après avec le café, qu'elle posa le plus rapidement possible sur sa table. Néanmoins, le garçon l'arrêta. Il paraissait peiné de s'être pris un râteau pareil, et elle éprouva alors une once de regret. De plus, le client était roi, et elle n'avait pas du tout respecté cette loi.

- Je suis désolée. Lança-t-elle. Je n'aurais pas dû être si dure avec toi, mais je suis de mauvaise humeur.

- Ce n'est pas grave. J'ai été lourd de toute façon.

Elle ne répondit rien pour éviter de lui faire une autre remarque désobligeante et de toute gâcher.

- Je m'appelle Marc. Ajouta-t-il.

- Enchantée. Dit-elle avec un sourire.

Elle continua de bavarder avec lui. Finalement, il était loin d'être aussi pitoyable qu'il en avait l'air. C'était juste un garçon qui essayait de s'en sortir dans la vie, comme tout le monde.

Puis vint l'heure de la pause. En se dirigeant vers le petit restaurant où elle avait mangé la veille, elle tomba sur un tag. Sur le mur, il était écrit en lettres noires « You're my wonderwall ». Elle se remémora instantanément la soirée karaoké qu'elle avait passé avec Shawn, ce qui la ramena à leur dispute. Il devait vraiment être en colère pour ne pas l'avoir réveillée ce matin. Elle éprouva un pincement au cœur. Elle n'avait pas envie d'être en froid avec lui, surtout pour des raisons aussi futiles. De plus, il n'avait pas l'air d'être le garçon qui se fâche rapidement, alors elle avait fait fort. Elle n'aurait peut-être pas dû agir ainsi, mais elle avait réagi sous l'effet d'une pulsion. Ca crevait les yeux que cette Emma était une véritable pimbêche. Elle ne méritait absolument pas Shawn. Sensible comme il était, elle lui aurait brisé le cœur, et qui aurait dû ramasser les morceaux ? Narcisse, à moins qu'elle ne soit déjà partie. Mais il avait raison, elle n'avait pas le droit de s'impliquer à ce point dans une relation.

Elle sortit de sa sombre rêverie quand le serveur vint vers elle. Elle commanda un plat puis poussa un long soupire.

Encore une fois, elle venait de tout gâcher. Peut-être que les filles comme Narcisse ne sont tout simplement pas faites pour avoir des amis.

Narcisse essuyait négligemment le comptoir. Le bar était vide est Joe, la seule personne présente, était au téléphone.

- Malade vous dites ? demanda-t-il, l'air contrarié.

N'ayant rien d'autre à faire, elle tendit l'oreille pour l'écouter.

Joe poussa un long soupire.

- Je dois vous avouer que ça m'embête, nous avons déjà installé la scène et je ne sais pas avec quoi je vais animer ma soirée.

Il y eut un instant de silence.

- Oui je sais, mais ça ne court pas les rues. Je crois qu'il n'y aura personne sur scène demain.

Cling. C'est le bruit que fit l'esprit de Narcisse en s'illuminant. La vie était faite d'opportunités, et celle-ci était la sienne. Joe raccrocha en poussant un second soupire.

- Avez-vous pensé à un concert ? demanda-t-elle, un sourire angélique aux lèvres.

- Je crois qu'il est trop tard pour trouver une chanteuse.

Elle fit non avec la tête.

- Vous en avez une juste devant vous.

Elle rentra chez elle d'un pas sautillant, d'excellente humeur. Il lui semblait qu'enfin la chance tournait. Elle allait monter sur scène ! Elle allait enfin recevoir la gloire qu'elle méritait ! Il fallait absolument qu'elle raconte ça à Alicia. Elle arrivait devant l'appartement quand elle tomba sur la perfide Emma. Celle-ci se tenait devant la porte, se balançant d'un pied à l'autre, ayant l'air de se demander si elle entrait ou pas. Elle tourna la tête vers Narcisse et cette vision sembla accroître son mal-être. Elle se mordit la lèvre inférieure, battit des cils d'une manière incroyablement agaçante, puis, avec un air timide factice et insupportable, lui demanda d'une voix inégale :

- Alors comme ça, tu es la petite-amie de Shawn ?

Si elle lui disait la vérité, elle savait qu'Emma allait revenir à l'attaque et roder dangereusement autours de Shawn. Alors elle bluffa totalement, et avec son air le plus sûr déclara :

- Oui, exact. On a emménagé ensemble récemment.

Emma baissa les yeux au sol, l'air peinée.

- Ah, il ne me l'avait pas dit.

- Normal, ça s'est fait il y a très peu de temps.

Elle passa devant Emma avec un air hautain et ouvrit la porte.

- Passe une bonne journée. Dit-elle avec un sourire hypocrite pour l'inciter à partir.

- Oui, c'est ça. Répondit la jeune fille qui paraissait être partie ailleurs.

Elle recula et ne tarda pas à partir. Narcisse avait bien conscience que ce qu'elle venait de faire était absolument odieux, mais elle s'en moquait comme de la dernière pluie. Elle escalada les escaliers en sifflotant et sonna à la porte d'Alicia. Celle-ci, vêtue d'un pyjama à motif licorne, lui ouvrit. Elle lui annonça rapidement la nouvelle avant qu'elle ne l'assaille de questions, puis elles parlèrent encore un peu. Plus le temps passait, et plus Narcisse appréciait cette étrange personne qu'était Alicia. Elle la quitta et monta les escaliers en direction de l'appartement de Shawn. Comme elle n'avait pas les clefs, elle sonna. La porte s'ouvrit sur un Shawn au visage fermé, qui une fois avoir ouvert la porte, sans même un bonjour, repartit vaquer à ses occupations.

- Tu me fais encore la tête ? s'exclama Narcisse.

A l'heure qu'il était, elle hésitait entre être énervée ou peinée. Il ne répondit rien et s'assit tranquillement sur le canapé, afin de reprendre sa lecture. Elle fit son choix, et elle prit la première option.

- Franchement Shawn, ça ne rime à rien. Arrête tes enfantillages.

Il leva enfin les yeux vers elle, et ce fut seulement pour la foudroyer du regard.

- Parce que toi, ce n'étaient des enfantillages hier, quand tu as fait ton petit cirque à Emma ?

Il se leva pour lui faire face. Jamais elle ne l'avait vu si en colère. Elle reprit, en haussant le ton :

- Ce n'était pas par jalousie ! C'était pour ton bien ! Tu vois bien que cette fille ne vaut pas le coup !

- Peu importe les raisons qui t'ont poussé à faire ça Ana, tu n'avais pas le droit de faire ça ! Tu n'as pas le droit de t'impliquer comme ça dans ma vie ! répliqua-t-il, plus fort.

- Que tu le veuilles ou non, tu m'as fait entrer dans ta vie en me faisant entrer dans ton appartement ! Donc si, j'étais impliquée.

Shawn se calma, et avec un regard rempli de haine mais avec un ton reposé, déclara :

- Et bien tu sais quoi ? Je regrette de t'avoir invité ce soir-là.

Ca lui fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre. Ou peut-être un coup de poing dans le nez, le genre de coup qui fait monté automatiquement les larmes aux yeux. C'était tout simplement méchant, ce qu'il venait de dire. Elle baissa la tête pour qu'il ne voie pas que ça l'avait touché, et ne répondit rien. Elle partit seulement rapidement dans sa chambre, rassembla comme elle put ses affaires en pagaille dans son sac, et partit en claquant la porte sans qu'il est le temps de la rattraper. De toute façon, Narcisse doutait qu'il en ait l'envie. Une fois dehors, elle put pleurer comme elle le voulait. Car elle pouvait reprocher des choses à Shawn, mais elle ne pourrait jamais dire qu'elle regrettait de l'avoir rencontré.

- Calme-toi Narcisse. Se dit-elle à elle-même. Ce n'est qu'un garçon.

Elle sécha ses larmes et se tourna une dernière fois vers la porte de Shawn.

- Les filles aiment toujours celui qui leur fait du mal. Déclara-t-elle avec un triste sourire.

Alicia était avachie dans son canapé, regardant tranquillement la télévision, quand soudain elle entendit sonner. Elle se leva et se dirigea vers sa porte en marmonnant. Elle ouvrit et trouva Ana sur le perron, guitare et sac sur le dos. Elle avait beau sourire, elle n'avait pas l'air dans son assiette.

- Je peux dormir chez toi ce soir ?