12

Shawn crut simplement à une erreur. Quelqu'un avait dû donner par erreur son adresse à la place de celle d'un autre.

- Il n'y a aucune Narcisse Miller ici. Répondit-il aimablement.

Le policier lui lança un regard sévère. Comme pour vérifier et appuyer son propos, il se tourna vers Ana, bien qu'il connaissait parfaitement la réponse. Pourtant, quand il la vit, sa vaste confiance s'effrita en morceaux. Elle était pâle comme un linge, ses yeux hagards fixaient un point au loin, et elle se tenait droite comme un i. Le policier, paraissant de mauvaise humeur, rentra dans la maison. Il était tranquille mais il dégageait pourtant quelque chose de brusque.

- Nous avons reçu un message disant qu'elle habitait ici. Une proche la vue dans les environs de la ville.

Le policier lançait des regards furtifs à l'affut de preuve. Shawn commençait à plonger dans un profond malaise. L'air s'était alourdi, tout se déroulait à un insupportable ralenti, comme dans les cauchemars.

- Ana, dis-lui qu'il se trompe. Fit-il, tandis que le policier continuait de fouiner.

Elle resta tout aussi figée, ce qui amplifia le sentiment de mal-être de Shawn. C'est à cet instant qu'il eut le déclic. Il fit le lien entre la Narcisse dont elle avait parlé et la requête du policier. Ensuite, tout se déroula très vite. Le policier lui demanda ses papiers. Elle refusa, mais il insista, alors elle finit par obtempérer. Le policier lui demanda alors de la suivre, et Shawn, perdu, regardait cette scène, complètement impuissant. Elle refusa, se débattit, et il finit par la prendre par les bras et l'emmener avec lui. Tout est devenu flou. Shawn était devenu aussi immobile qu'une statue, sous le choc. Il y eut les cris d'Ana. Suppliante et se secouant dans l'étreinte du policier, elle lui criait qu'elle était désolée, qu'elle pouvait s'expliquer, qu'elle aurait voulu tout lui avouer. Il ne cligna pas d'un cil. Avec le même visage fermé qu'un mort, il les regarda descendre les escaliers. Puis, quand ils disparurent de son champ de vision, il ferma sa porte, tout simplement. Hébété, il fit le tour de son appartement du regard. Tout avait pris une couleur de mensonge. L'écho des rires d'Ana, de leurs confessions, de leurs disputes, avait pris une teinte fausse. Qui était-elle ? Pourquoi avait-elle menti sur son identité ? Et surtout, sur quoi d'autre avait-elle menti ?

Il avança d'une marche lente et mécanique jusqu'à son canapé, et se laissa tomber dessus. Il se frotta le visage d'un air fatigué, comme les font les vieilles personnes avec un peu trop de problèmes sur les épaules. Il ne comprenait plus rien. Qu'est-ce qui était vrai et qu'est-ce qui était faux ? Il poussa un long soupir, si long qu'on aurait pu croire que des tonnes d'air s'étaient amassées dans ses poumons. Dire qu'il était prêt à tant de choses pour elle, tout ça pour qu'elle lui écrase le cœur. Il sortit de sa poche le petit papier sur lequel était gribouillé un numéro de téléphone. C'était celui d'un producteur qu'il avait réussi à contacter. Tout ça pour rien. Il déchira le papier en petit morceaux et les jeta loin de lui. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Qu'est-ce qui lui avait pris d'héberger une parfaite inconnue chez lui ? Lui qui était si réfléchi, ce genre de choses ne lui ressemblaient pas. Et pire encore, qu'est-ce qui lui avait pris de s'attacher à cette inconnue ?

Il fut tiré de ses idées noires par la sonnerie venant de sa porte. Il alla ouvrir et se trouva face à Alicia sur le palier, l'air bouleversée.

- Qu'est-ce qui s'est passé, Shawn ? Je viens de voir Ana descendre les escaliers avec un policier. Elle était à deux doigts de pleurer. Elle a fait quelque chose de mal ? C'est une erreur, non ? Ana ne pourrait jamais faire des choses contre la justice. Elle n'est pas toujours sympa, mais c'est quelqu'un de bien, hein, Shawn ? Tu en sais plus ?

Il passa une main dans ses cheveux en observant cette boule d'énergie d'un regard terne.

- Je n'en sais rien, Alicia. Tout ce que je sais, c'est qu'on ne la connaissait pas vraiment. Elle nous a menti. Répondit-il d'une voix sourde.

Il se décala pour la laisser entrer. Il la fit asseoir (avec de grands problèmes, car elle était encore plus active que d'habitude) et leur prépara du thé. Enfin, avec un grand calme, il lui raconta tout en détails. Alicia en resta complètement bouche bée.

- Je n'en reviens pas... souffla-t-elle. Mais en même temps, un nom, ce n'est pas grand-chose, non ? Peut-être qu'elle avait de bonne raison de nous cacher sa véritable identité.

Alicia semblait avalé la pilule avec une certaine facilité, tandis que Shawn bouillonnait de rage.

- Mais quel genre de personne fait ça ? Les voleurs, les gens qui ont quelque chose à se reprocher. Elle était recherchée par la police ! Tu te rends compte ! explosa-t-il.

Il était en train de s'imaginer tous les crimes qu'elle avait pu commettre avant de remonter à eux. Pour une fois, Alicia garda le silence, et se contenta d'observer son ami avec de grands yeux.

- Elle s'est servie de nous. Je ne sais pas pourquoi, mais elle avait un plan derrière la tête.

Elle haussa les épaules, l'air tranquille.

- Elle n'a même pas eu le temps de s'expliquer. On ne devrait pas échafauder des théories avec seulement une petite part de vérité.

Il croisa les bras, énervé.

- Mais c'est pourtant la seule vérité que nous possédons, après tout ce temps passé avec elle.

- On devrait lui rendre visite au poste de police. On doit forcément avoir le droit d'entendre sa version des faits.

- Je n'ai pas envie de la voir.

- Tu devrais, pourtant.

Shawn n'avait jamais vu Alicia aussi calme et posée. D'habitude, c'était lui qui lui faisait la morale, pas l'inverse. Tous les rôles s'étaient inversés, ce qui l'embrouillait encore plus.

Elle se leva calmement et plissa sa jupe.

- Je vais rentrer chez moi. Tu devrais te reposer un peu. Je partirais vers 10 heure au poste de police, rejoins-moi si tu as changé d'avis. Au revoir Shawn.

Sur-ce, d'un pas calme et calculé, elle rejoignit la porte et quitta l'appartement, laissant Shawn complètement seul avec ses idées en vrac.

Il eut du mal à trouver le sommeil cette nuit-là. Il se retournait sans cesse dans son lit, à la recherche d'une quelconque façon de chasser Ana, ou plutôt Narcisse, de ses pensées. Il ne pouvait s'empêcher de se demander où elle pouvait être à cet instant-ci, à quoi elle pensait, et qu'est-ce qu'elle était en train de vivre. Se sentait-elle aussi perdue que lui ? Il revoyait en boucle le regard désemparé rempli de pardon qu'elle lui avait lancé avant de partir. Il ouvrit les yeux pour faire disparaitre cette image de son esprit. Il se tourna vers son réveil, les chiffres rouges lumineux indiquaient 1h13. La dernière fois qu'il avait fait une nuit blanche, il l'avait passé avec Narcisse. Tout paraissait silencieux et vide depuis qu'elle était partie. Il se leva et marcha lentement jusqu'à son balcon. Il s'accouda à la rambarde métallique et chercha les étoiles, en vain. Une brume recouvrait le ciel entier, et même les étoiles les plus scintillantes ne parvenaient pas à la percer. Il se laissa aller jusqu'au sol et s'assit par terre, sa main glissant le long des barreaux qui le protégeaient de la chute. Il était dehors mais il se sentait emprisonné. D'ailleurs, Narcisse était-elle dans une cellule de prison ? Toutes ses questions demeuraient sans réponses, ce qui avait le don de le pousser à bout de nerfs.

- Pourquoi est-ce que tu as fait ça ? murmura-t-il au ciel.

Il se frotta les yeux. Son corps était alourdi par la fatigue mais ses pensées ne voulaient pas le laisser sombrer dans le sommeil.

- Pourquoi est-ce que tu m'as laissé tout seul ?

Avant, la vie qu'il menait lui convenait parfaitement. Il avait quelques bons amis à la fac, discutait avec Alicia dans les escaliers, et cette routine ennuyante se répétait inlassablement chaque matin. Et ça ne le dérangeait pas, il aimait cette vie. Seulement, Ana était arrivée, et d'une manière ou d'une autre, avait complètement bousculé son quotidien. Maintenant qu'elle n'était plus là, il ne voulait plus retourner à cette routine monotone. Il avait le sentiment que la vie avait tellement plus à lui offrir. Il y avait comme une pièce manquante, un vide à combler. Il avait envie de plus. Il avait envie qu'Ana soit Ana, celle qu'il avait imaginé être, celle qui ne s'évaporait pas du jour au lendemain.

La vie avait plus à lui offrir, mais elle lui avait retiré ce qu'il désirait le plus fort : Ana.

Il finit par fermer les yeux et s'endormir recroquevillé sur le sol froid du balcon. Ses pensées tristes se déversèrent dans le ciel, tellement acides qu'elles transpercèrent la brume pour faire apparaître quelques lumières dans la nuit.

Le lendemain, il était déterminé à obtenir des explications venant de sa part. Il espérait secrètement que l'histoire allait s'arranger, qu'un élément inattendu allait arriver et tout faire basculer. Il se leva, et poussa un grognement à cause de ses douloureuses courbatures. A cause de l'heure tardive, il se dépêcha de s'habiller, ne déjeuna pas et courut chez Alicia. Il l'intercepta à temps alors qu'elle était prêt de la porte d'entrée.

- Tu as changé d'avis ? demanda-t-elle.

Il hocha la tête, essoufflé. Ils se rendirent jusqu'au commissariat en silence. C'était si étonnant qu'Alicia ne parle pas que ça en devenait angoissant. Ils arrivèrent et demandèrent à voir Narcisse Miller. On leur répondit qu'elle était déjà partie, qu'elle était rentrée chez elle dans la nuit.

Il n'y avait pas d'élément inattendu. Il n'y avait pas de renversement de situation. Il n'y avait pas de longues explications et d'émouvantes retrouvailles. Et surtout, il n'y avait pas de happy end.

Juste ce vide, ce manque, ce trou béant en lui.


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