Ⅸ - Nouvel espoir
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『 Chapitre 9 ⋄ Nouvel espoir』
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Éreintée, le corps plaqué à un mur, je tentai de trouver une seule raison à ce que je venais de voir, de faire.
Nous avions bandé, chargé, compté toute la nuit. Le soleil se levait à peine, l'aube colorant les pavés rougeâtres de Trost d'un orange chaleureux. Quel contraste. Autour de moi se dessinait un dédale de corps recouverts d'un drap. Par moment, le tissu s'imbibait de sang. Des soldats se chargeaient de les transporter, empilés sur une charrette, prêts à rejoindre la terre et ses racines, les profondeurs de l'univers.
Une part de moi fut décimée avec eux.
— T'en veux ? me fit Mina, la main garnie d'un morceau de pain.
La mort ne semblait pas l'atteindre, elle mâchait la nourriture avec une facilité déconcertante, à la même image que les titans et nos corps. Mon estomac fut noué, tordu. Incapable de trouver l'appétit après un tel massacre. Je grimaçais, poussant un soupir alors que je portais à ma bouche ma gourde. La blondinette me scruta un instant, haussa les épaules avant de mordre dans la croûte. Le son croustillant qui pénétra la mie, me ramenait au souvenir des craquellements des os sous la mâchoire titanesque des monstres. J'eus un haut le cœur, portant ma main à la bouche.
— Ça finira par passer. Pour une première, c'est plutôt admirable de n'avoir pas vomi, me fit remarquer la jeune femme.
La citrine de ses yeux brillait légèrement aux rayons du soleil. Mina était une belle femme, les traits fins mais fatigués. Malgré ma petite taille, elle ne dépassait pas le haut de ma tête, la sienne s'arrêtait à mes oreilles, devinant un faible mètre 45 ou 50, tout au plus. Je parvins avec difficulté à entendre son discours. Je reconnaissais derrière les airs impassibles les refus de l'âme, un blocage, témoins des horreurs. Ces personnes-là étaient autant conditionnées que je l'étais face à la misère. Le sang et la violence étaient l'égal de ma faim et de ma pauvreté. Leurs meurtriers étaient les titans, les miens demeuraient les gangs et les bandits des souterrains. Nous n'étions pas si différentes.
— Je sais... répondis-je de ma voix faible, cassée.
Elle raillait, sentant mes cordes vocales souffrir de mes cris, de mes ordres hurlés pour avoir un peu d'aide. Je portais mon regard vers mes mains, un rouge fade s'y échappait. Le sang s'y était comme imprégné.
Agatha nous rejoignit, sa démarche sévère témoignait de son flegme impérial. Je ne l'avais compris que bien tard, mais elle portait très bien le rôle de cheffe des soigneurs. Elle tenait l'intégralité de ces recrues avec des poings de fer. C'était elle qui m'avait retenu, m'empêchait de défaillir, de m'enfuir. Ses yeux bleus marines reflétaient pratiquement ceux plus clairs de notre major. D'égal à égal, je reconnaissais derrière son visage fermé l'éducation d'Erwin Smith. Elles n'avaient beau pas participer au combat, ces femmes-là étaient des soldates, au même titre que les combattants.
La main de Mina s'agita dans l'air, son grand sourire enfantin s'emparant de ses lèvres pour accueillir l'imperturbable. Celle-ci s'écrasa contre le mur, à la même suite que nos deux corps, un soupir passant par ses lèvres alors qu'elle détacha ses lunettes.
— Je suis éreintée... on a découvert de nouveaux corps vers le centre de la bataille. Les soldats ont fini de balayer la zone, c'est un massacre, fit-elle.
Des morts, encore une fois. L'arrière en était déjà jonché, nous avions récupéré au pas de course les nouveaux blessés apportés par des soldats de la garnison. Si Agatha jugeait qu'il restait encore une poignée de malheureux à ramasser, alors oui, cette bataille avait été un massacre.
— On a gagné ? s'exprime maladroitement Mina.
— Il s'est passé quelque chose. Je n'ai pas spécialement d'informations en plus, j'ai entendu parler les hauts gradés, un titan les aurait sortis d'affaire... j'en sais rien, c'est du n'importe quoi, répondit Agatha.
Nos deux regards se dressèrent droit vers la jeune femme à l'annonce de cette nouvelle. Cela semblait irréel, nous avions admiré ces monstres s'empriffrer de corps humains, et voilà qu'il était question d'une aide ? Effectivement, ça ne faisait aucun sens.
Difficile d'avoir une situation éclairée à l'arrière. J'avais fini par comprendre qu'ici, il fallait attendre leurs venues, patiemment. Ce n'était pas difficile de comprendre que l'escouade médicale était certainement la moins reconnue au sein du bataillon. Elle était pourtant essentielle... Agatha serait-elle caporale ? Difficile de le savoir. Ses yeux se braquèrent de nouveau contre les miens, je rougissais, prise de court par cet échange.
— Tu t'es bien débrouillée... On manque cruellement de recrues dans cette escouade, comme tu as pu le voir, on nous refourgue les froussards la plupart du temps. Ils ne savent même pas donner les premiers soins. Mais toi, tu t'es bien débrouillée.
Son compliment m'attaquait les tripes, ses joues, légèrement rougies à le faire, m'invitait à en faire autant sous le rire amusé de Mina. Ces deux-là devaient se connaître depuis un moment.
— Tu vas intégrer notre escouade, Nellas ? fit-elle, ses petits yeux se dressant vers les miens.
Je culpabilisais soudainement, me rappelant des ordres du caporal-chef Livaï avant cette bataille. Il n'avait jamais été question que ma place soit ici. J'allais répondre, mais le son d'un équipement tridimensionnel arracha nos pensées, levant les yeux toutes les trois, nous apercevions la silhouette de mon caporal apparaître.
Une fois posé, il s'approchait, il constatait les dégâts des victimes, semblait les énumérer intérieurement. Je pouvais sentir son agacement, sa colère. Puis, alors, son regard s'arrêta sur le mien. Il passait mon corps au radar de ses iris. Rien ne semblait lui échapper, dressant une conclusion à ma situation. Agatha et Mina se dressèrent pour le saluer, je ne bougeais pas, éreintée, vidée de toute émotion. Derrière lui, suivit Petra, les yeux tremblants, elle vint immédiatement plaquer sa main à son nez.
— Cette puanteur... fit-elle, dressant ses yeux noisette vers les miens.
Elle se mit à courir, paniquée.
— N-Nellas ! Mon dieu, tu vas bien ?! Tes vêtements, tu es..! beuglait-elle.
Je baissais les iris, voyant l'état de mes habits recouverts de sang, mes bottes brunes apparaissaient désormais rouges fades sur le bas. Je n'avais pas vu à quel point j'étais indélicate à observer. Ce sang qui recouvrait mon corps, ça n'était pas le mien. J'aspirais avec difficulté, fermais les yeux un instant pour reprendre un temps soit peu la situation entre les mains.
— Tout va bien, les choses ont été rudes, ici, se permit de dire Agatha.
Je lui étais redevable. Elle avait devancé mes paroles, avait compris mon état de détresse, incapable de mettre un mot sur ma situation. Petra possédait les paroles d'une femme qui combattait, qui ne touchait normalement pas à cette partie de la bataille. Le caporal-chef, lui, abordait un regard plus lointain, témoin des horreurs. Cet homme-ci connaissait les enjeux de l'escouade médicale. Il portait son regard vers le mien, il semblait inchangé, et pourtant, au fond de ses aciers, j'en percevais un éclat brisé, désolé. Compatissait-il ? Incapable de le dire. Je lui adressai un faible sourire en réponse, cela le déconcerta, il détourna immédiatement les yeux.
— Je vois ça... on doit terminer quelques petites choses, il y a eu du nouveau, les hauts gradés sont demandés au centre. Nellas, ça ira si tu restes encore un peu ici ? demanda Petra.
Instinctivement, je me mis à regarder le visage chaleureux de Mina, celui faussement impassible d'Agatha. Un nouveau sourire s'emparait de moi, après ce que nous avions traversé ensemble, je n'avais aucune envie de les quitter, puis, à en entendre le discours de la caporale, on demandait encore notre aide, au centre de la bataille.
En retournant ma tête, je tombais nez à nez avec celle du caporal-chef, rapproché de moi. Je manquai de m'étouffer, sa discrétion naturelle avait eu raison de moi. Je rougissais, prise de court, balbutiant un :
— Je reste gentiment ici, ils ont encore besoin d'aide au centre.
— Soit prudente, gamine, fit-il.
Sa main se logea au creux de mon épaule, pendant une demi seconde, je ne réalisais pas ce qu'il était en train d'advenir. Même Petra fut déconcertée de l'action, les yeux ronds, à le fixer, il repartit aussitôt.
C'était moi, ou cet homme venait-il de percevoir toute l'intensité de ma détresse ?
J'implosais, mes joues en fusions, il venait de me dépouiller de la moindre de mes émotions. Cet homme en possédait le pouvoir indéniable, je ne pouvais plus le nier : cet Ackerman me connaissait déjà trop bien.
De nouveau seule avec Agatha et Mina, je sentis une nouvelle main m'agripper l'épaule, voyant le regard complice que m'offrait la blondinette, mon rouge redoublait d'intensité, me forçant à cacher ma bouche de mon coude.
— Q-quoi ? bafouillais-je.
— Petite cachotière... tu manigances quoi avec le caporal-chef Livaï ? fit-elle.
— Ce.. ce n'est que mon caporal ! Je fais partie de l'escouade tactique !
La nouvelle déconcerta les deux femmes, me fixant, ahuries, s'adressant un regard partagé, je sentis venir les questions et les railleries.
— Toi ? Dans l'escouade tactique ? Et depuis quand ? me questionna immédiatement Agatha, bras croisés.
— C'est assez compliqué... Le major en a décidé ainsi avant que la bataille n'explose à Trost, le caporal-chef a préféré m'envoyer avec vous plutôt qu'au combat.
— Il a eu raison, tu serais morte en quelques secondes, souligna Mina, sous ma mine déconfite.
— Non mais ! Quel toupet ! pestais-je, rougie, attaquant la plus petite de mes deux mains sur les épaules.
Le rire de Mina résonnait, Agatha gardait un sourire timide. Une pause dans l'enfer, elle fut plutôt agréable. Mais assez vite, c'était un soldat de la garnison qui nous prit de nouveau de court.
— Caporale ! On part pour le centre ! La charrette est prête ! cria-t-il.
Nous stoppâmes immédiatement, le sérieux s'emparant de nos visages respectifs. La mort nous attendait, nous contemplait. Ma vieille amie se postait toujours sur mon épaule, jamais elle ne se décidait à la quitter. Ce vieux corbeau n'avait pas l'envie de s'envoler.
Agatha remit ses lunettes, engagea la course, suivie de Mina et de moi-même. Il était temps d'accueillir de nouveau mère Faucheuse.
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La tempête fut de nouveau de partie. La même scène d'horreur s'annonça sous nos yeux, peut-être pire, cependant, désormais habituée à la contempler depuis la veille, elle n'avait plus aucun effet sur mon corps.
Nous sautâmes de la charrette une fois à l'arrêt, s'emparant de nos trousses, Agatha constata les dégâts en deux temps trois mouvements. Elle chargea Mina de prendre le côté nord, elle, le côté ouest, le plus touché, par ailleurs, quant à moi, le centre. J'obéis, me hâtant à ma position.
Arrivée quelques minutes plus tard, le tissu pendait de nouveau à mon nez, j'aperçus les soldats s'atteler à soigner comme ils le pouvaient, c'est-à-dire, avec quasi rien. Mon regard s'attarda sur un soldat, il avait les yeux révulsés, grave, contemplait le corps certainement sans vie d'une recrue masculine, dont la moitié du corps avait été arrachée. Son emblème était différent de la garnison, du bataillon d'exploration, je devinais rapidement qu'il s'agissait de la brigade d'entraînement.
Mon cœur se serra, comprenant que les malheureux avaient dû être les premiers témoins de l'horreur. A peine arrivés dans ce monde qu'ils avaient dû affronter une bataille massacrante.
Je m'approchai, me posai à côté de ce jeune homme bien plus grand que moi. Mes cheveux blancs l'interpellèrent immédiatement. Je baissais mon mouchoir cachant ma bouche, lui offrant un petit sourire maladroit, mais qui suffit à le faire revenir à lui.
— T'es qui, toi ? fit-il, la voix grave.
— J'aide l'escouade médicale du bataillon d'exploration, répondis-je.
Son regard meurtri s'attarda de nouveau sur le corps de cet homme. Il tentait visiblement de trouver des réponses, de balbutier quelque chose. Je maudissais mon rôle pendant une fraction de seconde, comprenant immédiatement qu'il s'agissait certainement d'un de ses proches.
— Tu connais son identité ? tentais-je de dire de la voix la plus douce possible.
Il ne disait rien, les mains tremblantes, stoppées dans leurs mouvements. Il commença à murmurer des choses, avec difficulté, visiblement sous le choc de cette mort, puis, un prénom lui échappe :
— Marco... Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Sa réaction me brisa le cœur, la main en avant, près à l'aider, il commença à avancer, quémandant de l'aide sur un possible témoin. Je le voyais partir, impuissante, il me fallait cependant le nom de cette victime pour l'inscrire sur le registre, hors de question qu'une personne qui avait l'air de compter beaucoup pour quelqu'un, connaisse le sort infâme d'obsèques oubliées.
— Excuse-moi, il me faudrait son nom... fis-je, doucement.
Je le vis faire volte face, ses yeux meurtris, tremblant, son regard me prit à la gorge. Je n'en avais jamais vu autant déchiré, et ce, depuis le début de cette bataille. Je manquais de sentir mes iris me piquer face à mes larmes, elles désiraient sortir, se frayer un chemin. L'homme murmura à travers le tissu plaqué à sa bouche :
— Membre de la 104ème brigade d'entraînement, et capitaine de l'escouade 19... Marco Bott.
Sa voix avait du mal à sortir, craquant au possible sous l'émotion de la situation. Je le regardais, puis mon regard se porta vers le défunt plaqué contre le mur, sentant l'ébranlement de la situation m'attaquer la gorge. Je fus incapable de dire quoi que ce soit, si ce n'était grifonner rapidement le commentaire de la recrue, de glisser autour du cou de la victime son identité, et de courir rattraper cet homme.
— Hey ! fis-je, essoufflée.
Il me fixa, l'air éteint, prêt à me bousculer de son chemin. Mais en croisant mon regard, mes yeux brouillés de larmes, il ne le fit pas, certainement trop happé par la situation.
— Je suis désolée, on lui offrira de belles funérailles, je le promets. lui glissai-je alors.
Je m'enfuis, trop retournée pour lui faire face une nouvelle fois. Je me devais de garder mon sang froid, comme l'avait annoncé Agatha, les dégâts étaient rudes ici aussi, et si le caporal-chef Livaï ne me pensait pas capable de combattre, il fallait que je lui prouve que malgré tout, je méritais ma place dans ce bataillon. Que ma présence ici ne se limitait pas à mon nom de famille.
Voir tous ces sacrifices, ces gens mourir, se battre sous la hargne et la rage de ces titans, me fit réaliser à quel point je me refusais de rester à l'état d'un simple porte-monnaie.
Je reniflais, retenant ces maudits sanglots avant de me remettre au travail, faisant un distinct :
— Y a-t-il des blessés ici ?!
On ne tarda pas à me répondre, je rejoignis les rangs, plus forte que jamais.
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Les soins avaient été rudes, mais enfin, les blessés étaient tirés d'affaire. On empilait encore les corps, les acheminait vers un point dont je ne connaissais ni l'existence ni le lieu, rejoignant mes deux nouvelles amies, que j'aperçus, cloîtrées derrière un mur, Mina, très peu discrète, observait quelque chose.
Je m'approchais, fronçant les sourcils, prête à lui demander ce qu'elle trafiquait avant que la bougresse me plaquait sa main contre la bouche, argumentée d'un franc : « Shhht ! J'essaye d'écouter ! » Je hochai la tête, alors qu'elle délia sa prise, je me mis juste au-dessus d'elle, voyant apparaître les différents hauts gradés, dont Agatha.
J'avais bien raison, c'est une caporale, songeais-je.
— Est-ce bien prudent de le prendre avec nous ? fit un homme aux côtés du caporal Zoe.
— Heh ?! Quelle question ! Il nous le faut ! Un humain capable de se transformer en titan ?! C'est une découverte majeure ! s'exclama-t-elle.
Nous partageâmes un regard avec Mina sous le choc de la nouvelle, subjuguées, ne sachant ni quoi dire ni quoi faire. Un humain capable d'un tel pouvoir ? Était-ce seulement possible ? Ce monde regorgeait déjà de mystères, de choses inconnues, baignant dans l'obscurité des non-dits et des secrets.
Agatha avait le visage tendu, impossible de deviner si la nouvelle la réjouissait ou l'accablait, un mélange des deux, peut-être.
— Il nous le faut, surenchérit le major Erwin Smith.
Son flegme fit froid dans le dos, jamais on ne l'avait aperçu autant sûr de lui. C'était à peine si on devinait qu'il jubilait au fond. Sa réputation le tenait bien, cet homme était un amoureux inconditionnel des victoires, des choses bénéfiques pour y parvenir. Il me l'avait bien prouvé durant notre entretien dans son bureau, me plaçant directement à la position de poule aux œufs d'or. L'humanité ne rentrait plus en compte lorsqu'il s'agissait de faire un pas en avant.
— Ça craint... murmura Mina, se dégageant rapidement de sa cachette.
Je la suivis directement, accablée autant qu'elle par la nouvelle.
Le bataillon allait accueillir un soldat capable d'un tel pouvoir ? Était-ce seulement possible ?
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▛ Petit mot de l'auteur ▟
Me voici me voilà avec le chapitre 9 (peut-être un tout petit peu plus court que les autres) !
J'ai pris énormément de plaisir à l'écrire, j'espère que la lecture vous aura été tout autant agréable !
Je vous remercies de votre lecture, de votre fidélité, encore une fois, n'hésitez pas à me donner vos avis en commentaire, de laisser un petit vote, ou même de venir me parler en privé ! (Promis, je ne mords pas)
En vous souhaitant la meilleure des journées possible,
Cœur sur vous.
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