ⅠⅠⅠ - Le voyage

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『 Chapitre 3 ⋄ Le voyage 』

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La plupart du temps, quand nous faisions un pas, il s'enfonçait profondément dans la gadoue. On en oubliait l'effet de la saleté sur nos bottes. Le froid avait le don d'attaquer les tripes de tout le monde. Entre les parois glacées des bas-fonds, laissant apparaître de la pierre sèche, vieille contre les parois. Le sol recouvert d'épaisses mousses vertes et vases, les grands piliers qui jonchaient l'intégralité de cette ville, spectateurs de notre détresse, tout était gelé, glacé. Quel triste paysage. Après plus de 10 ans passés dans cette ville souterraine, on finissait par annihiler toutes formes de souvenirs. Je ressentais avec mal le fait de me rappeler à quoi pouvait ressembler un arbre, une fleur, même le soleil. Ils étaient devenus des idées abstraites. Il fut même un jour où j'avais abandonné l'idée d'en revoir. Avec les râles de douleur des voyageurs devant moi, en grimpant une nouvelle marche pour escalader la montée qui me séparait du jour. Je venais à me souvenir qu'enfin, ce jour tant attendu était ici. Il me tendait les bras, voire me prenait contre lui pour me soulager de tout un poids. Dans les bas-fonds, on en oubliait qu'il existait. Nous vivions sans grande valeur ni grandes ambitions, si ce n'était celle de survivre un petit jour de plus. C'était une victoire en soi. Mais là. Là, tout était bien différent.


Je songeais à la patience et au travail qu'il m'avait fallu pour me payer un passeport de citoyen. Les gardes ne rigolaient jamais lorsqu'il s'agissait de quitter cet endroit. Il n'y avait qu'une seule sortie possible ici : le onzième escalier, protéger et surprotéger. À croire que ces truands ne voulaient pas voir de pauvre à la surface... Judith avait peut-être raison quand il s'agissait de faire attention aux personnes d'en haut. Quelques minutes plus tôt, lorsque j'avais pris cet escalier, on m'avait scruté de bas en haut, comme pour voir si je méritais ou non de poser les pieds autre part qu'ici. Ridicule. C'était aussi l'une des raisons pour lesquelles je n'avais pas pu blairer notre passeur. On avait tendance à les appeler comme ça, entre nous, ces gardes responsables d'escorter les gens comme moi. Ceux qui avaient réussi en tapant des pieds et des mains à sortir dans les règles avec ce foutu passeport. Je n'osais même pas imaginer le nombre de personnes arrêtées ou mortes sur cet escalier, qui avaient tenté de passer en douce.


— Là. Vous voyez, on y est presque ! lâcha le guide qui ouvrait la marche.


Le vieil homme transpirait et portait une gourde à moitié vidée dans les mains. Quant à la jeune femme, elle ne possédait aucune grande expression sur son visage. Depuis ces trois jours de marche, personne n'avait échangé la moindre information : aucun prénom, aucun nom, aucun âge. Des passagers d'une vie, témoins de la misère de l'autre. Sûrement allaient-ils tous changer d'identité lorsque la ville allait leur tendre les bras... Je n'oserai jamais le faire : dire adieu à mon nom de famille car c'était rejeté l'identité que ma tendre maman m'avait offerte. Au diable les possibles regards, les curieux à résonner sous le blason « Urthël ». Peut-être que celui-ci était aussi tombé dans l'oubli avec toutes ces années... très certainement, même. L'art ne se propageait que très peu, voire pas du tout dans les bas-fonds. Le règne et le culte de la musique, du violon, des grands orchestres... je leur avais dit adieu lorsque je m'étais retrouvée coincée dedans. La seule chose qui pouvait me trahir, qui se lisait de long en large sur mon visage était très certainement mon albinisme... le portrait craché de ma mère : une peau de porcelaine, des cheveux blancs comme neige, de grands yeux imposants munis de longs cils et des lèvres naturellement cerises. Oui. Plus les années passaient, plus le fantôme de ma mère semblait me rattraper. Seuls mes yeux persistaient à me rappeler ce vieux démon du passé. Un vert forêt éclatant... très loin des pupilles bleu ciel de maman. Elle avait tendance à me dire : « Oh ma chérie... tu as les yeux de ton père. »


Le voyage avait été terriblement long. L'escalier de sortie se trouvait à plusieurs jours de marches de là où nous étions tous établis. Les bas-fonds étaient immenses. Un vrai labyrinthe des enfers où brûlaient chaque jour des orphelins affamés. Même avec un garde comme le nôtre, il fallait toujours rester vigilant aux bandits, aux maladies. Ils nous espionnaient comme des démons prêts à se jeter sur nous. S'ils nous attrapaient, c'était la mort assurée. Nous avions eu un semblant de chance de nous retrouver avec ce passeur-ci, bien trop sûr de lui, mais connaissant bien les lieux. Il nous avait évité les endroits trop connus des malfrats ou même des souffrants. Ce voyage fut un jeu de détours et de retours. La seule chose qui pouvait compter... c'était que nous y étions arrivés.


À me perdre dans mes pensées, j'en oubliais presque la douleur de mes chevilles à monter la énième marche d'escalier en pierre. Mais très vite quelque chose vint frapper mes iris, m'obligeant à fermer les yeux, plaquant ma main en face d'eux.


— Qu'est-ce que... fis-je malgré moi, aveuglée.


Un rire gras passa entre les lèvres de mon passeur qui regardait notre petit groupe. Qu'y avait-il de si drôle à regarder ? Peut-être avions-nous l'air bien ridicules à ne pas savoir où placer notre regard, mais en même temps, quelque chose titilla d'autant plus mon attention lorsque je sentis un courant d'air beaucoup plus fort s'engouffrer dans la caverne, surélevant le bas de ma cape, et me poussant à m'avancer, plus vite, plus fort.


— Bienvenue dans le monde extérieur, finit-il enfin par lâcher, tenant une vieille porte en bois abîmée.


Alors voilà. Cette chose qui n'arrivait qu'à peine à me faire voir des couleurs... c'était bien le soleil. Il me brûlait, d'ailleurs. Je n'aurai pas pensé que la lumière naturelle soit autant... franche et sévère. Cela m'obligeait à baisser la tête, faisant face au sol terreux de ce qui semblait être une forêt. Ma cape recouvrant toujours mon visage, je ne pus m'empêcher de sourire, enfin. Balayant la capuche de mon crâne, libérant mes cheveux sales de ce voyage ardu, et relevant ma tête, tout droit, vers le ciel, je pris ma première véritable bouffée d'air frais, sentant mes poumons se remplir d'une tout autre sensation. Elle était si agréable, d'ailleurs. Le temps semblait s'être mis en suspens, tout était en transe durant cette simple aspiration. Tandis que mes narines se délectaient de l'odeur avoisinante, que mes oreilles embrassaient chaque bruit offert par la nature, ah, mon cerveau semblait rechercher la moindre étincelle, sons subtiles d'attirer mes tympans et arômes nouveaux. J'en avais les larmes aux yeux. Oublier ce à quoi pouvait ressembler la vie en elle-même, c'était sûrement ça, le triste bilan d'une vie souterraine.


— C'est ici que nous allons nous quitter. Vous trouverez le district de Yalkell en longeant ce chemin, annonça-t-il en pointant du doigt une vague allée jonchée de broussailles.


Tu parles d'un chemin.


C'était donc ici que, seule, je devais réussir à trouver un moyen de me rendre au district de Hermina. Je ne l'avais jamais sorti depuis le début du trajet par peur de me la faire voler. mais ma carte dérobée à Judith me serait bien utile. Je ne portais qu'une très fine confiance en mes compagnons de voyage inconnus. Je n'avais même aucune idée de ce qu'ils comptaient faire de leur côté. Certainement, rejoindre Yalkell, trouver une ville où s'établir... et survivre. Le garde referma la porte derrière lui, rentrant de nouveau, et tout simplement, dans les bas-fonds. Comme si tout était d'une simplicité hors-norme de les quitter. Quelle ironie. Cette porte en bois, cependant, elle avait le don de bien refléter ce qu'était cette ville : vieille, putride, fatiguée.


Le vieil homme me sortit de mes songes à racler sa gorge, remettant sur son dos son sac épais. Il commença à s'avancer seul dans la forêt, sur ce long chemin, l'air de dire : « Cavalier seul». Mon regard se tourna immédiatement vers la jeune femme qui me fixait déjà. Elle semblait chercher ses mots, mais finit par pousser un soupir avant de rejoindre l'ancêtre, sans un discours.


C'est un adieu, j'imagine.


Au moins, tout cela me laissait le temps de pouvoir remettre mes idées en place. Je trouvai une pierre où m'asseoir, restant non loin de la porte tout en sortant la carte. Mes yeux se baladaient de long en large dessus. Le chemin allait encore être long à en mourir. Yalkell ne se trouvait pas loin, certes, mais Hermina était mon objectif, et celui-ci se localisait à encore quelques jours de marche. Il fallait que je trouve un moyen de m'y rendre rapidement. Les inscriptions avaient lieu dans une semaine à peine. Abandonner n'était pas dans ma cible. Il fallait que, moi aussi, je me mette en route. Le temps d'avaler ce qu'il me restait d'eau, priant pour que sur la route je trouve de quoi remplir ma gourde de nouveau, et avalant un morceau de pain durci, je repris mes affaires, remis ma capuche contre mes cheveux, avant de, moi aussi, suivre le chemin d'une nouvelle vie.


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— Vous pouvez vous servir de la salle de bain à votre guise. Le repas est servi de 19 h à 21 h. Merci d'avoir choisi notre auberge, je vous laisse vous installer ! fit la jeune femme qui m'avait accueilli à bras ouverts.


La chambre était miteuse, mais c'était tout ce que je pouvais m'offrir. J'avais réussi à rejoindre Yalkell après deux longues heures de marche éprouvante sous le soleil. La faim et la soif avaient réussi à me faire tourner de l'œil peut-être trois fois sur le chemin, comparant toutes les pensions pour guetter la moins chère et m'y établir pour la nuit. Au moins, ce soir, je pouvais jouir d'une douche et d'un repas chaud.


À peine fut-elle partie, d'ailleurs, que mon corps s'effondra sur le lit.


Ah bon sang, il est beaucoup plus confortable que chez moi.


Les draps étaient propres, ils sentaient la lessive fraîche. Pour la première fois depuis des dizaines d'années, je goûtais au plaisir simple de retrouver un lit adéquat. Je me tournais et me retournais sur ce matelas, jusqu'à planter mes yeux face au plafond boisé. Je pouvais les entendre. La ville, les gens.


C'est tellement différent.


Aucun pleur, hurlement, signe de bagarre ou râle de détresse. Les seuls discours que je pouvais entendre étaient des négociations sur le prix du pain, des enfants s'amuser sous les petites inquiétudes des parents.


C'est ce à quoi ressemble une vie normale.


Une faible larme perça la barrière de mes yeux tandis que mon sourire se fraya un chemin sur mes lèvres, je ne pus que pouffer de franc cœur, laissant aller à ma joie de retrouver ces choses simples. Ces petits moments de vie quotidienne qui avaient disparu en un claquement de doigts. Mon corps me causait une douleur aussi immense que celle de mon crâne, j'empestais au possible avec tous les efforts du voyage, mes pieds étaient ensanglantés. Malgré tout ça, malgré tous ces fracas, ces maux et ces douleurs, bon sang, que je me sentais vivante. Bon sang, que j'étais heureuse d'être ici.


Peut-être étais-je restée à fixer ce toit durant une bonne heure. Je voyais ma vie défiler sous mes yeux, toutes mes années de batailles à me souhaiter un avenir paisible... J'y étais enfin.


Je me levai non sans grimacer de mon matelas. J'avais profité d'une faible motivation pour laver mes vêtements avec les moyens du bord. Je n'avais rien, mais il était hors de question de m'afficher avec autant de saleté. Cette tenue était la seule que je possédais. Il allait falloir tenir avec ça le temps de pouvoir accéder au bataillon. C'était le cadet de mes soucis de devoir trouver de nouveaux habits. Si je pouvais encore m'offrir le luxe d'une nuit à l'auberge ou même un moyen plus rapide de me rendre à Hermina.


L'argent va être un sérieux souci.


Tandis qu'ils séchaient devant la fenêtre ouverte, profitant d'une brise d'été pour enlever l'humidité, je m'étais enfin permis une douche, me sentant revivre à sentir l'eau se glisser sur ma peau. Elle était froide. Je n'en avais rien à faire. Avec le repas du soir qui s'annonçait, ces deux choses aussi simples que se laver, manger étaient des cadeaux tombés du ciel. Le sang s'échappait de mes pieds, un filet rougeâtre se faufilait avec l'eau jusqu'aux canalisations. Ils me piquaient atrocement. Je n'osais qu'à peine imaginer l'état de mes muscles demain. Il fallait que je songe à entretenir ma souplesse, qui plus est. Mettre toutes les armes de mon côté pour être prise.


Parce que, que faire si on me refuse là-bas ?


Je n'avais rien. Aucun bagage avec les brigades d'entraînement. Juste la connaissance de la misère, de l'entraînement assidu pour me défendre face aux brigands et une adresse impressionnante. C'était tout ce que je possédais pour me vendre comme un bon élément pour le bataillon. Il valait mieux faire taire certaines pensées. Si je m'engouffrais dans le noir profond, je me savais incapable de continuer.


Canalise, Nellas, canalise.


Après cette douche, je pris soin de bander mes pieds avec des ébauches de tissus que je m'étais gardés pour cette possibilité : celle de me retrouver ensanglantée. J'avais également volé un petit flacon alcoolisé à Judith afin de pouvoir cicatriser mes plaies. Entre ça et sa carte, je me doutais bien de sa colère, en bas.


Ne m'en veux pas trop.


Tout ce petit numéro me causa une grande douleur, une nouvelle fois, à sentir ma peau cramer sous l'alcool qui venait d'être posé sous le bandage. Il fallait que je tienne bon, au moins jusqu'aux inscriptions.


Pour me tenir éveillée et pour également diminuer les courbatures, je pris aussi soin de m'étirer de mon long. Chaque muscle y passa, même si tout ça me faisait souffrir, jusqu'à me rappeler mes débuts d'entraînements avec Judith : épuisée, affolée, titubante. Puis, enfin, enfin, oui. Il fut temps d'arrêter, de trouver le courage de descendre pour profiter d'un repas après avoir revêtu mon haut sec, mon pantalon brun et mes bottes nettoyées de toute cette boue.


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Je partis à l'aurore, fraîchement préparée tout en profitant d'une dernière douche avant d'attaquer une nouvelle journée de marche. Le but étant aujourd'hui de trouver un moyen de me rendre à Hermina.


Je m'étais glissée dans cette ville encore endormie, voyant les étalages du marché se former. Le ventre rempli de mon petit déjeuner à l'auberge. La gérante s'était excusée du maigre repas, pour moi, c'était un luxe considérable de profiter d'un pain frais, d'une confiture, d'un fruit ainsi qu'une tasse fumante de lait.


— « On en croise pas souvent des comme vous ! » m'avait-elle dit ce matin même.


Certainement hypnotisée par ma chevelure blanche. Elle me causait bien des soucis, celles-ci, par moment. À me faire passer comme une bête de foire sous le regard ahurie de certains. La cape était ma meilleure alliée pour m'éviter les mauvaises rencontres. Au moins, elle camouflait assez bien ma tignasse.


Je m'étais mise en quête d'interroger les commerçants pour trouver un moyen de traverser les villes et le mur Sina plus rapidement. Certains haussaient les épaules et vantaient le mérite de leur ville, à citer des « Bah pourquoi voir ailleurs ! » puis d'autres m'aidaient réellement en faisant mention de transport fluvial. Ça, ça pouvait être utile. Cependant, mes espoirs à peine fondés se détruisaient d'eux seuls dès qu'il fut mention du prix. Impossible de m'offrir le luxe de partir en bateau. Je commençais même à perdre espoir quand les coups de midi tapèrent. J'étais assise sur un ballot de paille à compter combien de pièces il me restait.


À peine de quoi manger et dormir une nuit dans une auberge.


Marcher m'épuiserait trop en plus de ne pas pouvoir arriver à temps. J'avais songé gagner un peu d'argent en travaillant dans un bar le temps des inscriptions. La main-d'œuvre était souvent recherchée pour peu de temps, donner un petit salaire au jour le jour était bien plus économique pour les entreprises que de s'appauvrir à payer quelqu'un tous les mois à prix d'or. Je ne recherchais aucune richesse, juste de quoi pouvoir manger le temps de mon maigre séjour.


La journée va être longue.


Prenant appui derrière moi pour sauter hors de mon assise, je me remis en route, sac perché sur le dos, pour trouver un moyen de partir de Yalkell.


Je marchai encore une bonne heure avant de trouver quelque chose d'intéressant : des chariots chargés de caissons et de paysans qui les remplissaient. Mes yeux se mirent à scintiller, reconnaissant une maigre lueur d'espoir.


— Hey ! Excusez-moi ! Est-ce que l'un d'entre vous part pour Hermina ?! hurlais-je aux travailleurs.


Certains firent un non de la tête, d'autres s'excusèrent, et mon espoir se brisa de nouveau au fur et à mesure que je m'avançais. Mais enfin, dans le fond, un homme avec un large chapeau de paille, branche de blé aux lèvres, coincée entre les dents, se posta devant moi tout en tenant la bride de son cheval.


— Moi, j'y vais. Livraison de pommes de terre. Tu cherches quelqu'un pour t'y emmener, petite ? avait-il répondu.


Cet homme était apparu comme un signe du ciel, un sauveur. Mes yeux s'illuminèrent alors que mon large sourire apparut sur mes lèvres, avec entrain, je répondis :


— O.. Oui monsieur ! Je vous paierai ! E... enfin avec...


L'homme me coupa en poussant un large rire. Il était chaleureux, si bien qu'il me secoua de tout mon être. Je n'en avais pas entendu un seul depuis mon retour. En espérer un véritable dans les bas-fonds, c'était inespéré, voire impossible. Je sentis même mes joues chauffées malgré moi, surprise sur le coup.


— Hors de question. Monte avec moi. De la compagnie ne fera pas de mal à un travailleur fatigué comme moi !


C'était à peine si je sentais les larmes me gagner tant la gentillesse de cet individu m'attrapa les tripes. Affreux. Horrible. Terrible. J'avais bien oublié à quel point les Hommes pouvaient être bons, parfois.


Les yeux brillants, adressant un sourire adouci, je fis un « Oui » de la tête. Il me le rendit, m'aidant à charger mon sac sur les caissons qui gisaient derrière nous. Trouvant une place assise à côté de lui, faisant attention à s'il n'avait rien oublié, il agita les rênes d'attelages sur la lanière, faisant avancer le cheval et la charrette avec.


Au bout de quelques minutes, après avoir quitté la ville pour laisser place à la campagne avoisinant le mur Sina, l'homme avait enfin fini par prononcer un mot. Je n'avais pas osé lancer la conversation, jusqu'alors, trop habituée à me rendre invisible.


— Alors, dis-moi ma p'tite. Qu'est-ce qui amène une jeune fille aux cheveux blancs à voyager comme ça. Tu fugues ? avait-il dit sur le ton de la plaisanterie, son brin d'herbe toujours coincée entre les dents.


Le rouge me reprit aux joues, malgré moi. Était-ce de ça que j'avais l'air ? Une fugueuse ? Dans un sens, il en était légèrement question. Certainement que les jeunes filles comme moi, dans cet univers-ci, n'avaient rien à faire là.


— N.. Non.. Je n'ai pas fugué, loin de là... je cherche à intégrer le bataillon d'exploration.. Les inscriptions ont lieu à Hermina, je ne peux pas les louper, répondis-je, cherchant où poser mon regard.


— Et bah ça ! commença-t-il, visiblement surpris par ma réponse. Je m'attendais pas à ça ! Vous êtes rares, on vous appelle « les suicidaires » les gens comme vous à vouloir intégrer le bataillon !


Réjouissant. Cependant, je ne pouvais que le comprendre. La plupart ne s'inscrivaient que dans les brigades spéciales ou bien partaient en direction de la garnison. Rares étaient les volontaires pour faire partie du bataillon d'exploration, même aux brigades d'entraînements. Je songeais que le nom « suicidaires » correspondait plutôt bien à ma situation. C'était un saut dans le vide, une chute libre. Je ne savais même pas si j'allais y survivre. Cependant, il le fallait.


Un faible sourire me prit, mes cheveux volant au gré du vent qui s'engouffrait dedans. Je plaçais une de mes mèches derrière les oreilles avant de faire :


— Je n'ai rien qui m'attend à la maison... c'est un rêve qui me tient éveillée depuis de nombreuses années... Je sais que là-bas, j'ai une faible chance de pouvoir m'en sortir et de donner un sens à ma vie.


Je ne vis pas le regard du fermier à ma réponse, mais son silence en disait long. Il semblait chercher ses mots, comme gêné d'un coup d'avoir certainement découvert que la vie d'une fille aux cheveux blancs n'était pas si pure. Enfin, il avait fini par pouffer un :


— Je te souhaite de le trouver, dans ce cas.


Arquant mon visage vers le sien pour y voir toute la sincérité du monde, les yeux brillants. Je ne pus que feindre un sourire à cette remarque si gentille et innocente. Voilà bien longtemps qu'on ne m'en avait pas offert.


Le reste du voyage tourna sur des banalités. Autant je n'avais pas grand-chose à raconter, autant Anès, ce brave paysan, s'était donné à cœur joie de me raconter sa route. Il avait une femme, deux enfants énergiques, il travaillait dur et aimait sa vie. Il portait ce genre de simplicité que j'aurais adoré avoir. C'était autant réconfortant que léger. L'écouter, l'écouter comme une histoire au coin du feu. Je n'avais plus ressenti cette sensation depuis un moment. Une nouvelle fois les souvenirs peinaient à se montrer quand il s'agissait de joie et de bonheur. Même les cinq bonnes heures de trajet ne m'avaient pas paru si longues que ça. Mes pieds me faisaient encore une douleur atroce, c'était un luxe en soi de m'épargner de la marche. Anès m'avait même offert un morceau de son déjeuner sur le trajet. Il disait qu'il appréciait ma présence, que je lui rappelais sa jeune sœur. Je ne pouvais qu'être reconnaissante d'avoir croisé sa route. Je ne m'étais pas sentie si seule au monde durant ces petites heures. Cela laissait une sensation si douce au cœur.


Les grandes portes du district d'Hermina nous ouvrirent les bras. Il était environ 17 heures, le soleil brillait encore fort en ce temps d'été. Je touchais enfin au but. Enfin, oui, j'allais pouvoir m'appliquer sur mon objectif et me concentrer sur l'essentiel : reposer mon corps meurtri par ce voyage et me préparer à entrer dans le bataillon. Quoiqu'il m'en coûtait. Il fallait que je réussisse.


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