ⅩⅩⅩ - Le voile de la vérité

『 Chapitre 30 ⋄ Le voile de la vérité』

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Je tenais dans mes mains le petit mouchoir en soie que je connaissais bien. Il me ramenait aux heures des débuts d'épanchements, aux premières pensées et sourires que je tentais bien de camoufler. La sensation que j'éprouvais était si nouvelle, jeune, pratiquement indéchiffrable, que j'en perdais ma complète résolution.
Sa main tenait mon épaule alors que je reniflais, rouge écarlate. Le silence nous avait rejoints comme un vieil ami, témoin d'un secret échangé.


Un secret qui s'était révélé réciproque.


Mon cœur, jusqu'alors submergé, n'arrivait pas à parvenir à la surface. La situation, aussi lunaire soyait-elle, n'osait pas m'effleurer de sa clarté. Tout était si complexe, terriblement simple à la fois. Un contraste dont je ne savais pas quoi faire, si petite, emmitouflée dans des bras protecteurs.


Qui me plaît aussi


Ses mots dansaient encore contre mes lèvres. Impossible pour moi d'en oublier la sensation de ce baiser impromptu. Il avait été trop bon, trop attendu. Je m'étais surprise à souhaiter que le temps s'arrête, se stoppe, d'un seul coup.


Qui me plaît aussi


Et comment oublier, comment ? Mes dents, par mégarde, ou par pur naturel, venaient gratter ma peau, étirant ma bouche comme pour me permettre de retrouver cette sensation, trop vite envolée à mon goût.


Mon cœur, diantre, mon cœur, semblait s'être évanoui au bout de mes doigts. Pour la première fois de ma vie, mes sentiments me semblaient trop limpides, clairs, chatoyants. Oh, le caporal-chef Livaï avait eu raison de moi.


Le monde ne m'avait rarement paru aussi vertigineux qu'à cet instant, où, seule la lune si avancée nous contemplait.


Un trou noir dans l'espace-temps.


Je sombrais, droit dedans.


— Ça va mieux ? Brisa alors le caporal-chef, imperturbable.


Un hoquet de surprise se cogna contre ma gorge alors que je rougissais de plus belle, visiblement peu préparée à entendre de nouveau le son de sa voix.


— A-euh-mh- Oui- je dirai-


— Tu mens terriblement mal.


Nos yeux s'entrechoquèrent, se cognèrent. Mon vert se mélangeait à son gris, l'envie de l'embrasser me reprit d'un coup, et comme un interdit, je le contemplais, envieuse de désir.


Ses doigts se faufilèrent en dessous de mon menton. Peut-être avais-je rêvé, je crus apercevoir un faible rictus contre sa bouche. Qu'était-ce donc encore que ça ? Seigneur, cet homme savait trop bien se jouer de moi.


— Je... suis un peu perdue... vous m'aimez aussi..? avouais-je.


Ma voix fuyait, s'échappait. Elle sonnait si timide, pratiquement imperceptible. De tous les scénarios possibles, jamais je n'avais entraperçu la possibilité que mes sentiments reçoivent la réciproque.


— Je n'ai pas été assez claire ?


Il était trop proche, beaucoup trop proche. Mon pauvre cœur ne savait pas encore réagir avec tout ça, j'en avais presque le tournis, mais quelque part, je n'avais aucune envie que l'écart se creuse davantage.


J'ouvris la bouche, pour répondre, plus rouge qu'avant. Il avait souri, lisant dans mes yeux comme il le faisait toujours.


— Tu veux le réentendre ?


Prise en flagrant délit, incapable de lui camoufler quoi que ce soit, je m'étais résolue à sourire légèrement, m'abandonnant à mon sort en hochant la tête.


— Tout cela ressemble un peu trop à un rêve, avouais-je.


Il pressa davantage son épaule contre la mienne, jusqu'à ce que nos visages furent assez proches. Désormais à quelques centimètres l'un de l'autre, centimètres qui ne désiraient qu'à être brisé, je me perdais dans l'immensité de ses yeux gris acier.


— Tu me plais.


Trois mots, rien de plus. La simplicité lui allait si bien. Il touchait les mots justes, sans jamais user de complexité. Lorsque je me surprenais à l'écouter, il avait toujours eu le don de me transporter, en plus de ranger mes émotions trop désordonnées.


Les questions se perdaient pourtant contre ma langue. Dans ma gorge, j'entendais siffler de l'incompréhension. Qu'avais-je fait pour mériter un tel échange ?


Pourtant, le bonheur était tellement intense, que pour l'une des rares fois de ma vie, je m'abandonnais à accepter cette vérité sortie de sa bouche.


— Merci... chuchotais-je contre ses lèvres.


Il n'ajouta rien de plus, ses lèvres se posèrent de nouveau, cette fois-ci, contre mon front. Qu'étions-nous devenus ? Un sentiment particulier commençait à habiter mon être : amour, respect, supériorité... tous ces statuts n'allaient pas ensemble. Comme une prise de conscience naturelle, je me disais qu'il allait falloir que je reste discrète, tout comme lui. Nous avions toujours fonctionné comme cela, après tout.


— Tu devrais te reposer, on a encore un peu de route avant d'arriver à Trost, me signala-t-il.


J'en avais complètement oublié les effets de la fatigue sur mon corps. Ma courte nuit me paraissait anecdotique à côté de ces effluves d'émotions. J'avais la ferme impression d'avoir gravi le sommet d'une montagne en moins de quelques heures, et alors, de l'avoir descendu juste après. La vie de soldat avait de ces côtés complètement invraisemblables. Entre des morceaux charcutés de peaux et de morts, on trouvait des éclats d'humanité absolument flamboyants.


Une vie à deux échelles. Je commençais à m'y accoutumer, petit à petit.


Judith me disait souvent que lorsque mon esprit se retrouvait incapable de réfléchir, alors le corps s'y prenait à ma place. Peut-être était-ce la meilleure chose à faire pour le moment, d'autant plus que je sentais que la journée allait être encore terriblement longue. Il ne fallait pas que je flanche. Le cœur de l'action n'avait fait qu'échafauder son arrivée, il nous restait à attaquer son centre et ses battements vitaux. Dieu sait que la bataille à venir allait être redoutable.


— Je vais faire ça, oui, fis-je.


Instinctivement, ma tête vint se blottir contre son épaule. Sa main n'avait pas quitté la mienne, au contraire, il la laissait comme un geste témoignant de sa complicité. Il m'offrait sa présence, et ainsi, je n'avais plus aucune peur, plus une seule à me risquer de fermer les yeux.


Peu à peu, ma vision se brouillait, bercée par les mouvements de la charrette, le sommeil arriva bien plus vite que ce que j'aurai pu imaginer.


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Ce n'était pas les rayons matinaux qui m'extirpèrent de mon sommeil, mais bien de sentir que Livaï lâchait sa prise contre mon corps. Cela causa un froid assez désagréable, mais en ouvrant les yeux, constatant que l'aube nous saluait, je compris rapidement que nous arrivions à Trost.


Je me redressai, frottant mes yeux encore endormis alors qu'il m'adressa un regard.


— Bien reposée ?


— Étonnement très bien, répondis-je.


Il hocha la tête, rien qu'à son expression je ne pouvais que sourire naturellement, voyant bien que ma réponse lui fit plaisir.


— On arrive, tiens-toi prête.


— Bien, caporal.


Les grilles de la ville nous accueillaient comme de vieilles amies. Les Murs, protecteurs, semblaient plus similaires à des leurres depuis la dernière bataille. La confiance s'était éteinte, laissant place à un gouffre sans nom qui n'était autre que le mystère et le mensonge.


Personne, à présent, ne pouvait deviner à l'avance ce qui allait nous tombé dessus. C'était une boîte mystère absolument détestable. Nous laissant dans l'incapacité de deviner quoi que ce soit.


Devant nous, la charrette contenant le corps morcelé du caporal Zacharia et de Tara guidait la nôtre. Rarement un retour en ville ne m'avait paru aussi pesant. Çà et là, on devinait la misère et les dégâts de la bataille trop récente. Entre les cris de mécontentements, les râles de douleurs, les semblants d'acclamation camouflant un espoir d'optimismes survivants, tout se mélangeait. À nouveau, je dissociais. Un côté de moi se rangeait, laissant sortir une facette plus endurcie : celle que je revêtais désormais lorsque la rage de vaincre me consumait.


Entre les débris de pierres et la poussière, nous avancions avec difficulté. Certains quartiers étaient condamnés, autant dire que les dégâts matériels étaient loin d'être une priorité. Il n'y avait qu'à jeter un œil dans les bâtiments municipaux, on devinait facilement leurs réhabilitations en hôpital de fortune. Puis, dans ces décombres de désolation, je m'imaginais avec un pincement au cœur la fatigue béante qui devait consumer mes fidèles amies. Deux positions différentes pour une même bataille. Le bataillon ne serait plus rien sans elles.


Mon poing gagna ma poitrine, je me mis à serrer le tissu de mon haut, sourcils froncés à regarder ce désastre. Je n'en percevais plus le regard inquiet de mon tout nouveau compagnon, qui, discrètement, pour me faire revenir à la réalité, plaqua son genou contre le mien. Bras croisés, il m'adressait un simple regard.


Nous échangeâmes une œillade, tendre de son côté, tétanisée du mien. Un souffle, juste un seul. Mon corps se décrispa légèrement, jusqu'à ce que je lâche complètement ma prise.


Sous mes fesses, je sentais claquer les roues de la calèche contre les pavés déchirés de Trost. Ça criait, pleurait de partout. Impossible d'en déchiffrer le sens : entre lamentations et complaintes, la ligne était fine.


— Bande de rats ! Regardez ce que vous avez causé à notre ville ! Vous nous apportez assez de soucis comme ça !! beuglait un villageois.


— Dégage du passage ! C'est un ordre ! Ne m'oblige pas à forcer la route ! hurlait en retour le cocher.


Un spectacle. Nous étions la cible maîtresse de la colère de cet homme. Quelque part, je le comprenais. Sa vie venait sûrement d'être détruite en une petite journée. Il avait fallu quelques heures pour anéantir des années de labeur.


À mes côtés, Livaï ne bougeait pas, ne semblait même pas agacé. Que pouvait-il penser dans ce genre de moments ? La culpabilité me rongeait les os, ma détresse se lisait au fond de mes yeux brouillés de larmes.


Après un tumulte d'insultes et de violences, la charrette avait fini par creuser son chemin dans la foule en colère. Nous étions bientôt arrivés à destination : le QG militaire de Trost.


Je reconnus aisément dans la foule de soldats une silhouette familière : celle de Jean qui n'avait jamais quitté ce poste. Il avait l'air inquiet, compréhensif, l'intégralité de ses amis se trouvait au cœur de la bataille, et après avoir pansé les blessures du caporal Zacharia, je n'osais qu'à peine imaginer l'ampleur du combat.


L'un des soldats des brigades spéciales s'approcha de la charrette, attirant l'attention de mon caporal-chef.


— Hé Livaï, elle est où, notre proie ?


— Oh ? Vous avez l'air de regretter que ça soit paisible par ici, les gars, hein ? répondit le caporal-chef.


Ils me dégoutaient. Impossible de ne pas camoufler ma mine désapprobatrice face à leurs propos. Je me permis de me lever pour me dégager de la charrette, il fallait que je parle à Jean.


— Désolé de ne pas vous avoir arrangé un rencard avec un charmant titan. Bon, vous n'avez peut-être pas de chance cette fois-ci, mais vous savez, il y a toujours des tonnes d'occasions de vous aventurer hors des murs dans une expédition d'éclaireurs. Alors, et si on unissait tous nos forces et allions casser du titan ? Vous savez, vous et moi, ensemble, côte à côte ?


Un faible rictus me prit aux lèvres en entendant le discours de mon compagnon. Impossible de ne pas pouffer discrètement en voyant à quel point il venait de déstabiliser ces messieurs. Seul Jean n'était pas impressionné, plus inquiet et perdu dans ses pensées. Il s'était toujours montré présent pour moi, pour me rassurer. Non pas que je me sentais redevable, au contraire, je possédais l'envie de pouvoir le soutenir comme le ferait n'importe quel ami.


— Je vois que je ne suis pas la seule à faire une sale tête quand quelque chose me tracasse, fis-je.


Je me posai à ses côtés sur l'une des caisses en bois. Jean, sortant de ses pensées, sursauta pratiquement. Il fit une mine grognon à ma réplique, passa sa main dans ses cheveux déjà décoiffés, puis soupira.


— Ce plan à la con... tous les autres sont restés au QG. Connie, Sasha, Reiner, Berthold... On a notre cul assis ici sans rien pouvoir faire, c'est en train de me rendre dingue, pesta-t-il.


Je ne pouvais que le comprendre. Cette position qui te hurlait sans cesse le mot "inutile" semblait ne jamais nous lâcher. La vie de soldat pouvait être cruel dans bien des sens : autant combattant de la mort que spectateur. Dans les deux cas, la douleur restait la même.


— Ils sont forts, ils vont s'en sortir... essayais-je de le rassurer.


— Ouais, ça on en sait rien, t'as bien vu les dégâts causés à Trost y'a quelques mois, on sait parfaitement ce que les titans sont capables de faire. Cet enfoiré de suicidaire est bouclé au lit ! Ils n'ont personne pour les aider ! commença-t-il à hurler.


La colère et la hargne se lisaient facilement dans ses yeux noisette. Il m'était difficile d'adopter une posture bienveillante pour lui, à ses yeux, l'inquiétude le ravageait. Il était loin, eux, trop éloigné. Hormis attendre sans rien y faire, nous ne pouvions pas réagir. Il y avait de quoi être en colère.


Je me rappelais de ses gestes à chacune de mes crises d'angoisse. Lorsque la peur me capturait la poitrine, qu'il m'était impossible de bien réagir, de mieux respirer. Je me rapprochais de lui, planta alors ma petite paume au sommet de son crâne que je me mis à tapoter gentiment.


— Je suis là, fis-je, simplement.


Peut-être prenais-je trop exemple sur mon caporal avec de simples mots. J'avais fini par apprendre qu'ils étaient souvent les meilleurs à employer quand tout semblait hors d'atteinte. Une piqûre de rappel, un retour à la réalité. Rien qu'à partager une œillade avec mon ami, aucun doute sur le constat, j'avais réussi à le toucher.


Perplexe, Jean ouvrit quelque peu la bouche. Il essayait de chercher ses mots, en vain. Des rougissements, sans doute de gêne, trop peu habitué à délivrer au monde ses émotions, capturèrent ses joues. Il baissa simplement la tête pour se camoufler, grommelant en silence.


Un petit sourire attaqua mes lèvres alors que je le voyais si embarrassé. Quelque part, je me sentais fière, utile aussi. J'avais su être présente pour lui, à mon tour.


Un souffle de vent frais s'engouffra dans la cour. Mes cheveux blancs attaquèrent mon visage, me forçant à entremêler mes doigts autour d'une mèche que je m'empressais de dégager.
Le soleil arrosait la terre. La nuit paraissait presque lointaine. Alors que je zieutais en direction de mon caporal, un sourire me gagna. Nos regards se croisèrent, il me regardait, je lui souriais. Un secret, alors ? Mon cœur battait la chamade. Maman aussi devait ressentir cela... ce sentiment indescriptible qui me faisait oublier, pendant une seule seconde, l'atrocité de la guerre.


Je fermais les yeux, les rouvrais, je ne voyais plus que lui.


Puis, alors, dès lors que je me laissais une seconde de répis, quelqu'un rentra avec fracas, et se mit à hurler :


— L'escouade d'avant-garde est de retour !!! Que quelqu'un aille en informer le commandant Pixis !!


Les sens en alerte, l'intégralité des soldats se mirent à s'approcher de lui. Un déferlement humain, une vague de mouvement qui m'en fit presque trébucher de mon assise.


Je fronçais les sourcils, guettant la réaction de mon ami. Je percevais immédiatement la goutte de sueur qui venait de glisser le long de sa tempe.


Il était venu l'heure du verdict.


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Attroupé autour de ce pauvre jeune homme paniqué, j'avais trouvé place aux côtés du caporal-chef et de Jean. Ma droite respirait un air impassible et surpris, ma gauche l'inquiétude et la concentration. Le commandant Pixis ainsi que le commandant Smith, rivés sur ce gamin en sueur, attendaient comme nous tous la vérité du terrain.


— N-nous n'avons trouvé aucune anomalie ou brèche dans le mur...


La voix hésitante, ce pauvre jeune homme essayait tant bien que mal de cracher le plus d'informations que possible. À sa place, je me serais déjà évanoui. Il n'y avait qu'à contempler les yeux tranchants du major Smith, il avait le même regard lors du bal, j'avais cru ne jamais revenir vivante ce jour-ci.


— Je vois... je m'en doutais, répondit le commandant Pixis avec un calme redoutable.


— M-mais la situation est tout de même grave ! Alors que nous étions sur le chemin du retour en direction de Trost pour délivrer notre rapport, nous avons rencontré les forces de la division des éclaireurs menées par Hanji !


J'eus un léger haut-le-cœur en entendant le prénom de ma caporale, comprenant immédiatement que le danger venait de là-bas. Jean se crispa, je sentis que Livaï également même si son regard restait ferme.


— Ils avaient plusieurs nouvelles recrues originaires de l'ex-104ème session de recrutement non équipées de leur attirail de manoeuvre tridimensionnelle... Parmi ces recrues il y en avait trois...


...Qui se sont révélées être des titans !


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Petit mot de l'auteur

Aie aie aie, ce qu'il a été difficile à écrire celui-ci ! -On remercie les pauses dans ma routine d'écriture hein ça me réussit pas-

-Les partiels aussi-

-Puis le boulot avec-

-Bref la vie en générale me guette comme il faut-


Tout ça pour dire que je suis navrée s'il ne possède pas la même intensité que mes autres chapitres ! Je n'abandonnerai jamais ce gros bébé, même si pour ça je fais des apparitions surprises de plusieurs mois, mais teh, je réapparais toujours comme dit ! 👀

J'espère qu'il vous aura tout de même plu !

Cœur sur vous.


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