『 Chapitre 33 ⋄ La femme à la chevelure de feu 』
Judith n'était toujours pas revenue. Je me forçais à ne pas m'en inquiéter, je regrettais de l'avoir laissée seule face à ses vieux démons.
Le cabanon était tellement poussiéreux que le caporal-chef avait presque tourné de l'œil lorsque nous étions entrés pour appréhender les lieux. C'était assez comique à voir, mais je n'avais pas moucheté au grand contraire de Heide qui, finalement, avait fini par fuir pour échapper aux gourous du terrible Livai Ackerman, s'occupant de décharger la petite charrette qui contenait nos différentes affaires. Un grand nettoyage allait s'imposer... il n'y avait qu'à regarder comment mon chef jaugeait les différentes pièces.
C'était un endroit curieux. A première vue, on pouvait confondre le cabanon avec une simple chaumière, mais en s'aventurant de plus en plus, on y découvrait une vraie cave avec sa propre prison. Tout semblait avoir une histoire, quelque chose à raconter : les quelques craquelures sur le mur de bois, les bouteilles vides au sol, les papiers détrempés, et même les toiles d'araignée.
De mon doigt, je laissais un trait se dessiner le long de la table poussiéreuse, m'arrêtant net devant le caporal-chef. Celui-ci enroula dans sa main une boucle épaisse de mes cheveux, et notre proximité fit battre mon cœur de plus en plus fort. Il se rapprocha, plaquant son souffle chaud contre ma peau. Il susurra alors :
— Je vais devoir rejoindre Erwin...
Comme s'il le regrettait, les yeux semi-clos, mes mains venant se loger contre son torse, je m'abandonnais complètement à la sensation de réconfort que m'offrait sa proximité.
— Viens-je avec vous ? chuchotais-je.
Il me rapprocha davantage de lui, me laissant deviner sa prochaine réponse. Mon cœur se serra légèrement : jusqu'ici je ne l'avais jamais quitté, et une nouvelle peur prit place au creux de ma poitrine : celle de la toute dernière fois.
— Tu resteras ici avec Judith, Wolfhart m'accompagne, répondit-il.
Ne me parlez pas avec cette voix, pitié... songeais-je. A mon tour, je me mis à agripper le haut de sa chemise, enroulant le tissu entre mes poings. Nous n'avions même pas eu le temps de discuter de nos aveux, de nos sentiments respectifs. Fallait-il réellement que je lui dise adieu maintenant ?
Ses doigts se calèrent sous mon menton, me faisant relever le visage droit vers le sien. Les yeux pétillants, nous nous comprimes en une seule seconde. Nos lèvres se scellèrent, m'offrant un baiser tellement plus profond et intense que le tout premier. Il dura plus longtemps, la sensation d'une nouvelle éternité qui semblait n'appartenir qu'à nous. Ainsi, en fermant les yeux, je nous imaginais sur le toit du QG, seuls, face aux étoiles.
Le rêve prit fin lorsque nos lèvres se décollèrent. Peu-à-peu, je le sentit se détacher de moi, m'octroyant un vide et un froid intense. Sa main se logea en haut de mon crâne qu'il se mit à caresser délicatement.
— Attends mes ordres, nous nous retrouverons bientôt.
La question était bien quand ? Bientôt pouvait signifier tellement de choses... Malgré tout, si ces derniers jours m'avaient appris quelque chose, c'était peut-être qu'il ne fallait plus chercher à comprendre ni à contredire les ordres. Alors je hochais doucement la tête, scruté par Livaï qui semblait vouloir lire en moi, il fronça les sourcils, prêt à dire quelque chose, cependant, on il se fit interrompre :
— Mh mh, dit Heide en se raclant la gorge.
Nous nous séparâmes rapidement, non sans un claquement de langue de la part du caporal. Dans l'entrebâillement de la porte, j'aperçue au loin les cheveux crépusculaires de Judith.
— On y va, indiqua-t-il, rejoignant la soldate.
Je l'accompagnai à la sortie, très vite rejoint par ma mentore, le caporal s'était rapproché d'elle et lui avait touché deux mots brefs, mais qui valut un hochement de tête respectueux de la rouquine.
Les deux soldats montèrent sur leurs chevaux, nous laissant la charrette comme seul témoin de leurs passages. Après un dernier regard échangé avec le caporal, ils partirent au galop, stoppant presque mon souffle et me donnant la sensation de creuser un précipice tout autour de la chaumière.
Judith s'approcha et posa sa main sur mon épaule, machinalement, ma main rencontra la sienne dans un silence mortuaire.
Voilà longtemps que je n'avais pas éprouvé ce sentiment solitaire.
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C'en était presque curieux de me retrouver seule avec elle. Il ne s'était pas autant écoulé de temps depuis mon départ des bas-fonds, et pourtant, tout semblait déjà avoir changé.
Nous nous chargeâmes ensemble de nettoyer les lieux afin de les rendre plus ou moins habitables. Le grenier devait accueillir les diverses couchettes de l'escouade pirate, mais les paillasses répandues un peu de partout semblaient avoir pourries avec le temps. Impossible de dormir là-dessus. Nous les avions donc remplacées par des moins abîmées prises aux QG avant notre départ.
La nuit commençait à tomber, Judith s'occupait du repas en bas, je m'étais faufiler dehors avec une couverture pour admirer les étoiles sur la petite balustrade en pierre qui faisait le tour de la maisonnette.
Il n'y avait pas le moindre bruit hormis la nature environnante : le vent qui soufflait dans les sapins, les animaux sauvages qui vivaient et gambadaient ça et là. Difficile de croire que la bataille faisait potentiellement rage non loin. Peut-être que par le passé, ce genre d'atmosphère reposante m'aurait donné des semblants de paradis. Cependant, avec toutes ces morts, ce sang, ces cris, il m'était impossible de trouver le moindre repos ici. J'étais pourtant épuisée, mon corps me hurlait de me reposer mais moi, moi avec tout ce poids et ces remords, il m'en était tout simplement impossible. Je commençais à reconnaître les dictons de Judith. Si notre sommeil était le reflet de nos choix, alors peut-être en avais-je commis de mauvais.
— Voilà pour toi p'tite tête, fit alors la rouquine.
Elle posa par terre, face à moi, un bol de bouillie fumante, me rejoignant sur la balustrade. Je sortis de mes songes, et, malgré moi, à l'évocation de mon surnom, un léger sourire me prit. Je saisis le récipient dans mes mains, le sentant réchauffer ma peau.
— Tu n'as pas réussi à la rater cette fois-ci, indiquais-je en gloussant légèrement.
— J'ai pris quelques leçons depuis ton départ, répondit-elle à ma taquinerie.
Je laissais glisser la cuillère dans ma bouche, la bouillie descendant le long de mon corps, le réconfortant au passage jusque dans mon estomac. Après un bref instant, je finis par dire :
— Pourquoi tu ne m'en as jamais parlé Judith ?
Elle paraissait si calme, si détendue. Pourtant, au fond de ses yeux jades, même dans la nuit, je pouvais percevoir ces faibles éclats qui ne les quittaient jamais. Si jusqu'alors je n'avais jamais trouvé de raisons à leurs présences, désormais, c'était comme si eux aussi prenaient place dans l'âme de cette chaumière.
— Parce que c'était.. plus simple je dirais ? répondit-elle, un sourire léger et déchiré sur ses fines lèvres. Tu étais déjà absorbée par tes propres cauchemars, je n'allais pas inviter les miens, encore moins chez une pauvre gamine orpheline. Tu... me ressemblais déjà peut-être trop pour que je puisse imaginer délester mon passé sur tes épaules.
Ma bouche s'ouvrit, puis se ferma. Difficile de trouver les mots parce qu'encore une fois : Judith avait raison. Je posai le bol délicatement à côté de moi avant de poser ma main contre sa cuisse.
— Tu as consacré onze années de ta vie pour moi Judith. Il est temps que je te donne de la mienne.
Elle me fixait, deux âmes cousines qui s'étaient côtoyées, détestées, adorées pendant si longtemps. C'était comme si avec cette simple phrase, toute sa carapace se brisait en mille morceaux, libérant un torrent d'années de secrets, de poids et de tristesses. Pourtant, seule une unique larme se mit à couler le long de sa joue, délivrant le sourire le plus sincère que je ne lui avais jamais vu porté.
— J'étais orpheline aussi. Du moins, c'était l'impression que cela me donnait.
Connais-tu les Friedburg ? C'est une famille influente à Mitras. Ils ont fait fortune via leurs descendances, ils sont responsables de plusieurs vignobles et de ce vin populaire chez la haute.
Le marquis était un homme impitoyable. Sa famille ne valait pas mieux, tu me diras, mais en y réfléchissant bien, je crois que sa femme et ses jeunes filles n'avaient guère le choix de correspondre à l'image qu'ils désiraient d'elles.
J'aurais aimé te dire à quoi pouvait bien ressembler ma mère, mais je n'en ai pas le moindre souvenir, si ce n'est qu'elle devait être aussi rousse que je ne le suis.
Elle avait attiré les convoitises du marquis. Pour une union voulue ou non ça... je ne le sais pas réellement, mais ce mélange interdit lui a offert un cadeau empoisonné dont il se serait volontiers passé : moi.
Il m'a gardé enfermé pendant de nombreuses années, craignant qu'un scandale pareil éclate au grand jour. Ma mère fut traquée, et à vrai dire, je ne saurai pas te dire s' ils sont parvenus à l'assassiner. Elle n'est jamais revenue, et je la comprends, plus que n'importe qui.
J'ai pu échapper à ce sort pour le simple fait que c'était un moyen pour lui de m'utiliser à ses propres fins. Il m'a imaginé beaucoup d'avenirs différents, d'érudites à bonne sœur. Il a essayé de faire de moi ce qu'il appelait une "femme accomplie".
Pas de chance ou, au contraire, une chance pour moi, j'excellais dans tout ce qu'il pouvait me donner à faire. Il s'est imaginé des choses, comme le fait que je possédais ses gênes, qu'aucunes souillures de cette servante ne m'avait atteint hormis mes cheveux. Il a essayé de me les teindre, sans rien y faire. Alors il a jugé bon de les raser constamment et de me faire porter un leurre à la couleur brune épaisse de ses cheveux.
Il y avait ce cuisinier qui me glissait souvent quelques bonbons au pied de ma porte, qui se faufilait discrètement dans ma chambre pour me lire une histoire. Une nuit, il m'avait dit que mon cauchemar serait bientôt terminé, qu'il avait réussi à trouver un moyen de me faire sortir, et que je pourrais vivre avec lui. Le lendemain matin, le marquis m'a amené dans les sous sols et...
Elle frissonna.
Il m'a montré ce qu'il se passait lorsqu'on mettait son autorité au second plan. Je l'ai vu se faire fouetter jusqu'au sang.
J'avais 9 ans.
J'ai souvent son visage qui me revient en tête, encore aujourd'hui, au milieu de la nuit, je l'entends encore soupirer de douleur un "Tu n'y es absolument pour rien p'tite tête." en feignant un sourire à mon égard. Il était tout... tout ce que j'avais pour me faire sentir humaine, et il est mort en essayant de m'aider.
Je n'arrivais même plus à manger, à me regarder dans un miroir, ni même à dormir comme il faut. Il fallait que je réussisse à sortir, pour lui.
Je me suis mise à observer, écouter davantage, essayant de trouver la moindre petite faille dans ce maudit château. S'il avait réussi à trouver quelque chose, alors moi aussi je pouvais bien le découvrir.
Cela m'a pris une année entière. A tout explorer, à repousser les limites du raisonnable, ce qui m'a valu quelques punitions qui me paraissent insignifiantes aujourd'hui.
Ces mains agrippèrent ses épaules, faisant baisser légèrement le tissu de sa chemise. Je ne les avais jamais vus, mais des cicatrices ressemblants à des coups de fouet dépassaient du haut de son dos.
Mon cuisinier m'avait laissé un héritage : le moyen pour moi de m'échapper. Au détour d'un couloir dans l'aile des domestiques, j'ai reconnu un emballage de l'un de ces bonbons qui était glissé contre une des enluminures du mur. J'ai réussi à m'y approcher durant la nuit. En poussant une petite commode, j'y ai découvert un passage creusé dedans.
J'ai attendu que les Friedburg donnent leur réception annuelle. C'était peut-être le seul moment de l'année où le marquis me laissait plus ou moins tranquille. J'ai tout préparé à l'avance et durant la nuit...
Je suis partie.
Le passage m'a conduit dans les jardins arrière, ceux des ouvriers. J'ai couru, couru et couru sans m'arrêter, et alors que je commençais à m'éloigner du château, on m'a agrippé et entraîné derrière l'une des haies qui longeait le potager.
Je suis tombée nez à nez avec un homme robuste, qui avait des allures de prisonnier, lui aussi. Il a retiré la cape qui camouflait mon crâne du froid, et il a simplement dit :
"Ça serait pas toi la gamine de Peer ?"
Judith se mit à sourire, nostalgique alors qu'une vapeur fraîche s'échappait de ses lèvres. elle rapprocha la couverture d'elle, et, machinalement, je m'approchais de son corps.
Tu l'auras bien compris, mais Peer était mon cuisinier... et aussi un membre de l'escouade justicière. Il avait mené un plan d'infiltration durant de nombreuses années pour faire tomber les Friedburg, et ils avaient décidé d'agir la même nuit que moi : durant leur représentation.
C'est Camilla qui m'a amené avec elle. La femme de Aldrik, l'homme qui venait de me retrouver dans les jardins. Ils m'ont amené loin d'ici, jusque dans cette chaumière où il y avait...
Malgré tous les souvenirs déchirants qu'elle me contait, elle n'avait pas mouchetée, ni pleurée. J'avais du mal à terminer ma bouillie, la nausée me montait à la gorge à imaginer tout ce que Judith avait dû subir dans cette famille. Je me mis à serrer sa main afin de lui montrer qu'elle n'était pas seule. Elle reprit après un instant pour calmer ses débuts de sanglots qui se battaient pour sortir :
Il y avait Maxine. Leur fille qui avait tout juste un an de plus que moi. Je suis rentrée dans cet univers et toutes ces personnes sont devenues ma véritable famille, quant à Maxine, elle est devenue mon seul et premier amour.
Je n'avais aucun droit de pleurer à sa place, et pourtant, je dû me contenir avec hargne. Ma main libre se logea contre ma bouche pour la cacher, les yeux brillants et tremblants, je ne pouvais qu'imaginer la chute terrible pour Judith à me souvenir qu'elle était la seule survivante de cette escouade.
Elle avait non seulement perdu sa famille, mais elle avait également perdu la personne qu'elle aimait.
Nous avons vécu 8 longues années paisibles et presque... idylliques. Même si nous menions des missions dangereuses, nous savions pour qui nous nous battions : pour les personnes comme Peer, ou les nombreuses Judith qui, comme moi, n'ont pas choisi leurs parents.
C'est durant l'été de mes 18 ans que nous avons mené une opération risquée. Le but était de dérober des documents compromettant d'un riche propriétaire de Mitras. C'était Maxine qui était sur le terrain, le reste de l'escouade se trouvait soit avec elle, soit à mes côtés sur les toits à observer les lieux et couvrir les arrières. On a été trahi par l'un des nôtres.
Elle se mit à trembler alors que son poing se serra sous ma main qui le tenait.
On avait accueilli une taupe dans nos rangs, et ça s'est retourné contre nous. On s'est rapidement fait attraper par des soldats de la brigade spéciale, et j'ai vu impuissante les miens se faire capturer pour une mort certaine... dont Maxine. Les personnes comme moi qui se trouvaient sur le toit ont eu légèrement plus de temps qu'eux, mais j'ai été la seule qui ait réussi à m'enfuir en sautant sur le bâtiment en face avant qu'ils ne débarquent à leurs tours de notre côté... tout ça parce qu'ils n'étaient juste pas assez.. entraîné pour sauter aussi loin.. putain !
Elle cracha cette insulte du fond de ses tripes.
Il n'a pas fallu attendre longtemps pour que des coups de feu retentissent. Je n'avais aucune chance de les sauver. Alors... je suis partie. Je me suis enfuis.
Je suis retournée ici pour faire le tri et brûler tous les papiers compromettants, effaçant la moindre trace de notre passage, visiblement j'ai au moins réussi ça.
J'ai pris de quoi tenir un certain temps et, ne sachant pas réellement où aller, j'ai convenu que pour une fugitive recherchée, ma place n'était plus du tout à la lumière du jour.
Avant mon départ pour les bas-fonds, je suis retournée de nuit sur les lieux de la mission pour y laisser un bouquet de fleurs, et alors que je m'apprêtais à partir définitivement, au détour d'une ruelle, je suis tombée sur...
Elle se tourna vers moi, les larmes dévalant ses joues. Ce n'était plus mes yeux qu'elle regardait, c'était mon âme toute entière.
Sur une vision de moi 8 ans auparavant.
« 𝑻𝒖 𝒗𝒆𝒖𝒙 𝒕𝒆 𝒕𝒊𝒓𝒆𝒓 𝒅'𝒊𝒄𝒊, 𝒉𝒆𝒊𝒏 »
Mon cœur battait à tout rompre, je la rejoignis dans ses émois, explosant en sanglots à mon tour.
Je la revoyais, si majestueuse, si détruite, sa main tendue vers moi à simplement me dire :
« 𝑨𝒍𝒐𝒓𝒔, 𝒗𝒊𝒆𝒏𝒔 𝒂𝒗𝒆𝒄 𝒎𝒐𝒊, 𝒑𝒆𝒕𝒊𝒕𝒆 𝒕𝒆̂𝒕𝒆. »
Elle me prit dans ses bras, et alors, je me mis à la serrer comme je ne l'avais jamais fais auparavant.
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(Image réalisée par une IA)
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▛ Petit mot de l'auteur ▟
Je nous avais pas menti, regardez, je suis bien en vie ! 👀
Oui il m'a fallut un certain temps pour le sortir celui-ci, mais j'en suis vraiment contente et j'espère que cela vous aura plu de connaître davantage Judith. 💛
Je vais essayer de me tenir à un rythme moins ignoble pour la sortie des chapitres, mais comme dis, si vous connaissez le manga, on approche à grands pas vers nos grandes révélations, et mon dieu que j'ai hâte. 👀
En attendant, prenez soin vous, et merci pour votre lecture,
Cœur sur vous.
♡
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