ⅩⅤⅠ - La bataille nous regarde


『 Chapitre 16 ⋄ La bataille nous regarde 』

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Le quotidien avait tendance à frapper, presque assassiner. Je sautais les étapes de ma propre vie, engendrais des pas en plus, dépassait ma propre résolution. Depuis la réception, le temps semblait m'échapper.


Début septembre de l'année 850, le temps rafraichissait et les entraînements étaient plus vigoureux. Mon corps semblait s'être adapté, mon esprit demeurait trop touché par ces changements. Je vacillais, essayais de tenir le rythme malgré le poids des pensées parfois oppressantes. Les démons frappaient la nuit, me promettaient des rêves noirs, obscurs, des sueurs froides et des crises nocturnes, comme seul témoin le plafond vieilli de ma chambre. La plupart du temps, l'unique pensée qui persistait au réveil, après avoir ouvert les paupières était :


Dieu soit loué que je sois seule dans cette pièce.


Parfois, la solitude frappait comme une vieille ennemie, elle me tendait les bras, me ramenait aux bas-fonds. Le passé me capturait, m'empoisonnait. Pantin de mon propre vécu, mes ailes se retrouvaient cloutées, m'empêchant de m'étendre, et alors, seule ma détermination réussissait à avoir raison de moi. Un pas de plus vers le lendemain, un long chemin semblait s'étendre sous mes yeux. C'était une course qui me guettait, un marathon, et kilomètre par kilomètre, je parvenais à couper les fils de ma marionnette.


La matinée était bien entamée, cela faisait deux bonnes heures que je m'entraînais aux côtés du caporal-chef. Sa présence m'avait d'abord surprise, mais très vite je m'en étais sentie comblée. Lorsqu'il se trouvait à mes côtés, je me surprenais à puiser plus de force en moi, à faire en sorte qu'il soit fier de ma personne, qu'il ne retrouvait aucune faiblesse. Ses mots prenaient sens quand je les entendais, avec lui, je me rendais compte que j'évoluais.


— Attention, Urthël, vise mieux ta cible, m'indiqua-t-il.


Je le suivais avec attention. Dans les airs, avec l'équipement tridimensionnel, il était redoutable, trop rapide. J'arrivais souvent avec difficulté à suivre sa cadence. Un gouffre semblait nous séparer quant à notre puissance. Il était le soldat le plus fort de l'humanité, j'étais la poule aux œufs d'or. Deux concepts différents, pourtant si importants, l'un comme l'autre.


Pour la première fois de ma vie, après la mission et sa réussite, j'avais obtenu mon tout premier salaire. Je me souvenais encore de ma réaction lorsque le major m'avait engouffré dans les mains une liasse de billets.


— Ce n'est pas grand-chose, mais le bataillon t'est reconnaissant de cette mission, Urthël, profite de cet argent à ta guise, m'avait dit Erwin Smith.


Je l'avais rangé dans ma chambre, sans aucune idée de quoi en faire. Je n'avais jamais réfléchi à cette possibilité : celle de pouvoir m'offrir quelque chose, quelque chose d'uniquement pour moi. Je n'avais jamais possédé ce luxe dans les bas-fonds. Si ce n'était m'acheter une miche de pain moisie pour ne pas mourir de faim.


Une petite semaine était passée depuis la réception, les choses s'étaient accélérées, quelque chose se préparait, et nul besoin de se retrouver en grand stratège pour comprendre ce qui allait se dérouler prochainement : une expédition.


La silhouette de mon caporal valsait presque entre les arbres, plantait ses épées dans les nuques des mannequins postés ici et là, difficile de suivre la cadence, je manquais de trébucher ou de m'effondrer au sol face à sa vitesse. Je n'aimais pas ces exercices. Je donnais le meilleur de ma personne, je faisais en sorte de gravir les échelons, et pourtant, lorsqu'il était question de m'entraîner avec lui, je ne voyais que l'écart qui se creusait désespérément entre nous.


Je détestais ça.


Impossible de mettre d'autres mots dessus, mon cœur se serrait à l'idée de lui échapper que nous perdions ce que nous avions construit, lui et moi. Plus le temps passait, plus je me surprenais à souhaiter qu'en dehors de nos sorties nocturnes, notre secret partagé, il puisse me regarder davantage à la lumière du jour. Qui étais-je pour lui ? Cette question me hantait, je n'arrivais pas à trouver la réponse ni à parvenir à la lui demander. Lorsque je désirais le faire, je me résignais, sentant que quelque part je risquais de le perdre.


Et je ne le voulais pas, voilà le problème.


En quelques mois, Livaï Ackerman avait pris une place que je considérais avec beaucoup de mal. Je le savais important, non, primordial. Il était à la fois cette ombre qui me suivait, cet ami qui me tendait la main, cette voix qui me ramenait à la réalité, il était tout, tout à la fois. Avec lui, je n'étais pas seulement Nellas, je me sentais humaine, vivante, ce sentiment ne m'était jamais apparu aussi clair que lorsque je partageais mes nuits à ses côtés, perchés sur ce toit.


Qui diable était capable de faire battre un cœur aussi vite ?


Le mien s'affolait à chaque découverte, sa voix me faisait parfois tourner la tête, et les étoiles semblaient se jouer de moi. Parmi toutes ces méandres, ce bazar incongru, subsistait ce sentiment si particulier : celui d'apprécier inégalement tout ce qui pouvait se passer sur ce toit.


J'en voulais plus.


De jour en jour.


Il y avait de quoi m'inquiéter, je ne me reconnaissais pas, ou alors, je me découvrais, ce qui était encore plus déroutant.


— Tu es encore ailleurs, fit-il soudainement.


J'eus un hoquet de surprise, relevant ma tête, essoufflée. Nous étions tous les deux postés sur une estrade en bois, en hauteur. Je me mis à rougir, prise en flagrant délit. Il me toisait, je le sentais, moi, je le fuyais, n'osant pas le regarder directement.


— Ce n'est pas la première fois, rajouta-t-il.


Il venait de croiser ses bras, je l'observais du coin de l'œil, la tentation était trop grande. Le caporal, plus fort que jamais, ne vacillait ni ne respirait fort. Il venait de réaliser ce qui me semblait être un exploit, je me remettais à peine de cet exercice, sans même avoir réussi à égaler sa vitesse. Me voilà essoufflée, assommée par sa présence et ses mots.


Je ne savais quoi répondre, une faible goutte de sueur dégoulinant le long de ma tempe, je m'effondrai au sol, trop épuisée pour rester debout. Il s'approchait, s'asseya à mes côtés sans un mot. Cherchait-il quoi dire ? Moi-même je cherchais une quelconque parole, mais vue la densité de mon souffle, il pouvait me servir d'excuse pour ne pas lui répondre.


— Qu'est-ce qui accapare tes pensées de cette manière ? demanda-t-il soudainement.


Ma poitrine se serra, je me retournai vers lui soudainement, les yeux ronds à rougir comme une abrutie. Impossible, impossible de lui avouer que je songeais désespérément à lui. Ma main trouva le chemin de ma nuque, l'autre entortilla une mèche de cheveux autour d'un de mes doigts, geste témoignant de ma pression. Lui, il fronça les sourcils, certainement peu convaincu de ma réaction. J'étais prise au piège.


— Urthël, appuya-t-il, sévèrement.


Je tressaillai, quel cruel personnage. M'obliger à lui avouer mes secrets les plus profonds, alors que je me trouvais tout bonnement incapable de lui confesser mes pensées. Sa voix sonnait comme un ordre, je n'avais pas le choix. S'il savait à quel point je désirai posséder son pouvoir, l'user de cette même manière pour le dépouiller de ses songes.


— Je... commençais-je, avec difficulté.


J'advenais à être épuisée, éreintée de trop songer, de m'en causer des cauchemars et des sueurs froides. Me voilà tétanisée de tout perdre à nouveau, mais au fond, qu'avais-je à perdre ? Je devinais déjà avec difficulté ce que je possédais, et si cela se trouvait, je ne possédais tout simplement rien.


— J'ai l'impression que vous m'échappez, fis-je enfin.


Je n'osais pas le regarder, mais je devinais facilement que ses bras s'étaient desserrés, comme s'il était surpris de ma réponse.


— Je n'aime pas ça, rajoutais-je.


Je sentais ses yeux me dévorer, les miens semblaient être attaqués de mes sanglots. Ils montaient, se battaient pour gagner la première place, je me l'interdisais, cependant. Mon cœur battait à un rythme effréné, je me trouvais tellement ridicule. Oser confier ce genre de chose était absurde, quelque part, j'étais certaine que cela ne lui faisait ni chaud, ni froid.


Mais le caporal me prit de court, je sentis ses deux mains se plaquer contre mes joues, me forçant à ouvrir grand mes yeux alors qu'il leva ma tête, droit vers la sienne.


— Idiote ! hurla-t-il, pratiquement.


J'écarquillais les iris, ne m'attendant pas à une telle réaction, à une telle expression. Devant moi, son visage n'avait point changé, cependant, ses pupilles brillaient, ses joues s'étaient légèrement colorées. Était-ce bien lui ? Je fus prise au dépourvu, la bouche entre-ouverte, incapable de dire quoi que ce soit face à ses propos.


— Mai-


— Je suis là, me coupa-t-il, sans lâcher mon visage.


Si ma poitrine pouvait s'extraire de mon corps, je songeais à quel point elle aurait jailli à ce moment précis. Mon cerveau se retourna complètement, si bien qu'il m'était incapable de poser des mots, ils s'enchaînaient, se poussaient les uns les autres pour sortir les premiers, finalement, je n'avais même pas réfléchi lorsque, complètement bousculée, je lui avais crié :


— Mais quand est-ce que je pourrai enfin vous écouter à mon tour ?!


Ses mains lâchèrent mon visage, ses yeux s'écarquillèrent, les miens aussi en réalisant ce que je venais de dire.


Non.


Il détourna sa tête à son tour, semblant chercher ses mots, je n'avais jamais vu cette expression : perdu, ou touché, peut-être en colère, non, ce n'était pas de la colère, mais qu'était-ce, justement ?


Je ne suis qu'une imbécile.


Sa bouche s'ouvrait, se refermait aussitôt, il fronçait les sourcils, évitait mon regard, moi, j'apercevais sous mes yeux l'écart se creuser encore plus. Les yeux brillants, je tendais ma main vers lui, craquant un :


— Capo-


Mais une voix résonna dans l'entièreté du bataillon, quelqu'un annonça que l'on devait se regrouper dans le réfectoire. Je restais là, la main fraîchement tendue, elle se rabattit aussitôt près de ma poitrine, je baissais la tête.


— Allons-y, fit-il seulement.


Il se leva, sans me regarder, s'apprêtant à descendre de l'arbre. Idiote, non, abattue, je combattrai mes larmes afin qu'elle ne puisse sortir.


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Je n'arrivais plus à le discerner dans la foule, et pourtant, je le cherchais désespérément du regard. Le caporal s'était enfui. Je me sentais comme une idiote misérable, complètement désespérée d'avoir laissé mes pensées surpasser ma raison.


Je l'ai sûrement blessé.


Je posai ma main contre ma poitrine, sentant mon cœur qui ne se calmait pas. Puis, soudainement, il y eut quelqu'un qui m'agrippa joyeusement les épaules. L'odeur d'abricot ne me trompa pas, Mina souriait à pleines dents, certainement heureuse de m'avoir trouvé.


— L'avantage avec toi, Nellas, c'est qu'on te repère de loin ! pouffa-t-elle.


Me voyait-il, lui ? Je n'avais aucune idée d'où est-ce qu'il était parti. Je souriais tristement à sa remarque, tapotant sa chevelure blonde. Mon amie haussa un sourcil à ma réaction.


— Oula, tout va bi-


Mina n'eut pas le temps de terminer sa phrase, l'entièreté du bataillon s'était tourné vers la présence du major qui venait de monter sur une estrade. Tous reprirent du sérieux, un silence royal se fit assourdissant lorsqu'il se présenta. Un respect pareil était unique, je ne l'avais connu qu'avec lui. Quelque part, je le comprenais. Il l'imposait naturellement.


Tous en position de salut, le major gardait un sérieux imprenable sur son visage, et de sa voix saillante, il annonça :


— La 57e expédition extra-muros se prépare ! Nous irons reprendre le mur Maria dans le but d'accéder au sous-sol de Grisha Jaeger ! Je vais vous énoncer les préparatifs à venir...


Sa voix résonnait, non, capturait les tympans de tout le monde. Alors voilà, la 57e expédition allait bientôt avoir lieu. Elle était inévitable, tous attendaient l'annonce d'un sérieux incomparable. Pour la toute première fois de l'histoire, le bataillon d'exploration allait pouvoir faire un pas en avant pour l'humanité, et moi, j'allais pouvoir avancer pour ma propre quête.


Le poing contre mon cœur, sans même m'en rendre compte, je portais le même visage que l'entièreté des soldats présents ici : transpirant de détermination.


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Je n'avais pas recroisé le caporal de la journée. Il semblait avoir disparu, et le soir tombait. Je ne trouvais pas l'appétit, trop ensevelie par le poids de la culpabilité. Viendrait-il seulement, ce soir ? C'était bien là la question la plus terrifiante. D'habitude, il était toujours le premier à s'y trouver, je ne faisais que le rejoindre. Impossible de savoir à l'avance s'il allait m'honorer de sa présence. Peut-être que, désormais, je le dégoûtais, qu'il songeait que je désirais en apprendre trop sur lui, et qu'il ne le voulait pas.


Ma pauvre amie essayait de me faire parler, de me changer les idées. Agatha s'était retrouvée bien embêtée à me voir ne pas toucher à ma purée.


— Tu es malade ? m'avait-elle questionné.


Sa main venait de se caler contre mon front, je n'avais pas de fièvre, cependant, je sentais la fatigue frapper mon corps. Soupirant, je lui avais adressé un faible sourire, essayant de la rassurer :


— Non, non je vais bien. L'entraînement a été difficile aujourd'hui, je suis éreintée.


— Tu devrais aller te reposer, alors, répondit-elle, toujours inquiète.


— Je pense le faire, oui, tu m'excuseras de te laisser ? lui demandais-je, tout de même embêtée de quitter le repas en plein milieu.


— Vas-y, idiote.


Je me levais avec mon plateau sous son approbation. Je lui en étais reconnaissante, il m'était de toute manière impossible de trouver la paix tant que je n'avais pas vérifié le toit. Je devais lui parler, m'excuser, n'importe quoi, mais l'entendre, oui, l'entendre et l'écouter. Le mal était fait, je devais me rattraper.


Je débarrassai ma nourriture, et quittai le réfectoire. Avec un pas pressé, je franchissais les couloirs et les escaliers, montant toujours plus haut pour retrouver la toiture du QG. Assez rapidement, je m'étais retrouvée à l'air libre, frais, fermant légèrement les yeux par le souffle du vent.


Je regardai à droite, à gauche.


Personne.


Je restais statique, droite sur les tuiles, sans bouger. Il n'était pas ici. Peut-être qu'il ne viendrait tout simplement pas.


Tout en tenant mon avant-bras droit de ma main gauche, je me mis à serrer ma peau, soupirant un peu.


Pourquoi faut-il que je sois autant maladroite ?


Je m'avançai, me mis en plein milieu, m'asseyant face aux étoiles. La nuit avait une saveur particulière lorsqu'il n'était pas là.


Elle était vide.


Je regroupai mes jambes contre ma poitrine, le regard lointain, réalisant soudainement que si j'aimais cet endroit, si j'adorais tant mes nuits, c'était pour la simple raison que c'était notre rendez-vous journalier. Si je n'avais plus ça, qu'avais-je en raison pour apprécier être ici ? La solitude pesait, non, elle assomait, même. Je détestais définitivement ça.


Cela servait-il à quelque chose que je reste ici, finalement ? Peut-être qu'il avait déjà fait son choix, qu'il préférait que je ne sois pas là, que je m'éloigne.


Mais je n'arrivais pas à bouger. Impossible de me lever, mes muscles étaient trop lourds pour le faire, quelque part, je me l'interdisais. Alors, contemplant les minutes passant, le sablier s'effondrant, je me résolus à attendre.


Je n'en calculais plus le temps, celui-ci était bien long, la lune était montée, je piquais du nez, j'avais froid. Ma tête se mettait peu à peu à basculer sur le côté sous le poids du sommeil. Alors que je m'apprêtai à complètement m'abandonner aux bras de Morphée, quelqu'un vint me maintenir le crâne.


Je me redressai d'un coup avec un hoquet de surprise, voyant le caporal-chef me fixer sans grande expression. Mon cœur s'affola de nouveau, persuadée alors qu'il ne viendrait pas.


— Je... ne m'attendais pas à te trouver ici aussi tard. Je réglais une réunion avec Erwin, je suis désolé du retard, fit-il, autant déconcerté que moi de le trouver ici.


Une réunion ? Une simple réunion ?! Je m'étais fracassée l'esprit pour rien du tout, je me trouvais d'autant plus abrutie désormais, poussant un franc soupir, au fond rassurée.


— J'ai pensé que vous m'évitiez, avouais-je dans un sourire.


Il vint s'asseoir à mes côtés, marqua un silence. Je tournais ma tête vers lui, il rougissait, je ne comprenais pas bien ce qu'il faisait, pourquoi diable avait-il une telle expression sur son visage. Sans me regarder, en fronçant les sourcils, il fit :


— J'ai grandi dans les bas-fonds aussi, ma mère était une prostituée.


Les yeux ronds, j'essayais d'assimiler ce qu'il était en train de me dire, de faire soudainement. Était-ce ce que je pensais ?


Je me redressai déliant mes jambes à ma poitrine, lui donnant toute mon intention.


— Je... n'ai pas l'habitude de parler de moi. Mais si tel est ton souhait, enfin... tck.


J'ouvris grand les yeux, comprenant que mes mots avaient eu un tout autre impact que ce que à quoi je pensais.


Le caporal-chef s'ouvrait à moi. 


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Petit mot de l'auteur


J'espère tellement que ce chapitre vous aura plu ! À vrai dire je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il prenne ce genre de tournures ! Mais j'en suis très heureuse !

J'espère que vous aurez pris plaisir à le lire et le découvrir, on se retrouve bientôt pour le chapitre 17 ! (omg déjà ?)

N'oubliez pas de laisser un petit vote et un commentaire !

Cœur sur vous.

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