『 Chapitre 26 ⋄ Jugement 』
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Une goutte de sueur parcourait ma tempe. Elle creusait des sillons sur les courbes de ma peur, me laissant muette, complètement dépassée par la situation. Alors que, peu à peu, les personnes autour furent capables de remarquer ce trou béant camouflant la gueule d'un titan impassible, on découvrait avec terreur une vérité que quiconque n'osait s'avouer : il se cachait des titans à l'intérieur des Murs.
J'avalai difficilement ma salive, grattait ma peau comme pour me ramener à la réalité. Les seuls mots auxquels je me raccrochais étaient les derniers de mon commandant : « ne perds pas pied, Nellas »
Ne pas flancher, oui. Ce n'était clairement pas le moment.
Car si le temps avait été dédié à l'incompréhension, vint forcément celui des réponses et de l'éclaircissement. Le plan du major avait laissé l'entièreté de cette armée sous le choc. Pas besoin d'être une lumière pour saisir que les brigades spéciales nous avaient en travers de la gorge. Après avoir désobéi et effectué un tel plan... qu'allait-il advenir au bataillon d'exploration ?
— Nellas.
J'eus un hoquet de surprise, me retournant d'un seul coup. Devant à moi, le caporal-chef Livaï approchait, un peu trop sérieux à mon goût. Son expression sentait à plein nez les problèmes. Même si son faciès n'avait pas l'air de différer qu'à son habitude, le langage de son regard était assez profond pour que j'y décèle des parts de vérité.
— On est convoqué, tu viens avec moi, fit-il.
Je savais que les ennuis étaient loin d'être terminés.
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Les locaux de la police militaire du district de Stohess possédaient des allures bien trop riches pour me donner l'impression que ce monde était égalitaire. Les grands rideaux qui longeaient les fenêtres me rappelaient presque le goût de Mitras.
Cette salle empestait la lassitude et le repos. Peut-être qu'elle hébergeait des cadavres de bouteilles de vin dans l'une de ces commodes de bois.
À la droite du major, je me tenais dans le fond de la pièce, derrière le caporal-chef Livaï. Le mur accueillait mon dos alors que j'essayais de comprendre un traite de sens à ce qu'il pouvait bien se passer.
J'étais sûre que le projet du major contenait des failles.
Le quitte ou double, je commençais à ne plus en pouvoir.
— Erwin, j'ai quelques questions à vous poser concernant le plan que vous avez mis en œuvre. Si vous étiez certain de l'objectif que vous poursuiviez, pourquoi n'avez-vous pas fait appel à la police militaire ? spécula le chef de district, impassible.
Il pompait l'air. Lui et son aura presque suprême, le major avait beau être stoïque, même de dos, ils jouaient tous sur un échiquier. Je me trouvais très sûrement sur la première ligne des troupes, eux, se gardaient à l'arrière. J'avais presque envie de lui arracher sa moustache de mes doigts.
— Monsieur le chef de district, nous n'avons pas demandé l'aide de la police militaire, car il nous était impossible de déterminer où pouvaient se cacher les complices du titan femelle. Afin d'assurer le succès de cette opération d'importance capitale, nous avons uniquement retenu les membres dont l'innocence était indéniable, expliqua le major.
Devais-je être apaisée de faire partie de ces «membres dont l'innocence était indéniable » ? Très sincèrement, je l'ignorais. Être innocente signifiait aussi lutter, combattre. En voyant le résultat des interventions, j'en avais la boule au ventre. Le danger était permanent, je jouais ma vie et celles de mes compagnons à chaque instant.
— Je reconnais le fait que le «titan femelle», Annie Leonhardt, se cachait parmi les citoyens du district intérieur. Cependant, comment expliquez-vous les lourds dommages essuyés durant l'opération de capture ? rebondit le chef.
Là, il venait de piquer mes sentiments. Impossible de soutenir mon major lorsqu'il s'agissait de compter les défunts. Agatha et Mina devaient très certainement être encore dans le jus d'une fin de bataille éprouvante. Cette fois-ci, les morts avaient été des civils, des biens durement acquis. Ces personnes n'avaient rien demandé. Rien que de songer aux enfants gisants sous des pierres, écrasés sous le poids d'une maison, j'en avais des sueurs froides et des nausées palpables.
— Le plan était de s'occuper d'elle sans causer de dommages aux alentours...
Foutaise.
— ... Mais malheureusement, cela ne s'est pas passé comme nous l'avions prévu, et des bâtiments ainsi que de précieuses vies ont été anéantis...
Ce quitte ou double de merde.
—... Notre incompétence en a été la cause, et je m'en excuse profondément.
Le pensait-il seulement ?! Oh j'avais bien du mal à y croire. Il portait le visage fermé des malfrats. Il avait la souillure de la mort, des ravages sur la figure. Comment ne pas remettre en doute ses paroles ? Il calculait encore ses mots pour manipuler son interlocuteur, voilà comment je le voyais à présent. Maintenant que les choses étaient limpides, j'en avais des envies de vomir à constater qu'il avait fait le même numéro avec moi.
Cet homme était bien trop fort dans l'art de manœuvrer les gens.
Le pire dans tout cela et qu'il était impossible de lui reprocher l'affaire. Ses coups étaient calculés, et même si les dégâts étaient, eux, incalculables, l'humanité avançait.
Fais chier.
Je le déteste.
— Cela dit, d'un autre côté, si nous l'avions laissée s'échapper et que le Mur avait été détruit par ses complices, les dommages auraient été plus terribles encore, cette terrifiante éventualité nous a poussés à choisir la stratégie la moins lourde de conséquences et à agir, continua Erwin.
Je le hais.
— Mais avez-vous la preuve que vos agissements ont réellement préservé l'humanité de sa perte ? Vous n'avez pu soutirer aucune information à Annie Leonhardt, je me trompe ?
— Elle est en ce moment même retenue captive très profondément sous terre. Comme son corps est entouré d'un cristal particulièrement robuste, il est pour l'instant impossible de tirer quoi que ce soit d'elle.
— En d'autres termes, tout cela pour rien ?
Je percevais le regard tendu du chef de la police militaire. Cette question qu'il venait de soumettre était certainement celle que tout le monde gardait au fond de son âme. Pour moi-même, j'essayais de trouver des raisons à me dire que cela avait valu le coup. Rien n'y faisait, la logique du major n'était pas celle que je partageais.
— Non je ne pense pas. Selon moi, le simple fait d'avoir réussi à capturer l'un d'entre eux est une réussite en soi. Oui, car cela prouve clairement qu'il y a des titans qui vivent parmi nous. Laissez-nous traquer et coincer tous les ennemis qui se dissimulent au sein de nos murs. Tous, jusqu'au dernier.
Même si je ne percevais pas son regard, je savais qu'il devait aborder ce grain de détermination dans la lueur de ses yeux royaux. C'était un crève-cœur que de m'avouer que, peu importe le résultat macabre de ses opérations, il permettait à l'humanité d'avancer. Moi aussi, j'avais abandonné mon humanité pour servir à cette cause. J'étais devenue son pion, et ce, dès le premier jour de mon inscription.
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Je venais tout juste de sortir d'un interrogatoire pesant. Tous les membres du bataillon y étaient passés. Le chaos ambiant détenait les âmes par la peur. Difficile de se rendre compte du tournent de l'humanité lorsque l'intégralité de nos fondations s'effondrait.
Le soleil se couchait. La lumière s'écoulait vivement par les fenêtres du QG de la police militaire.
— Les choses ont été dites.
Le caporal-chef marchait à mes côtés. La réunion venait tout juste de se finir. J'étais éreintée. La journée avait été éprouvante, trop, même. Mon cerveau se trouvait encore enchaîné à l'équipement tridimensionnel. Il avait pourtant quitté ma taille depuis un moment, ne me laissant qu'avec l'uniforme.
J'avais la ferme impression de planer dans les airs, complètement ailleurs. Il faisait étrangement trop chaud, ma bouche était pâteuse, et avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, mes genoux s'étaient pliés, m'entraînant vers le sol.
— Nellas ! s'écria Livaï.
In extremis, il me rattrapa, portant sa main à mon front en fronçant les sourcils. Papillonnant des yeux, je cherchais à me reconnecter à la réalité, en vain.
—... Je suis désolée, c'est juste une chute de tension-
— Va te reposer dans une des chambres, c'est un ordre, me coupa-t-il.
Je n'avais même pas la force de répliquer quoi que ce soit. Comment le pouvais-je ? Je tenais à peine debout.
— Oi ! Accompagner là et préparez lui un plateau-repas ! beugla-t-il.
— Oui, caporal !
Mon corps me lâchait. Il atteignait sa détresse ultime, ne trouvant comme unique solution que de s'effondrer quelques minutes. Le sommeil et la faim avaient eu raison de moi.
Sur mes genoux reposait un plateau-repas constitué d'une miche de pain, d'une soupe chaude où baignaient des morceaux de légumes, ainsi qu'une pomme. De quoi me remplir assez l'estomac pour m'éviter le malaise. Même si je n'avais pas bien d'appétit, j'avais avalé l'intégralité du plateau, cherchant certainement à combler un vide qui se creusait au fond de mes entrailles.
Ma tête avait arrêté de tourner environ 10 minutes précédant l'ingurgitation de cette nourriture. Je pouvais me tenir debout, bien qu'évitant de trop bouger. Je m'en voulais, indéniablement. Une fois de plus, il avait fallu prendre soin de moi, fille incapable de voir les limites de son propre corps.
Le regard vide, je me débarrassais de mon uniforme trempé de sueur et de saleté. Je revêtis les vêtements mis à dispositions dans cette chambre de repos : une chemise blanc cassée et un pantalon noir. Les choses étaient au plus simples. Cependant, je ne refusais pas le confort de vêtements propres. Rien que de songer à une douche en rentrant au QG avait le don de me provoquer 1000 espoirs.
Lorsque je m'étais allongée, ou plutôt effondrée, dans le lit, j'eus une sensation étrange, comme celle de me retrouver à me noyer dans un champ de coton. Mes yeux se fermèrent presque aussitôt.
C'était à peine si j'entendais mon corps hurler.
Il n'y avait ni rêves ni émotions. La seule chose que j'éprouvais était ce vide permanent, cette sensation d'avoir la tête sous l'eau, de ne pas parvenir à regagner la surface, et d'être irrémédiablement attiré plus bas. Voilà comment je ressentais la douleur, la mienne avait toujours été vide.
À l'appréhension de mon corps frappant le fond des abysses, j'ouvris les yeux avec fracas, trouvant le plafond boisé qui n'avait pas bougé. La fenêtre laissait entrer un petit vent frais de fin de journée. Je n'avais pas ouvert la fenêtre.
En me redressant, je constatais la silhouette assise, calme, la tête légèrement courbée et parfaitement endormie du caporal-chef Ackerman. Il dormait. La sérénité avait l'air de cajoler son visage, et de mes doigts, je mourrai d'envie de dessiner des caresses sur les courbes de sa peau. Je rougissais, me rapprochai, m'apprêtai à délicatement toucher l'interdit, mais au moment même où j'allais l'effleurer, il stoppa mon geste de sa main, les yeux tout à fait ouverts.
Les miens étaient ronds, comprenant que j'étais démasquée, je baissai mes mirettes, un sourire gêné sur les lèvres.
— Vous êtes réveillé... fis-je.
— Je ne dormais pas réellement, répondit-il.
Il me fixait, n'avait pas lâché ma main. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine, faisant redoubler mes rougissements.
— Comment tu te sens ?
Moi-même, je l'ignorais. Tout s'enchaînait à une vitesse dont je ne savais plus quoi faire ni donner, d'ailleurs. Je n'avais plus de larmes à couler, plus d'émotions à relâcher. Seul le vide cinglant m'accompagnait. J'en regrettais presque mes crises, car la ferme impression que j'avais était de ne plus rien posséder d'humain.
—... Je ne sais plus si je suis réellement vivante, avouais-je.
Un triste sourire pourfendait mes lèvres. Il lâcha ma main, et alors, je sentis une masse s'asseoir contre le lit. Je regroupai mes jambes contre ma poitrine pour lui faire de la place, mais lui, délicatement, prit la peine de passer ses mains contre mes mollets, me forçant à les étendre sur ses cuisses.
Surprise, je le voyais, craquant un nouveau rougissement. Il m'était terriblement difficile de le regarder dans les yeux, en particulier lorsqu'il usait de ce genre de gestes à mon égard. Était-ce un moment opportun pour lui avouer ce que je ressentais ? Ma main se déposa contre mon cœur qui battait la chamade, je baissais la tête, éprouvant une vive douleur.
Je ne suis certainement pas digne de son amour... songeais-je.
Il se rapprocha, je fermai les yeux, mais alors, il attrapa ma main de nouveau, la posa contre sa propre poitrine, et fit de même avec la sienne, contre la mienne.
Lorsque je repris mes sens, je tombai nez à nez avec son regard pourfendant le mien, son air stoïque était toujours présent, et seulement, je réalisais que ce que je sentais taper contre ma paume n'était rien de plus que les battements de son propre cœur.
— Il bat, affirma-t-il simplement.
Cette phrase, pourtant si indiscutable, si élémentaire, avait suffi à me rendre compte de cette vérité indéniable : mon cœur battait encore. Il restait en moi des brins d'humanité, quelque chose d'indélébile qui me reliait à mes camarades et au monde.
Alors que nous nous regardions, je lui offris ce que j'avais à donner de plus beau en cette fin de bataille : un sourire profond qui étirait mes lèvres faisait briller mes yeux : un sourire sincère.
Ses iris semblaient scintiller d'une lueur nouvelle. Davantage, j'arpentais le mystère de ses réactions. Elles étaient toutes splendides, les unes que les autres. Peut-être que l'amour me faisait tourner la tête, mais ce que je ressentais était bel et bien réel. En le voyant droit dans les yeux, je n'avais plus de doute dans le fait de me savoir en vie. Le caporal-chef Livaï avait le don de me faire sentir vivante.
Un silence nous berçait, me poussait presque à me dire qu'il s'agissait de l'instant opportun pour lui faire part de mes sentiments à son égard. Cela faisait un moment que je n'avais pas ressenti une telle douceur et stabilité en moi. C'était comme si les mains de Petra s'étaient reposées sur mes épaules et qu'elle me murmurait : «Vas-y, Nellas, je te soutiens !»
Je pris un petit souffle, les joues rouges, avant de chuchoter :
— C-caporal ?
Il n'avait pas lâché son regard. Mon cœur battait de plus en plus fort, impossible qu'il n'échappe au sens de mon supérieur. Sa main toujours logée contre ma poitrine, il lisait presque en moi.
— Oui ? fit-il.
Je revoyais comme un flash incessant notre première rencontre, à quel point je l'avais si mal jugé, et ces petits bouts d'éternité partager à ses côtés. Il fut venu le jour où je réclamais plus, où je n'arrivais plus à me satisfaire de tout cela. L'égoïsme dévorait les entrailles, mais cette vérité n'était que de plus en plus limpide.
— Je-
Mais par delà la porte fermée, on entendit des personnes s'activer. Les chambres de tout l'étage se retournaient, ne laissant qu'une seule phrase résonner dans l'intégralité du bâtiment :
«Le mur Rose est tombé ! Préparez-vous ! »
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▛ Petit mot de l'auteur ▟
Le voici !
Comme promis je n'ai pas eu trop de retard pour le poster hehe, j'espère continuer dans cette voie !
Navrée de vous faire languir pour la déclaration de la petite miss 👀 (c'est genre le pire moment ever bienvenu dans le monde de SNK où le repos n'est jamais permis)
Je vous retrouve bien vite pour la suite, en espérant que le chapitre vous ai plu !
Cœur sur vous.
♡
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