ⅩⅩⅩⅠⅠ - Famille
『 Chapitre 32 ⋄ Famille 』
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Les coups de sabots s'écrasaient contre le sol. Les remous de la terre faisaient trembler les âmes désolées. Devant moi, la chevelure écarlate de Judith caressait l'air. Un tapis enflammé guidait notre route alors que mon cœur, battait, battait, subissait l'entièreté de la vitesse, du stress et des révélations désormais quotidiennes.
Tous se déchaînaient, s'enchaînaient. Judith était revenue à la surface comme un vieux démon endormi. J'ignorais encore si j'en étais heureuse. Le temps nous manquait trop pour se pencher sur nos maux. A peine s'étions nous retrouvées que nous avions dû déguerpir.
Le vent s'écrasait contre mon visage. Je le sentais parcourir ma peau, s'engouffrer dans les ouvertures de mes vêtements. Le temps s'était rafraîchi. Peut-être allait-il pleuvoir ce soir ? Dommage, nous ne pourrions pas très bien regarder les étoiles.
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— J-Judith ?!
Appée, pratiquement le souffle coupé, je m'étais moi-même surprise à réussir à parler. L'impact était tel qu'il m'était presque impossible de savoir si je rêvais ou si ma mentor se tenait bien devant moi.
Elle avait souri, Livaï n'avait toujours pas quitté sa poigne de ses lames, prêt à les dégainer.
— Doucement l'noiraud. J'suis pas ici pour vous faire la peau, fit-elle, s'approchant doucement.
— Ca, c'est à moi d'en décider, rouquine, répliqua le caporal-chef, toujours à l'affût de la moindre faille.
— Dis moi c'est qu'il a du répondant ce p'tiot !
Proche, les deux mains sur les hanches, un sourire sarcastique à souhait sur ses fines lèvres fatiguées, Judith me contemplait. Je n'arrivais pas à bouger, les larmes me montait pratiquement aux yeux, incapable de savoir si je mourrai d'envie de la câliner ou juste de trouver un traitre sens à cela.
— J'ai pas tant changé qu'ça, si ?
La voilà plantée devant moi, mes lèvres s'ouvraient se refermaient avant que je ne puisse enfin me dénouer les cordes vocales.
— M-mais tu... étais sensée être.. tentais-je de commencer.
— Entérrée ? Sous-terre ? Morte peut-être ? J'en sais rien, imagine toi c'que tu veux, répondit-elle.
J'aurais pu me révolter. Mille questions me passaient par la tête, en particuliers celle la plus piquante : sa simple présence dehors. Je n'avais jamais oublié son expression lorsque je l'avais questionné sur le monde extérieur, sur son envie d'y retourner. Pas besoin d'être un génie pour lire tout le désarroi qui l'habitait, non, la hantait. Ce qui s'était passé ici appartenait à Judith. Je ne pouvais pas la confronter à ça de nouveau. Ce qui était au bas-fond appartenait au bas-fond, c'était comme une loi établie par ses habitants, connue ou inconnue, elle se savait, s'ancrait dans son esprit, imposait sa présence dès le premier pas franchi dans ces limbes. Il avait suffit d'un simple regard pour comprendre que nous allions en discuter plus tard.
Un soupir passa la barrière de mes lèvres. Il n'y avait aucune machine en arrière désormais. Wolfhart n'avait toujours pas bougé, l'air d'observer sans rien trop attendre de tout cela. La présence de la rouquine ne l'avait qu'à peine surprise. Cependant, Livaï me fixait, pratiquement suspendu à mes gestes, comme prêt à trancher la gorge de ma mentor à tout bout de champ sous simple demande de ma part.
— Elle n'est pas dangereuse... enfin.. je n'ai littéralement aucune preuve avec moi pour avancer ce que je suis en train de vous dire, mais nous pouvons lui faire confiance, fis-je.
Les regards se dirigèrent vers le caporal-chef, maître de toutes situations. Autant Judith n'avait pas réellement l'air de s'en préoccuper, mais elle n'avait pas cherché à moufter. Lui, ses yeux passaient des miens à ceux de la jeune femme. Je pouvais sentir son agacement, et son célèbre claquement de langue ne tarda pas à servir de conclusion. Il rangea son épée, s'avança, bras croisés, vers Judith. Deux entités littéralement opposées se confrontèrent. Ces deux-là allaient faire des étincelles.
— Et qu'est-ce que tu comptes faire, rouquine ? cracha le chef de ses yeux foudroyants.
Il n'y avait rien à redire sur sa prestance. Ses yeux suffisaient à trancher la gorge de n'importe qui. Ils étincelaient d'une rare lueur qui me faisait... oh... bon sang, je m'égarais...
— Vous aidez serait un plutôt bon départ, répondit-elle en haussant les épaules, répondit-elle sans grande conviction, comme si tout cela sonnait comme une évidence.
— Pour quelles putain de raisons ? s'énerva Livaï.
Sa voix grondait, un éclair s'abattant sur le sol, faisant chavirer les coeurs, le miens avec, me voilà me replongeant dans ses yeux, sentant ses lèvres heurter les miennes... je... je détournais le regard, rouge écarlate. Reprends-toi, Nellas, songeais-je.
— Oh bordel celui-ci va vite me faire perdre patience... commença Judith.
Je la sentais monter de plus en plus en adrénaline, sachant très bien vers quel chemin Livaï allait s'engouffrer en lui parlant comme ça. Comme une enfant, derrière ma mentor, j'étais incapable de riposter. Deux leaders se disputaient une place, place qui allait être forcément remportée par le caporal-chef.
— Tu veux quoi noiraud de mes deux ? Vous êtes pas en galère, non ? Ca gueule jusque dans les bas-fonds bordel. Vous vous formez une sale belle réput' là-bas hein, vous pourrez presque détrôner ces fils de putes de tueurs et de voleurs. Tu m'crois prête à laisser ma seule putain de famille se faire lyncher l'cul par des exploitants de votre genre ?! beugla-t-elle.
Malgré les cris, la presque-guerre qui se déclaraient entre les deux entités juste devant moi, un mot avait réussi à me frapper, plutôt me déboussoler. Mes bras m'en tombèrent tout le long de mon corps alors que mes yeux s'ouvrirent.
Famille.
Petite, la seule chose à laquelle penser était de survivre. Pas de faux pas, pas de larmes, encore moins de désolations en bouche. Il fallait avancer, se renforcer. Si bien qu'au final, aucunes de nous deux n'avaient daigné mettre un mot sur ce que nous étions. Les rêves se perdaient tellement dans les cauchemars que la seule loi du néant régnait ici-bas. La joie n'avait jamais eu de place, encore moins pour espérer compter sur quelqu'un. Peut-être que Judith était devenue une guide, quelque chose à laquelle me raccrocher, une sorte de repère pour ne pas me noyer dans l'abyssale tristesse de cet endroit.
Famille.
Oh non, je m'étais résolue à l'idée de ne plus jamais pouvoir jouir de ce sentiment. Alors que, face à moi, les hurlements de la part de Judith ne cessait pas à l'encontre de Livaï, celui-ci ne jouant que de son sarcasme habituel, faisant par ailleurs enragée la plus grande qui n'avait jamais supporté être prise de haut.
Judith était ma famille.
Un sourire déchiré brisa mes lèvres alors que, les mirettes brillantes, j'attrapais doucement la main de la rouquine qui se calma aussitôt. Certainement autant prise de court que je ne l'étais, elle n'avait pas refusé mon étreinte. De nature très peu tactile, elle ne réussissait pas à trouver l'expression la plus adéquate à ce genre de gestes. Ses joues pâles s'étaient teinte d'un léger cramoisie.
— Je suis heureuse de te revoir, Judith, fis-je.
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Le vent ne s'était pas couché. Il soufflait fort dans les arbres proches de cette campagne. Lorsqu'on fermait les yeux, on pensait presque que toute la misère avait disparu. Le calme, complètement absolue. On ne percevait plus les Murs, grands témoins de notre prison. Pendant un petit instant, je me sentais en sécurité, peut-être m'étais-je même perdue, évader. Un droit dont on ne jouissait qu'à peine ici. Durant mes nuits d'insomnies, je m'étais souvent demandé quelle était la chose la plus difficile.
La mort ?
Non. Tellement semblable, inévitable.
Le vide ?
Profond et aveuglant, il avait le don d'absorber notre âme jusqu'au tréfond de ce monde. Pourtant, autant vertigineux était-il, il n'en restait pas moins un compagnon, quelque chose qui ne m'avait jamais quitté.
Alors, hein, qu'était-ce le plus éprouvant ?
Le cheval ralentissait, s'arrêtait dans un hennissement, au milieu d'un nul-part : une petite chaumière en bois. Mes yeux s'ouvrirent avec fracas, me coupant pratiquement le souffle, sortie de mes rêves.
Mon cœur battait lourdement, je le percevais dans chacuns de mes membres.
Badam.
Badam.
Ô combien la guerre pouvait me coûter. Le plus dur était bien ici : le triste retour à la réalité.
Judith descendit immédiatement de son cheval, et ce, d'une rare grâce qui en faisant douter de ses années passées enfouies sous terre, je réprimais cependant un sourire en la voyant grimacer et se frotter les hanches.
Je ne tarda pas à la rejoindre, Livaï restant toujours perché sur son destrier. Hormis la nature environnante, on ne percevait aucun bruit de vie humaine, d'un simple passage ouvrier ou agricole. Ces terres semblaient les avoir oubliés. Cette maisonnette n'était certainement qu'un voisin de passage, une simple halte. La mousse dévorant la pierre qui en était les fondations témoignaient du temps qu'elle avait passé inhabitée.
Les deux mains sur les hanches, Judith avançait, le regard lointain, presque nostalgique. Aucun doute là-dessus : elle connaissait cet endroit.
Le caporal-chef descendit à son tour et se tint à mes côtés, l'observant également, nous partageâmes un regard et je lui souriais, comme pour lui prouver toute la confiance que j'éprouvais en cette femme. Je fus presque touchée de constater qu'il n'en possédait aucune, mais qu'il avait suffisamment confiance en moi pour me laisser prendre cette décision.
Si j'épargnais à Judith mes questions pour le moment, cependant, Livaï n'eut aucune pudeur pour lui arracher les réponses qu'il voulait.
— Personne n'a mis les pieds ici depuis un certain moment, même le bataillon ignorait sa présence, comment connais-tu cet endroit ? la questionna-t-il, l'air irrémédiablement sévère.
Je m'attendais à la voir partir aux quarts de tours, mais, à ma plus grande surprise, elle ne bougea pas, ne souriait pas non plus. Les deux mains sur les hanches, le regard vitreux, je découvrais une nouvelle expression de sa part avant qu'elle ne feigne un faible sourire qui en disait long : j'avais le même lorsque je parlais de ma mère.
— Un peu de respect, vous ne connaissez pas l'histoire de cette terre, fit-elle.
Elle s'avança jusqu'au seuil de la porte, passa son doigt contre le bois vieillis, un faible sillon de poussière se creusait contre son tracé.
— Vous êtes dans le repère des révolutionnaires. De l'escouade intra-muros grâce à qui on doit le peu de droit existant pour les plus pauvres habitants de ces terres.
Un ange passa. Si je n'avais aucune traître idée de qui elle parlait, Livaï lui, semblait ciller, lier les éléments entre eux. Il avait ouvert légèrement ses yeux, les avait baisser de nouveau, l'air de comprendre.
J'allais parler, mais Wolfhart le fit pour moi, prenant une caisse de bois avec elle pour l'emmener à l'intérieur, comme s'il n'y avait aucune minute à perdre.
— C'était une escouade pirate qui a combattu contre la noblesse de Mitras, ils ont été décimés lors d'une attaque fatale qui aurait changé la donne pour l'accès aux vivres et aux conforts, et aussi pour la répartition des richesses. Je ne savais pas qu'il en subsistait encore des membres... visiblement.
Judith cracha, sourcils froncés face aux informations que venait de dévoiler la jeune femme, et, moi, moi je n'en croyais pas mes oreilles. Judith avait été une activiste ?
En voyant toute la rage qui la consumait face aux souvenirs de cette ultime bataille, moi aussi, je commençais à relier les éléments. Elle avait dû perdre la totalité de ses compagnons d'armes.
Oh... Judith...
Mon cœur se serra tellement qu'il me fut difficile de ne pas le cacher. Je me rappelais avec effroi l'un de ses premiers dictons lorsque j'enchaînais les crises d'angoisses suite à mes cauchemars.
« Nos nuits sont le reflet de nos choix, p'tite tête. »
Elle ne dormait pratiquement plus.
— J'ai besoin de cinq minutes, siffla-t-elle avant de s'en aller, sans un mot de plus, sans même daigner qu'on ne lui réponde.
J'allais la retenir, le bras prêt à la rattraper, mes Livaï me retint, me faisant « non » de la tête. Je la laissais alors à ses pensées... et ses cauchemars. Ceux qui devaient la hanter depuis près de 11 ans désormais.
Alors voilà pourquoi elle était remontée... elle ne voulait pas que je connaisse le même sort que ses camarades d'antan.
Alors que le vent soufflait dans mes boucles gonflées, j'eus soudainement envie de pleurer, rien ne sortit, pourtant, mais mes yeux me piquaient atrocement. Tandis que la soldate était à l'intérieur de la maison, le caporal glissa sa main vers la mienne, et caressa du pouce son dos.
— Je... l'ignorais, avouais-je, le regard lointain, dirigé vers le corps s'éloignant de ma mentor.
— Il y a des choses tellement enfouies qu'on pense qu'elles ne sortiront plus jamais, et pourtant...
Il marqua un temps de pause, si impassible et humain à la fois, il comprenait autant ma douleur que celle de Judith.
— ... elles ne se taisent pas, se tapissent et ressortent jusqu'au combat final. Il semble qu'elle soit arrivée à cette bataille, conclut-il.
Mon autre main plaqué contre ma poitrine, à sentir mon cœur battre si rapidement en dépit de mon expression si étrangement calme, le genre qui ne me ressemblait aucunement, je me mis à songer aux propos que venait de m'offrir le caporal-chef.
Viendrait-il un jour où je serai assez forte pour franchir le même pas qu'elle ?
Réussirais-je simplement à confronter cette bataille ?
Je percevais au fond de ma mémoire le visage aimant de ma mère, celui qui ne s'était jamais effacé malgré le temps. C'était bien la première fois que j'en voyais une toute autre vision. Son visage ne me quittait jamais.
Et elle était mon tourment et ma bataille.
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▛ Petit mot de l'auteur ▟
Diantre
Je suis en vie.
Mes excuses les plus plates et les plus profondes ne suffiront jamais pour qualifier mon retard toujours aussi immense concernant cette fiction.
L'importance se situe tout de même sur le fait que je ne l'abandonne pas, hein ? 🙄
J'espère que le chapitre vous aura plu ! Et que l'entrée en scène de ma petite Judith ne fait que vous intriguez hehe 👉👈
Quoi qu'il en soit, je vous dis à la prochaine pour le chapitre 33, en espérant ne pas accumuler encore un retard faramineux, mais ça, comme dis, c'est pas gagner 😭
D'ici là, prenez soin de vous,
Cœur sur vous.
♡
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