Ⅵ - Accoutumance
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『 Chapitre 6 ⋄ Accoutumance 』
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Avalée, engouffrée dans le labyrinthe de couloirs du QG, je suivais ma commanditaire qui, avec passion, étoffait son discours sur chacune des pièces qui s'offraient à nos yeux.
Le large château qui accueillait les troupes du bataillon d'exploration m'était apparu en véritable conte de fées. Pour beaucoup, il ne s'apparentait qu'à une vieille bâtisse abandonnée, laissée à son compte et victime des années de solitude. Petra m'avait expliqué avec ferveur à quel point ils avaient réussi à redonner vie à cet endroit décrépit, notamment grâce aux talents du caporal-chef Ackerman. Ce détail ne m'échappa pas, repensant malgré moi à ce regard d'acier, à ces lames qui, sévères, m'avaient transpercé l'âme. Ce simple songe passager réussissait à me donner des frissons dans l'entièreté de mon échine.
Les pièces, à l'exception de ce large réfectoire au sol pavé de roches taillées et abîmées, revêtaient un plancher détérioré, me rappelant par ailleurs mon ancienne maison. Il grinçait sous nos pas, victime des nombreux allers et venus des soldats. Eux passaient parfois à côté de nous, m'adressant un regard curieux, perturbé. Celui que l'on donnait à un inconnu qui s'engouffrait dans son habitat. J'étais cette étrangère. Mes cheveux blancs ne me laissaient aucun répit quant aux coups d'œil. Epiée d'une furtive œillade, avant de voir disparaître les-dit recrues dans les limbes de ces labyrinthes de couloirs.
Je me savais incapable de retenir l'intégralité de ma visite, je me concentrai surtout sur les salles les plus souvent utilisées : cantine, douches collectives, ailes des femmes. La chose facile à se rappeler restait le plus haut des étages, ce château dressé comme une magnifique pyramide hiérarchique : les hauts gradés y étaient forcément logés.
Enfin, après de longues minutes d'exploration, d'explications, la rouquine me conduisit à ma chambre. Elle se trouvait au bout du couloir du deuxième étage, côté ouest, en ouvrant la porte grinçante et vieillie, elle donna sur une petite pièce lumineuse : un splendide effet miroir. Deux lits se faisaient face des deux côtés de la pièce, l'un longeait le mur de droite, l'autre celui de gauche. Une première fenêtre était disposée contre celui-ci, une autre au centre de la pièce, parallèle à la porte. Deux armoires aux coins de ces couches, et un duo de tables de nuit les accompagnaient également.
Je m'avançais, mes doigts glissaient sur le drap du lit le plus proche du vitrage, m'attardant sur la vue. Celle-ci donnait un large champ de vision. Au loin, je discernais un troupeau de bêtes regroupé dans un grand enclos clôturé, il n'y avait pas tant d'arbres de ce côté-ci, les terrains d'entraînement se trouvant plus de l'aile est du château.
Petra souffla :
— Bon, ce n'est pas réellement le grand luxe, mais -
Je la coupai aussitôt. Un faible sourire, lumineux, ornait mes lèvres. Les yeux brillants à déposer mon sac sur le lit de gauche, le regard toujours tourné vers ce paysage de campagne avoisinante, chaleureux au possible, je répondis :
— C'est parfait... au-delà de mes espérances, même.
Un petit silence accompagna alors la scène, un calme grandiose suscitant mes pensées les plus profondes, à savourer ce luxe que je n'avais jamais connu, ni même à l'auberge, ni même dans mes lointains souvenirs d'enfant. Cette paix, cette harmonie... elle réveillait en moi des sentiments que j'avais fini par oublier, annihilés par la profondeur des bas-fonds, par la noirceur des journées, dévorée par la misère et la mort, la faucheuse en reine maîtresse.
Ici, le contraste était violent. Il frappait, attaquait les tripes et les maintenait dans ses poignes. L'été et sa chaleur accablante opposait à la fraîcheur des souterrains.
Serrant dans mes poings ce drap propre et frais, les yeux luisants, luttant pour ne pas lâcher une larme qui se tordait d'envie de se frayer un chemin sur mes joues. Je sentis une main se poser contre mon épaule, m'obligeant à tourner la tête. Je fis face au sourire peut-être des plus chaleureux qu'il m'était donné de voir.
Petra brillait de ferveur, de passion et de compréhension. Tout comme moi, elle se postait tel un livre ouvert, facilement déchiffrable, me poussant à briser cette règle qui me hantait désespérément depuis mon arrivée :
Vint le règne de la liberté.
Mes iris se brouillèrent de sanglots, mon cœur explosant d'émotions toutes aussi fortes les unes que les autres. Impossible d'en faire la discernation, entre la joie, la tristesse, l'angoisse. Tout remontait à ma gorge, sortant par mes sanglots. Mon âme jusqu'alors noyée de sentiments non évacués, accumulés.
Ma tête se posta contre l'épaule de ma commanditaire, sentant sa main se glisser dans mes cheveux pour une caresse qui me rappela, alors, un souvenir lointain, déchirant. La même chaleur s'échappait de son geste.
Celle de ma mère.
— Bienvenue au bataillon d'exploration. chuchota Petra, m'étreignant comme une vieille amie.
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L'astre solaire tapait sur la tête du QG du bataillon. Il éclairait le sol terreux, la côte ouest du large château. Sa chute lente, témoin d'un été ardent. Sa chaleur réchauffait le corps des soldats. Certains se prélassaient sur l'herbe verte de l'immense jardin qui entourait le bâtiment, profitant certainement d'un temps de répit avant les futures batailles.
Petra m'avait laissé une trentaine de minutes pour ranger mes affaires, m'habiller du nouvel uniforme. Sentir le tissu se glisser sur ma peau m'en causait encore des frissons, en particulier lorsque j'avais rabattu la veste légère, brune et ornée de ce symbole : deux ailes entremêlées, témoins de la volonté de ce bataillon. Seuls mon justaucorps et mes sous-vêtements restaient de mes anciennes affaires. Les autres allaient me servir lors des temps où l'uniforme n'était pas une réelle nécessité.
Dans ces larges bottes, beaucoup mieux que mes anciennes, je marchais à l'extérieur, essayant de trouver par mes souvenirs le chemin pour rejoindre le terrain d'entraînement. Me rappelant les paroles de la rouquine : « Traverse l'aile des femmes, rejoint le réfectoire et sort par la porte sur ta gauche, longe le mur et alors, tourne à droite, tu verras, le terrain est reconnaissable avec sa terre rabattue ! ». Mes yeux fouillaient l'horizon, capturaient les regards curieux de certains, attirés par ma chevelure blanchâtre. J'eut le même réflexe, soumise au stress : je me mis à entortiller de mes doigts l'une de mes mèches que je plaçais derrière mon oreille. Je n'avais jamais aimé être le centre de l'attention. Je me concentrais sur ma tâche, mon objectif, longeant ce mur de pierres anciennes, percé de larges fenêtres. On devinait le dédale de couloirs à travers. Une brise légère s'était de nouveau levée pour un vent plus frais, témoin de la fin de matinée qui approchait. Petra avait insisté pour me faire passer un de mes tests avant le déjeuner. J'ignorais la raison, mais, dans un sens, me débarrasser de ces choses au plus vite m'arrangeait. Mes pieds pourraient trouver le repos dont ils avaient tant besoin et moi de même.
Arrivée au bout, bifurquant sur la droite, je contemplais au loin ce large terrain où une silhouette connue venait de se retourner, m'adressant de grands signes. Ce geste enfantin me fit esquisser un sourire profond, voire m'amusait. Petra luisait de bienveillance, ses grands yeux noisette captivaient n'importe qui. Son bonheur d'accueillir une nouvelle recrue se lisait sur son visage fin et sa peau pâle.
Je m'approchais alors d'elle, levant ma main pour répondre à son signe non sans esquisser un faible rougissement, elle fit :
— Félicitation ! Tu as pu trouver le chemin grâce à mes explications, c'est super !
— Ce n'était pas bien compliqué, répondis-je, me grattant l'arrière de ma nuque.
Le sourire de la rouquine s'élargissait, sa main se posa alors sur mon épaule, me faisant lever les yeux vers les siens. Rougissant plus fort, ce encore malgré moi, je la vis pouffer un instant avant de dire :
— Ne t'en fais pas, pas de chose trop difficile aujourd'hui. Je pensais évaluer tes performances au corps à corps, que je me fasse une idée de tes capacités. On attaquera demain les choses plus difficiles comme l'équipement tridimensionnel.
La tâche ne me faisait pas peur. Judith m'avait éduqué à cela depuis ma jeunesse. Frapper des corps, c'était une chose à laquelle j'étais habituée, conditionnée et préparée. Il fallait apprendre à se défendre lorsque son habitat consistait à la misère, la violence et la mort. Certains cherchaient à tuer pour un morceau de pain.
— Compris ! fis-je le regard rempli de détermination. Je... ne vais tout de même pas te frapper, si ? finissais-je, les joues plus rouges encore, détournant le regard.
Le rire de Petra résonna à mes oreilles, il s'engouffrait dans mon âme, mon cœur, par sa chaleur naturelle. Il m'en fit louper un battement, trop peu habituée à cette forme d'innocence. Ma mèche retrouva le chemin de mes doigts et de derrière mes oreilles, la bouche crispée à ne pas savoir où placer mon regard. Je ne savais ni comment réagir ni comment répondre. Ma naïveté se ressentait à pleine distance.
— Non.. non. On verra plus tard pour ce qui est de te mettre en face d'un vrai soldat, un mannequin fera l'affaire pour le moment, répondit-elle entre deux gloussements.
J'étais rassurée. Petra n'allait pas devoir subir mes coups. Je portais toujours en mal de devoir m'entraîner sur quelqu'un. Judith savait me rendre les frappes de manière sordide et cruelle, elle tout craché, mais quelqu'un débordant d'une telle bienveillance, non, je m'y refusais presque. Ayant connu le désastre humain, les fracas de l'âme et la colère des mortelles, une simple personne qui ne portait en son regard aucune animosité paraissait en véritable mythe, un être presque sacré. Voilà ce qu'elle m'inspirait. Cette perfection que je n'avais pratiquement pas connue ou oubliée.
Elle se poussa, laissant place à une vue aérée du terrain. Derrière elle, le fameux mannequin victime de nombreux passages. Le pauvre avait dû être asséné de coups depuis sa construction. Petra recula, assez pour en voir une vue d'ensemble, un bloc de bois et une feuille dans les mains qu'elle avait posé sur le sol, un crayon à la main, elle me regardait avec un grand sourire, me lança un pouce en l'air pour m'encourager avec un clin d'œil. J'eus la même expression, touchée du geste à sentir une vague de détermination me frapper.
Je regardais ma cible, me préparais à lancer mes premières attaques non sans me souvenir de mes entraînements passés. La voix de Judith résonnant dans mes oreilles, une flamme se formant aux creux de mes iris, brûlante, cinglante. Je me mis à courir, l'air prête à frapper avec mes poings. La chose la plus basique à faire, la plus habituelle. La rouquine ne semblait pas non plus surprise.
— Il va falloir comprendre, p'tite tête, que les gens sont des enflures, ici. Tu te tiens avec ta bouche en cœur et tes discours de bon sens. Bannis-les, tu m'entends.
S'accroupissant devant moi, je n'étais pas plus haute que 1m10, les cheveux en pagailles, gras, le corps éraflé et la faim au ventre, Judith parlait.
— Certains vont profiter de ta naïveté. De ton âge. Ils tireront de toi ce qui les intéresse. Tu es albinos, Nellas. Tu seras une femme magnifique plus tard, cela inclue aussi les regards, les convoitises. Il va falloir que tu te défendes, que tu sauvegardes le fait qu'ici, tu m'entends, tu ne seras pas en sécurité. Cela ne veut pas dire qu'ailleurs tu trouveras la paix.
Mes larmes avaient arrêté de sortir face aux discours sordides et pessimistes, douloureux aux oreilles d'une enfant. Judith me conditionnait me préparait, quitte à me voler ces années de ma vie. Il était question de survie.
— Alors il faut que tu saches, Nell', que pour tirer ses victoires il faut savoir être singulière. Trouve-toi ta propre particularité, ta tactique secrète qui saura te faire respecter. Vu ton âge, je ne te demande pas de la trouver par toi-même. C'est pourquoi je vais te demander à partir de maintenant de faire plus de deux heures d'étirements.
Mon regard se décomposait. La nouvelle me paraissait affreuse, terrible. Mon corps était déjà douloureux, il s'adaptait mal. À mes yeux, Judith cherchait ma mort. Un sourire orna ses lèvres, compatissant, cette fois-ci. Loin de son air moqueur, une lueur dans ses yeux verdâtres, elle ébouriffait mes cheveux, glissant un :
— Crois-moi, tu me remercieras plus tard.
Arrivée face à ma cible, je me baissais soudainement, rapide, agile. Mes paumes se placèrent contre le sol, les yeux de Petra se révulsant par ce changement de tactique alors que ma jambe droite, elle, s'étirait de son long, en hauteur, frappant de plein fouet sous le menton du mannequin. Sa tête se décrocha sous l'impact, roulant plus loin, atterrissant aux pieds de quelqu'un.
La rouquine, incapable de réagir face à une technique qu'elle n'avait jamais vue, ne savait quoi répondre, elle tourna son regard vers la tête arrêtée de plein fouet par le pied de ce soldat.
Mon cœur, lui, loupait un battement. Il s'accélérait alors que mes yeux s'ancraient de nouveau dans les aciers profonds de cet homme. Il me fixait, me dévorait. Le temps sembla se couper, de pause, une sorte d'éternité. Me remettant droite sans pour autant détourner mes yeux des siens, je compris que le caporal-chef Livaï était de retour, avait observé ma performance et tenait sous son pied ma victime. Il ne portait aucune grande expression, majestueux à se courber, gardant dans sa main la tête boisée de ce pauvre bouc émissaire. Il l'observait avant de me regarder de nouveau.
Badam.
Badam.
Mon organe s'affolait contre ma poitrine, frappant plus fort qu'à son habitude. Il semblait maître de mes sensations, les dirigeait comme un chef d'orchestre. Seul le bruit de la légère brise parvint à mes oreilles, sifflant doucement aux creux de celles-ci.
Je m'apprêtais à ouvrir la bouche, mais le temps me rattrapa, la pause se brisant, rendant le monde sonore et vivant. Il m'étouffa, m'ébranla un faible moment, un instant passager, frêle qui semblait n'avoir jamais existé.
Petra applaudissait.
Mon souffle jusqu'alors coupé, je reprends une bouffée d'air, revenant à la vie à détourner les yeux, complètement désemparée.
— C'était incroyable !! Nellas d'où tu sors des tactiques pareilles !? Oh je suis certaine que le caporal-chef a été impressionné, je savais que le major avait l'œil pour dénicher de bonnes recrues !
S'agissait-il réellement de l'œil d'aigle et du génie d'Erwin Smith ? Ma présence ici relevait du miracle pour avoir passé un si court entretien. Si cet homme avait su mes capacités avant même que je ne les montre, alors peut-être était-il plus un dieu qu'un simple major.
Le rouge se perdait sur mes joues alors que je ne savais comment réagir. Je cherchais mes mots, les perles aciers me dévoraient encore la mémoire, me hantaient. Savoir que possiblement j'avais réussi à l'impressionner m'émoustillait quelque part, m'emplissait d'un certain sentiment euphorique. Je m'en sentais autant stupide que comblée, ne savant pas comment prendre cet amas d'émotion dont je n'avais aucune connaissance.
— ... J'ai.. j'ai eu un bon professeur, merci beaucoup, balbutiais-je tant bien que mal.
Au fond de moi, je ne pouvais m'empêcher de songer un fort : « Merci Judith. » avant de rejoindre Petra qui griffonnait sur sa feuille. J'étais à la fois curieuse et apeurée de ce que pouvaient contenir ses notes, celle-ci me les cachait d'un petit sourire complice avant d'ébouriffer vivement mes cheveux, me faisant éclater en rougeur une nouvelle fois.
— Ne t'en fais pas, je suis certaine que tu feras tes preuves remarquablement bien. Tu as de la ressource, rien que ça, je sens que tu monteras vite en échelon !
Son optimisme me dévorait, consolait mon âme trop enterrée sous terre. Elle m'indiquait le chemin pour ressentir de nouveau des choses puissantes, fortes et véritables. Un large sourire se créait sur mes lèvres. Il était naturel. Cette chose si peu habituelle. Les bas-fonds m'accoutumaient aux masques, aux rôles, aux faux-semblants. Quitter cette étiquette, ce spectre que je m'étais créé n'était pas une chose aisée, mais ici, maintenant, entourée de si bons sentiments, je ne pouvais que recracher ma nature profonde et mes émotions profondes : la joie s'emparait de mon corps.
— Allez, tu as bien mérité un repas, ils viennent d'ouvrir le réfectoire pour le service de midi. Tu me suis ? fit Petra, m'invitant à la suivre.
Je pris le temps d'observer son visage, de m'accoutumer à une telle luminosité avant de hocher timidement la tête. Je commençais alors ma route avec elle. La rouquine déblatérait avec ferveur du bataillon d'exploration, de ses ressources et ses victoires prochaines. Elle portait dans sa voix toute l'absolue d'une femme fière, passionnée. Son métier la tenait à cœur, de ça, il en était une certitude. Je ne pouvais m'empêcher d'admirer ce genre de personne, de les apprécier. La détermination peuplait mon cœur et ma vie depuis tellement d'années, nager enfin avec des semblables était plus qu'agréable. Les bas-fonds ne regorgeaient que de pessimisme et de désolation, ne laissant place qu'au règne infâme d'une mort lente, douloureuse et misérable.
Nous repassions par le même chemin que j'avais emprunté plus tôt. Je sentais les vertiges me gagner, le genre qui commençait a réalisé toute l'ampleur de la situation. Jusqu'alors, souffler ne m'avait pas été donnée, puis ce contact avec ce supérieur... Grand dieu ses aciers ne quittaient pas mon esprit. Ils m'avaient pénétré, absorbé. Moi-même j'avais comme réussi à plonger dans les siens, à y déceler des choses profondes, trop endormies et secrètes. Ce sentiment lourd ne faisait que peser à mon âme. Il ne m'avait montré aucune bienveillance, bienvenue. Je ne l'étais pas. Il était le contraire de l'astre solaire à mes côtés, rouquine souriante et éclatante. Lui, il s'approchait de la lune, de la profondeur des souterrains.
Il portait la mort sur son visage.
Nous pénétrâmes dans le réfectoire. Le brouhaha se brassait dans l'immensité de cette salle, peut-être la plus grande qu'il m'était donné de voir de ce vaste QG. Ses pierres taillées et abimées au sol guidaient nos pas et de nombreuses tables boisées, tout autant délabrées accueillaient bon nombre de groupuscules de recrue.
Petra me guidait naturellement vers l'une d'entre elles, dissimulée derrière tant d'autres. Je la suivais sans réellement savoir si j'y étais conviée, mais elle ne semblait pas vouloir me lâcher. Finalement, je me retrouvai bien vite assise à cette large table contenant l'intégralité d'un groupe d'hommes. Ils avaient accueilli la rouquine comme une amie proche sous des taquineries et des railleries. L'un d'eux s'était mordu la langue sauvagement en essayant de répliquer. Ce geste m'avait presque fait sursauté, moi, penaude au bout de cette compagnie.
— Mmh... toi, tu es la nouvelle, non ? fit l'homme à côté de moi.
Il était blond, cheveux regroupés en un chignon parfaitement réalisé, les yeux d'un marron profond, une barbichette sur le menton. Il paraissait sérieux, mais doux, attentionné. Mes petits yeux fuyards finissèrent par se planter dans les siens, un sourire se creusant sur mes fines lèvres, combattant ma timidité maladive qui ne semblait pas vouloir me lâcher depuis ce matin. Je hochais la tête :
— Oui, Nellas, Nellas Urthël. répondis-je.
Ses lèvres s'étiraient doucement, me créant ainsi une bulle de bien-être, me poussant automatiquement à me détendre. Je n'en avais même pas remarqué à quel point mes épaules étaient courbées, crispées. Le poids descendit d'un seul coup, me laissant ridicule à pousser un soupir de bien être, créant l'hilarité de la table, me poussant à rougir en flèche, me tournant pour en admirer l'intégralité me fixer.
— Un poil timide Urthël ? T'inquiète pas va tu vas te décoincer en moins de deux ici ! pouffa le vétéran à la langue fendue.
— Oh Auruo ! Arrête avec tes bêtises laisse lui le temps de respirer ! pesta Petra.
— Commençons déjà par lui donner un plateau-repas, fit l'homme posté aux côtés de ce blond.
Un sourire aux lèvres, il se leva en quête de ce déjeuner, Petra leva ses bras avec énergie, beuglant un : « Prends m'en un aussi ! »
Je ne pouvais m'empêcher de baisser le regard, essayant de le fixer quelque part, en vain. Cette atmosphère, je ne l'avais que trop peu connue. Néanmoins, la chaleur s'emparait de mon âme, quelque part. J'en ressentais les changements, et ce bousculement, je l'acceptais avec joie. La main lovée contre mon cœur, à fermer les yeux le temps de le sentir battre, calmement, fermement, je retrouvais ma sérénité avant de reprendre contact avec l'environnement qui m'entourait. Lorsque je les rouvris, le soldat posa chaleureusement le plateau sous mon nez, faisant briller mes yeux d'une telle vision : un repas complet, muni d'une soupe garnie de légumes, d'un morceau de pain et de ce qui semblait être une pomme. Un large sourire s'imprégna de mes lèvres sous le regard bienveillant de l'équipe.
Ce fut sous les rires de tous, que je commençais à manger, savourant chacune de mes bouchées.
Mon tout premier repas, de ma toute nouvelle vie.
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