ⅩⅩⅤ - Découverte
『 Chapitre 25 ⋄ Découverte 』
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Les toits des demeures de Stohess donnaient une vue imprenable sur le combat. On pouvait admirer la poussière s'évaporer vers le ciel, les pierres voler ça et là, s'écrasant au sol, témoignant de la violence de la bataille. Même perchés sur les tuiles de ces maisons, le caporal-chef Livaï et moi-même sentions irrémédiablement les tremblements causés par leurs actes titanesques. C'était à peine si la terre comptait se briser sous leurs gestes.
Comme si j'avais cessé de respirer, mon cœur battait à tout rompre alors que je contemplais la colère de mon camarade. Je ne l'avais jamais vu entrer dans une telle fureur. J'en étais presque paralysée.
Eren, voici donc toute l'étendue de ta rage ?
Je suivais à pas de loup mon chef d'escouade, vaquant de toit en toit. Focalisée sur lui, lui et sa cheville surtout, j'essayais de garder mon sang-froid. Il le fallait, coûte que coûte.
Cependant, voir la figure de cette femme se rapprocher de moi me rappelait ce jour sinistre : celui où j'avais cru périr, où elle avait assassiné, impassible, mes amis. Ma bile me grattait, comme si mon estomac remontait dans ma gorge, ce dégoût se mêlait à une haine certaine : celle qui naissait au fond de ma psyché, elle me forçait à faire face à mes émotions versatiles. Le constat était sans appel : moi aussi, j'étais assaillie par la colère.
Le visage de Petra refusait de me quitter, autant que celui d'Auruo, Gunther et Erd. Ils avaient passé tant de jours à m'instruire, me guider, tout cela pour que je finisse par être l'une des dernières survivantes de l'escouade tactique. Quoi qu'il pût être dit, pensé, leur mort me pesait sur la conscience. Je n'avais pas pu les aider, ni pu les sauver, pourquoi ?
Car la peur, ce jour-là, m'avait kidnappée.
Je me rappelais, c'était sans doute cela qui était le pire. Je revoyais chacun de mes doutes, ceux qui m'avaient assommée, chacun des discours prononcés pour comprendre si j'étais bien prête pour une première expédition. Tous avaient décidé de faire confiance aux mots du major, ils s'étaient jetés dans la gueule du loup, et désormais, seule la terre accompagnait leurs mémoires.
Ils n'avaient même pas eu de tombes, d'ornements ou de funérailles. Rien que d'y penser, mes cordes vocales vibraient, s'agitaient, comme si j'allais finir par hurler. Ironie du sort, rien ne sortait. Bloquée dans un espace-temps, je me retrouvais assiégée par les souvenirs macabres de la 57e expédition extra-muros. Mon âme était restée là-bas. Le caporal avait raison sur un point : « Tout le monde sait, qu'ici, les combats ne finissent jamais. Lorsque l'on quitte le centre de la bataille, elle nous poursuit jusqu'ici. Il faut dealer avec les blessures physiques et internes. Certains n'en guérissent pas. ». Je n'en guérirais jamais.
Songer, lorsque l'affrontement faisait rage, était une mauvaise idée. Je me raccrochais à ma réalité, confrontant chacune des plaies en face à face. Depuis que j'avais consumé mes pas hors des souterrains, la douleur ne m'avait jamais paru aussi limpide et franche. Le mensonge, toujours présent dans les bas-fonds, apparaissait en grand spectacle, si bien qu'il était impossible à camoufler. Car si les ombres étaient maîtres de mon ancienne existence, lieu tout à fait adéquat pour les illusions, la lumière, elle, était le règne de la vérité :
celle de la déchéance naturelle, de la guerre, du sang, de la violence. En fin de compte, une part de moi avait constamment eu raison de craindre les Hommes. Visiblement, ils étaient rongés par la haine et la soif de conquêtes. Peu importe les tas de corps accumulés, la vie, ici, avait un faible prix comparé à là-bas. Un soldat se remplaçait. Je n'avais jamais autant banalisé la mort, triste constat.
Je devais parfois me boucher les oreilles lorsqu'Eren poussait des hurlements. Sa voix perforait les tympans, parcourait le vent et les contrées. On devait l'entendre à des kilomètres à la ronde, du moins, c'était l'impression qu'il me donnait.
Au bout d'un certain temps, le caporal et moi-même étions parvenus à rejoindre le centre de la bataille, là où d'autres soldats s'accumulaient autour des deux titans. Je n'avais pas eu de difficulté à croiser ses deux amis, présents lors de la réunion : Armin et Mikasa. À contempler leurs expressions, nul doute qu'ils semblaient prêts à se tuer pour mon compagnon. Je n'arrivais pas à comprendre, cette logique m'échappait, me ramenait au point clé de toutes mes pensées : j'étais bien différente de tous ces gens réunis.
Ils étaient prêts à se sacrifier pour une cause, mais moi, qu'étais-je prête à livrer pour la mienne ?
Mon père était peut-être mort, que savais-je de lui hormis les discours de ma mère ? Je n'avais même pas débuté à chercher. Je commençais à songer que tout cela m'avait servi d'excuse, d'excuse pour pouvoir avancer, quitter les bas-fonds. Je n'aimais pas cette ville ni cette vie, je ne l'avais jamais appréciée. Je me contentais de tout, sans prendre la peine d'y réfléchir. Quand avais-j'entrepris à ne plus m'en satisfaire ? Pourquoi soldate, d'ailleurs ?
Merde.
Mon crâne frappa en douleur, j'en appuyai ma main contre mon front, fronçant les sourcils. Une migraine approchait.
Alors que nous venions de poser les pieds sur les tuiles d'un toit, le combat avait l'air arriver à son apogée. Les éclats de pierre volaient dans tous les coins, comme si la terre semblait vomir son excès de rage. Un seul débris et tout semblait se détruire, se consumer. Le souffle pratiquement coupé, j'avais le sentiment de me trouver en plein cœur d'un incendie. Mon homme de feu me regardait-il ? Tout paraissait différent aujourd'hui. J'avais presque l'impression qu'il empoignait ma main, que je ne faisais plus qu'une avec mes nombreux cauchemars.
Le titan féminin s'écrasa au sol, Eren, dans un excès de colère, se jeta sur elle. Sa gueule s'ouvrit, s'élargit, encore, et encore, laissant apparaître des dents acérées. Sans même y faire attention, je tenais fermement le manche de mon épée. On aurait cru voir l'antre des enfers. Il ne s'agissait pourtant que d'une bouche pharaonique. J'en avalais difficilement ma salive à m'imaginer à la place du titan féminin.
Un souffle, cependant, gicla hors de son corps, délaissant tout le monde dans un instant de folie. Je reculais, regardais mon caporal-chef, mon premier réflexe fut d'agripper son poignet pour le forcer à reculer. Avant même que je puisse m'en rendre compte, il n'était plus ici, il s'était envolé, non évaporé, et d'un coup d'épée, il trancha la nuque du titan d'Eren qui venait de se mettre à hurler. Sans aucun repère, je restais abrutie, haletante, une tachycardie en approche.
La bataille venait-elle de se terminer ? Je n'en avais aucune idée, tout était flou, et ma tête m'était d'une douleur insupportable. Je n'en avais même pas remarqué que mon corps s'était effondré sur les tuiles du toit, fesses à terre, la main sur le cœur, une sueur froide dégoulinant le long de mon dos.
Je tournais mon visage à gauche, à droite, sur les côtés. Je ne percevais que des débris de bâtiments. Dire que cette ville était encore intacte ce matin... des effluves de souvenirs me remontait en mémoire. Je me revoyais à courir de partout, à travers les ruines, avec ma trousse médicale à moitié vide, essayant de sauver le peu d'humanité restante. Agatha et Mina étaient-elles déjà dans les rues pour porter secours aux civils ?
Et combien de morts avions-nous causés, cette fois-ci ?
Livide, par pur automatisme, je portais ma main à ma bouche. Mon estomac venait de se retourner, mon maigre repas avait du mal à passer.
— Respire profondément, fit soudainement quelqu'un.
Une poigne venait de se plaquer à mon dos, je reçus un coup tout contre, peu appréciable, mais assez fort pour me faire revenir à la réalité. Avant même que je puisse me remuer, Jean vint s'asseoir à mes côtés, poussant un soupir alors que les soldats s'agglutinaient autour de la scène centrale.
Je fermais les yeux, la main contre mon corps, je me concentrais sur mes battements, et d'un coup, ma tête se cambra en arrière, mes poumons se gonflèrent d'air frais, je relâchai tout, d'un seul coup. Toujours nauséeuse, je sentais cependant ma gorge se calmer et mes remontées acides s'adoucir. Après quelques minutes de silence, silence qui n'avait pourtant rien de dérangeant, je réussis à me tourner vers lui. Il fixait la fumée s'évaporer du titan d'Eren, sans grande expression.
— T'en as pas marre de t'occuper de mes crises d'angoisses ? finissais-je par répondre.
Tiqué, il fronça les sourcils, avant même que je réagisse, il me donna une claque derrière le crâne.
— Aïe ! rouspétais-je, plaquant mes deux mains à l'arrière de ma tête.
— Et toi, t'en as pas marre de jouer les durs alors que tu gères rien du tout ? répliqua-t-il.
Prise de court, je le fixais, tout comme il le faisait. Au bout d'un petit silence, je m'avouais vaincu, pouffant tout en roulant des yeux.
— Un point pour toi, fis-je, regroupant mes jambes contre ma poitrine.
— Un merci aurait suffi, idiote, râla Jean.
— Oh, et bien, « merci ».
Jean incarnait peut-être trop bien l'humanité. Il possédait une force que je n'avais pas encore acquise : celle de garder une ténacité implacable, peu importe la situation. Pourtant, notre première rencontre m'avait prouvé que, lui aussi, il pouvait vaciller. Rien que de me rappeler des rues pavées de sang, le mien se glaçait.
Je pus réussir à me relever, enfin. Mon corps captura la pression, au moins le temps de cette bataille. Je savais qu'il me serait possible d'exploser une fois au QG. Jean, à côté de moi, me toisa de la tête au pied avant de s'apprêter à enclencher son équipement.
— On se rejoint là-bas, fit-il.
Je hochais la figure, le laissant filer dans les airs vers la vapeur des titans qui s'échappait dans le ciel.
Seule, perchée sur ce toit, je contemplais les dégâts de cette bataille. Le son réapparaissait, peuplant mes tympans d'une symphonie des horreurs : pleurs, cris, gémissements.
Les blessés devaient être indéniablement nombreux.
— Si nous sommes à l'abri sous terre, pourquoi n'avons-nous tout simplement pas vécu ici, depuis toujours ?
Judith me regardait à travers la glace d'un verre à vin, tout juste nettoyé. Elle avait relevé un sourcil, comme si ma question paraissait idiote, ou trop sensée pour mes 10 ans.
— Le soleil ne te manque pas ? avait-elle dit.
Je haussai les épaules. L'avantage du temps, c'était qu'il défilait si vite qu'on en oubliait les saveurs. Mon albinisme se mêlait aux profondeurs. Lorsque j'étais petite, le fond de la rivière qui parcourait Mitras était aussi sombre qu'une grotte. J'en avais peur. Je songeais qu'il était infini, et que très certainement, tout au fond, là, gisant sous nos pieds, se cachaient les entrailles de la terre.
— J'ai oublié, fis-je.
Je me hissai sur le haut du comptoir à l'aide d'une chaise en bois. Le vieux buffet grinça de tout son long, me valant une frappe derrière la tête par Judith, mécontente, celle-ci pesta :
— Doucement ! Déjà qu'la maison menace de s'effondrer, va pas briser notre gagne-pain !
— Pardon, grommelais-je.
Elle soupira. Ses doigts fins s'engouffraient dans son torchon usagé et celui-ci rejoignait l'intérieur du verre vide. Des mouvements lents, mais précis, efficaces. Judith ne manquait jamais sa cible, même quand il s'agissait d'une trace invisible.
— Je pense qu'ils ne le supporteraient pas, répondit-elle.
Sa réaction m'échappait. Je la fixais de mes grands yeux verts, incrédule, cherchant davantage d'explications. Pourquoi, après tout ?
— Les bas-fonds sont pour les personnes comme nous, p'tite tête.
Sa main s'engouffra dans ma chevelure épaisse, elle l'ébouriffa. Je détestais ça.
— Celles qui n'ont plus rien du tout.
Immobile, toujours sur ce toit, mes pieds s'étaient ancrés dans les tuiles chaudes. Le soleil descendait, il chauffait ma peau de porcelaine. Même après ces quelques mois passés en dehors des souterrains, mon corps semblait être resté là-bas.
Me restait-il quelque chose ?
Des rêves, certes.
De l'espoir, peut-être.
Des concepts, des idées floues et abstraites. Judith n'était plus ici, les pochetrons du bar aussi. Petra avait rejoint un monde que je ne connaissais pas. Erd, Gunther, Auruo, peut-être se tenaient-ils tous la main ? Peut-être que maman leur jouait quelque chose de beau, là-bas.
Je frissonnai. Impossible de faire partir ces pensées moroses. Elles s'abattaient sur mon crâne, semblaient foudroyer leur courroux sur mon existence. Mes doigts parcouraient ma peau, je traçais des traits invisibles sur les courbes de ma désolation. Les gestes maternels de Judith me manquaient terriblement.
Mes bras s'effondrèrent le long de mon corps, en même temps qu'un soupir profond. Un regard dirigé sur ma droite, j'admirai la fumée se dissiper de plus en plus. Il fut temps de rejoindre mes camarades, de mettre en stand-by ce qui ne se taisait pas.
Mon cœur allait devoir contenir ses larmes.
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Mes pieds heurtèrent le sol dans un atterrissage peu élégant. La manœuvre de l'équipement tridimensionnel me restait difficile, bien qu'avec tout cet entraînement, il m'était plus facile de voltiger.
Le caporal-chef se trouvait aux flancs de Mikasa et Armin, Eren à leurs côtés, évanouis. Plus loin, un groupe s'agglutinait, on en entendait que le bruit sourd de lames s'écrasant contre quelque chose de dur.
Avions-nous gagné ? Tous ces sacrifices n'étaient donc pas vains, cette fois-ci ?!
Oh, une vague d'espoir m'envahissait soudainement. J'apercevais dans le creux de mes yeux le visage flouté de Petra, saluant de son cœur les troupes. Mes lèvres s'étirèrent, les yeux brillants, courant alors vers mon chef pour avoir plus d'informations.
— Caporal ! annonçais-je, un poing sur la poitrine.
Ses pupilles d'aciers heurtèrent les miennes. Il semblait contrarié, laissant à mes espoirs un crève-cœur ultime : nous n'avions pas réussi.
La mine déconfite, je le regardais, incompréhensible.
— Elle n'a pas pu s'échapper...
— Cette enflure s'est enfermée, répondit-il.
— Enfermée ?
Il me fit signe de la tête, droit vers ce groupuscule qui, complètement désespéré, abandonnait leur lutte. En s'éloignant, j'aperçus l'impossible : un bloc qui ressemblait à du verre, renfermant le corps humain du titan féminin.
— Mais c'est-
— Ce n'est pas une défaite, Urthël.
Sa main venait de se poser sur mon épaule. Sans même le réaliser, mon expression devait converser à ma place, abordant un certain côté misérable.
Pas une défaite ? Si nous ne pouvions avoir aucune information, alors à quoi avait mené cette bataille ?
Un soupir de détresse passa mes lèvres alors que je tenais mon bras de mon poing, le visage baissé. Je sentis sa prise se resserrer contre mon épaule.
— On en parlera ce soir, ne perd pas pied, Nellas, fit-il.
Je hochai la tête. Si mes espoirs venaient d'être anéantis par la nouvelle, le caporal-chef avait le don de m'en créer de nouveaux. Je me raccrochai à ses mots. Après tout, il était la seule branche à laquelle je pouvais me tenir en ce moment.
L'amour possédait des pouvoirs que j'ignorais jusqu'alors.
Il repartit, certainement à la recherche du major ou du caporal Zoe. En parlant d'eux, la fidèle acolyte du robuste Mike se tenait droite, la mine fermée.
Que faisait une recrue de son escouade ici, d'ailleurs ?
Pour une raison que je méconnaissais, elle me rappelait un visage familier, le genre que j'appréciais, qui m'incitait à parler, comprendre. Alors je m'étais approchée, me postant à ses côtés sans un mot de plus.
Elle ne semblait pas avoir fait attention à ma présence, car une chose accaparait sa vue, me poussant moi-même à lever le regard vers le Mur, ce que je vis me coupa presque le souffle.
— Il y a un problème, chuchota-t-elle.
Elle fit volte-face, prise d'une fougue instinctive, sautant sur le premier cheval venu, me laissant incrédule devant ce qui se déployait sous mes yeux : la tête d'un titan au sein même du Mur.
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▛ Petit mot de l'auteur ▟
J'ai sincèrement cru que j'allais jamais réussir à le sortir celui-ci. Pfiou, les périodes d'examens m'ont eu à l'usure, ma motivation et mon inspiration ont payé très cher :')
Mais voilà, je me suis regardée dans un miroir et j'ai hurlé un coup, moi, abandonner cette fiction qui me tient à coeur depuis si longtemps ? Ja-mais. Bon, j'ai genre deux mois de retards (peut-être plus) mais j'espère que ce petit retour vous fait chaud au coeur ! Je suis bien contente de me retrouver ici.
Courage à vous, peu importe la période où vous vous trouvez.
Je vais tenter de pas revenir après 3 mois encore.
Promis.
Cœur sur vous.
♡
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