Chapitre 38 - La liberté retrouvée
Trois mois plus tard, Avril 2025
J'ai toujours aimé le printemps. Il est synonyme de renouveau, d'une nature qui reprend ses droits. Le ciel repousse les nuages gris et on retrouve le plaisir de sortir, sans être obligé de s'emmitoufler sous de gros manteaux. En cette fin d'après-midi, assis dans le parc du Luxembourg, un livre sur les genoux, j'attends Florestan qui ne devrait pas tarder. Il était en cours aujourd'hui, à l'autre bout de Paris.
Cela fait quatre mois que l'on se côtoie. Après ma plainte, et l'histoire de la main courante déposée par Maximilien et Amanda, j'ai eu besoin de temps pour m'en remettre. Je me suis tenu éloigner de Florestan quelques semaines, parce que raconter mon histoire m'avait forcé à revoir son implication, mais après un mois sans vraiment lui parler, je l'ai finalement rappelé. Depuis mars, nous nous voyons presque chaque semaine. Je suis même allé dormir chez lui plusieurs fois, surtout depuis qu'il a officiellement « rompu » avec Camille, bien qu'ils n'aient jamais été ensemble réellement.
Perdu dans mes pensées et la contemplation du sénat, je ne m'aperçois pas que quelqu'un s'est glissé derrière moi. Deux mains se posent devant mes yeux et une voix lance :
— Qui c'est ?
— Jackson Avery ?
— Ah, ah.
Florestan retire ses mains et se penche pour m'embrasser. Par réflexe, je jette un regard autour de moi, mais à part les enfants qui déposent leurs petits voiliers dans la fontaine et leurs parents qui les surveillent, personne ne prête attention à nous. Florestan s'assoit sur une chaise et jette un regard sur mon livre. Je lui montre le titre, Intrigue et amour, d'Alexandre Dumas. Une pièce de théâtre peu connu de l'écrivain, qui raconte la romance entre Louise, la fille d'un musicien, et Ferdinand, le fils du président régent. Florestan me lance une moue sceptique devant le titre et je m'empresse de marquer où j'en suis à l'aide d'un marque page, puis me redresse.
— Tu as vu les autres ? demande-t-il.
— Lisa nous attend près de la fontaine Médicis.
Ma meilleure s'est mise en tête d'organiser un pique-nique afin de célébrer le retour des beaux jours. Dans cet endroit où nous adorions nous installer pour lire quand nous étions au lycée, et où elle m'a remplacé pour venir s'étendre avec sa copine. J'ai fait semblant d'être vexée et jaloux quand elle me l'a avoué. Je range mon livre dans mon sac et me redresse. Florestan a terminé son stage à l'hôpital, il n'a plus que des cours théoriques jusqu'à la fin de l'année, et entrera en internat à la rentrée prochaine. Il n'arrête pas d'en parler, il n'y a pas un jour qui passe sans qu'il ne stress' à l'idée que la Doctoresse Karmel n'accepte pas de le reprendre dans son service.
— Tu as pris quoi à manger ?
— Des chips, et des tomates cerises.
J'arque un sourcil, perplexe face à cette maigre pitance, mais il m'explique ne pas avoir eu le temps de s'arrêter faire d'autres courses. Quand j'ai rencontré Camille, son ami et colocataire, la première chose qu'il m'a dit a été : « Si un jour tu t'installes avec lui, ne t'attends pas à ce qu'il te fasse à manger, il est incapable de se rappeler qu'un frigo ne se remplit pas tout seul ». Ça m'avait fait rire. Quand Florestan commence à s'excuser, je l'interromps en lui volant un baiser et ouvre mon sac pour lui montrer tout ce que ma mère m'a donné.
— Elle croit toujours que je vais mourir de faim.
— Parce que tu manges comme dix.
— Et toi pas suffisamment. Pourquoi les médecins donnent toujours des conseils aux autres, alors qu'ils ne les suivent pas ?
— J'imagine que c'est comme les profs. Faites ce que je dis, pas ce que je fais.
Je glisse mes doigts dans les siens tout en soupirant fortement. J'ai terminé ma formation la semaine dernière et suis officiellement certifié. Hier soir, j'ai eu une longue discussion avec mon père qui ne cesse de répéter que certifier et diplômer n'ont pas les mêmes significations, et que quitte à vouloir poursuivre dans cette voie, je devrais plutôt reprendre des études. J'y ai songé. Si, en septembre dernier, je ne me voyais pas aller à l'université, par crainte de ne pas être légitime, les choses ont changé depuis.
Je sais que j'y aurais ma place. Je sais aussi que, même si je ne serai jamais professeur, cela me plairait d'étudier la musique. Pour autant, je crois que ce n'est pas ce que je veux. Ce rêve appartient à l'ancien moi, alors que le nouveau souhaite avancer et prendre son indépendance. Je me donne un an pour accumuler assez d'argent afin de pouvoir prendre un appartement. L'atelier que j'ai proposé aux enfants de l'hôpital m'a plu et j'ai pris le temps de lister des associations auxquelles j'aimerais proposer mes services. Et puis, ma mère et moi avons pour projet de réaliser notre livre audio, sur le harcèlement scolaire, pour pouvoir animer des formations dans les écoles. Elle a commencé à réfléchir à un scénario et j'ai posé les premières notes d'une partition. J'ai envie de travailler, de créer, d'avancer dans la vie.
— Au fait, je voulais te demander quelque chose.
J'interromps Florestan en pleine marche et l'oblige à se tourner vers moi. Nous sommes sur les escaliers menant à la fontaine, non loin de la grotte où Marie de Médicis souhaitait installer des bassins et terrasses dotés de jeux d'eau, afin de retrouver l'atmosphère architecturale des nymphées de son enfance. Florestan a posé un pied sur la première marche. Je le rejoins, me dressant au-dessus de lui, un sourire coquin rivé sur les lèvres.
— Oui ? demande-t-il.
— Je ne veux pas te mettre de pression ni rien, et j'ai conscience que c'est moi qui ai un peu freiné notre relation ces derniers temps, mais...
— Oui.
Je fronce les sourcils, étonné par sa réponse précipitée.
— Je n'ai pas fini.
— Je sais ce que tu vas me demander. Et la réponse est toujours oui.
— Je te trouve bien présomptueux.
— Oui, je veux être ton petit copain officiel, et oui, je veux être en couple avec toi.
— OK, tu lis dans mes pensées en fait ?
Il me rejoint sur ma marche et attrape mes mains. Ses doigts jouent avec les miens, il les embrasse, avant de me lâcher pour venir remettre une mèche de cheveux blonds derrière mon oreille. Un geste intime, qu'il adore répéter et que j'adore lui voir faire.
— Je vous aime, Maël Laroche. Et ce depuis la première fois que nos regards se sont croisés.
— Espèce de séducteur ! le repoussé-je en frappant son torse.
— Je veux qu'on soit ensemble, malgré les obstacles. Je ne te laisserai plus jamais tombé. Jamais.
Ses mots m'émeuvent. J'aimerais faire comme s'ils ne me touchaient pas, mais cet imbécile sait comment parler au grand romantique que je suis. Je place mes mains de chaque côté de son visage et l'embrasse délicatement, avant de l'entraîner à ma suite. Mes amis apparaissent au loin. Ils ont rapidement adopté Florestan, même si Lisa ne peut s'empêcher de lui envoyer des piques et de jouer les gardes du corps à chacune de nos rencontres. Quand nous arrivons, je remarque qu'ils ont déjà étalé une nappe, recouvertes de victuailles. L'atmosphère fait très XIXe siècle, typiquement bourgeois et parisien. Je m'agenouille et les embrasse tour à tour. Alicia est allongée sur les cuisses de Clémentine, Gabriel a les jambes croisées, un stylo et un carnet en équilibre précaire sur les genoux, et Lisa tresse les cheveux d'Irina. Quand elle m'embrasse, ma meilleure amie m'oblige à rester contre elle, au risque que j'écrase un paquet de chips, et murmure à mon oreille :
— J'ai posté ton courrier.
— Tu es un amour.
— La prochaine fois, n'oublie pas que je ne suis pas factrice, mais prof.
Elle me lance un clin d'œil et je me laisse tomber dans l'herbe pendant qu'elle termine sa coiffure. J'ai écrit deux lettres en début de semaine, l'une pour Sylvain, le surveillant de Fleury, l'autre pour Milo, mon ancien codétenu. Comme j'étais incapable de les poster moi-même, le ventre noué d'angoisse à l'idée d'avoir un contact avec la prison, c'est finalement Lisa qui s'y est collée. Lisa, qui vient tout juste de passer les oraux de son concours, et qui attend maintenant la réponse officielle du rectorat pour savoir si elle sera titularisée.
Gabriel laisse tomber son carnet et s'empresse de sortir des gobelets pour nous servir à boire. Florestan est un peu en retrait, comme souvent. J'essaye de l'inclure dans notre cercle, mais il se la joue timide. Gabriel lâche alors un soupir à fendre l'âme.
— Pourquoi suis-je le seul du groupe à être encore célibataire ?
— Parce que tu m'as refoulé quand je t'ai proposé qu'on couche ensemble ? lancé-je, l'air de rien.
— Quoi ? s'exclame Florestan.
J'éclate de rire et lui fourre une chips dans la bouche pour calmer sa jalousie.
— C'était il y a longtemps.
— Je n'étais pas prêt à ce moment-là, soupire Gabriel. Mais maintenant, oui.
— Techniquement, à part nous, personne n'est officiellement en couple, fait remarquer Clémentine en pointant sa copine du doigt.
Florestan et moi échangeons un regard lourd de sous-entendu. Les autres s'empressent de nous poser des questions. Je lâche un soupir et avoue tout. Florestan me fait remarquer que je suis toujours aussi incapable de garder un secret, mais qu'importe. Ce n'est pas comme si nous allions nous marier. Irina annonce aussi, beaucoup plus timidement, que Lisa a enfin accepté d'envisager cette possibilité. Je jette un regard en coin à ma meilleure amie, amusée.
— Ce n'est pas comme si je sortais avec quelqu'un d'autre ! fait-elle remarquer.
— Lisa a du mal avec le mot « couple », rassuré-je Irina. Ça viendra.
Je lui fais un clin d'œil. J'espère pour elle qu'elle finira par concevoir l'idée qu'être en couple, ce n'est pas être privé de liberté. J'en sais ce que c'est ! J'étale sur la nappe à carreaux rouges et blancs les cakes préparés par ma mère. Ils ont tous pris l'habitude d'être nourris par Stéphanie Laroche, je les laisse donc en profiter, tout en m'allongeant sur Florestan. Ses doigts viennent naturellement trouver leur place dans mes cheveux. J'adore ces massages, ils sont tout doux.
Notre histoire n'a pas été un long fleuve tranquille, mais j'ai l'espoir qu'elle le devienne. Je suis heureux d'être ici, ce soir, avec eux. Heureux d'être libéré de toute cette culpabilité que je portais sur le dos.
— À l'avenir ! déclare Gabriel en levant son verre, vers le ciel.
— À l'avenir, répétons-nous en chœur.
À cet avenir que nous allons écrire.
À ces amours que nous allons partager.
À cet espoir que je sens renaître, chaque jour un peu plus.
À la vie.
Et à la liberté retrouvée.
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