Chapitre 36 - Confiture et DVD


La lumière du soleil me tire un gémissement. Il est rare que ses rayons me sortent du sommeil, surtout ces derniers temps, alors que le gris l'emporte sur le beau temps. Mais en ce dimanche matin, Paris s'éveille sous un ciel lumineux. Florestan est allongé contre moi, toujours endormi. Je cligne plusieurs fois des yeux, le temps de convoquer les souvenirs des dernières heures et de me rappeler comment mon amant d'hier peut se trouver entre mes bras ce matin. Je me revois à l'hôpital, dans le restaurant, puis dans ma chambre hier soir. Ces images m'arrachent un sourire. Je bouge sur le côté et mon mouvement tire Florestan du sommeil dans lequel il était plongé. À son tour, il cligne des paupières, puis son regard transperce le mien. Il a l'air d'un enfant fatigué, le visage à moitié marqué par le coussin.

— Bonjour, toi.

— Chalut, marmonne-t-il.

Des pépiements d'oiseaux et des bruits de klaxon en contrebas me font relever la tête. Je n'ai pas pensé à tirer les rideaux hier soir.

— Tu as faim ?

— Ça dépend de quoi, marmonne-t-il.

Sa remarque m'arrache un sourire. Je lui donne une petite tape pour ramener son attention sur un sujet moins salace et lui demande s'il souhaite que nous allions prendre un petit déjeuner en ville.

— Non, je préfère rester ici.

— D'accord, mais j'ai faim, donc on va quand même déjeuner.

Je m'extirpe des draps. Ma nudité me saute alors aux yeux et je m'empresse d'enfiler mon jean resté sur le sol et un t-shirt propre, avant de traverser le couloir pour rejoindre la cuisine. Ma mère garde toujours du pain au congélateur qu'il me suffit de faire toaster pour le rendre frais. Je sors des confitures, du beurre, du fromage blanc, des céréales et active la machine à café. Florestan me rejoint cinq minutes plus tard, les cheveux en bataille. Il a revêtu ses habits de la veille. Ses yeux s'attardent sur la bibliothèque, puis tombent sur mon piano.

— Thé ? Café ? Chocolat ?

— Du thé, s'il te plait.

Je grimace. Je n'ai jamais compris le plaisir que prennent certaines personnes à boire de l'eau chaude avec des herbes. Je m'empresse pourtant d'activer la bouilloire pendant que Florestan s'approche de mon instrument et pose son doigt sur l'une des touches.

— Tu pourrais me jouer un morceau ?

— Après le café.

Je fais partie de ces personnes qui ne peuvent rien faire tant qu'elles n'ont pas avalé leur breuvage. Je m'assois à table, mon café à la main et attend qu'il me rejoigne. Florestan prend du pain et étale de la confiture dessus, pendant que je verse un tas de céréales sur du fromage blanc. Étonnamment, le silence n'est pas gênant. Au contraire, je le trouve appréciable. Seul le bruit de nos mastications trouble l'instant. Aucun de nous ne revient sur ce qu'il s'est passé la veille, cela se passe de mots. Quand j'ai enfin terminé mon café, je consens à me lever et me dirige vers le piano. Adolescent, Florestan me répétait toujours combien il aimait m'entendre jouer, et je voyais constamment ses yeux se poser sur mes mains.

Je tire le tabouret et m'y assois, avant de faire craquer mes poignées. Comme un écho aux souvenirs de la veille, je commence à jouer la partition de Lully. Mes doigts courent sur les touches, le son résonne dans l'appartement. Je sens le regard de Florestan, fixé sur moi, et esquisse un petit sourire quand il se lève pour se placer au-dessus et m'observer plus attentivement. Mes pieds appuient sur les pédales pour donner plus de puissance au morceau. Je ralentis, accélère, mes poignets amorcent des mouvements, glissent sur les touches, rebondissent et quand enfin, arrivent les dernières notes, je les écoute s'éteindre et disparaître, aspirée par l'instant.

— Encore !

Son exclamation m'arrache un sourire. Je me remets à jouer, enchaîne les morceaux que je connais le mieux, de Beethoven à Mozart, en passant par Schubert. Quand Florestan me réclame Le clair de lune de Debussy, je lui jette un regard en coin, un peu amusé.

— Au cas où cela t'aurait échappé, je n'ai rien d'Edward Cullen, fais-je remarquer.

— Et je ne ressemble pas à Bella Swan. Allez, s'il te plaît.

Je joue donc pour son bon plaisir, et pour le mien aussi. Je pourrais jouer toute la journée si on me le demandait. Retrouver la musique me procure chaque jour plus de sensations et de plaisir que je n'en aurais rêvé. Le clair de lune est une partition teintée de mélancolie. C'est loin d'être la plus joyeuse, mais déjà ados, Florestan me la réclamait. Le rythme est plus lent, mes poignets se cassent à chacun de mes mouvements. La main de Florestan vient se poser sur mon épaule. Il dépose un baiser sur ma joue, enroule ses bras autour de moi. C'est plus difficile de jouer, mais je le laisse faire, heureux de sentir son corps contre le mien et de cette réconciliation opérée sur l'oreiller. Je voulais une conclusion à notre histoire, mais ses mots prononcés hier soir éveillent en moi des envies d'autre chose. D'un avenir que nous n'aurions peut-être jamais eu si nous avions poursuivi notre idylle d'adolescent, mais que nous pouvons entrevoir et créer, maintenant que nous sommes devenus adultes.

Le morceau prend fin et je me retourne vers lui. Ses yeux fondent dans les miens, sa bouche trouve naturellement la mienne et je pose ma tête contre son torse pour respirer son odeur imprégnée de confiture à la fraise.

— Tu ne travailles pas, aujourd'hui ?

— Non, sinon je serai déjà parti.

J'opine. Je n'ai pas envie qu'il s'en aille. Je veux passer toute cette journée avec lui, recommencer à faire l'amour et me perdre dans ses bras. Son regard semble dire la même chose que moi. Il m'embrasse encore, puis nous nous levons pour terminer le petit déjeuner. Je sers son thé à Florestan et le laisse choisir parmi les compositions de ma mère. Il opte pour du thé vert au jasmin, qui émane tout de suite un parfum floral.

— Je ne comprendrais jamais comment les gens peuvent boire ça.

— C'est meilleur que la caféine.

Je grimace. Il peut dire ce qu'il veut, il ne me convaincra pas.

Il a beau faire un temps magnifique dehors, ni lui ni moi n'avons envie de sortir. Nous pourrions nous promener dans le jardin du Luxembourg, comme tout parisien qui se respecte, voire faire notre petit jogging, mais nous optons plutôt pour une matinée télévision. J'ouvre le placard à DVD de mes parents, qui ont eu le bon ton de conserver leur lecteur, et laisse Florestan choisir le film que nous allons regarder. Je n'ai pas oublié combien il aimait les plus anciens, surtout ceux très longs et larmoyants, en noir et blanc.

— Évite un drame, s'il te plait.

— Pas Le pianiste, donc ?

— Évite Polanski, précisé-je aussi.

La vie est belle ?

— Tu le fais exprès ?

Casablanca ?

Pourquoi pas ! Allons-y pour un film qui met en conflit l'amour et la vertu. Cela nous correspond bien. Je glisse le film dans la fente du lecture DVD et viens me blottir contre Florestan sur le canapé, sous un plaid. Dès les premières minutes du générique, Florestan glisse une main dans mes cheveux et les caresse. Je reste contre lui, à écouter son cœur battre, l'esprit davantage focalisé sur ce corps retrouvé que sur le film. Je suis heureux, comme je ne l'ai plus été depuis des années.

Et c'est tout ce qui compte. 

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