Chapitre 25 - Préparatif entre amis


 Ce soir, Lisa a insisté pour que je la rejoigne dans le Marais. Entre son stage, ses études et ma formation, nous ne trouvons pas beaucoup d'occasions de nous voir. Après de multiples retournements de situation, elle a fini par trouver un colocataire qui n'est autre que Gabriel, le garçon que nous avions rencontré lors de notre première escapade dans le quartier arc-en-ciel. Nous sommes ressortis ensemble plusieurs fois, avec Alicia et Clémentine, et il s'avère qu'il est toujours aussi sympathique. Ma blessure de rejet passé, j'ai fini par apprécier passer du temps avec lui. Nous continuons de nous draguer mutuellement, sans réelle attente. Il sort d'une relation difficile, il n'a pas spécialement envie de se remettre avec quelqu'un. Il m'a aussi avoué ne pas être à l'aise avec son corps et avoir du mal avec les coups d'un soir.

Pour ma part, je me suis perdu dans l'étreinte d'un ou deux hommes rencontrés lors des soirées étudiantes où Lisa m'a traîné, et de nos autres escapades en boîte de nuit. C'est facile, du sexe sans engagement. Le premier, Malo, venait de Bretagne, était de passage sur Paris, et il m'a permis de renouer avec mon corps, comme cela n'avait plus été le cas depuis six ans. Il a caressé mon torse de ses mains douces, sa langue a léché mon sexe avec expertise et même si ce n'était pas Florestan - pourquoi fallait-il toujours que je pense à lui dans ces moments-là ? - c'était bon. Le second, Sliman, m'avait fait tellement rire avec son humour décalé que j'avais accepté de le revoir plusieurs soirs d'à filer. Depuis, c'était silence radio, mais cela ne me gênait pas, puisque je ne comptais pas m'engager avec qui que ce soit.

Ce soir, encore une fois, je suis bien décidé à passer une soirée sans prise de tête. Avant cela, je me rends chez Lisa, où j'ai pris l'habitude de me préparer. Ma meilleure amie m'accueille, à moitié habillée. Gabriel est affalé sur le canapé, Alicia et Clémentine disputent une partie de cartes. Je les salue d'un signe rapide de la main avant de me laisser entraîner vers la chambre de Lisa.

— J'termine de me maquiller et je suis à toi.

— OK.

Elle file dans la salle de bain. Je remarque son portable laissé sur son lit, où plusieurs SMS d'Irina s'affichent sur l'écran. Cela fait plusieurs fois qu'elles se voient, Irina nous a rejoints un soir, mais elle semble timide. Si l'alcool et l'atmosphère feutrée des boîtes de nuit permettent de se lâcher, une fois la lumière revenue, et la sensation d'allégresse dissipée, les choses sont parfois plus compliquées.

— Tu comptes porter ça ?

Lisa émerge de la salle de bain vêtue d'une robe patineuse qui met en valeur sa taille fine. Je jette un regard sur ma tenue, certes simpliste, mais qui me convient. Un t-shirt noir en coton, ainsi qu'un jean taille basse et des converses neuves.

— Ça ne va pas ?

— Si si.

Elle n'ajoute rien, mais je crois discerner une once de critique dans son regard scrutateur. Je m'empresse de la rejoindre dans la salle de bain microscopique. Gabriel finit par s'incruster à son tour, nous serrant tous les trois comme des sardines.

— Qu'est-ce que tu penses de sa tenue ? lance Lisa en me pointant du doigt.

— Classique, mais ce jean te fait un beau cul.

— Ah ! Tu vois.

Gabriel éclate de rire. Lisa me tend sa trousse à maquillage et je termine de parfaire ce look jugé trop « classique », en ajoutant sur mon visage une touche de folie, pendant que mon camarade tente de donner un effet coiffé décoiffé à sa tignasse, à coup de gel. Alicia et Clémentine entrent à leur tour dans la chambre et se laissent tomber sur le lit de Lisa.

— J'vous préviens, j'me lâche ce soir ! lance Clémentine. J'ai eu une semaine difficile.

— Du genre ? demande Gabriel.

— Elle est persuadée d'avoir loupé son partiel, répond Alicia.

— Ce n'est pas ça, se plaint la concernée. C'est juste... je ne suis pas sûr d'être à ma place à Science Po. Je voulais être journaliste mais... je ne sais pas... j'suis larguée. J'ai l'impression d'agir comme une automate. Je vais en cours pour mes parents, mais je n'y prends aucun plaisir.

Ses mots me parlent plus qu'elle ne le pense. Quand j'étais au lycée, mon père m'encourageait à faire du droit. Il a tenté de m'y inciter lorsque je suis sorti de prison, mais cela a toujours été un non ferme et catégorique. Qu'aurais-je été faire en droit ? Clémentine nous explique qu'elle voulait s'inscrire en faculté d'Histoire, mais que ses parents l'ont poussé à entrer en classe préparatoire à science politique pour s'ouvrir le plus de portes possibles. Alicia l'enlace pour la réconforter.

— Les parents ne devraient pas avoir voix au chapitre, soupire Gabriel.

Je capte son regard dans le miroir, alors que je trace un trait noir sous mon œil droit. Il me répond par un sourire.

— Les miens aussi voulaient que j'entre en prépa, explique-t-il. Ils me répétaient « Quitte à choisir une voie bouchée, autant prendre l'excellente ». Déjà qu'ils ne voient pas ce que je vais faire avec une licence de lettres, à part prof.

— Eh ! s'exclame Lisa. C'est très bien de vouloir être prof.

— Je n'ai pas dit le contraire, mais moi, je veux être écrivain. J'envisage de suivre un Master de création littéraire.

— Ça existe ? demandé-je.

Gabriel m'explique avoir toujours rêvé d'être auteur. Tout en disant cela, il extirpe son portable de sa poche et nous montre son compte Instagram où s'alignent des posts avec des conseils d'écriture ou sur son univers. Il est en train de rédiger un roman d'Urban Fantasy avec des vampires et des loups-garous. Cela peut paraître étrange, mais j'ignorais qu'écrivain était un véritable métier.

— Et le master te permettra d'être auteur ?

Il grimace.

— Pas vraiment, pour ça, il faut décrocher un contrat d'édition. Le Saint Graal. J'aimerais vivre de ma plume un jour, mais si ça ne fonctionne pas, je pourrais toujours proposer mes services comme correcteur ou prête-plume.

— Prête plume ?

— Ceux qui écrivent des livres à la place des autres.

— Il y a des gens qui font ça ?

— Ouais, pour les hommes politiques ou les stars par exemple. Tu pensais qu'ils écrivaient eux-mêmes leurs bouquins ?

Naïvement, oui. De même que j'ignorais qu'il était possible de suivre une formation pour apprendre à écrire. C'est sûrement bête de ma part, mais je pensais que le « talent d'écrivain », était quelque chose d'inné. Que le génie touchait des êtres élus et que de rares personnes réussissaient à avoir leur livre imprimé. Pourtant, j'imagine que c'est comme la musique. Même si certains ont des facilités, un « don », comme on aime l'appeler, il n'empêche que la maîtrise et la technique s'acquiert par le travail. L'édition est un monde inconnu pour moi, et entendre Gabriel en parler avec passion me fait sourire.

— Oui, et bien, en attendant, tes parents t'ont laissé t'inscrire à la fac, toi, bougonne Clémentine.

— Les miens aussi ! rappelle sa copine.

— Parce que les tiens sont cool.

— C'est vrai.

— Ce qui ne les empêche pas de me rappeler que je vais louper ma vie, réplique Gabriel. Presque chaque fois qu'ils me voient.

Je souris en écoutant leur chamaillerie. Finalement, nous rencontrons tous le même genre de problème, à plus ou moins grande échelle. Les leurs pourraient me sembler futiles à côté de ma vie qui ressemble à un chantier mal commencé. Je ne leur ai pas parlé de mon passé, Lisa n'a rien dit non plus et j'aime l'idée d'être une page vierge pour eux. Je termine mon maquillage, passe ma main dans mes cheveux pour donner un peu de masse à mes mèches blondes et me retourne. Lisa s'est assise sur le lit et met du vernis sur ses ongles, pendant qu'Alicia tresse les cheveux de sa copine.

— Bon, on y va !? lance Gabriel en frappant dans ses mains comme un maître de cérémonie. Je crève la dalle.

Avec le temps, nous avons mis en place une sorte de rituel. Nous allons toujours manger dans le même restaurant, celui où nous nous sommes rencontrés, avant d'aller chanter, puis danser. J'apprécie cette routine établie et passer du bon temps avec des amis. C'est une vie facile, simple. Une vie étudiante comme j'en rêvais, même si ce n'était pas celle que j'avais imaginée.

Nous quittons l'appartement et nous dirigeons donc vers le Marais.  

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