/👀/ Zoophilie, point d'interrogation

 Les wakizas se sont rapprochés. Je n'irai pas jusqu'à dire que je vois son subconscient, mais je perçois des bribes. Quant à Charly, elle a l'air complètement hypnotisée par ce qu'elle perçoit, ce qui inquiète son père. Il lui pose des questions pour qu'elle garde les pattes sur terre et n'aille pas se perdre dans des territoires jusqu'à lors inexplorés.

« Et qu'est-ce que tu vois ? »

Il est confus. Incapable de savoir quoi penser de cette situation inédite. Je m'éloigne un peu en sentant que ma tête se met à tourner et reprends ma place de simple spectatrice après avoir été heurtée à...

« De la souffrance. »

Quelques secondes me sont nécessaires pour traiter ce que je viens d'observer. Mes yeux s'écarquillent et mes jambes flanches. Je tombe sur mes fesses et les larmes se mettent à couler. Tous les wakizas autour de nous me fixent sans réellement comprendre ce qu'il se passe alors qu'un sanglot de Charly ramène l'attention sur elle.

Ce n'est même plus de la souffrance à ce niveau. C'est si extrême, si tordant. Un millier de vies ne suffirait pas à se remettre d'une telle torture. Je ne pense même pas que qui que ce soit pourrait supporter une telle douleur, même étalé sur un millier d'années.

Ils devraient être morts. Ils aimeraient être morts. Mais ils ne peuvent pas mourir.

Leur seule optique d'être un jour libéré de ce piège sans fin est de nous anéantir. Rien d'étonnant à ce qu'ils mettent autant de cœur à l'ouvrage.

Si le mien de cœur était en verre, cela ne fait aucun doute qu'il aurait explosé en un million de morceaux. En une poudre si fine qu'elle aurait infiltré tous mes organes et m'aurait lacéré de l'intérieur jusqu'à ce que je meurs de chagrin.

C'est plus ou moins ce qui arrive à Charly. Son père tente de s'approcher, mais elle lui feule dessus avec une si grande force que tous les wakizas reculent.

« Comment vous avez pu... »

Les mots ne sortent même plus de sa gueule. Elle est plongée au beau milieu des atrocités qu'on subit les Ohanzees. Les fils tranchants tendus entre les arbres, les coups, les balles, les explosions, l'incinérateur suivi d'un enfermement affreusement long. Tout cela sur des centaines années, jour après jour, dans un esprit de ruche où la souffrance est partagée entre chaque individu.

Une prison éternelle. Que ce soit de notre côté avec le village, ou du leur avec la forêt. Des prisonniers qui confondent leurs confrères avec des matons dans une guerre qui ne se terminera que par l'anéantissement de l'un des groupes.

La guéparde s'emplit de rage. Elle ne provient pas de sa partie Ohanzee, mais cette dernière l'alimente tout de même. Difficile de ne pas la comprendre. J'ai moi aussi une colère noire contre ces abrutis armés qui ont provoqué tant de souffrances à ces âmes innocentes qui ne font qu'obéir aux ordres de celui qui tient les ficelles.

Des victimes. Tous comme les habitants.

Je réalise qu'un des Wakizas a sa main prête à dégainer son flingue modifié pour sa petite taille. Un autre recule, son aile couverte de ferraille prête à protéger son visage. Un troisième a les griffes sorties.

Son aura a noirci. Avant que la situation ne vire au drame, je tente de la ramener dans le monde réel en l'appelant. Par réflexe, elle tourne la tête vers moi et coupe la connexion que ses yeux entretenaient avec ceux de l'Ohanzee qui se remet à hurler à la mort.

Les larmes de son pelage ne sont plus les seules à couler de ses yeux. Son regard tourne et est profondément meurtri en voyant les positions défensives des wakizas. Même son père a fait un pas en arrière, terrifié à l'idée que la profondeur pourrie et noire de sa fille ne prenne le contrôle de son sourire habituel.

Elle donne une impulsion sur ses pattes arrière et part à toute vitesse, faisant sursauter l'assemblée. Elle bondit par-dessus moi et s'enfuit entre les maisons. Je me relève en quatrième vitesse et me mets à courir aussi vite que possible pour la rattraper en hurlant son nom, ne sachant ce qu'elle a derrière la tête. Mais en un battement de cils, elle a complètement disparu. Je repère quelques traces de boue laissée sur l'asphalte et comprends qu'elle est partie en direction de ma maison.

***

Je toque à la porte de sa "chambre".

« LAISSE-MOI ! »

J'hésite à faire demi-tour. Je n'ai jamais été dans cette situation auparavant. Dois-je la laisser tranquille ? Ou au contraire lui montrer que je suis là pour elle ? Qu'est-ce qu'elle ferait si c'était moi qui lui demandais de partir ?

J'ouvre la porte du garage le plus lentement possible. D'un côté, le bric-à-brac aussi bien rangé que faire se peut, de l'autre son lit posé contre un mur avec au moins 3 couvertures lestées. Rien que pour ça, je ne vois vraiment pas comment on va faire pour dormir ensemble. Enfin, si on dort ensemble un jour. Pour je ne sais quelle raison.

Une petite boule est cachée sous cet amas de pilou-pilou. Je m'avance sans rien dire et hésite quelques instants avant de m'asseoir sur le bord du matelas. Il vaut mieux y aller étape par étape. Je lui laisse quelques secondes pour qu'elle accepte ma présence puis entame les négociations pour la faire sortir de là-dessous.

« Tu peux tout me dire, tu sais. »

J'ai envie de m'étrangler. Une phrase plus bateau, ce n'est pas possible. Puis ça s'entend dans ma voix que je ne sais pas ce que je fais en plus !

« T'veux qu'j'te dise quoi ? Que toute ma vie est un mensonge ? Qu'on fait souffrir les Ohanzees depuis des centaines d'années alors qu'ils ont un esprit humain ? Qu'à cause de nous tout l'putain d'village va être détruit ? »

On n'en a pas parlé elle et moi, mais on partage cette sensation. Que tout cela est de notre faute. Qu'on n'aurait pas dû mettre notre museau dans ces affaires. Je me rassure comme je peux et m'apprête à lui déblatérer les mêmes arguments qui tournent en boucle dans ma tête pour faire taire ma culpabilité.

Que les Ohanzees avançaient depuis des décennies. Que quoi qu'il en soit, le diable devenait de plus en plus fort. Qu'au fond, on est les seuls à vraiment chercher une solution pour mettre fin à tout ça.

Comme si j'en savais quelque chose. Comme si je comprenais un dixième des enjeux.

« Les wakis pensaient que j'allais les attaquer... J'suis sûre qu'ils ont compris c'que j'suis. Et une fois que tout le village le saura, tout le monde va m'détester et me chasser.

— Yélé et les autres resteront tes amis !

— Et si j'me transforme hein ?! »

Elle envoie les couettes valdinguer. Ses yeux sont rouges à force d'avoir pleuré.

« Si je deviens un Ohanzee parce que j'arrive pas à contrôler ma colère hein ?! Si j'te fais du mal à toi ou aux autres ! »

Cette sensation désagréable envahit petit à petit la pièce.

« J'ai déjà failli t'buter dans la grotte ! Et j'pouvais rien y faire ! J'contrôlais plus mes bras et j'te voyais en train de crever par ma faute !

— Mais j'suis encore là ! Puis j'ai failli te tuer aussi j'te rappelle.

— À cause de moi ! À cause de cette pourriture qui coule dans mes veines ! Bordel j'suis un Ohanzee Emily !

— On a vu la même chose ! Les Ohanzees sont des humains Charly ! T'es pas un monstre, t'as juste un problème qu'on peut p'tet guérir !

— Ou peut-être pas... »

N'ayant pour le moment qu'une seule corde à mon arc, je tends les bras vers elle pour lui faire un câlin avec toute la délicatesse et la bienveillance du monde. Je m'approche doucement pour ne pas la brusquer. À ma grande surprise, mon geste ravive sa colère.

« Non, j'en ai ras le bol de tes câlins ! On est quoi hein ?! Chaque fois qu'on s'embrasse ou qu'on s'touche c'est pour pas qu'on s'transforme, pour réveiller notre esprit d'humain rempli d'libido bordel !

— Mais t'as toujours pas compris, c'est pas nos libidos qu'on active en faisant ça !

— C'est quoi alors, notre amour peut-être ?! Comme si tu m'aimais– »

Elle part dans un monologue qui m'énerve au plus haut point. Je ne sais pas si c'est sa noirceur qui déteint sur moi, mais je n'arrive plus à me contenir et m'emballe avant de lui donner la seule vérité qu'elle a besoin d'entendre.

« Mais bordel Charly, j'suis amoureuse de toi ! »

...

Comme si j'avais ouvert un barrage ou que je cherchais à me justifier, les mots sortent les uns après les autres alors que toute son animosité a disparu pour laisser place à un étonnement.

« J'sais pas pourquoi, j'sais pas comment et j'comptais pas te le dire, mais franchement t'es trop aveugle pour t'en rendre compte ! J'voulais qu'ça passe, j'voulais qu'ça disparaisse, mais ça part pas ! Quand j'te vois j'me sens mieux, quand t'es pas là tu me manques toi et ton humour de merde et j'ai envie de toi, mon dieu si tu savais, chaque fois que mes hormones me cassent les ovaires c'est un putain de cauchemar ! Et le pire dans tout ça c'est que je ne sais même pas si j'suis lesbienne, bisexuelle ou une putain de zoophile ! »

J'ai balancé tout ça sans oser la regarder dans les yeux. Et je ne n'ose toujours pas. Je joue avec une couverture pour que mes mains ne restent pas sans rien faire dans cet silence interminable. Elle ne dit rien, je sais juste qu'elle m'observe. Je m'accroche au matelas pour empêcher mes jambes de s'enfuir. Je n'ai jamais été aussi gênée de ma vie. Pour combler ce trou qui me met si mal à l'aise, je finis par ouvrir la bouche.

« On fait quoi maintenant ?

— Mmhmm... On peut se mater un film. »

***

Après le film, on a appelé toute la bande à la maison. Charly n'était pas particulièrement enjouée à l'idée qu'on dise tout, mais j'ai tout de même fini par la convaincre en invoquant le saint commandement qu'on retrouve dans tous les dessins animés : il ne faut pas mentir à ses amis.

On a donc tout expliqué. Les premiers regards furent particulièrement perdus, mais les suivants plutôt curieux. C'était toujours leur amie qui se trouvait devant eux. Ils avaient simplement appris quelque chose de nouveau et d'inattendu, voilà tout. On est bien loin de la réaction démesurée à laquelle s'attendait Charly. Comme s'ils allaient sortir un fusil à pompe et repeindre les murs avec sa cervelle.

S'en suit alors une longue conversation sur les Ohanzees. Nous arrivons à la conclusion suivante : s'ils nous attaquent, nous devons nous défendre. Mais nous ne devons pas les attaquer ni leur causer de souffrances inutiles.

Faire comprendre ça à Daniel sera probablement une autre paire de manches. Les traditions ont la peau dure et le changement ne plait que rarement aux plus vieux. Cela devra donc passer par la population. On met en place une stratégie pour rependre la rumeur comme quoi les natifs américains sont toujours bel et bien conscients sous leur forme d'Ohanzee en se disant qu'on commencera à l'appliquer demain.

Ensuite, on récapitule les avancées de Yéléna ainsi que de June qui a été rejointe par Adam. Cette partie est drôlement plus rapide. Les anciens du village se contentent de raconter les légendes qui circulent depuis toujours, mêlant réalité et fiction, mais ne nous apprenant rien de nouveau tandis que chez Susie, les deux comparses ne tombent que sur des livres n'ayant rien à voir avec les Ohanzees ou qui ne nous avancent pas le moins du monde.

Alors on ne dit plus rien. Et c'est Adam qui prend la parole pour dire une phrase qui choque toute l'assemblée.

« Et si on partait ?

— Comment ça ?

— On se casse. Tous les habitants. On trouve un nouveau village et on commence une nouvelle vie.

— Je suis désolé de te le dire comme ça, mais on n'est plus au temps des colons. On ne peut pas juste s'accaparer un village comme ça.

— Puis t'façon si l'diable a réussi à choper mes parents, ça veut dire qu'il peut quitter Demon Wood. S'il continue de devenir de plus en plus fort, il finira par traverser, lui et tous les Ohanzees.

— Mmhmm... Autant dire que ça pourrait être la fin du monde.

— De toute manière, il est absolument hors de question qu'on abandonne notre baie ! C'est là que nos ancêtres sont nées, ont vécu et sont morts ! Je préfère me faire démembrer par l'un de ses adeptes plutôt que de laisser la victoire au diable !

— Elle a pas tort, les habitants voudront jamais partir t'façon. Un capitaine explose avec le navire.

— ... Coule Charly, il coule avec le navire.

— Mais pas forcément, si genre le bateau est attaqué par des torpilles !

— Ugh, que vous êtes fatigantes ! Dans notre cas, le navire comme vous dites va se faire déchiqueter en morceaux. J'suis du côté d'Adam, mieux vaut partir plutôt que mourir.

— Dans tous les cas, qu'on reste où qu'on parte, il faudra trouver un moyen d'arrêter Lucy. »

Un hochement de tête général nous rend notre motivation. Il faut à tout prix arrêter le diable. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top