/⚔️/ Un gardien sachant garder

Pour ma défense, je ne pensais pas que ce serait aussi évident ! Le principe de mettre un cadenas avec un code c'est que la personne ne le trouve pas, et non pas qu'il soit écrit sur le porte-clé de la maison ! Dans les livres normalement le héros doit chercher la réponse dans un vieux grimoire ou une pyramide inca ! Elle n'est pas juste sous ses yeux depuis le début... Cela explique peut-être pourquoi je ne suis pas une héroïne d'histoire.

Je m'empresse donc de mettre le code sur le cadenas... Et bingo, ça s'ouvre, confirmant au passage ma débilité profonde.

Je vois qu'à l'intérieur se trouve une petite clé. Elle n'est ni en or, ni ornée de pierres précieuses et encore moins entourées d'une aura magique. C'est juste une clé. En fer. Quelle tristesse cette aventure...

Il y a aussi un papier, le genre vraiment ancien. Je le prends en faisant très attention, comme s'il s'agissait une relique millénaire.

« Bonnuit cher camarade bibliothécaire ! Je suis Ally ! La toute première bibliothécaire, et aussi fondatrice de la bibliothèque d'Oddly Bay !

Comme vous le savez, Oddly Bay n'est pas un endroit comme les autres. Et vous ne savez VRAIMENT pas tout à son sujet. Certaines connaissances ce sont plus ou moins perdues au fil des années, et j'en ai fait mon devoir de les regrouper et de les entreposer.

Nombreuses de ces informations ne devraient pas être connus par le reste des habitants. Ni par vous à vrai dire. Mais si vous être bibliothécaire, je présume que la curiosité est votre péché capital n'est-ce pas ?


Libre à vous de divulguer les informations au reste des Oddliens. J'espère seulement que vous ferez le bon choix. Certaines personnes risquent de mal réagir... Qui sait, les mœurs changeront peut-être, Dieu seul sait de quoi sera fait le futur ! Quand on voit déjà ce qu'ils font de nos jours, l'avenir semble imprédictible !

Si je peux vous donner un dernier conseil, je vous rappellerai l'expression : Ne jamais pactiser avec le diable.

- Ally »

Ma curiosité est en pleine ébullition ! Je trépigne d'impatience !

JE DOIS LIRE TOUS LES LIVRES DE CETTE BIBLIOTHÈQUE.

La clé était décevante, mais cette lettre a vraiment attisé cette envie de connaissance qui me brûle depuis ma plus tendre enfance ! Cette ville n'a cessé de me réserver des surprises depuis mon arrivée, et la perspective d'en savoir plus que les habitants eux-mêmes me rend folle de joie !

Je vais y retourner !

Non Emily, attend demain.

Maiiis je veux y aller !

Non ! Tu dois déjà dormir !

Faut que je me calme. J'irai demain. De toute manière je ne suis même pas capable d'arriver au fond du bâtiment. Je vais devoir combattre cette sensation de terreur qui m'envahit quand je m'enfonce entre les rayons si je veux pouvoir découvrir tous les mystères de cet endroit !

Quant à cette clé, aussi banale est-elle, elle ouvre probablement la réserve. Vivement demain !

Je range mes courses et me fais rapidement à manger pour aller dormir au plus vite. Est-ce que je rouvre la bibliothèque à la même heure demain, ou est-ce que je commence déjà à décaler ? Vu mon état de fatigue, je devais peut-être attendre un peu avant de changer les horaires. Et je pourrais profiter de la journée... 'fin de leur nuit pour fouiller un petit peu et m'habituer à aller plus au fond.

***

Je me réveille en sursaut au milieu de la nuit en entendant des coups de feu. Ils ne semblent pas si éloignés que ça, mais pas assez proches non plus pour me faire paniquer. Ce son me rappelle la balle tirée par mon ex, celle qui a presque mis fin à mes jours. J'allume la lampe de chevet et observe le mur. L'impact est toujours là...

La possibilité d'avoir rêvé les tirs me traverse, mais elle est vite chassée. Je les entends de nouveau au loin, en direction de la forêt. Je présume que ce sont les gardiens. C'est pas vraiment rassurant de savoir que de telles créatures vivent dans les bois alors que j'habite en bordure. Mais le système de défense du village a l'air d'être efficace, ce qui me permet de me rendormir, non pas sans une légère crainte en imaginant un énorme cerf noir me foncer dessus.

***

En me réveillant, je crois me rappeler d'un rêve. C'était très étrange, mais surtout brouillon. Des formes plus ou moins animales qui marchaient et me parlaient dans la forêt lors d'une nuit sans lune. Le plus surprenant est qu'ils ne m'inspiraient aucune peur, alors que leurs voix n'avaient rien d'humain et que leurs silhouettes se tordaient dans tous les sens. Le plus marquant était cette sensation. La sensation que ces démons essayaient de rentrer en contact avec moi et de me dire quelque chose... Vu ce que je vis ici, pas étonnant que mon subconscient commence lui aussi à dérailler.

C'est sur les coups de midi que je me réveille. Je tente de me rendormir, sans grand succès. Mon lit a beau être très confortable et mon esprit fatigué, impossible de replonger dans ce rêve étrange et envoutant. Je profite du silence un instant. Pas un bruit. Pas de voiture ni de voisin bruyant. Seulement quelques oiseaux, gazouillant joyeusement en profitant des rayons revigorants de notre grand astre solaire. Je ne peux que les imaginer, enfermée dans le noir de ma chambre. Et quand je décide d'ouvrir les volets pour prendre une petite dose de vitamine D, je suis éblouie d'une telle puissance que je ne peux m'empêcher de baisser la tête, tel un vampire au lever du soleil.

Après un bon petit-déjeuner, je retourne à la bibliothèque. La clé dans la serrure, la porte qui grince et me revoilà en place pour une nouvelle journée !

***

J'ai tenté plusieurs fois d'aller plus loin dans les rayons. Mais je dois avouer que j'enchaine les échecs pour le moment.

Un homme rentre sur les coups de 18h. Premier client de la journée ! Un blondinet qui semble presque effrayé de me voir. Il est plutôt frêle, le genre qui ne mange pas beaucoup et évite le soleil comme la peste. J'exagère un petit peu, mais c'est la sensation qu'il me donne lorsque je le vois. Une sensation de faiblesse presque désagréable.

Des yeux bleus, un t-shirt de Metallica, un jean troué... Pourquoi est-il réveillé aussi tôt ? Il n'a clairement pas la musculature pour être bucheron. Et de toute manière il n'a pas le genre de peau à faire un travail aussi difficile physiquement. Un bucheron, comme un artisan, ça se reconnait grâce à ses mains imposantes et fatiguées par le temps. Mais lui... Il a plus un corps fait pour la soie que pour couper des arbres à la hache.

C'est avec une toute petite voix qu'il me salue. Je lui réponds poliment et lui demande si je peux l'aider. On dirait presque qu'il rougit en posant son livre sur le comptoir. Et je comprends vite pourquoi.

Il me rend « Ed Kemper, l'histoire d'un tueur. » Et à en juger par la couverture sanglante, le livre semble plus tirer vers une histoire de reconstitution morbide que d'analyse psychologique ou criminelle.

Un poil désorientée, je le remercie et il s'en va entre les rayons. Et il avance... Et il avance... Et il avance ! Mais c'est qu'il va bien plus profondément que moi ! Et je ne le vois pas trembler ni tourner de l'œil ! Il marche, tranquillement, comme s'il faisait ses courses au rayon surgelé !

Je le vois regarder, prendre un livre puis en lire la 4ème de couverture avant de le reposer et de commencer avec un autre, puis un autre... Une scène qui peut sembler des plus banales, mais rien que de repenser à la sensation qui me traverse le corps lorsque j'avance trop, le voir aussi calme me retourne les tripes.

Puis il revient avec un livre, comme si de rien n'était. Le jeune-homme qui doit avoir à peu près mon âge le pose devant moi. « Le massacre des Arméniens, raconté par les Arméniens. »

Super ambiance.

Bien évidemment que ce n'est pas un livre démoniaque. Je le manipule d'ailleurs sans aucun problème. Alors pourquoi ne puissé-je pas me rendre jusqu'à son niveau ? Je ne vais même pas être en mesure de ranger le livre qu'il me rend !

Je dois encore une fois très mal cacher mes émotions puisqu'il me dit avec sa toute petite voix toute douce : « Vous avez du mal à aller jusqu'au fond ? »

Je reviens à moi. Dès que je lève les yeux pour l'observer, il détourne le regard comme un petit animal effrayé. J'ai une tête de monstre aujourd'hui ?

« Oui... C'est assez étrange et je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi.

— La chose qui effraie le plus les gens, c'est l'ignorance... »

Il dit cela avec un air dramatique et mystérieux, comme s'il me déclarait une grande citation philosophique qui allait changer ma vie à jamais. L'homme dénommé "Marc" selon le nom écrit dans le livre a l'air étonnamment sûr de lui en plaçant cette phrase dans la conversation. Puis ses yeux tressaillissent, comme foudroyé par une révélation :

« Je ne veux pas dire que vous êtes ignorante ! Loin de là ! Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire ! Je suis sûr que vous êtres très cultivée ! Je disais cela d'une manière générale, ce n'est pas forcément votre cas, excusez-moi pour mon manque de politesse et- »

Et il est revenu à la normale... Et purée qu'il peut parler ! Un moulin à parole celui-là ! Même Eminem aurait du souci à se faire face à ce gars. Son côté timide est mignon, mais il est beaucoup trop poli à mon goût, le genre de petit enfant trop bien élevé qui serait incapable de dire un truc cochon au lit sans s'excuser envers moi, sa mère et Dieu.

« Ce que j'essayais de dire, c'est que les habitants ont peur d'aller au fond de la bibliothèque car ils ne savent pas ce qui s'y trouve ! Le meilleur moyen c'est de lire les livres petit à petit, pour apprendre à les connaître et ne plus avoir peur. Moi-même je n'atteins pas encore le fond. Peu y arrivent. Et la plupart s'en moquent éperdument de toute manière. »

J'imagine que son conseil tient la route... Même si c'est quand même foutrement bizarre cette histoire. C'est bien la première fois que « l'ignorance » me fait faire un malaise !

Je le remercie de son conseil avec un sourire et il détourne le regard à nouveau. Je ne sais pas ce qui m'insupporte le plus, les gens aussi timides que ça, ou les gens beaucoup trop décomplexés comme Charly... Elle va sûrement bientôt m'appeler celle-là d'ailleurs.

Alors qu'il prend son livre, Marc le fourre dans son sac à dos camouflage. Charly en a un aussi, mais je vois bien que celui-ci ressemble plus à du matériel militaire. Cela me rappelle les gardiens que j'ai vus avec le cerf noir au diner... Ma curiosité prend encore une fois le dessus :

« Vous êtes un gardien ?

— Hé bien... Oui. Depuis un an. Je viens de finir mon service.

— Vous êtes le premier que je rencontre. Et à vrai dire, j'ai encore du mal à comprendre votre travail et ce que vous combattez.

— Les ohanzees ? Personne ne sait vraiment ce que c'est. Certains disent que c'est des mutants, d'autres des démons. Sûrement des bêtises. Chez les gardiens, on a tendance à dire que c'est un problème que l'on peut résoudre. Et qu'un problème qu'on peut résoudre n'est plus un problème. »

J'ai encore du mal à réaliser que ce garçon soit un gardien. Ne pas juger un livre à sa couverture, je sais. Mais quand même... C'est pas franchement rassurant.

« J'ai entendu des tirs cette nuit. Et ça m'inquiète parce que j'habite vraiment au bord de la forêt, vous comprenez ?»

Je m'attends tout bêtement à ce qu'il me rassure, ce que ferait n'importe quel agent de l'ordre. Mais son visage change d'expression et semble plutôt embrassé.

« Je suis désolé que cela vous dérange. Ils se rapprochent un peu plus que d'habitude en ce moment, surement à cause de la météo. Mais en tout cas, sachez que des Ohanzee ne sont rentrés qu'une seule fois dans la Ville depuis sa création, autant dire que vous n'avez rien à craindre. »

Ah parce qu'ils sont déjà rentrés ?!

Je crois qu'il voit la panique sur mon visage, car son discours change du tout au tout. À croire que c'est marqué dans son contrat qu'il doit rassurer la population et qu'il vient seulement de s'en rappeler.

« Non, mais vraiment ne vous en faites pas ! On est extrêmement bien équipés, bien entraînés et suffisamment nombreux ! On n'a jamais eu d'attaque dans l'enceinte de la ville, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles, parole de Wakiza ! »

Avant de lui parler j'étais seulement légèrement inquiète. Maintenant je suis inquiète tout court.

Je le remercie et il s'en va, son sac sur le dos.

Donc ça veut dire qu'une de ces bestioles est déjà rentrée dans la ville... J'espère que c'était il y a longtemps !

***

« Emilyyy! »

Elle tient le "y" final pendant une bonne dizaine de secondes. C'est un guépard ou un dauphin pour rester aussi longtemps sans respirer ? Heureusement que j'ai baissé le son du talkie-walkie cette fois.

« Oui Charlyyy ?

— Comment tu vas belle gosse ?

— Oh bah ça allait plutôt bien avant d'entendre ta voix.

— Arrête ton char, je sais bien que j'apporte de la joie dans ta petite journée morne et chiante à mourir ! »

Elle n'a pas tort. Mais si jamais je lui avoue, elle ne va pas me lâcher. Puis entre le boulot et elle, je n'ai même pas eu le temps de réfléchir à ce que moi j'avais envie de faire ! Je suis dans un village que je ne connais pas et à part la supérette, le diner, le port et le commissariat, je ne connais encore rien !

« Je sais pas trop si on va se voir ce soir... Enfin après mon travail quoi. J'ai envie de découvrir un peu la Ville.

— Je peux être ton guide !

— J'ai aussi envie d'être un petit peu seule Charly tu sais. »

Elle ne répond pas. Je sais très bien ce qu'elle va faire, elle est beaucoup trop prévisible.

« Oh, d'accord, pas de soucis. À plus tard alors.»

Ah non, ça, je ne l'ai pas vu venir. J'étais persuadée qu'elle allait essayer de me faire culpabiliser... Mais au final elle est simplement partie, ce qui me fait quand même culpabiliser ! Et le pire c'est que je ne sais pas si elle le fait exprès ou si je l'ai vraiment rendue triste ! De toute manière je ne peux pas passer tout mon temps avec elle ! J'ai pas envie que quelqu'un soit dépendant de moi, quelle horreur !

Mais elle est si gentille... Je soupire avant de répondre.

« On se verra demain, d'accord Charly ? »

Elle répond au quart de tour : « GENIAAAL »

Bon, j'en suis au moins débarrassé pour cette nuit. Mais que faire ? Mmhmm.

Purée, être libre c'est compliqué en fait.

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