/📖/ Tout s'explique (non)

« C'est des informations super secrètes Charly ! Tu peux pas hurler ça dans la rue ! Même ici c'est trop sensible pour en parler, avec toutes ces bestioles qui ont des ouïes surhumaines. On verra ça à la maison. Ou au pire t'as des yeux, tu peux lire aussi !

— Sûrement pas, j'veux que tu me racontes ! T'es bibliothécaire et t'écris des bouquins, c'est littéralement ton taf de raconter des histoires. Et j'te signale que ces murs sont bien plus isolants que ceux de ta baraque. »

Je n'ai aucune connaissance en isolation, mais j'imagine qu'elle n'a pas tort. Je m'assure que la porte ainsi que toutes les fenêtres soient bien fermées puis m'assois sur mon siège. La chatloperie saute sur mon bureau et renverse mon pot à crayon au passage. Je la regarde, las, puis attends qu'elle s'installe confortablement sur mes affaires avant de raconter ce que je sais. Je prends mes notes pour ne rien oublier et réalise à quel point c'est un bordel sans nom.

« Bon. J'ai commencé à lire le journal d'Ally. Ally qui, comme tu t'en rappelles, est...

— ... Euh. Celle qui a genre, construit la bibliothèque ?

— Bien joué. »

Elle me lance un sourire démesuré digne d'un gamin ayant récité une poésie sans faire de fautes.

« J'en suis aux trois quarts environ. Et c'est bourré d'informations, donc j'ai trié pour garder que ce qui est à peu près sûr. Parce qu'entre les rumeurs et autres on-dit, il y a franchement de quoi se perdre.

Pour commencer, la ville a été créée en 1810 à peu près. C'était une colonie britannique qui servait surtout à chasser des animaux pour leur fourrure avant des les remmener en Grande-Bretagne. Mais il y a eu pas mal de mélanges de populations, Ally elle-même explique que sa mère est britannique et son père russe.

— On est tous des descendants d'une bonne partouze internationale ? »

...

Est-ce que j'ai vraiment besoin de dire quoi que ce soit ?

« Si ça te fait plaisir.

— Plutôt oui.

— Il y a eu pas mal de conflits entre les colonies, notamment entre les Britanniques et les Américains. Bref, tu vois le genre. J'ai repéré un autre livre qui en parle plus en détail, mais pour le moment ce qui nous intéresse s'est produit vers 1812. Pour te résumer ça simplement et que ton petit cerveau de piaf comprenne,–...

— Hé !

— ...–la colonie avait une sorte de chef. Et ce chef avait un fils. Et un jour, le fils a disparu. Et ce serait une tribu amérindienne qui l'aurait retrouvé et ramené sain et sauf à la colonie.

— Et tu sais pourquoi les Amérindiens détestent la neige ?!

— Si tu continues de m'interrompre, je te castre. T'es prévenue.

— Pardon... »

Ugh. Pire qu'un gosse.

« Donc Odldy Bay est devenue très proche de cette tribu. Les deux chefs ont commencé à grandement s'apprécier et ont créé une véritable amitié. Autant dire que ce genre d'entente était très rare, surtout à cette époque. Parce qu'on ne va pas se mentir : les Amérindiens n'aimaient pas trop les colons.

— On se demande bien pourquoi.

— Et donc cette tribu, qui se faisait appeler les Wakizas–

— OH !

— Oui ?

— Comme nos gardiens !

— ...Oui Charly... Donc, les Wakizas avaient comme ennemi une autre tribu qu'ils appelaient les–

— OHANZEES ! »

Mais elle s'est crue dans un jeu télé c'est pas possible.

« Pas besoin d'hurler ça sur tous les toits. Mais oui, c'était les Ohanzees. Et c'est là que ça devient intéressant, parce que les Wakizas avaient le pouvoir de se transformer en leur animal totem tandis que les Ohanzees se transformaient en créature noire et difforme, un petit peu comme des démons. »

Je laisse un blanc pour la laisser faire une réflexion aussi stupide qu'elle, mais elle reste étonnamment silencieuse. Je reprends donc.

« Donc la colonie–

— Oui, mais du coup comment ça se fait qu'on ait des pouvoirs nous ? »

Elle dit sa bêtise tout sourire, son manque de patience étant un simple prétexte pour m'agacer. Je donne un coup de pied sous le bureau qui la fait sursauter si fort qu'elle finit sa course par terre. C'est en rigolant qu'elle remonte, comme si de rien n'était.

« Je disais : la colonie a donc aidé les Wakizas dans leur guerre contre les Ohanzee, notamment en leur fournissant des fusils et des soins. Si bien qu'ils ont réussi à prendre l'avantage sur les espèces de démons et à les faire reculer. Pour remercier leurs alliés, les Wakizas ont partagé leur pouvoir avec les habitants d'Oddly Bay. Mais les Ohanzees les ont maudits en faisant en sorte qu'ils se transforment toutes les nuits et qu'ils ne puissent se transformer la journée.

— Ça ressemble pas vraiment à une malédiction.

— Et bien si, parce que ça empêchait les Wakizas de se défendre convenablement la journée. En fait la légende explique que les Ohanzees auraient signé un pacte avec le diable pour pouvoir se transformer en démons. Ils auraient ensuite signé un second pacte pour lancer cette malédiction. Sauf que même après tout ç a, ils étaient incapables d'anéantir les Wakizas. Donc ils auraient fait un dernier contrat avec le diable pour les rendre immortels.

— C'est un peu de la triche.

— Et comme tu t'en doutes, en étant immortel, ils ont réussi à anéantir les Wakizas et les survivants ont dû rejoindre la colonie pour ne pas se faire exterminer. Pendant ce temps, les colons ont réussi à capturer le cœur du diable, ce qui leur a permis de garder les Ohanzees éloignés de la ville.

— Jusqu'à aujourd'hui.

— Exactement.

— Mais comment ils ont réussi à savoir que le diable avait un cœur ? Et surtout, comment ils ont su que ça allait les protéger ? »

Je reste un moment bouche bée devant sa question. Sa gueule est si souvent remplie de connerie que j'en viens à être surprise qu'une parole censée en sorte.

« J'imagine que ce sont les Wakizas qui leur ont donné l'information.

— Mais si les Waki avaient l'info dès le début, pourquoi avoir attendu pour attraper son cœur ?

— Peut-être qu'ils ne pensaient pas avoir besoin d'en arriver là et que c'était une mission particulièrement dangereuse.

— Ou alors, quelqu'un d'autre leur a donné l'information quand ils en ont eu le plus besoin. »

Je la fixe avec de grands yeux. Il est également envisageable qu'ils aient pris connaissance de l'existence du cœur par hasard après tout. Mais son raisonnement est étonnamment logique.

« Pourquoi tu me regardes comme ça ?

— Je crois que c'est la première fois que tu dis un truc intelligent.

— Ah–ah, hilarant ! peste-t-elle.

— La réponse à ta question est sûrement dans les livres. C'est pour ça qu'on doit continuer à avancer le plus vite possible ! »

Sorti de nulle part, un bruit strident et sournois se glisse sous notre peau et étrangle nos veines. Je me raccroche in extremis au bureau, mon sursaut ayant soulevé ma chaise du sol.

Une vision d'horreur se projette dans mon esprit, réalisé par mon imagination en collaboration avec mon anxiété. Je me vois sur le sol, mon corps à peine reconnaissable, entourée d'Ohanzees qui se délectent de mes entrailles. Mon souci du détail est si profond que je parviens même à voir leurs obscurs yeux blancs me fixer, savourant les dernières bribes de vie qui quittent mon corps dans un râle d'agonie.

Le point final de mon livre. Une fin aussi pitoyable que le reste du torchon.

Je cligne des yeux et tombe sur Charly. Je suis instinctivement son regard et aperçois son ami. Même s'il est en forme de chouette, je me souviens très bien de lui, ce matin-là dans la décharge. Il avait un prénom qui commençait par un A, c'était quoi déjà...

« C'est Adam. »

Voilà, ça.

Je me lève pour aller lui ouvrir comme je le fais si souvent pour les clients de petite taille.

C'est une chouette toute blanche qui rentre et se pose sur mon bureau. Il me fait penser à Edvige, mais avec plus de testostérone. Je réalise qu'il avait un livre dans ses serres, comme quoi c'est drôlement musclé ces bestioles ! En même temps ils sont censés soulever des lapins maintenant que j'y pense.

C'est fou à quel point je redécouvre les animaux depuis que je suis ici. J'vais bientôt être une experte.

« Salut les filles. Je vous dérange pas ?

— Pas du tout, ça dit quoi ? réponds Charly.

— Pas grand-chose. Ils ont fermé l'école, donc j'vais pas te cacher que je m'ennuie un peu. Au moins j'ai du temps pour lire. »

Je vois bien qu'il évite mon regard. Je me suis rassis sur la chaise qui a failli causer ma mort et décide de prendre le taureau par les cornes pour éviter que le malaise s'installe :

« Écoute Adam, je voulais te dire que je suis désolé. Pour la dernière fois...

— Non non t'inquiètes pas, c'est moi qui m'excuse. J'aurai pas dû te prendre le poignet aussi violemment, c'était bête.

— T'as rien fais de mal je te jure, c'est moi qui aie mal réagi, vraiment !

— Si si, j'ai été trop brusque, promis je ferais gaffe la prochaine fois.

— Moi aussi j'aimerais bien qu'on me prenne par les poignets. »

On se tourne tous les deux vers Charly qui bâille, feignant de s'endormir devant nos excuses insipides. On sait tous les deux qu'il s'agit d'un simple malentendu, alors autant arrêter de faire semblant.

« Peu importe, c'est oublié. » dis-je pour apaiser la tension et nos volontés de hara-kiri qui ont pollué ce début de conversation. Je le vois qui s'envole, comme pour fuir, cherchant quel livre il va emprunter ensuite. C 'est là que je me confie à Charly à voix basse.

« J'ai eu peur, j'ai cru que c'était un Ohanzee.

— Ça risque pas, tous les gardiens sont chaud patate. Ils passent leur temps à en ramener au QG.

— Mais pourquoi ils ne les tuent pas directement ?!

— Parce qu'ils doivent être trop durs à buter j'imagine. Ils ont sûrement une technique secrète ou une machine spéciale. Genre un rouleau compresseur qui les écrabouille.

— Parce que si on suit les paroles des premiers habitants, ils sont censés être immortels. Un ancien Wakizas disait que même la dynamite ne faisait que les ralentir.

— On s'en fout de comment ils les tuent non ?

— ... Peut-être. Mais peut-être pas. »

Adam revient et pose un nouveau livre, encore plus gros que le précédent avant de dire :

« Vous savez qu'une chouette entend une souris à des kilomètres pas vrai ? »

Je regarde la guéparde avec cet air de fatigue qui est devenu si banal sur mon visage.

Spécialiste en animaux mon cul.

« Moi j'le savais pas. Mais elle oui.

— Roooh ça va, c'est Adam ! On se connait depuis des années, t'inquiètes pas ! Muet comme une mouette.

— Je suis une chouette et c'est muet comme une carpe.

— Chouette, mouette, carpe, guépard on s'en fout s'est pareil. » réplique Charly, visiblement agacée que sa démonstration de culture n'ait fait que souligner sa stupidité.

Adam. Je prends quelques instants pour l'analyser. Et autant dire que je cerne vite sa personne.

Il est banal. Tristement banal. Pas de corps atypique ou plaisant, une voix monotone et oubliable... Même ses goûts littéraires sont chiants à mourir ! C'est méchant comme constat, mais c'est la réflexion que je me fais en comparant les deux bestioles posées sur mon bureau. Je dois trop traîner avec Charly, il est vrai que tout le monde parait silencieux et fade à côté d'elle.

J'imagine que je dois apprendre à le connaître. Ne pas juger un livre à sa couverture, une fois de plus. Il faut croire que j'ai vraiment perdu l'habitude des contacts humains moi. Qu'est-ce que je raconte, j'ai jamais eu l'habitude du contact humain.

« Vous voulez tuer les Ohanzees ? »

Sa question coupe ma respiration. La guéparde prend le relais visiblement agacée par mes manières.

« Roh arrête, on n'est pas des espionnes non plus !

— J'ai pas dis ça, juste que j'aimerai pas que ça s'ébruite. Déjà que toute la ville veut ma mort... Et je te rappelle que ton père m'a expressément demandé de ne pas mettre mon nez là-dedans. »

Son silence sonne comme une validation de mes propos. La guéparde tourne la tête et plonge ses yeux de prédateurs dans ceux de la petite peluche de plume blanche.

« Si tu ouvres ta gueule, j'te bouffe. »

Charly et la diplomatie.


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